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02/05/2024 | FRANCE | N°21/01833

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 2e chambre sociale, 02 mai 2024, 21/01833


ARRÊT n°































Grosse + copie

délivrées le

à































COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



2e chambre sociale



ARRET DU 02 MAI 2024





Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/01833 - N° Portalis DBVK-V-B7F-O5PE





Décision déférée à la Cour : Jugeme

nt du 17 MARS 2021

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE PERPIGNAN - N° RG F 19/00108







APPELANT :



Monsieur [K] [N]

né le 28 Mai 1970 à [Localité 11] (66)

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représenté par Me Sébastien CARTON, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES











INTIMEE :



...

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 02 MAI 2024

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/01833 - N° Portalis DBVK-V-B7F-O5PE

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 MARS 2021

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE PERPIGNAN - N° RG F 19/00108

APPELANT :

Monsieur [K] [N]

né le 28 Mai 1970 à [Localité 11] (66)

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Sébastien CARTON, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES

INTIMEE :

S.A.S. [7]

Prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Philippe GARCIA de la SELARL CAPSTAN - PYTHEAS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Assistée par Me Xavier URANGA, avocat au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant

Ordonnance de clôture du 29 Janvier 2024

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 FEVRIER 2024, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre

Monsieur Jacques FOURNIE, Conseiller

Madame Magali VENET, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER

ARRET :

- contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, et par Madame Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.

*

* *

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Suivant contrat à durée indéterminée, en date du 16 octobre 2000, M. [K] [N] a été engagé en qualité de diététicien, à temps partiel, d'une part, par la Clinique [6], à raison de 106,14 heures/mois, et par la Clinique [12], à hauteur de 45,53 heures mensuelles, ces deux sociétés étant situées à [Localité 10] (66). La relation de travail était soumise à la convention collective nationale de l'hospitalisation privée à but lucratif.

À l'occasion de leur intégration au sein du groupe [7] ces deux cliniques ont été regroupées en un seul établissement dénommé Clinique [6] [12], avec lequel le salarié a conclu un avenant le 1er janvier 2018, portant la durée mensuelle de travail à 151,67 heures.

Parallèlement, M. [N] était employé à temps partiel depuis le 3 janvier 2005 au sein de la Clinique [5] située à [Localité 8] (66), et ce à raison de 16 heures hebdomadaires au mois de mai 2018.

Convoqué le 29 juin 2018 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 9 juillet suivant et mis à pied à titre conservatoire, M. [N] a été licencié par lettre du 17 juillet 2018 faute grave.

Contestant son licenciement, M. [N] a saisi par requête du 11 mars 2019, le conseil de prud'hommes de Perpignan en sollicitant la condamnation de l'employeur au paiement des sommes suivantes :

- 2.857,50€ au titre du salaire de la mise à pied conservatoire outre les congés payés,

- 19.664,01€ d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 7.711,38€ d'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés,

- 56.907€ de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 17 mars 2021, le conseil a statué comme suit :

Requalifie le licenciement en licenciement pour cause réelle et sérieuse,

Condamne la société [7] à verser à M. [N] les sommes suivantes :

- 2 857,50 euros au titre du salaire de la mise à pied conservatoire, outre 285,75 euros de congés payés sur préavis,

- 19 664,01 euros d'indemnité de licenciement,

- 7 711,38 euros d'indemnité compensatrice de préavis, outre 771,13 euros de congés payés sur préavis,

Condamne la société [7] à restituer à M. [N] les documents de rupture rectifiés,

Condamne la société [7] à verser à M. [N] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Suivant déclaration en date du 19 mars 2021, M. [N] a régulièrement interjeté appel de cette décision.

' suivant ses conclusions en date du 24 janvier 2024, M. [N] demande à la cour de débouter la société [7] de son appel incident et de réformer le jugement en ce qu'il a dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et a débouté les parties de toutes leurs autres demandes et, statuant à nouveau, de :

Dire et juger que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse,

Condamner la société [7] à lui payer les sommes de :

- 56 907 euros pour licenciement abusif,

- 38 556,90 euros à titre de dommages-intérêts à raison du préjudice moral consécutif aux conditions brutales et vexatoires de la rupture,

Confirmer le jugement déféré dans ses autres dispositions,

Condamner la société [7] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

' aux termes de ses conclusions remises au greffe le 9 février 2022, la société [7] demande à la cour de réformer le jugement déféré en ce qu'il a jugé le licenciement comme reposant sur une cause réelle et sérieuse et l'a condamnée au paiement des sommes de 2 857,50 euros au titre du salaire de la mise à pied conservatoire, outre 285,75 euros au titre des congés payés afférents, 19 664,01 euros d'indemnité de licenciement, 7 711,38 euros d'indemnité compensatrice de préavis, outre 771,13 euros au titre des congés payés afférents et les congés payés, ainsi que 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et à délivrer des documents de rupture rectifiés et, statuant à nouveau, de :

Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [N] de ses autres demandes ;

Débouter M. [N] de l'intégralité de ses demandes ;

Condamner M. [N] à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par décision en date du 12 février 2024, le conseiller de la mise en état a clôturé l'instruction du dossier et fixé l'affaire à l'audience du 28 février suivant.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux conclusions susvisées.

