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24/04/2024 | FRANCE | N°21/01283

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 2e chambre sociale, 24 avril 2024, 21/01283


ARRÊT n°































Grosse + copie

délivrées le

à















COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



2e chambre sociale



ARRET DU 24 AVRIL 2024



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/01283 - N° Portalis DBVK-V-B7F-O4OU





Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 FEVRIER 2021

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARIT

AIRE DE NARBONNE - N° RG F 19/00118







APPELANTE :



Me [J] [Z], ès qualités de mandataire liquidateur de la S.A.R.L. BOUTIQUE DECO

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 1]



Représentée par Me David DUPETIT de la SCP GIPULO - DUPETIT - MURCIA, avocat au barreau des PYRENEES-ORIE...

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 24 AVRIL 2024

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/01283 - N° Portalis DBVK-V-B7F-O4OU

Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 FEVRIER 2021

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE NARBONNE - N° RG F 19/00118

APPELANTE :

Me [J] [Z], ès qualités de mandataire liquidateur de la S.A.R.L. BOUTIQUE DECO

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 1]

Représentée par Me David DUPETIT de la SCP GIPULO - DUPETIT - MURCIA, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES

INTIMEES :

Madame [M] [O]

née le 30 Décembre 1979 à [Localité 7] (56)

de nationalité Française

[Adresse 8]

[Adresse 8]

[Localité 2]

Représentée par Me Yannick MAMODABASSE, avocat au barreau de MONTPELLIER

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/008099 du 23/06/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de MONTPELLIER)

UNEDIC DELEGATION AGS - CGEA de TOULOUSE

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Julien ASTRUC substitué par Me FONTAINE de la SCP DORIA AVOCATS, avocats au barreau de MONTPELLIER,

Ordonnance de clôture du 22 Janvier 2024

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 FEVRIER 2024, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre

Madame Magali VENET, conseiller

Madame Véronique DUCHARNE, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER

ARRET :

- contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, et par Madame Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE :

A compter du 1er septembre 2010, Mme [M] [O] a été engagée en qualité de vendeuse, niveau 1 de la convention collective nationale de commerce de détail non alimentaire, à temps partiel, à raison de 140 heures mensuelles, par la société Boutique Deco, exploitant un commerce de décoration d'intérieur au sein du centre commercial de [Localité 6].

Selon un avenant en date du 22 avril 2011, la salariée a été promue au niveau 2 de la convention collective applicable, pour les mois de mars à août 2011, puis à compter du 1er janvier 2012, elle a de nouveau été classifiée au niveau 1.

Les parties ont conclu le 7 décembre 2018 une rupture conventionnelle laquelle a été homologuée par l'autorité administrative le 28 décembre 2018.

La convention de rupture conventionnelle prévoyait le versement d'une indemnité spécifique de rupture conventionnelle de 5 000 euros, la régularisation d'un arriéré de prime d'ancienneté d'un montant de 3 917, 09 euros brut et un rappel de salaire d'un montant de 2 200 euros.

Le 17 mai 2019, Mme [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Narbonne de demandes de rappels de salaire, prime d'ancienneté, dommages et intérêts et délivrance de bulletins de paie et documents de fin de contrat.

Par jugement du 1er février 2021, le conseil a statué comme suit :

Requalifie le contrat à temps partiel en contrat à temps complet,

Condamne la société Boutique Deco à verser à Mme [O] les sommes suivantes :

- 974,86 euros bruts à titre de rappel de salaire sur la base contractuelle des 140 heures mensuelles outre 97,48 euros à titre de congés payés afférents,

- 3 962 euros bruts à titre de rappel de salaire à temps complet, outre 396,20 euros bruts à titre de congés payés afférents,

Ordonne à la société de remettre à la salariée un bulletin de salaire récapitulatif, une attestation Pôle emploi et un certificat de travail rectifiés conformes,

Déboute les parties du surplus des demandes, fins et conclusions,

Condamne la société aux entiers dépens.

Le 25 février 2021, la société Boutique Deco a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Par jugement du 12 mai 2021, le tribunal de commerce de Narbonne a prononcé la liquidation judiciaire de la société, Maître [J] [Z] étant désignée en qualité de mandataire liquidateur.

