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02/05/2024 | FRANCE | N°21/02150

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 2e chambre sociale, 02 mai 2024, 21/02150


ARRÊT n°































Grosse + copie

délivrées le

à































COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



2e chambre sociale



ARRET DU 02 MAI 2024





Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/02150 - N° Portalis DBVK-V-B7F-O6BK





Décision déférée à la Cour : Jugeme

nt du 03 MARS 2021

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER - N° RG F 19/01116









APPELANT :



Monsieur [D] [J]

né le 21 Décembre 1995 à [Localité 7] (34)

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 2]



Représenté par Me Natacha YEHEZKIELY, avocat au barreau de MONTPELLIER











INTIMEE :

...

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 02 MAI 2024

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/02150 - N° Portalis DBVK-V-B7F-O6BK

Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 MARS 2021

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER - N° RG F 19/01116

APPELANT :

Monsieur [D] [J]

né le 21 Décembre 1995 à [Localité 7] (34)

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représenté par Me Natacha YEHEZKIELY, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMEE :

S.A.S. ALBACETE LOGISTIQUE TRANSPORT (A.L.T)

Pris en la personne de son représentant légale en exercice

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Laurent ERRERA de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER

Ordonnance de clôture du 05 Février 2024

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 MARS 2024, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre

Monsieur Jean-Jacques FRION, Conseiller

Monsieur Patrick HIDALGO, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER

ARRET :

- contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, et par Madame Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.

*

* *

FAITS, PROCÉDURE, ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

M. [D] [J] a été engagé le 1er mars 2018 par la société Albacete Logistique Transport (ci-après, la société ALT) en qualité de chauffeur-livreur dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à temps complet.

Le 20 mai 2019, la société ALT a notifié à M. [J] un avertissement.

Par lettre du 19 juillet 2019, M. [J] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur en formulant divers reproches dont ceux de ne pas le rémunérer des heures supplémentaires accomplies, des modifications de ses horaires de travail, des menaces continuelles, des propos rabaissant et dénigrant à son encontre.

M. [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Montpellier le 2 octobre 2019, pour voir requalifier sa prise d'acte en licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse et entendre condamner la société ALT au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

Par jugement du 3 mars 2021, ce conseil a statué comme suit :

Dit que la prise d'acte du salarié produit les effets d'une démission,

Condamne la société Albacete Logistique Transport à payer à M. [J] les sommes de 91, 56 euros au titre des heures supplémentaires, outre 9, 15 euros au titre des congés payés afférents,

Déboute M. [J] du surplus de ses demandes,

Déboute la société Albacete Logistique Transport de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Laisse à chaque partie la charge de ses dépens.'

Le 2 avril 2021, M. [J] a relevé appel de tous les chefs de ce jugement.

' Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 19 janvier 2024, M. [J] demande à la cour d'infirmer le jugement et de :

Requalifier la prise d'acte de la rupture du 19 juillet 2019 en licenciement nul, à tout le moins dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Annuler l'avertissement du 20 mai 2019,

Condamner la société Albacete Logistique Transport à lui verser les montants suivants, étant précisé que les sommes indemnitaires seront fixées nettes de CSG-CRDS :

- 751,48 euros à titre de salaire sur heures supplémentaires impayées,

- 75,15 euros de congé payés y afférents,

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis du fait de l'avertissement injustifié,

- 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis du fait des manquements à la sécurité du salarié, des actes de harcèlement moral et de discrimination à son égard,

- 13 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la rupture aux torts de l'employeur,

- 1 732,81 euros d'indemnité compensatrice de préavis et 173,28 euros de congés payés afférent,

- 649,80 euros d'indemnité légale de licenciement.

- 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Débouter la ALT de toute demande reconventionnelle comme injuste et mal fondée.

' Aux termes de ses dernières conclusions déposées par voie de RPVA le 2 février 2024, la société Albacete Logistique Transport demande à la cour de confirmer le jugement et de :

Constater l'absence d'éléments suffisants apportés par le salarié pour démontrer l'accomplissement d'heures supplémentaires ;

Constater l'absence de preuve par le salarié de faits de harcèlement moral ;

Constater que les prétendus manquements de l'employeur invoqués par M. [J] sont infondés ou non suffisamment graves pour justifier une prise d'acte ;

Dire et juger en conséquent que la prise d'acte de M. [J] a le caractère d'une démission ;

Débouter M. [J] de ses demandes ;

