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02/05/2024 | FRANCE | N°21/01549

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 2e chambre sociale, 02 mai 2024, 21/01549


ARRÊT n°





























Grosse + copie

délivrées le

à































COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



2e chambre sociale



ARRET DU 02 MAI 2024



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/01549 - N° Portalis DBVK-V-B7F-O466





Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 FEVRIER

2021

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE CARCASSONNE - N° RG F 19/00119







APPELANTE :



S.A.S. MEDICA FRANCE

Prise en son établissement secondaire « KORIAN PAYS DES QUATRE VENTS » sis [Adresse 2] à CARCASSONNE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette quali...

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 02 MAI 2024

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/01549 - N° Portalis DBVK-V-B7F-O466

Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 FEVRIER 2021

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE CARCASSONNE - N° RG F 19/00119

APPELANTE :

S.A.S. MEDICA FRANCE

Prise en son établissement secondaire « KORIAN PAYS DES QUATRE VENTS » sis [Adresse 2] à CARCASSONNE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Philippe GARCIA de la SELARL CAPSTAN - PYTHEAS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Assistée par Me Anne-Charlotte VILLATIER, substituant Me Yves TALLENDIER de la SELARL CAPSTAN - PYTHEAS, avocats au barreau de MARSEILLE, avocat plaidant

INTIMEE :

Madame [E] [J]

Née le 03 janvier 1968 à [Localité 6] (32)

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Cloé PERROT, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Assistée par Me Laura BELLINI, avocat au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant

Ordonnance de clôture du 29 Janvier 2024

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 FEVRIER 2024, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre

Monsieur Jacques FOURNIE, Conseiller

Madame Magali VENET, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER

ARRET :

- contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, et par Madame Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.

*

* *

EXPOSE DU LITIGE :

Mme [E] [J] a été engagée par la société Médica France selon contrat de travail à durée indéterminée du 19 octobre 2018, en qualité de cadre de santé.

Ses fonctions de gestion du personnel de santé s'exerçaient à Carcassonne, au sein de l'établissement 'Korian Pays des Quatre vents' qui exerce une activité d'hospitalisation à domicile.

Au dernier état de la relation contractuelle, elle occupait un poste positionné au coefficient 465, catégorie cadre C, position III, selon les dispositions de la convention collective nationale d'hospitalisation privée à but lucratif du 18 avril 2002 à laquelle la relation contractuelle était soumise.

Par courrier du 20 mars 2019, Mme [J] a dénoncé des faits de harcèlement exercés à son encontre par le Docteur [F], médecin en au sein de l' établissement 'Korian Pays des Quatre Vents'.

A compter du 29 mai 2019, la salariée a été placée en arrêt de travail.

Par requête en date du 29 octobre 2019, Mme [J] a saisi le conseil de prud'homme de Carcassonne afin de solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail et la condamnation de l'employeur au paiement de diverses sommes.

Par jugement du 3 février 2021, le conseil de prud'hommes a :

- dit que Madame [J] a subi un harcèlement moral au sein de son travail ;

- dit que la société MEDICA France a failli à son obligation de sécurité ;

- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Madame [J] à la date du prononcé du jugement, soit au 3 février 2021,

- condamné la société MEDICA France à payer à Madame [J] :

- 3.000 € au titre du non-respect de son obligation de sécurité,

- 3.000 € au titre du harcèlement moral,

- 18.900 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

- 9.450 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 945 € au titre des congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis,

- 1.771,87 € bruts à titre d'indemnité de licenciement,

- 1500 € au titre de l'article 700 du CPC,

- condamné la société MEDICA France aux entiers dépens,

- ordonné l'exécution provisoire sur l'ensemble des condamnations,

- ordonné la production des documents de fin de contrat sous astreinte.