' Selon ses dernières conclusions, remises au greffe le 5 juillet 2021, la société Boutique Deco, représentée par Maître [J] [Z], ès qualités, demande à la cour de réformer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

A titre liminaire,

Déclarer Mme [O] irrecevable en l'ensemble de ses demandes vu l'accord passé entre les parties le 7 décembre 2018, en vertu duquel Mme [O] reconnaissait expressément que le paiement des sommes prévues dans le cadre de la convention la remplissait intégralement de ses droits, et qu'il n'existait par ailleurs aucune autre contestation de sa part relativement à l'exécution ou la rupture du contrat de travail,

A titre principal

Juger que la demande de requalification du contrat à temps partiel en contrat à temps plein est prescrite,

A titre subsidiaire,

Débouter Mme [O] de l'ensemble de ses demandes,

La condamner à payer à la société une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

' Selon ses dernières conclusions, remises au greffe le 21 décembre 2023, Mme [O], demande à la cour de :

Confirmer le jugement en ce qu'il a requalifié son contrat à temps partiel en contrat à temps complet et fixé au passif de la société la somme de 974,86 euros bruts à titre de rappel de salaire outre 97,48 euros à titre de congés payés afférents,

L'infirmer pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Dire qu'elle exerçait les fonctions de vendeuse niveau 5 selon la convention collective nationale du commerce de détail non alimentaire à compter du mois d'octobre 2015,

Fixer sa créance au passif de la Société Boutique Deco aux sommes suivantes :

- 8 119 euros bruts à titre de rappel de salaires, outre la somme de 811,9 euros bruts à titre de congés payés y afférents,

- 5 000 euros nets à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail,

- 1 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

Ordonner à Maître [J] [Z], ès qualités de liquidateur de la société, de lui délivrer des bulletins de paie et documents de fin de contrat rectifiés conformes, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir, la Cour se réservant expressément le droit de liquider ladite astreinte,

Ordonner à Maître [J] [Z], ès qualités de liquidateur de la société, de régulariser sa situation auprès des organismes sociaux compétents, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir, la Cour se réservant expressément le droit de liquider ladite astreinte,

Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens,

Débouter Maître [J] [Z] et l' AGS de l'ensemble de leurs demandes.

' Selon ses dernières conclusions, remises au greffe le 8 décembre 2021, l' AGS demande à la cour de :

Réformer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a rejeté ses demandes de reclassification au niveau 5 et rappels de salaire afférents, prime d'ancienneté, dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

Déclarer les demandes de Mme [O] irrecevable vu l'accord passé entre les parties le 7 décembre 2018, en vertu duquel elle reconnaissait expressément que le paiement des sommes prévues dans le cadre de la convention la remplissait intégralement de ses droits, et qu'il n'existait pas ailleurs aucune autre contestation de sa part relativement à l'exécution ou la rupture du contrat de travail,

En tout état de cause,

Lui donner acte de ce qu'elle réclame la stricte application des textes légaux et réglementaires,

Débouter Mme [O] de l'ensemble de ses demandes,

Rejeter son appel reconventionnel,

La condamner à lui verser la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance rendue le 22 janvier 2024, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 19 février 2024.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIFS :

Sur la recevabilité des demandes :

Le mandataire liquidateur de la société soulève l'irrecevabilité de l'action initiée par la salariée engagée au mépris de la reconnaissance de ce le paiement des sommes convenues dans l'acte signé le 7 décembre 2018 la remplissait intégralement de ses droits.

L'employeur fait valoir qu'à l'issue d'un second entretien qui s'est déroulé le 7 décembre 2018, les parties ont convenu une convention spécifique de rupture conventionnelle qui prévoyait :

- Une date de fin de contrat de travail le lendemain de la réception par la Direccte de la demande d'homologation et au plus tard le 31 décembre 2018.

- que la période comprise entre le 23 novembre 2018 et la date effective d'homologation par la Direccte ne serait ni travaillée, ni rémunérée.

- le versement d'une indemnité spécifique de rupture conventionnelle fixée à 5 000 euros (soit une somme légèrement supérieure à l'indemnité minimale).

- la régularisation d'un arriéré de prime d'ancienneté dû à Mme [O] pour les années 2015 à 2018, pour un montant total de 3 917,09 euros brut.