En tout état de cause, condamner à la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Par ordonnance rendue le 5 février 2024, le conseiller chargé de la mise en état a fixé la date de clôture au jour de l'audience, le 4 mars 2024.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIVATION :

Sur les heures supplémentaires :

Il résulte des dispositions des articles L. 3171-2, alinéa 1er du code du travail, L. 3171-3 et L. 3171-4 du même code, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments, rappel fait que si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d' heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Outre, ses bulletins de salaire, desquels il ne ressort aucun paiement d'heures supplémentaires, M. [J] communique la correspondance 10 décembre 2018 aux termes de laquelle il a notamment répondu à son employeur qui l'interrogeait sur le point de savoir si quelque chose n'allait pas que 'certaines de ses heures supplémentaires soient prise en compte dans le calcul de son salaire, ce à quoi il indiquait que l'employeur lui avait répondu 'qu'il n'avait pas fait d'heures supplémentaires mais qu'il devait des heures à l'entreprise' (pièce salarié n°3), son agenda sur lequel il a mentionnée sur la période courant 27 novembre 2018 au 22 juin 2019 ses heures de prise et de fin de service et le total hebdomadaire des heures accomplies du mardi au samedi, en complétant le cas échéant lors des semaines partiellement travaillées, pour les jours de suspension de son contrat (arrêt maladie ou congés) 7 heures par jour (pièce salarié n°11) et un relevé quotidien des heures supplémentaires accomplies à la journée du 27 novembre 2018 au 4 juillet 2019, totalisant 59H30.

Ces éléments sont suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'elle prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, de répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Pour écarter la réclamation du salarié le conseil de prud'hommes a considéré qu'il se déduisait des éléments fournis par l'employeur, lesquels consistent dans le traitement de tournées de ses salariés fournis par son donneur d'ordre, la société 'Colis Privé', attestant du nombre de colis des tournées confiées à M. [J] en comparaison de celles confiées à ses 4 collègues, que le salarié n'avait pas accompli d'heures supplémentaires hormis celles que la société concédait, justifiant l'allocation du rappel alloué de ce chef.

Ces éléments ne permettent pas de déterminer précisément les heures de travail effectivement accomplies par M. [J].

Au vu de l'ensemble des éléments produits par l'une et l'autre partie, il apparaît que M. [J] a bien exécuté des heures supplémentaires, mais dans une proportion moindre que celle qu'il indique puisqu'il convient de rappeler que la réalisation des heures supplémentaires s'apprécie sur la durée hebdomadaire de travail, et non sur une durée quotidienne comme il le présente dans sa pièce référencée n°12.

La créance qui en résulte sera fixée à 385,30 euros, outre 38,53 euros au titre des congés payés afférents. Le jugement sera réformé en ce sens sur le montant alloué au salarié.

Sur l'avertissement :

La lettre d'avertissement du 20 mai 2019, est ainsi motivée :

'Le samedi 18 mai 2019 à 16H30, j'ai constaté grâce à la géolocalisation de votre véhicule qui vous a été confié pour effectuer votre travail que vous rentriez au dépôt. Je vous ai donc contacté par téléphone pour savoir si vous aviez livré tous les colis donc terminé votre travail. Il restait 49 colis à livrer.

Je vous ai demandé de finir votre travail en effectuant des heures supplémentaires. Vous avez refusé.

Je vous ai demandé de laisser les clés du camion dans la boîte à gants de celui-ci, ce que vous n'avez pas fait, puisque vous avez fermé le camion et gardé les clés alors qu'il y avait d'autres personnes présentes au dépôt à qui vous auriez pu les remettre. Vous avez aussi refusé de les rapporter lorsqu'on vous a contacté.

Ces faits constituent un manquement à la discipline de notre établissement. Ce comportement est inacceptable et entrave le bon fonctionnement de l'entreprise.

En effet, en plus d'avoir dû rappeler deux chauffeurs pour terminer les livraisons des 49 colis, vous n'avez pas respecté les procédures en place dans l'entreprise car vous avez livré par avance un point relais, ce qui a pour conséquence des pénalités financières pour l'entreprise.

Nous vous adressons donc ce premier avertissement.

Nous vous rappelons que ce premier avertissement constitue une sanction à caractère disciplinaire. Si de tels faits se renouvelaient [...]'