Par déclaration du 9 mars 2021, la société MEDICA France a relevé appel du jugement

Dans ses dernières conclusions en date du 30 novembre 2021 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la société Medica France demande à la cour de :

- infirmer la décision en ce qu'elle a fait droit à la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail,

- débouter Mme [J] de l'intégralité de ses demandes,

- condamner Mme [J] au paiement d'une somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions en date du 05 septembre 2023 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, Mme [J] demande à la cour de :

Confirmer le jugement en ce qu'il lui a :

- dit qu'elle a été victime d'un harcèlement moral et que la société MEDICA France a manqué à son obligation de sécurité ;

- prononcé la résiliation judiciaire de son contrat de travail en date du 3 février 2021 ;

- condamné la société MEDICA France à lui payer :

- 9.450 € à titre d'indemnité de préavis et 945 € de congés payés y afférents ;

- 1.771,87 € à titre d'indemnité légale de licenciement ;

- ordonné la remise des documents de fin de contrat conformes (reçu pour solde de tout compte, Attestation Pôle emploi, certificat de travail) sous astreinte de 100€/ jour de retard

- condamné la société MEDICA France aux entiers dépens ainsi qu'à lui payer la somme de 1.500€ au titre de l'article 700 CPC.

- infirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Carcassonne du 3 février 2021 quant au montant des dommages et intérêts versés au titre du harcèlement moral, de l'obligation de sécurité et du licenciement nul.

Et statuant a nouveau :

- Condamner la société MEDICA France à lui payer :

- 9.450 € à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

- 9.450 € à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat ;

- 25.200€ à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;

- 3 000€ au titre de l'article 700 CPC pour les frais engagés pour

la procédure d'appel,

- condamner la société MEDICA France aux entiers dépens, dont les frais engagés au titre du constat d'huissier ainsi que de la signification et l'exécution du jugement de première instance ;

L'ordonnance de clôture est en date du 29 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur l'exécution du contrat de travail :

Sur le harcèlement moral et le manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur :

L'article L 1152-1 du code du travail dispose que 'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel'.

L'article L1154-1 du code du travail précise qu'il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En application des articles L4121 et suivant du code du travail, l'employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs .

L'employeur peut s'exonérer de sa responsabilité s'il démontre avoir respecté les règles imposées par le Code du travail en matière d'hygiène et de sécurité.

En l'espèce, Mme [J] allègue avoir été victime de faits de harcèlement moral qui caractérisent également un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

Elle invoque une prise de fonction difficile en raison d'une organisation défaillante liée à un manque de personnel, à une surcharge de travail, ainsi qu'à des conflits sociaux.

Elle ajoute avoir subi les critiques et le dénigrement du Docteur [F] qui n'a cessé de la décrédibiliser auprès du personnel et de l'agresser verbalement.

Elle précise que les faits de harcèlement dont elle a été victime sont à l'origine de l'altération de son état de santé qui a occasionné la prescription de ses arrêts de travail.

- Concernant les difficultés liées à l'organisation du service ainsi qu'au manque d'effectif, elle évoque l'enquête interne diligentée par l'employeur le 29 mai 2019 suite aux faits de harcèlement qu'elle a dénoncés et dont l'analyse laisse apparaître l'existence de difficultés liées à mauvaise répartition des tâches consécutive à l'absence de fiche de poste et à une organisation instable dans le temps.

- Concernant la surcharge de travail, elle allègue tout d'abord avoir travaillé selon un contrat de travail en date du 19 juillet 2018 prévoyant un forfait en jours sans aucun contrôle de ses horaires de sa charge de travail, avant de reconnaître que seul s'appliquait le contrat de travail signé le 19 octobre 2018, date de sa prise de fonction, prévoyant un temps de travail de 35 heures par semaine et précise qu'elle dépassait ce temps de travail sans jamais bénéficier de compensation financière, sans cependant en justifier.

- Concernant le comportement harcelant du Docteur [V] [F] à son égard, Mme [J] produit tout d'abord le courrier du 20 mars 2019 qu'elle a remis en main propre à Mme [X](directeur d'établissement à [Localité 7] qui assurait l'intérim à Carcassonne), suite à une altercation avec le Docteur [F] en date du même jour, dans lequel elle fait état de sa situation de souffrance et alerte son employeur sur les agissements subis depuis plusieurs mois en ces termes :

'Le docteur [F] prend un malin plaisir à critiquer en ma présence l'ensemble du personnel d'encadrement de notre établissement comprenant bien sûr ma propre personne et ce, dans le but non dissimulé de décrédibiliser et de déstabiliser les personnes concernées. Son comportement n'a qu'un but, valoriser sa propre image auprès d'un certain public amusé. La régularité de ce type de situations devenant pour moi insupportable, m'a obligé à réagir et à m'opposer à lui , créant ainsi une réaction démesurée et insultante de sa part, totalement intolérable et incompatible d'une part avec ma fonction de cadre dans votre établissement , mais aussi avec l'éthique du groupe Korian , à laquelle nous devrions tous être attentifs . '