La société affirme par ailleurs, que dans un cadre transactionnel, elle a reconnu à la salariée un statut équivalent à des fonctions de niveau 5 de la convention collective depuis le mois d'octobre 2015 et il a été convenu à ce titre un rappel de salaire d'un montant de 2 200 euros net depuis le mois d'octobre 2015.

À l'appui de la fin de non recevoir qu'il oppose à l'action de la salariée, l'employeur invoque le principe d'estoppel et fait valoir que dans le cadre des négociations la salariée a reconnu que les sommes que son employeur s'engageait à lui payer, lesquelles excédaient largement le minimum légal prévu en la matière, la remplissaient « intégralement de ses droits, et qu'il n'existe pas ailleurs aucune autre contestation de sa part relativement à l'exécution ou la rupture du contrat de travail ». Il considère que Mme [O] ne peut donc se contredire à son détriment en revenant sur sa reconnaissance initiale, et venir soulever devant la juridiction prud'homale tout une série de contestations relatives à l'exécution de son contrat de travail.

Toutefois, contrairement à ce que soutient le moyen, la règle de l'estoppel, qui sanctionne un comportement procédural, ne peut être utilement invoquée si la contradiction reprochée à une partie résulte d'un comportement antérieur à l'introduction de l'instance (3ème Civ., 30 novembre 2017, pourvois n 16-18.563 et n 16-19.130).

La fin de non recevoir soulevée à ce titre sera rejetée.

Sur le rappel de salaire contractuel :

A l'appui de sa demande de rappel de salaire, la salariée soutient qu'elle n'était pas régulièrement rémunérée pour les 140 heures mensuelles contractualisées.

La société s'y oppose en faisant valoir que dans le cadre de la modulation du temps de travail, 'le temps de travail mensuel de Mme [O] était sujet à variations au cours de l'année pour tenir compte de l'activité saisonnière de l'entreprise, que si certains mois le temps de travail était légèrement inférieur à 140 heures, d'autres mois, il était supérieur, de sorte que sur l'année, elle a bien été payée au minimum 140 heures par mois, outre certaines heures supplémentaires en périodes estivales'.

Toutefois, faute pour l'employeur de pouvoir justifier que la modulation invoquée reposait sur des stipulations conventionnelles issues d'un accord collectif d'entreprise ou d'une convention ou d'un accord de branche, la salariée est bien fondée à solliciter le paiement d'un rappel de salaire sur la base de 140 heures mensuelles calculée sur les 3 dernières années précédant la rupture du contrat de travail.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné  à verser à la salariée la somme de 974,86 euros bruts outre 97,48 euros au titre des congés payés afférents;

Sur l'action en requalification en temps complet :

La salariée sollicite la requalification de la relation contractuelle à temps partiel en contrat à temps complet et le paiement d'un rappel de salaire en invoquant à cet effet l'absence de mention dans le TESE de la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine. Elle conteste que son action soit prescrite.

La société conclut au rejet de cette demande. Elle fait valoir que cette action constitue une action portant sur l'exécution du contrat de travail soumise à la prescription biennale, et qu'il appartenait à la salariée d'agir dans les 2 ans de l'entrée en vigueur de l'article L. 1471-1 du code du travail, soit avant le 17 juin 2017, l'employeur soutient que l'action serait prescrite. Subsidiairement, la société, qui précise que l'engagement de Mme [O] constituait sa première embauche, expose qu'elle pensait que le recours au TESE suffisait à faire la preuve de la durée à temps partiel. Elle ne conteste pas que la salariée bénéficie de la présomption de temps plein, mais soutient rapporter la preuve contraire dès lors que la salariée qui disposait chaque mois de son planning n'avait pas à se tenir constamment à sa disposition ce qui lui permettait de travailler parallèlement pour d'autres employeurs.

Quant à la prescription :

La durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance, l'action en requalification du contrat de travail en contrat à temps complet est une action en paiement du salaire soumise au délai de prescription prévu par l'article L. 3245-1 du code du travail. Il en résulte que le point de départ du délai de prescription n'est pas l'irrégularité invoquée par la salariée au soutien de sa demande de requalification, mais la date d'exigibilité des rappels de salaire dus en conséquence de cette requalification en contrat de travail à temps complet.

En application de l'article L. 3245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

Le délai de prescription a été interrompu par la saisine de la juridiction prud'homale le 17 mai 2019, étant précisé que la rupture du contrat de travail est intervenue le 28 décembre 2018. Il en découle que les rappels de salaire sollicités par Mme [O] pour la période du 1er janvier 2016 au jour de la rupture ne sont pas prescrits.