Par une lettre datée du 20 mai, mais qui n'a été affranchie par les services postaux que le 23 mai et reçu par l'employeur le 28 mai, le salarié a informé l'employeur de sa volonté de saisir le conseil de prud'hommes du litige les opposant, sans contester formellement cet avertissement mais en formalisant divers griefs à l'encontre de l'employeur, parmi lesquels figurent celui de 'demander comme d'habitude des heures supplémentaires sans les rétribuer'.

Selon l'article L.1333-2 du code du travail, le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme, ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

Conformément aux dispositions de l'article L. 1333-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction, forme sa conviction au vu des éléments retenus par l'employeur pour prendre la sanction et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

En l'espèce, il suit de ce qui précède que le 18 mai 2019, le salarié était effectivement créancier d'une trentaine d'heures supplémentaires non rémunérées et qu'il avait formulé une réclamation de ce chef en décembre 2018, certes imprécise, mais à laquelle l'employeur ne justifie pas avoir donné une quelconque suite au besoin pour constater que le salarié était rempli de ses droits.

En toute hypothèse, la société conclut que l'avertissement ne repose pas sur le fait d'avoir refusé d'accomplir des heures supplémentaires, mais d'avoir quitté son travail sans avoir terminé sa tournée et d'avoir gardé les clefs du véhicule alors qu'il avait pour habitude de les déposer au dépôt de la société et qu'il pouvait les remettre à une personne présente au siège.

Or, il ressort de l'attestation établie par M. [M], conforme aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile, qu'il était présent dans les locaux le 18 mai, lors du retour du salarié, dont il indique qu'il a fermé le véhicule sans lui remettre les clés, ce qui a contraint le gérant de l'entreprise à aller les récupérer afin que le témoin puisse achever sa tournée en faisant des heures supplémentaires. Ce dernier comportement qui a désorganisé le fonctionnement de l'entreprise et retardé l'achèvement de la tournée est fautif.

L'avertissement prononcé n'est pas disproportionné au manquement ainsi avéré. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de ce chef.

Sur le harcèlement moral et la discrimination en raison de son état de santé :

M. [J] fait valoir qu'il a fait l'objet d'un premier arrêt maladie du 6 au 12 décembre 2018, coïncidant avec l'envoi de son premier courrier du 10 décembre 2018 aux termes duquel il réclamait notamment le paiement d'heures supplémentaires, dont il souligne que la société n'y a pas donné de réponse. Il indique qu'à son retour, il a dû faire face à de véritables mises en cause, dénigrements et brimades de la part de l'employeur qui s'est accentué à son retour d'arrêt maladie du 13 avril au 15 mai 2019 consécutif à un accident survenu lors de son activité de pompier volontaire. Il affirme ainsi que l'employeur indiquait aux autres salariés que c'était à cause de lui s'ils devaient travailler plus durant ses absences maladie, que s'ils avaient moins d'argent en fin d'année, c'était aussi de son fait et qu'en tout état de cause, son arrêt de travail était un faux puisqu' il était « un menteur ». Il invoque encore ses heures supplémentaires et les modifications intempestives de ses tournées et horaires de travail, ainsi que les menaces dont il affirme avoir fait l'objet.

La société conteste tout comportement discriminatoire ou harcelant.

Il résulte des dispositions de l'article L.1132-1 du code du travail qu'aucun salarié ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son état de santé. En application de l'article L. 1134-1 du code du travail, lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Par ailleurs, aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016 applicable en la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral , il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail.

Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A titre liminaire, il sera relevé que le salarié, dans ses dernières conclusions, ne présente plus d'argumentation au sujet de toute une série de grief visés dans sa lettre de prise d'acte relatifs au retrait d'une prime, à des refus allégués de jours de congé, à des erreurs sur ses bulletins de salaire, à une prétendue surveillance de ses tournées ou encore à une demande de réparation d'un scan.

En l'espèce, au soutien de son action, le salarié justifie de son arrêt de travail, qui s'est prolongé du 13 avril au 15 mai 2019, la main courante qu'il a déposée le 20 mai 2019 à la gendarmerie de ST Georges d'Orques, dans laquelle il a déclaré que depuis son retour de cet accident, il 'se sent harcelé au travail, rabaissé devant les autres employés, traité de menteur et qu'on l'accuse d'avoir bénéficié d'un faux arrêt de travail suite à cet accident', et la correspondance, datée du 20, qu'il a adressée à l'employeur le 23 mai ainsi libellée :

« Je viens par la présente vous informer de ma saisine du conseil de prud'hommes dans le litige qui est le nôtre.