- Le compte rendu d'entretien de Mme [J] établi par M. [H] [M] responsable des ressources humaines le 27 mars 2019 dans lequel cette dernière expose avoir été accueillie lors de la prise de ses fonctions par les propos suivants du Docteur [F] 'tu es la bête à abattre', que ce dernier reconnaît avoir tenu pour l'informer qu'elle serait isolée en raison de son recrutement par l'ancienne DE. Elle ajoute que le Docteur [F] faisait en sorte de l'isoler , qu'il était irrespectueux, qu'il mettait la musique à fond pour couper la discussion , qu'il l'interpellait en ces termes : 'tu me prends comme je suis ou tu dégages', 'j'en ai plein le cul de toi, si tu veux me voir tel que je suis, tu vas pas être déçue, qu'il entraînait les soignants dans une dynamique négative et qu'il divisait pour mieux régner.

- Elle fait également état de l'action diligentée contre la société devant le conseil de prud'hommes par Mme [L] [T]-[N], ancienne directrice de la structure de Carcassonne qui l'a embauchée et qui estime également avoir été victime d'un harcèlement moral. Elle verse aux débats les conclusions produites par cette dernière devant l'instance prud'homale, un courrier adressé par le conseil de Mme [T]-[N] à l'employeur ainsi qu'une attestation de cette dernière rédigée en ces termes :

'j'ai été témoin en ma qualité de directrice de l'HAD de nombreuses contestations du Docteur [F] à l'égard de Madame [J] dès sa prise de fonction. Conformément aux missions dévolues à un cadre de santé , Madame [J] a organisé le travail de l'équipe médicale et le Docteur [F] critiquait vivement ces changements, de façon systématique. Lors d'une réunion de l'équipe(staff quotidien) le Docteur [F] s'est emporté, a été très virulent à l'égard de Madame [J] et a quitté la pièce en claquant fortement la porte pour venir m'interpeller dans mon bureau. Je lui ai demandé de se calmer et surtout de ne plus avoir devant l'équipe cette attitude de critique systématique à l'égard de Madame [J], je lui ai rappelé que nous avions des instances qui permettaient des échanges entre les membres du comité de direction. Le Docteur [W] nous a rejoint dans mon bureau pour calmer également la situation. Cet épisode était très violent mais les critiques toujours faites devant des membres de l'équipe ne facilitaient pas la prise de fonction de Madame [J] et l'ont fortement 'fragilisée' ' décrédibilisée' auprès de l'équipe.'

- L'attestation du Docteur [W], compagnon de Mme [J], également médecin salarié au sein de l'HAD de Carcassonne , qui témoigne ainsi :

'J'ai assisté à de nombreuses situations conflictuelles d'opposition aux cadres fixés, à des moqueries, à de l'irrespect, à une démarche d'isolement quasi permanente envers la directrice et la cadre de santé et cela durant des mois lors de tous les staffs du matin de la part du Docteur [F], des deux secrétaires et de la plupart des jeunes soignants infirmiers ; en effet tout s'associaient par des sourires, des regards amusés passés au Docteur [F] qui jouait le chef d'orchestre de ce jeu pervers et qui a fait de chaque réunion quotidienne une véritable épreuve pour la cadre de santé, la directrice, moi-même et le Docteur [B]. Quand Madame [J] posait une question au Docteur [F] ce dernier faisait semblant de ne pas entendre et lorsqu'il daignait répondre, il s'adressait aux autres personnes présentes sans même la regarder. Lorsque Madame [J] donnait des consignes de travail aux infirmiers, certains, fort de l'appui du Docteur [F], s'opposaient à tout changement d'organisation et se permettaient de refuser et d'exprimer un non catégorique avançant qu'ils n'avaient pas le temps. Un matin, une des secrétaires qui avait l'habitude d'arriver après tout le monde, est rentrée sans frapper dans la salle de réunion, a fait le tour de la table pour embrasser tous ses collègues en omettant de nous saluer personnellement, a quasiment jeté l'ordinateur de Madame [J] sur la table qui venait d'être réparé en lui imposant d'un ton désobligeant qu'elle devait rendre celui qu'on lui avait prêté. Ces attitudes d'irrespect sont devenues rapidement habituelles.

