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24/04/2024 | FRANCE | N°20/00701

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 2e chambre sociale, 24 avril 2024, 20/00701


ARRÊT n°



























Grosse + copie

délivrées le

à































COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



2e chambre sociale



ARRET DU 24 AVRIL 2024



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 20/00701 - N° Portalis DBVK-V-B7E-OQDP





Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 JANVIER 2020



CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE RODEZ - N° RG F 18/00059





APPELANTE :



Madame [L] [I]

née le 24 Juillet 1981 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représenté par Monsieur [T] [K],

délégué syndical ouvrier - Union Local FO

[Adresse 2]

[Adres...

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 24 AVRIL 2024

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 20/00701 - N° Portalis DBVK-V-B7E-OQDP

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 JANVIER 2020

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE RODEZ - N° RG F 18/00059

APPELANTE :

Madame [L] [I]

née le 24 Juillet 1981 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Monsieur [T] [K],

délégué syndical ouvrier - Union Local FO

[Adresse 2]

[Adresse 2]

INTIMEE :

Maître [Z] [R], ès-qualités de mandataire liquidateur de l'Association LE PIED A L'ETRIER

[Adresse 3]

[Adresse 3]

et

Association LE PIED A L'ETRIER

prise en la personne de son représentant légal en exercice,

[Adresse 7]

[Adresse 7]

Représentées par Me Philippe SENMARTIN de la SELARL CSA, avocat au barreau de MONTPELLIER

PARTIE INTERVENANTE :

Association AGS CGEA d'[Localité 6]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Non constitué, ni représenté

Ordonnance de clôture du 22 Janvier 2024

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 FEVRIER 2024, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre

Madame Magali VENET, conseiller

Madame Véronique DUCHARNE, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER

ARRET :

- rendu par défaut ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, et par Madame Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE :

Suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 22 juillet 2015, Mme [L] [I] a été engagée en qualité d'assistante permanente de lieu de vie par l'association 'Le Pied à l' Etrier', qui assurait l'accueil, la protection, l'accompagnement et la réinsertion de jeunes adolescentes mères célibataires avec leurs enfants ou en situation de grossesse.

Convoquée le 27 janvier 2017 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 6 février suivant et mise à pied à titre conservatoire, la salariée a été licenciée, par lettre datée du 13 février 2017, pour faute grave.

Contestant son licenciement et dénonçant une situation de harcèlement moral, la salariée a saisi, le 2 août 2018, le conseil de prud'hommes de Rodez aux fins d'entendre prononcer la nullité de son licenciement et condamner l'association au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

Par jugement du 7 janvier 2020, le conseil a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse, débouté la salariée de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 5 février 2020, Mme [L] [I], représentée par [K], défenseur syndical, a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Par jugement du 8 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Rodez a prononcé la liquidation judiciaire de l'association 'Le Pied à l' Etrier', Maître [Z] [R] étant désigné en qualité de mandataire judiciaire.

' Selon ses dernières conclusions, remises au greffe le 28 novembre 2023, Mme [L] [I], demande à la Cour de réformer le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :

Condamner Maître [Z] [R], ès qualités de liquidateur judiciaire de l'association 'Le Pied à l' Etrier' à lui verser les sommes suivantes :

- 1 850 euros à titre d'indemnité de préavis outre 185 euros au titre des congés payés afférents,

- 605, 37 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 939, 21 euros au titre de la mise à pied du 28 janvier 2017 au 13 février 2017,

- 3 700 euros de dommages et intérêts pour licenciement abusif correspond à 2 mois de salaire,

- 22 000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

Condamner Maître [Z] [R], ès qualités, aux éventuels dépens,

Déclarer les créances opposables au CGEA-AGS d'[Localité 6].

' Selon ses dernières conclusions, remises au greffe le 14 novembre 2023, Maître [Z] [R], ès qualités de liquidateur judiciaire de l'association 'Le Pied à l' Etrier', demande à la cour d'infirmer le jugement uniquement en ce qu'il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse, et statuant à nouveau, de dire et juger que le licenciement pour faute grave est justifié et de condamner Mme [I] à 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

' L' AGS, à qui l'appelante a fait signifier ses conclusions et pièces, par acte d'huissier du 13 novembre 2023, n'a pas constitué avocat. Par lettre du 24 mai 2023, l' AGS exposait avoir été destinataire d'une assignation en intervention forcée devant la chambre sociale mais qu'elle ne serait ni présente ni représentée lors de l'audience.