Déjà au mois de novembre dernier, je vous avais fait part de mes griefs ainsi qu'à l'inspection du travail. À cette date vous vous étiez radouci quant à vos attitudes envers moi mais sans donner de réponse à mes doléances sur différents points.

Aujourd'hui, suite à un accident de service dans le cadre de mon activité de pompier, j'ai été indisponible durant un mois. Depuis ma reprise, une attitude déplacée, injurieuse et harcelante ne me permet pas d'oeuvrer dans de bonnes conditions.

Vous me traitez de menteur devant les autres employés.

Vous me changez de tournée journalièrement,

Vous me changez les horaires sans tenir compte du délai de prévenance prévu par la loi,

Vous me demandez, comme à votre habitude depuis plus d'un an des heures supplémentaires que vous ne rétribuez pas,

Vous dites aux autres employés que c'est de ma faute s'ils font plus d'heures et s'ils n'auront qu'une prime limitée ou annulée en fin d'exercice.

D'autre part, comme déjà abordés, les différents points de légalité (prime de panier, travail pendant les repas, pause légale de la durée du travail, heures supplémentaires, édition des bulletins de salaire, nombre d'heures mal indiqué sur le bulletins de salaire, erreurs sur les bulletins de salaire, planning de travail non affiché et non transmis à l'inspection...) n'ont aucune réponse et ne font pas partie de vos priorités.

Le fait de retirer systématiquement un jour de congés payés supplémentaire pour toute prise de congé demande des explications plausibles sur la légalité de cette pratique.

Je vous ai demandé au mois de décembre dernier de ne plus me menacer, mais vous ne tenez en aucun cas compte de cette doléance et me trouve aujourd'hui malgré tous mes efforts dans un grand stress et me contraint à intenter une action afin de faire stopper cet état de fait.

Dans l'attente d'une décision du juge, je vous demanderai donc de me donner journalièrement les ordres par écrit, paraphé et tamponné. Dans l'hypothèse où vous voudriez me convoquer pour parler de cette affaire, je demande à en être informé en temps utile afin de pouvoir me faire accompagner [...].

Il se prévaut également des messages que l'employeur lui adressait la veille au soir informant les salariés de l'heure à laquelle ils devaient se présenter sur le lieu de travail, desquels il ressort qu'en règle générale celle-ci était fixée à 9H ou 9H30, et qu'exceptionnellement, en fonction de l'heure d'arrivée de la navette qui livre les colis à l'entreprise à 7H, deux fois les 19 avril (message du 18 adressé à 19H24) et 28 mai (message du 27 mai à 21H54), deux fois à 10H et une autre à 13H (pièces salarié n°8 et 9).

Il suit de ce qui précède que le salarié était créancier d'une trentaine d'heures supplémentaires.

En revanche, aucun élément ne vient étayer les allégations du salarié quant à l'existence de brimades, attitude qualifiée de 'déplacée, injurieuse et harcelante', sans autre précision, au fait qu'il a été qualifié de 'menteur', ou qu'il a été présenté comme celui à cause de qui ses collègues travailleraient davantage et se verraient priver de primes.

L'avertissement était justifié.

De même, il n'est nullement établi que ses tournées se faisaient sur tout le département de l'Hérault. À l'examen de la pièce n°10 qu'il communique en s'abstenant de l'analyser, qui comporte plusieurs plannings de ses tournées de mai à juin 2019, la cour y relève de manière récurrente le nom des communes de [Localité 8], [Localité 3], [Localité 4], [Localité 10], [Localité 6] ou encore [Localité 9], commune sur le territoire de laquelle le salarié était domicilié.

Pris dans leur ensemble, les seuls faits établis par l'intéressé, à savoir l'accomplissement d'une trentaine d'heures supplémentaires non rémunérées de novembre 2018 à juillet 2019, l'organisation de travail mise en place par l'employeur à l'égard de salariés engagés à temps complet, consistant à les informer la veille au soir, par un message circulaire, de l'heure à laquelle ils débuteraient leur journée le lendemain, dont il ressort au vu des pièces fournies par le salarié qu'en règle générale celle-ci était fixée à 9 ou 9H30, et exceptionnellement à une heure plus matinale ou tardive, la main courante déposée à la gendarmerie, dont il n'est pas allégué que l'employeur ait pu en avoir connaissance, et enfin les deux correspondances adressées les 10 décembre 2018 et 23 mai 2019, pris dans leur ensemble ne laissent pas supposer l'existence d'un harcèlement moral, ni d'une discrimination au préjudice du salarié, observation faite que l'employeur verse aux débats les attestations de MM. [R], [W] et [I], lesquelles démentent unanimement avoir été témoin d'attitude ou propos dévalorisant, harcelant ou déplacé de l'employeur à l'égard de M. [J].