J'ai même assisté à une salve de reproches de la part du Docteur [F], devant les soignants ,lors d'un staff, envers Madame [J] sur le fait qu'elle travaillait trop et que cela allait finir par ternir leur propre travail !

J'ai vécu :

- la démission d'un de mes collègues le Docteur [B]

- l'arrêt de travail pour maladie de la directrice suivi de celui de la cadre de santé et tout cela étant la conséquence du climat délétère appuyé et constant de la part du Docteur [F] et d'une partie de l'équipe particulièrement fidèle et rangée derrière ce dernier, opposée à toute directive pour en faire le moins possible...'

- Le docteur [W] précise, dans une seconde attestation, avoir sollicité en juillet 2019 son affectation temporaire à [Localité 7] et avoir refusé en août 2019 de réintégrer l'établissement de Carcassonne en raison du comportement et de la présence du Docteur [F]. Il ajoute que la société Médica France qui lui a confié le poste de président du CME(commission médicale de l'établissement). ne lui a jamais reproché un comportement inadapté, et qu'il travaille toujours pour cette société qui lui a proposé de réintégrer l'établissement de Carcassonne en avril 2021.

Ses propos sont corroborés par le mail que la société lui a envoyé le 11 juillet 2019 qui mentionne : 'suite à notre conversation téléphonique de ce matin et à votre interpellation hier 10 juillet quant au comportement du docteur [F] à votre égard et conformément notre accord, je vous confirme que nous vous affectons , temporairement sur HAD de [Localité 7]' ainsi que par son courriel du 05 août 2019 adressé à l'employeur pour lui indiquer qu'il refusait de réintégrer l'établissement de Carcassonne parce que'il était ' non négociable qu'il croise ce personnage', désignant ainsi le Docteur [F].

- Le compte rendu d'audition du Docteur [F] réalisé dans le cadre de l'enquête interne qui s'est déroulée le 29 mai 2019, suite aux faits dénoncés par Mme [J], dans laquelle ce dernier reconnaît les faits suivants: 'à un moment j'étais dans le bureau de [E] [J]. Il y a un moment donné je n'en pouvais plus d'elle car elle ne me comprenait pas. Je lui ai parlé du Docteur [W] et elle s'est emportée, elle m'a dit que je m'en prenais toujours à lui. Je lui ai dit 'vous faites ce que vous voulez avec votre cul mais là je parle boulot.' Le ton monte et je lui ai dit 'tu me casses les couilles'. J'avoue ne pas avoir maîtrisé ma colère.'

- Concernant l'altération de son état de santé, Mme [J] produit :

- son dossier médical auprès de la médecine du travail dans lequel le médecin indiquait le 04 juin 2019 :

'...venue en VIP embauche mais est en arrêt de travail depuis 4 jours pleure pendant l'entretien en s'excusant . dit que ce n'est pas son habitude. ne pensait pas en arriver là. Dit avoir été débauchée avec le médecin des berges du canal par la directrice de Korian , dit que cette directrice n'en pouvait plus est en arrêt depuis le 1/2019. dit que l'équipe est jeune et que ce sont des amis. qu'ils ont eu l'habitude de travailler d'une façon et qu'ils n'acceptent pas d'en changer , le médecin en place là bas serait très difficile et mènerait cette équipe à sa façon. a fait un courrier à la direction, enquête RH a eu lieu mais n'a pas de suite . dit que l'équipe qui va dans le même sens n'a pas du se plaindre . Lui propose de voir un psycho et éventuellement on fera courrier d'alerte par la suite est dans le regret par rapport à son poste précédent ou tout allait bien dit avoir travailler 70h/sem au début directrice par intérim vient de [Localité 8] Mme [U]' A été mise sous serolexplex . vient d'aller à la pharmacie. dit avoir honte de devoir prendre un tel tt.

- les différentes données télétransmises de ses avis d'arrêt de travail évoquant dans la codification du motif médical : 'syndrome dépressif, syndrome anxio dépressif réactionnel, épuisement professionnel, anxiété.