Quant aux mentions des contrats de travail à temps partiel :

Conformément à l'article L. 3123-14 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, l'absence d'écrit mentionnant la durée du travail et sa répartition fait présumer que l'emploi est à temps complet et il incombe à l'employeur qui conteste cette présomption de rapporter la preuve, d'une part, de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue, d'autre part, que le salarié n'était pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de l'employeur.

L'article 1 du Chapitre IX de la Convention collective du commerce de détail non alimentaire prévoit que :

« Le contrat de travail des salariés à temps partiel doit être écrit et contenir les mentions

obligatoires prévues par le code du travail, et notamment l'article L. 3123-14, et le chapitre

V de la convention collective.

Pour les salariés à temps partiel bénéficiant d'un horaire individualisé, le contrat devra notamment préciser le mode de répartition du temps de travail (hebdomadaire ou mensuelle)  ; en cas de répartition hebdomadaire, la répartition des heures de travail entre les jours de la semaine, afin que le salarié concerné ait la possibilité de travailler dans d'autres entreprises en dehors de l'horaire prévu au contrat (voir article 3.2 du présent chapitre).

Le contrat de travail mentionnera la possibilité pour l'employeur de recourir aux heures complémentaires dans les limites fixées soit légalement, soit conventionnellement, soit par

accord collectif d'entreprise dans les conditions prévues par les dispositions législatives et réglementaires ».

En l'espèce, si le titre emploi service entreprise et les avenants temporaires conclus précisent bien la durée de travail convenue, soit 140 heures au dernier état de la relation contractuelle, force est de constater qu'aucun acte contractuel ne mentionne la répartition du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois. Il en découle que la relation de travail est présumée à temps complet, de sorte qu'il appartient à l'employeur de prouver que la salariée n'était pas placée dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme elle devait travailler et qu'elle n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de l'employeur.

La salariée affirme que ses horaires variaient régulièrement, d'un mois sur l'autre, jusqu'à dépasser l'horaire légal mensuel (161 heures en juillet 2016, 173 heures en août 2016). Si les pièces qu'elle vise dans ses conclusions n'étayent pas ses allégations, les fiches de paye TESE (pièce n°1) étant toutes établies sur la base horaire mensuelle de 140 heures, sauf les mois où la salariée prenait ses congés payés, force est de relever que l'employeur concède que la salariée a pu accomplir des heures supplémentaires justifiant ainsi le dépassement de la durée légale de travail.

L'employeur détaille dans ses conclusions les horaires d'ouverture du magasin en distinguant les périodes de basse et haute saison, les périodes de fermeture annuelle, en précisant le jour de repos hebdomadaire de ses salariées, sans être démentie sur ce point par l'intimée.

L'employeur affirme, sans l'établir que les plannings horaires de Mme [O] étaient affichés dans le magasin. Elle verse l'attestation de Mme [B], qui ne confirme pas précisément ce point, mais déclare qu'elle recevait elle, personnellement, ses plannings et que Mme [O] connaissait les siens, à telle enseigne qu'elle travaillait par ailleurs pour d'autres commerces alentours et comme aide à domicile pour le compte de M. [K], ce que Mme [O] ne conteste pas sérieusement.

La salariée conteste en revanche formellement avoir disposé de planning écrit.

L'attestation imprécise de Mme [B], qui est la fille de l'employeur, ne suffit à rapporter la preuve contraire ; en outre, le seul fait que la salariée a pu, comme elle le concède implicitement, en refusant de communiquer les éléments sur les rémunérations perçues par ailleurs, travailler pour d'autres employeurs ne suffit à écarter le bien-fondé de sa réclamation.

L'employeur ne rapportant pas ainsi la preuve de ce que la salariée avait connaissance de ses temps de travail et n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de l'employeur, le jugement sera confirmé en ce qu'il a accueilli la demande de requalification en contrat de travail à temps plein.

Sur la classification et le rappel de salaire conventionnel :

La charge de la preuve de la qualification revendiquée pèse sur le salarié, observations faites que la qualification se détermine relativement aux fonctions réellement exercées par celui-ci, leur appréciation s'effectuant par rapport à la grille de classification fixée par la convention collective.