Par ordonnance rendue le 22 janvier 2024, le conseiller chargé de la mise en état a fixé la date de clôture au jour de l'audience, le 19 février 2024.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIFS :

Sur le harcèlement moral :

En application des articles L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon les dispositions de l'article L. 1154-1 du code du travail, dans ses versions applicables au litige, à savoir antérieure et postérieure à la réforme de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, en cas de litige, lorsque le salarié établit des faits, ou présente des éléments de fait, constituant selon lui, un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laisse supposer l'existence d'un harcèlement et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, Mme [I] énonce les faits suivants, constitutifs selon elle d'un harcèlement : 1. L'important turn-over au sein de l'association depuis sa création en août 2013 ; 2. Le climat social dégradé ainsi qu'en témoignent ses collègues, Mmes [W] et [S] ; 3. La dénonciation dès le mois d'avril 2016 des conditions de travail notamment auprès du Président du Conseil général de l'Aveyron et de l'inspecteur du travail par l'intermédiaire du syndicat Force Ouvrière ; 4. La correspondance qu'elle adressera le 20 janvier 2017 avec trois de ses collègues auprès de plusieurs autorités (Procureur de la République, directeur de l' ASE, directeur de la PMI, ARS, inspecteur du travail) dénonçant les dysfonctionnements de l'établissement ; 5. Son journal de bord sur lequel elle a noté plusieurs événements.

En l'espèce, par la production du registre du personnel, Mme [I] établit qu'effectivement sur une période d'environ 5 années séparant l'ouverture de l'établissement et le mois de septembre 2018, l'association a engagé pas moins de 28 salariés pour un effectif de l'ordre de 5 équivalent temps plein.

Mme [W] expose avoir travaillé au sein de la structure d'août 2013 à novembre 2016, date à partir de laquelle elle a été placée en arrêt maladie jusqu'à son licenciement pour inaptitude prononcé dans le courant de l'année 2017. Elle témoigne de ce que 'durant ces trois années, elle a été témoin de dysfonctionnements importants', qu'elle ne précise pas,' que l'équipe était sous pression perpétuelle d'où la décision de certains de quitter la structure avant de craquer'. Pour le surplus ce témoin loue les qualités professionnelles de la salariée.

Mme [S] fait l'éloge des qualités professionnelles de la salariée et indique avoir été en longue maladie pour dépression à compter de janvier 2017 puis licenciée pour inaptitude au poste en juillet de la même année et 'déplore le dysfonctionnement de cette structure dans laquelle énormément d'employés ont été victimes de pression'. Elle ajoute qu' 'après avoir pris connaissance des faits reprochés à Mme [I] elle peut qu'être affligée de ce licenciement injuste et abusif.'

La salariée communique la copie de deux correspondances dactylographiées, anonymes, datées toutes deux du 22 avril 2016 (pièces n°29 et 30) , à l'attention du Président du Conseil général et de l'inspecteur du travail dénonçant les pressions permanentes exercées tant auprès du personnel que des personnes accueillies, le fait que 'la permanente est une personne très colérique et lunatique', qu'elle 'distille ses humeurs et humiliations et dévalorisations', que 'les réunions ne sont que règlements de compte dans une ambiance destructive' suscitant chez le personnel démotivation, écoeurement, angoisse [...]' ou des amplitudes horaires du week-end du vendredi soir 18H au lundi matin 8H durant laquelle l'éducateur est seul', une 'charge de travail importante', que 'tout est mis en oeuvre pour détruire une possible unité du personnel'.

Ces correspondances anonymes, dont il n'est même pas établies qu'elle aient été adressées aux destinataires visés, ne saurait caractériser les faits imprécis qui y sont portés.