- une attestation de Mme [S] psychologue du travail, en date du 7 octobre 2019, qui atteste l'avoir reçue lors de deux consultations en 2019.

- le certificat médical du Docteur [D] , médecin généraliste en date du 12 novembre 2019 ainsi rédigé : 'certifie que l'état de santé de Mme [Y] [J] [E], née le 03/01/1968, nécessite un arrêt de travail depuis le 29/05/2019. Son état de santé actuel et l'arrêt de travail en cours sont en relation avec le dernier emploi professionnel '

- le certificat médical du Docteur [G] [I] psychiatre en date du 25 février 2020 qui mentionne : 'elle souffre de troubles anxio-dépressifs suite à une crise professionnelle grave conduisant à une remise en cause de sa valeur personnelle et de la confiance en soi...'

Ces faits, pris dans leur ensemble, notamment en ce qu'ils révèlent l'existence de difficultés d'organisation structurelle et de manque de personnel auxquelles Mme [J] elle a été confrontée dès son arrivée, ainsi que les agissements inadaptés du Docteur [F] à son égard laissent supposer l'existence d'un harcèlement.

Pour établir que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un harcèlement, l'employeur critique tout d'abord les attestations produites par la salariée estimant qu'elle sont peu probantes, l'une ayant été rédigée par le Docteur [W], compagnon de Mme [J], et l'autre par Mme [T] [N] qui a procédé à son recrutement et qui est également en litige avec la société.

Cependant, l'employeur ne remet cependant pas en cause la sincérité des faits rapportés dans leurs témoignages qui mettent en exergue, par l'existence de faits précis et circonstanciés l'agressivité déployée par le Docteur [F] à l'égard de Mme [J], sachant que ce dernier à lui même reconnu la tenue de propos grossiers et inadaptées à son égard.

- La société mentionne également que le Docteur [W] a fait l'objet d'une mutation temporaire dans la structure de [Localité 7] en raison des problèmes de comportement qu'il posait dans l'établissement de Carcassonne.

Cette affirmation est cependant contredite par les échanges de mails entre l'employeur et le docteur [W] qui ont été précédemment détaillés et révèlent que le changement d'affectation de ce médecin et son refus de réintégrer sa structure d'origine sont consécutives au comportement inapproprié du Docteur [F] auquel il ne voulait pas être confronté.

- Concernant les difficultés d'organisation liée un manque de personnel évoquées par Mme [J], la société précise que l'établissement ne s'est jamais retrouvé sans directeur puisque Mme [X] en a assuré la direction à compter de l'arrête maladie de Mme [T]-[N] en date du 22 janvier 2019.

Par ailleurs, l'employeur précise que l'enquête interne diligentée par deux collaborateurs du service des ressources humaines du groupe le 29 mai 2019 suite aux faits de harcèlements dénoncés par Mme [J] n'a pas mis en exergue la réalité d'un comportement harcelant du docteur [F], mais qu'elle a au contraire révélé que Mme [J] rencontrait des difficultés à se positionner dans ses attributions managériales et qu'elle faisait preuve d'autoritarisme tout en déléguant excessivement ses missions.

L'analyse du compte rendu de l'enquête interne en date du 5 juin 2019 révèle l'existence de difficultés liées à mauvaise répartition des tâches consécutive à l'absence de fiche de poste et à une organisation instable dans le temps sachant que certains salariés mentionnent l'existence d'une aggravation de la situation suite à l'arrivée de la cadre de santé.

Cependant , le compte rendu d'audition des salariés et notamment celui du docteur [F] lui même, révèle également l'existence de difficultés plus structurelles liées à l'exercice de leurs droits en termes de congés, d'horaires et de rémunération. Ils ont également évoqué une surcharge de travail, ainsi qu'un manque de formation et de personnel.

De plus, l'employeur qui soutient que le comportement de Mme [J] est à l'origine des difficultés qu'elle a rencontré dans l'exercice des responsabilité souligne néanmoins, de façon contradictoire que la société Médica France était satisfaite de son travail qu'elle a bénéficié d'un bonus de 548 euros pour les bons résultats obtenus par l'établissement au cours du second semestre de l'exercice 2018, outre une augmentation de 5% et le versement d'une prime exceptionnelle de 700 euros.