Selon la grille de classification, dans la filière commerciale, l'employé (e) de vente ou de magasin débutant, de niveau 1, position occupée par Mme [O], correspond aux critères classants suivants :

- Compétences et connaissances : Emploi qui n'exige pas de compétences spécifiques ni de connaissances particulières et sans formation dans le métier.

- Complexité du poste : Débutant : exécute des tâches simples et répétitives concernant une seule activité. L'adaptation à l'emploi est immédiate.

- Autonomie et responsabilités : Exécute des tâches courantes dans le respect des instructions, applique les consignes détaillées.

- Communication et dimension relationnelle : Emploi qui nécessite de savoir communiquer sur des sujets courants : écouter, informer et formuler (le client, un collègue, un fournisseur, son responsable ').

Le niveau V, que Mme [O] revendique est défini par les critères suivants :

- Compétences et connaissances : Emploi qui requiert des connaissances professionnelles reconnues par un diplôme d'étude supérieure de niveau BTS, DUT, DEUG ou équivalent (niveau III de l'éducation nationale) ou une expérience professionnelle confirmée, équivalente à l'article 2 du chapitre XII de la convention collective nationale.

Emploi exigeant des compétences générales d'animation d'équipe ou des compétences spécialisées dans une filière ou activité.

- Complexité du poste et multiactivité (3) : Effectue des opérations complexes liées à l'animation d'une équipe ou à un poste spécialisé dans une activité nécessitant la connaissance et l'expérience professionnelle correspondantes.

- Autonomie et responsabilités : Autonomie dans les tâches confiées. Aide à l'animation et à la coordination de l'activité de plusieurs salariés (de niveaux I à IV) sous la responsabilité d'un salarié de niveau supérieur. Responsabilité étendue à l'organisation des tâches et la fixation des priorités.

- Communication et dimension relationnelle : Emploi qui nécessite de savoir communiquer sur des sujets complexes, coopérer, former (transmettre des connaissances ou de l'expérience) dans son domaine de compétence.

Ce niveau de classification correspond aux emplois repères suivants de la filière commerciale :

' vendeur (se) hautement qualifié (e) ;

' vendeur (se) spécialisé (e) ;

' étalagiste, décorateur (trice) ;

' vendeur (se) principal (e) ;

' assistant (e) marketing qualifié (e) ;

' assistant (e) achat qualifié (e) ;

' animateur (trice) d'équipe (magasin).

L'article 2 du chapitre XII de la convention énonce s'agissant de la compétence et des connaissances, que la compétence est un critère qui tient compte de la somme des connaissances nécessaires pour exercer la fonction et en avoir la maîtrise.

Les connaissances sont déterminées soit par :

' un niveau d'éducation nationale minimal requis ou non selon la nature de l'emploi ;

' la maîtrise opérationnelle acquise par un diplôme, un titre professionnel ou technique ou un certificat de qualification professionnelle (CQP) ;

' la maîtrise opérationnelle acquise par expérience professionnelle ;

' la formation continue ;

' la validation des acquis de l'expérience (VAE) selon les dispositions légales et réglementaires dispensée par les organismes agréés.

En l'espèce, au premier jour de la période non prescrite visée par l'action en paiement, c'est à dire au 1er janvier 2016, Mme [O] exerçait ses fonctions pour le compte de la société depuis plus de 5 ans et qu'elle avait, par le passé également travaillé pour le précédent exploitant de l'établissement, la société RMH.

Il ressort des attestations concordantes communiquées par l'intimée et notamment celles de Mme [T], qui travaillait dans un magasin attenant, et de Mmes [L] et [V] qui indique avoir travaillé dans le magasin, que Mme [O] travaillait dans une relative autonomie, la plupart du temps seule, qu'elle pouvait s'occuper du réassort, être en relation directe avec les commerciaux ainsi qu'en atteste Mme [U] (pièce n°8), procéder à l'ouverture et la fermeture du magasin, ce dont témoigne le commerçant voisin du magasin (pièce n°9), faire la vitrine et former les salariés temporaires (pièces n°11, 12), à telle enseigne que Mmes [L] et [V] pensaient qu'elle en était la responsable.