MOTIVATION :

Sur la cause du licenciement :

Par lettre en date du 17 juillet 2018, qui fixe les termes du litige, l'employeur a notifié au salarié son licenciement pour les motifs suivants :

« [...]. Or, nous avons été informés du fait que vous occupiez un autre emploi à temps partiel chez un autre employeur.

En effet, nous avons pris connaissance, par une personne extérieure à l'établissement, du fait que vous exerciez les fonctions de diététicien dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel, à hauteur de 69,32 heures mensuelles, au sein de la Clinique [5]. Nous avons pu vérifier cette information auprès de la direction de (cette société) le 25 juin 2017.

O, la réglementation relative à la durée du travail n'interdit pas le cumul d'emplois, à la condition toutefois que la durée totale des emplois occupés ne dépasse pas la durée maximale de travail autorisée, soit 48 heures par semaine ou 44 heures sur 12 semaines consécutives.

Au regard des durées qui nous ont été confirmées, vous effectuez donc un total de 221 heures de travail mensuel, soit une moyenne de 51 heures de travail hebdomadaire : dès lors, il ressort de vos propres indications que vous dépassez largement les maximas autorisés par la législation en vigueur.

Or cette situation vous amène à contrevenir aux dispositions légales et conventionnelles relatives aux durées maximales de travail et aux temps de repos engageant ainsi la responsabilité de vos employeurs respectifs.

Fait aggravant, vos 2 plannings se chevauchent, et ce de façon hebdomadaire, à hauteur de 3 heures.

En effet, votre fin de poste au sein de notre clinique, les lundi, mardi et mercredi, est fixée, contractuellement à 17H30.

Nous avons pourtant eu le regret d'apprendre que vous preniez votre poste, au sein de l'autre clinique, à 16H30 ces 3 même jours.

Nous avons également appris le 16 mai 2018 que vous aviez, et ce de manière récurrente, cessé votre activité avant l'heure prévue pour la fin de votre service comme cela a pu être le cas :

- le 14 mai 2018, vous avez cessé votre activité vers 13H au lieu de 14H, soit environ 1 heure d'avance,

- le 15 mai 2018, vous avez cessé votre activité vers 13H au lieu de 14H, soit environ 1 heure d'avance,

Nous avons ensuite directement constaté le 22 mai 2018 que vous avez cessé votre activité à 12H55 au lieu de 14H, soit 1H05 d'avance et que vous aviez quitté l'établissement au moyen de votre véhicule personnel.

Vos collègues semblaient même penser que votre fin de poste le lundi et le mardi était 13H dans la mesure où ils vous voient 'habituellement' quitter l'établissement [12] à cet horaire.

Votre attitude contrevient manifestement aux dispositions pourtant claires du règlement intérieur applicable au sein de la clinique selon lesquelles :

14.1 - tout membre du personnel doit se conformer aux horaires de travail et respecter..

14.2 - chacun doit ainsi se trouver à son poste de travail aux heures fixées pour le début et la fin de son service [...]

15.1 - tout salarié désirant quitter exceptionnellement son poste de travail, avant l'heure prévue pour la fin du service doit solliciter l'autorisation préalable de la direction.

Par cette attitude, non seulement vous ne respectez pas vos obligations professionnelles, mais plus grave, votre comportement perturbe l'organisation du service et la continuité des soins ce qui nuit indubitablement à la prise en charge de nos patients.

En effet, nous avons constaté un délai important entre la date d'admission de nos patients au sein de la clinique [12] et la date de première consultation diététique, régulièrement entre 20 et 30 jours.

Or, vous ne pouvez pas ignorer, en qualité de diététicien, que dans l'attente de la première consultation diététique, une régime alimentaire de transition, dit 'régime entrant' est servi à nos patients et qu'en conséquence un tel délai pour que soit défini le régime alimentaire adapté aux besoins de nos patients n'est pas acceptable.