Mme [J] produit en effet aux débats l'évaluation en date du 21 janvier 2019 dont elle a fait l'objet à l'issue de sa période d'essai de trois mois qui souligne notamment: une organisation efficiente, une posture managériale sécurisante pour les équipes, une maîtrise de l'organisation ainsi qu'une participation active au développement de l'entreprise. Son responsable souligne en outre son sens de l'écoute envers l'équipe ainsi qu'une participation très constructive aux CODIR en ces termes : 'Mme [J] a très rapidement et de façon dynamique , positive et structurante pour l'équipe pris sa place de Cadre au sein de l'HAD et du CODIR.'.

Le 5 avril 2019 l'employeur lui a également adressé un mail pour la féliciter de son travail et par courrier du 18 avril 2019, soit au cours d'une période très proche de celle pendant laquelle a été diligentée l'enquête interne, il lui fait part, au regard de son investissement et de ses performances, du versement d'un bonus, d'une hausse de sa rémunération et du versement d'une prime exceptionnelle.

Dès lors, il ne peut être soutenu que les problèmes rencontrés par Mme [J] dans l'exercice de ses missions sont consécutives à ses difficultés à assumer ses fonctions, alors même que l'employeur, à plusieurs reprises, l'a félicitée et gratifiée pour son travail et ses résultats.

- La société précise que le départ du Docteur [F] dans le cadre d'une rupture conventionnelle ne repose pas sur la volonté de l'employeur de se séparer de lui en raison de son comportement, mais d'une demande initiée par le salarié qui par un mail adressé à la société le 31 juillet 2019 a sollicité la rupture de son contrat de travail.

Cette affirmation est cependant contredite par les échanges de SMS entre Mme [J] et Mme [A] en date du 1er août 2019, dans lesquels cette dernière souligne que des décisions ont été prises pour que l'L'HAD change grâce au courage de Mme [J] laissant apparaître que le départ du Docteur [V] [F] est consécutif aux témoignages recueillis à son encontre. Dans un premier message, Mme [A] mentionne et effet :

'...hier a été une journée déterminante et surtout faite de décisions prises grâce à votre courage . LHAD change et durablement...'

avant d'ajouter, dans un second message :

'[E], [V] quitte notre établissement. Ainsi que [O] et [R]. Comme vous le savez, les décisions ont été un peu longues car nous avons dû cumuler les divers témoignages. C'est chose faite !

Pour tout vous dire je sais que je le paierai cher avec certains mais je tenais à aller jusqu'au bout. [L] et vous avez été les premières à écrire ce que je pense, c'était sûrement produit avec d'autres ...je serai ravie, à un moment que nous puissions en discuter.....'

Mme [J] lui a répondu en ce termes que :

'le courage est pour ceux qui se positionnent et font des choix réfléchis dans le respect de la parole de ceux qui expriment leur souffrance. Toutes ces semaines d'affrontements, de mise à l'épreuve permanente, d'irrespect de nombreux des collaborateurs et acolytes de ce cher personnage ont fini par me couper tout élan et aujourd'hui je ne peux imaginer me retrouver devant ces mêmes personnes qui se sont réjouies sans aucune dissimulation. J'ai honte pour eux.....quoi qu'il en soit aujourd'hui c'est un véritable désastre émotionnel.'

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la société est défaillante dans l'administration de la preuve que les agissements ci-avant caractérisés et notamment le comportement humiliant et verbalement agressif du docteur [F] sont objectivement justifiés par des éléments étrangers à tout harcèlement.

La décision sera en conséquence confirmée en ce qu'elle a condamné l'employeur à lui verser des dommages intérêts en raison du préjudice subi, dont le montant, manifestement sous-évalué, sera cependant fixé à la somme de 5000 euros.

Il apparaît en outre que les faits ont été portés à la connaissance de l'employeur dès le 20 mars 2019, mais que ce dernier, après avoir reçu Mme [J] en entretien le 27 mars 2019 et ordonné une mesure d'enquête interne le 29 mai 2019 qui a révélé l'existence de nombreuses difficultés au sein de l'établissement, ne justifie pas avoir pris les mesures propres à prévenir cette situation, ni à faire cesser immédiatement les agissements subis par Madame [J] pour mettre un terme au climat délétère dans lequel cette dernière travaillait ainsi qu'au comportement harcelant du Docteur [F].