Au reste, force est de relever que dans le cadre de la convention de rupture signée le 7 décembre 2017, parallèlement au formulaire Cerfa de rupture conventionnelle du contrat de travail, l'employeur a consenti à lui reconnaître la classification revendiquée à compter de septembre 2015, en lui octroyant un rappel de salaire de 2 200 euros nette, 'certes à titre transactionnel' mais qui l'a conduit à délivrer un certificat de travail précisant ce positionnement conventionnel du 1er septembre 2015 au jour de la rupture.

Ainsi, quand bien même Mme [O], ne disposait pas du niveau de diplôme requis, compte tenu de l'expérience opérationnelle acquise, elle justifie que le niveau V lui était bien applicable, à tout le moins depuis le 1er janvier 2016, de sorte qu'elle est fondée à réclamer le paiement d'un rappel de salaire correspondant à la différence entre la rémunération minimum conventionnelle de ce coefficient et les salaires perçus pendant la période travaillée, soit sur la base du calcul détaillé figurant dans sa pièce n°6, et en sus du rappel de salaire sur la base de 140 heures, la somme brute de 8 119 euros, dont il sera déduit l'équivalent brut de la somme de 2 200 euros nets, soit la somme de 2 789,20 euros (vu le bulletin de paie de février 2019 : 2200 euros nets x 6670,83 euros bruts/5261,30 euros nets = 2789,20) dont l'employeur s'est acquittée.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il l'a déboutée de ce chef et l'employeur sera condamné à lui verser le solde de 5 330 euros bruts, outre 811,90 euros au titre des congés payés afférents.

Sur l'exécution déloyale du contrat de travail :

Le non respect des dispositions contractuelles relativement à l'horaire mensuel convenu, des stipulations conventionnelles relativement au niveau de classification, ainsi que les difficultés rencontrées à l'occasion de l'établissement de l'attestation pôle emploi, caractérisent une exécution déloyale du contrat de travail qui justifie l'allocation à la salariée d'une somme de 750 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices en découlant.

Le jugement sera réformé en ce sens.

Il sera ordonné au représentant de la société liquidée de délivrer au salarié les documents de fin de contrat et un bulletin de paie de régularisation. En revanche, la demande d'assortir cette injonction d'une astreinte n'étant pas nécessaire à en garantir l'exécution, elle sera rejetée.

La salariée est également fondée à solliciter la régularisation de sa situation auprès des organismes sociaux compétents.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale, par mise à disposition au greffe,

Rejette les fins de non recevoir soulevées par Maître [Z] ès qualités tirées d'une prétendue violation du principe de l'Estoppel ou d'une prescription de l'action en paiement.

Confirme le jugement en ce qu'il a fixé au passif de la société la somme de 974,86 euros bruts à titre de rappel de salaire contractuel (140 heures par mois), outre 97,48 euros à titre de congés payés afférents, et requalifié le contrat de travail à temps partiel en contrat à temps complet,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Fixe la créance de Mme [O] au passif de la Société Boutique Deco aux sommes suivantes :

- 5 330 euros bruts à titre de rappel de salaires, déduction faite de la contrevaleur en brut de la somme de 2 200 euros nets versée par l'employeur à l'occasion de la rupture, outre la somme de 811,9 euros bruts à titre de congés payés y afférents,

- 750 euros nets à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail,

Dit qu'en application des articles L 622-28 et L 641-3 du Code de commerce, le jugement d'ouverture de la procédure collective arrête définitivement à sa date le cours des intérêts au taux légal des créances salariales nées antérieurement,

Donne acte à l'AGS de son intervention et de ce qu'elle revendique le bénéfice exprès et d'ordre public des textes légaux et réglementaires applicables tant au plan de la mise en 'uvre du régime d'assurances des créances des salaires que de ses conditions et étendues de garantie, plus précisément des articles L. 3253-8 , L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail,

Ordonne à Maître [J] [Z], ès qualités de liquidateur de la société, de délivrer à Mme [O] un bulletin de paie de régularisation et les documents de fin de contrat rectifiés, et de régulariser sa situation auprès des organismes sociaux compétents conformes dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision,

Rejette la demande d'astreinte,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Dit que les dépens seront considérés comme frais privilégiés dans le cadre de la procédure collective.

Signé par Monsieur Thomas Le Monnyer, Président, et par Marie-Lydia Viginier, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 2e chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/01283
Date de la décision : 24/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-24;21.01283 ?
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