Votre comportement impacte ainsi directement la prise en charge que les patients sont en droit d'attendre d'un établissement tel que le nôtre, ce que nous ne pouvons pas accepter.

Ces manquements sont d'autant plus graves que vous falsifiez régulièrement les feuilles d'émargement en indiquant quitter votre poste à 14H alors que ce n'est manifestement pas le cas.

Outre la perte de confiance qu'engendre de tels mensonges votre comportement porte gravement atteinte à la bonne prise en charge des patients, à votre santé, et nous met dans une situation particulièrement délicate pouvant amener à des graves défaillances relatives à la prise en charge des patients.

Nous ne pouvons tolérer plus longtemps une telle situation.

Aussi, eu égard à votre comportement ne nous laissant pas présager d'améliorations et compte tenu du risque trop important qu'il fait courir sur la continuité et la qualité de prise en charge des patients de l'établissement, votre maintien dans la résidence s'avère impossible.

Votre dépassement non autorisé des durées maximales de travail entraîne l'impossibilité du maintien de nos relations contractuelles. En conséquence, nous nous voyons dans l'obligation de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour faute grave [...] ».

M. [N] critique la décision entreprise en ce qu'elle a considéré établie une cause réelle et sérieuse de licenciement alors même que l'employeur connaissait parfaitement la situation de cumul d'emplois dont il ne s'est jamais caché, que la fixation des rendez-vous des patients pour la consultation de diététique n'était pas gérée par lui, et que la preuve du prétendu non respect de ses horaires n'est nullement caractérisé.

La société intimée soutient rapporter la preuve des agissements qu'elle reproche au salarié.

En vertu de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et la poursuite du contrat. Il incombe à l'employeur qui l'invoque d'en apporter la preuve.

Pour preuve du manquement du salarié dans la prise en charge des patients, l'employeur se borne à produire un tableau présentant les dates d'entrée et de consultation diététique de divers patients, identifiés par la première lettre de leurs nom et prénom, de l'examen duquel il ressort qu'il pouvait s'écouler jusqu'à une trentaine de jours entre l'arrivée du patient dans l'établissement et la première consultation diététique.

Toutefois, le salarié qui bénéficiait d'évaluations tout à fait élogieuses, le compte-rendu d'entretien du 8 décembre 2017 étant conclu dans les termes suivants : 'M. [N] est un professionnel sérieux, consciencieux, très apprécié des patients et de l'ensemble des équipes', justifie qu'il ne gérait pas le planning des dits rendez-vous. Mmes [U], infirmière coordonnatrice de l'établissement jusqu'en juillet 2018, atteste que le planning n'était en aucune façon géré par le salarié mais par le secrétariat médical, après prescription médicale, ce témoignage étant confirmé par celui de Mme [D], infirmière.

Il objecte en outre, sans être contredit sur ce point par l'employeur, que jamais son attention n'avait été attirée auparavant par quiconque sur cette durée, dont il n'est nullement établie qu'elle lui soit imputable. Ce premier grief sera jugé non fondé.

Par ailleurs, la société n'est pas fondée à reprocher au salarié un cumul d'emplois.

En effet, il résulte de la combinaison des articles L. 8261-1, L. 8261-2, L. 1232-1 et L. 1235-1 du code du travail qu'un salarié peut cumuler plusieurs emplois à condition de faire preuve de loyauté envers ses employeurs en n'exerçant pas d'activités concurrentes et sauf clause contraire de son contrat de travail, cette liberté cédant toutefois devant l'obligation de respecter les durées maximales quotidiennes et hebdomadaires de travail. Néanmoins, la seule circonstance que, du fait d'un cumul d'emplois, un salarié dépasse la durée maximale d'emploi ne constitue pas en soi une cause de licenciement, seul le refus du salarié de régulariser sa situation ou de transmettre à son employeur les documents lui permettant de vérifier que la durée totale de travail n'excède pas les durées maximales quotidiennes et hebdomadaires constitue une faute.

En l'espèce, M. [N] rapporte la preuve par l'attestation établie par Mme [I] (pièce salarié n°35), ancienne directrice des Etablissements [6] et [12], avant que ceux-ci soient acquis en 2013 par le groupe [9]-[7], que la nouvelle direction avait été informée par ses soins de cette situation de cumul d'emploi, ce dont Mme [H], responsable des ressources humaines de la société, confirme, ce témoin précisant avoir été informée que l'intéressé intervenait, en sus de ses heures de travail pour les 2 établissements du [6] et de [12], au profit d'établissements SSR pédiatriques à [Localité 8], et que ce point figurait sur son dossier personnel.