Il en découle que le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité est caractérisé.

La décision sera confirmée en ce qu'elle a condamné la société à verser des dommages et intérêts à Mme [J] en réparation du préjudice subi dont le montant, manifestement sous évalué, sera fixé à la somme de 5000 euros.

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :

En application de l'article L.1231-1 du code du travail, le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié ou d'un commun accord.

Le salarié peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison des manquements de son employeur, suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail. Saisi d'une telle demande, le juge doit examiner l'ensemble des griefs invoqués au soutien de celle-ci, quelle que soit leur ancienneté.

Il en résulte quel'action en résiliation judiciaire du contrat de travail peut être introduite tant que le contrat n'a pas été rompu, quelle que soit la date des faits invoqués au soutien de la demande.

Dès lors en l'espèce , il n'y a pas lieu de constater que l'ancienneté des manquements reprochés à la société fait obstacle à la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail.

Il ressort des éléments précédemment développés que l'employeur n'a pas respecté son obligation de prévention et de sécurité et que Mme [J] a été victime de faits de harcèlement.

Les éléments médicaux produits, dont le contenu a été précédemment détaillés établissent que ces faits sont à l'origine d'une dégradation de son état de santé caractérisé par un syndrome anxio dépressif réactionnel et à un épuisement professionnel qui justifient de confirmer le jugement qui a prononcé la résiliation de son contrat de travail aux torts de l'employeur en date du 3 février 2021.

Sur les conséquences de la rupture du contrat de travail :

La résiliation judiciaire prononcée en raison de faits de harcèlement produit les effets d'un licenciement nul.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement nul :

Lors de la rupture du contrat de travail, Mme [J] disposait d'une ancienneté de deux ans et trois mois . Elle percevait un salaire de 3150 euros et elle était âgée de 53 ans.

Son arrêt de travail pour maladie a été renouvelé jusqu'au mois de juin 2022 sachant qu'elle a été placée en invalidité par la sécurité sociale en avril 2022 en raison de son état de santé. Alors qu'elle avait quitté son précédent emploi de cadre de santé pour rejoindre le groupe Korian, elle est aujourd'hui sans emploi et continue de bénéficier d'un soutien psychologique en raison des troubles dépressifs persistants dont elle souffre.

Elle perçoit depuis juin 2022 des indemnités chômage d'un montant de 1400 euros par mois en moyenne.

Au regard du préjudice subi, il convient en conséquence de condamner l'employeur à lui verse des dommages intérêts d'une somme de 25 200 euros, équivalente à 8 mois de travail, le conseil n'ayant pas apprécié à sa juste valeur le préjudice subi.

Sur l'indemnité de licenciement, l'indemnité de préavis et la remise des documents de fin de contrat :

Il convient de confirmer la décision en ce qu'elle a accordé à Mme [J], dans les limites de sa demande, la somme de 1771,87 euros au titre de l'indemnité de licenciement , ainsi que la somme de 9450 euros au titre de l'indemnité de préavis outre 945 euros au titre des congés payés afférents.

La décision sera confirmée en ce qu'elle a ordonnée la remise des documents de fin de contrat conformes, sans qu'il ne soit nécessaire d'assortir cette condamnation d'une astreinte.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Il convient de condamner l'employeur à verser à Mme [J] la somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Infirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Carcassonne le 3 février 2021 en ce qu'il a fixé les dommages intérêts pour harcèlement moral à la somme 3000 euros, les dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité à la somme de 3000 euros et le montant des dommages intérêts pour licenciement nul à la somme de 18900 euros et en ce qu'il a assorti la condamnation à la remise des documents de fin de contrat d'une astreinte .

Statuant à nouveau :

- Condamne la société SAS Medic France à verser à Mme [E] [J] les sommes suivantes :

- 5000 euros de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité,

- 5000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 25200 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- rejette la demande d'astreinte.

Confirme le décision en ses autres dispositions critiquées.

Y ajoutant,

Condamne la SAS Medica France à verser à Mme [E] [J] la somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Condamne la SAS Medica France aux dépens de la procédure.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 2e chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/01549
Date de la décision : 02/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 11/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-02;21.01549 ?
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