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [J] de sa demande de reconnaissance d'un harcèlement moral et d'une discrimination.

Sur l'obligation de sécurité :

Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

En vertu de ces textes, l'employeur est tenu à l'égard de son salarié d'une obligation de sécurité. Il doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, actions d'information et de formation, mise en place d'une organisation et de moyens adaptés) en respectant les principes généraux de prévention suivants : éviter les risques, évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités, combattre les risques à la source, adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé, tenir compte de l'état d'évolution de la technique, remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle, donner les instructions appropriées aux travailleurs.

L'obligation de sécurité pesant sur l'employeur comporte deux volets : le premier consistant mettre en oeuvre les dispositions de nature à prévenir la réalisation du risque, le second à prendre les mesures appropriées lorsque celui-ci survient.

Dès lors que le salarié invoque précisément un manquement professionnel en lien avec le préjudice qu'il invoque, il appartient à l'employeur de rapporter la preuve du respect de son obligation de sécurité à l'égard du salarié.

En l'espèce, M. [J] reproche à l'employeur, d'une part, de n'avoir pris aucune mesure une fois alertée de sa souffrance au travail, exprimée dans sa lettre du 10 décembre 2018 ( ' [...] Vous devez comprendre que ce comportement envers moi ne puisse me satisfaire et effectivement crée un mal être tout à fait légitime') et celle du 23 mai 2019 ('Je vous ai demandé au mois de décembre dernier de ne plus me menacer, mais vous ne tenez en aucun cas compte de cette doléance et me trouve aujourd'hui malgré tous mes efforts dans un grand stress') et, de seconde part, de ne pas avoir organisé de visite de reprise alors qu'il avait été arrêté plus de 30 jours.

L'article R. 4624-31 du code du travail dans sa version en vigueur du 01 janvier 2017 au 31 mars 2022, le travailleur bénéficie d'un examen de reprise du travail par le médecin du travail [...] après une absence d'au moins trente jours pour cause d'accident du travail, de maladie ou d'accident non professionnel. Dès que l'employeur a connaissance de la date de la fin de l'arrêt de travail, il saisit le service de santé au travail qui organise l'examen de reprise le jour de la reprise effective du travail par le travailleur, et au plus tard dans un délai de huit jours qui suivent cette reprise.

Certes, l'employeur justifie que suite à sa première correspondance, le salarié a bénéficié d'une visite médicale auprès du médecin du travail le 8 février 2019, qui a délivré une attestation de suivi sans aucune observation, l'intimé ayant ainsi partiellement satisfait à son obligation de ce chef.

En revanche, il ne formule aucune observation relativement à l'absence de visite organisée à l'issue de son arrêt qui s'était prolongé du 13 avril au 15 mai, et ce concomitamment à l'alerte que le salarié lui a adressé le 23 mai relativement à des propos jugés harcelants et au stress qu'il indiquait ressentir.

Observation faite que le salarié ne fournit aucun élément médical ou testimonial susceptible d'étayer une quelconque dégradation de son état de santé psychique, le préjudice subi par le salarié en lien avec ce manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ainsi caractérisé, sera réparé par l'allocation de la somme de 500 euros.

Sur la prise d'acte :

La prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail. En cas de doute, celui-ci profite à l'employeur.

Elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, voire nul, si les faits invoqués la justifiaient ou, dans le cas contraire, d'une démission.

Les seuls manquements ainsi établis ne présentant pas un caractère de gravité suffisant de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail, le jugement sera confirmé en ce qu'il a écarté la demande tendant à voir juger que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, en ce qu'il a débouté M. [J] de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et sur le montant du rappel d'heures supplémentaires,

et statuant à nouveau sur les chefs ainsi infirmés,

Condamne la société Albacete Logistique Transport à payer à M. [J] les sommes suivantes :

- 385,30 euros brut au titre des heures supplémentaires outre 38,53 euros au titre des congés payés afférents,

- 500 euros pour manquement à l'obligation de sécurité,

Le confirme pour le surplus,

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne la société Albacete Logistique Transport aux dépens d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thomas Le Monnyer, Président, et par Madame Marie-Lydia Viginier, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 2e chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/02150
Date de la décision : 02/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-02;21.02150 ?
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