Il en ressort donc que non seulement le cumul d'emploi n'est pas fautif, mais que l'employeur en était parfaitement informé et ce de longue date. De surcroît, au jour de l'entretien préalable, le dépassement de la durée maximale de travail avait été régularisée, la durée de sa prestation de travail auprès de son second employeur ayant été réduite par avenant.

En revanche, la société [7] rapporte la preuve par la communication du courriel que lui a adressé le 28 mai 2018 un responsable de la Clinique [5] (pièce employeur n°6), précisant le planning de l'intéressé au sein de son établissement, d'un chevauchement horaire d'une heure les lundis, mardis et mercredis soirs. En effet, comme reproché dans la lettre de licenciement, alors que M. [N] était censé débuter au sein de la Clinique [5] à 16H30, il n'était censé terminer son travail pour le compte de la société [7] ces jours là qu'à 17H30.

Lors de l'entretien préalable et dans sa lettre de contestation du licenciement, M. [N] a objecté qu'il débutait en réalité son emploi au sein de la Clinique [5] à 18H.

Au-delà de l'impossibilité pour M. [N] de respecter ses 2 plannings sur ce créneau horaire de 16H30/17H30 les lundis, mardis et mercredis à tout le moins jusqu'au 2 juillet 2018, date à partir de laquelle M. [N] justifie - par la communication de son nouveau planning - que l'heure de prise de service au sein de la Clinique [5] a été reportée à 17H30 (pièce salarié n°1), la société [7] ne verse aux débats aucun élément probant de nature à démontrer que l'impossibilité pour M. [N] de respecter ses 2 plannings et travailler sur deux lieux de travail distincts, s'est faite à son préjudice et que le salarié ne respectait pas les horaires qu'il devait accomplir à la clinique [7], ni qu'il falsifiait ses feuilles d'émargement en mentionnant comme heure de fin de service 17H30, tout en quittant plus tôt que prévu son service afin de rejoindre la clinique [5].

L'appelant verse aux débats les attestations de deux de ses collègues, auprès de qui il travaille à la Clinique [5], à savoir Mmes [C] et [J], respectivement infirmière et ASH, faisant état de son arrivée sur cet établissement à 18H les lundis et mardis, cet horaire étant compatible avec un départ des unités de la société [7] à 17H30. (pièces salarié n°32 et 33)

Au bénéfice du doute qui profite au salarié il sera jugé qu'il n'est pas établi que le salarié a manqué à ses obligations contractuelles au préjudice de la société [7].

Enfin, à l'examen des pièces communiquées par l'employeur à savoir les témoignages de Mmes [G] et [Z] et de M. [M], il n'est pas démontré le non respect récurrent de ses horaires de travail ni plus spécifiquement les 14, 15 mai 2018 en quittant prématurément son service à 13 heures.

En effet, Mme [G], qui indique avoir travaillé pendant 5 ans sur l'atelier cuisine avec le salarié, se borne à déclarer que cet atelier s'achevait aux alentours de 13H /13H15, et qu'à l'issue chaque personne regagnait son poste ou ses activités, ce qui ne permet pas d'en déduire que le salarié s'absentait de son lieu de travail dès l'atelier achevé.

De même et alors que M. [N] précise que son activité au sein de la société [7] s'est toujours partagée entre les deux établissements, puisque l'un contient l'atelier cuisine dans lequel il officie (avec 3 patients et un éducateur) et le second son bureau ainsi que la cuisine centrale, le témoignage par lequel M. [M] indique avoir 'régulièrement constaté l'absence de M. [N] sur le pavillon [12] à son retour de pause repas entre 13H et 13H30" n'est pas pertinente. Il en va de même du témoignage de Mme [Z] déclarant 'qu'à sa connaissance, M. [N] terminait son poste de travail les lundis et mardis à 13H pour l'avoir vu quitter l'établissement à cet horaire (unité [12])', sans préciser si le salarié ne pouvait se rendre dans le second établissement.

Le seul témoignage circonstancié communiqué par l'employeur sur la question des horaires est celui rédigé par M. [A], directeur d'exploitation, dont il convient d'emblée de relever qu'il a procédé à l'entretien préalable et signé la lettre de licenciement. Ce responsable témoigne de ce qu'il a vainement cherché à joindre M. [N] le 22 mai 2018 vers 12H45 sur l'unité de [12], puis sur l'unité [6], avant de le contacter téléphoniquement sur son portable et l'avoir vu arriver au volant de son véhicule personnel 4 à 5 minutes après son appel, ce qui dont il déduit que contrairement à ce qu'il lui avait indiqué au téléphone, il ne se trouvait pas sur l'unité '[6]', les 2 établissements se faisant face.

Contrairement aux feuilles d'émargement du mois de juin 2018, communiquées par le salarié (pièce n°26), lesquelles font état certains jours de la prise d'une pause d'une demi-heure de 13 à 13H30, celle concernant le 22 mai 2018 (pièce employeur n°8) atteste que le salarié a mentionné comme heures de prise et de fin de service 8H et 14H, sans autre précision.

Le seul fait ainsi établi à savoir que le salarié a pu s'absenter ce 22 mai aux alentours de 13H, pour revenir sur le site dans les 4 à 5 minutes de l'appel téléphoniques de son supérieur hiérarchique, ne présente pas de caractère sérieux justifiant le licenciement d'un salarié ayant près de 18 ans d'ancienneté.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a jugé la faute grave non caractérisée mais réformé en ce qu'il a retenu l'existence d'une cause réelle et sérieuse.

La faute grave étant écartée, le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux indemnités de rupture et au rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire, qui sont justifiées dans leur principe et ne sont pas discutées par les parties dans leur quantum.

Le licenciement ne reposant pas sur une cause réelle et sérieuse, le salarié qui était titulaire d'une ancienneté de 17 ans révolus et percevait un salaire mensuel brut de 3 855,69 euros bruts, peut prétendre, en vertu de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, au paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un montant minimal de 3 mois de salaire brut et un montant maximal de 14 mois de salaire brut. Il ne fournit aucun élément justificatif concernant l'évolution de sa situation professionnelle.

Compte tenu des seuls éléments dont dispose la cour, et notamment de l'âge du salarié au moment du licenciement, soit 48 ans, et des perspectives professionnelles qui en découlent, ainsi que de son ancienneté, le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse doit être évalué à la somme de 45 000 euros bruts.

Sur le caractère vexatoire du licenciement :

Tout salarié licencié dans des conditions vexatoires ou brutales peut prétendre à des dommages et intérêts en réparation du préjudice distinct de celui résultant de la perte de l'emploi. Il en est ainsi alors même que le licenciement lui-même serait fondé, dès lors que le salarié justifie d'une faute et d'un préjudice spécifique résultant de cette faute.

M. [N] fonde sa demande d'indemnisation sur la connaissance par l'employeur de la fausseté des griefs qu'il a retenus à son encontre. S'il est établi que l'employeur ne pouvait ignorer le fait que le salarié cumulait deux emplois et que la durée avant la prise en charge par ses soins des patients ne lui était pas imputable, et qu'il ne rapporte pas, par ailleurs, la preuve du non respect réitéré de ses horaires en anticipant la fin de son service fixé à 14H, force est néanmoins de relever que la société [7] prouve qu'en mai 2018 les plannings que M. [N] était censé respecter auprès de chacun de ses deux employeurs étaient incompatibles les lundis, mardis et mercredis soirs.

Par suite, l'engagement de la procédure de licenciement ne présente pas de caractère vexatoire ou brutal constitutif d'une faute de l'employeur.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté l'appelant de sa demande indemnitaire sur ce point.

Il suit de ce qui précède que le licenciement ayant été prononcé au mépris des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, il sera ordonné le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour en ce qu'il a jugé que le licenciement ne reposait pas sur une faute grave, qu'il a condamné la société [7] à verser à M. [N] les sommes de 2 857,50 euros au titre du salaire de la mise à pied conservatoire, outre 285,75 euros de congés payés sur préavis, 19 664,01 euros d'indemnité de licenciement, 7 711,38 euros d'indemnité compensatrice de préavis, outre 771,13 euros de congés payés sur préavis, ainsi que 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et en ce qu'il a débouté M. [N] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire ou brutal,

L'infirme en ce qu'il a jugé le licenciement comme reposant sur une cause réelle et sérieuse et débouté M. [N] de sa demande d'indemnité pour licenciement injustifié,

Statuant à nouveau des chefs ainsi infirmés,

Juge le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne en conséquence la société [7] à verser à M. [N] la somme de 45 000 euros bruts à titre de licenciement injustifié,

y ajoutant,

Vu les dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail,

Ordonne le remboursement par l'employeur aux organismes concernés de tout ou partie des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement au jour du prononcé de la présente décision, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage, et dit qu'une copie certifiée conforme de la présente sera adressée à ces organismes,

Condamne la société [7] à verser à M. [N] la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

Condamne la société [7] aux dépens d'appel.

Signé par Monsieur Thomas Le Monnyer, Président, et par Marie-Lydia Viginier, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 2e chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/01833
Date de la décision : 02/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 11/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-02;21.01833 ?
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