En revanche, il est établi que par une lettre du 20 janvier 2017, Mmes [I], [W], [S] et [G] signent une lettre adressée aux autorités de tutelle, à M. Le procureur de la République et à l'inspecteur du travail, copie en étant adressée à M. [V] [P], président de l'association, ainsi libellée :

Depuis août 2013, le lieu de vie et d'accueil (LVA) 'Le Pied à l' Etrier', structure pour adolescentes enceintes [...]

Il est important que vous soyez au courant de ce qui se passe à l'intérieur de cet établissement. Deux agréments ont été accordés pour le fonctionnement du LVA. Les 2 personnes concernées sont Mme [X] [P] et Mme [H] [P]. Mme [X] [P] n'est plus en poste depuis août 2016. Mme [H] [P] n'habite plus sur place depuis avril 2016. Le président de l'association (M. [P]), nous a demandé de taire cette situation.

L'organisation proposée et la pression permanente engendrent des conditions de vie et de travail difficilement supportables envers le personnel et les jeunes accueillies. Au quotidien, l'équipe de direction distille ses humeurs entre humiliation et dévalorisation.

Depuis l'ouverture du lieu, 10 salariés ont fait le choix de partir. Certains ont été en quelques jours, quelques semaines démotivés, angoissés voire dépressifs. D'autres maltraités avaient peur de le devenir à leur tour.

Les jeunes filles accueillies et leurs bébés, évoluent dans ce milieu et sont elles aussi sous le même type de pression, parfois pris à partie.

Dans ce contexte, l'équipe ne peut avoir une action éducative saine. De ce fait, les jeunes ne peuvent bénéficier d'un accueil de qualité. Se taire serait cautionner la maltraitance.'

À cet envoi était jointe une annexe intitulée 'éléments décrivant le dysfonctionnement du lieu de vie et d'accueil' qui fait mention :

- du fait qu'il y a eu 3 mises en place de protocole 'gale' entre juillet et décembre 2016,

- début janvier 2017, un bébé de 11 mois a été admis aux urgences de [Localité 8] [...] staphylocoque doré. Nous avons informés la protection de l'enfance. La direction a questionné individuellement le personnel pour savoir qui avait dénoncé.

- des jeunes sont laissées à l'hôpital dans des situations particulières sans soutien,

- Organisation, sujet générateur de conflits et à l'origine de la pression au travail :

. Les plannings ont été modifiés par les permanents responsables sans consultation préalable des salariés,

. Les plannings ne sont plus affichés mensuellement, manque de visibilité,

. Ceux-ci ne sont pas remis dans un délai de convenance, et ne tiennent pas compte de la qualité de l'accompagnement des jeunes,

. Contrairement à la Charte de la fédération nationale des lieux de vie à laquelle il prétendent adhérer, les permanents responsables ne partagent aucun moment de vie,

. La directrice, permanente responsable, a été plusieurs fois hors département durant ses astreintes,

. Durant un week-end une jeune fille qui venait d'être accueillie a agressé physiquement l'éducatrice présente et seule en poste qui n'a pas bénéficié du soutien des permanents responsables étant à 3 heures de route à un mariage,

. Les permanents responsables contactent les salariés sur leur temps de récupération ou repos pour transmettre et demander des informations,

- Déconsidération du personnel :

. La communication ne se fait pas correctement,

. Les permanents responsables ne font plus de transmissions écrites [...]

. Lorsque l'avis des salariés est recueilli par les permanents responsables il s'en suit une série de pression, contrôle et dévalorisation. 3 avertissements ont été envoyés en une dizaine de jours dont 2 durant des arrêts maladie.

. des propos évoqués en groupe d'expression et d'analyse des pratiques sont abordés par le permanent responsable éducatif devant des personnes qui n'y avaient pas participé afin de les utiliser contre un salarié,

. Des propos jugeant et dénigrants sont tenus aux salariés durant leur travail : 'ça va ! Vous vous ennuyez pas trop ' Tu te plains, tu te positionnes en victime, tu es manipulatrice' [...]

. Les jeunes accueillies ont été témoin des cris d'un permanents responsables à plusieurs reprises sur un salarié [...]

. Les propos du permanent responsable éducatif relaté par un jeune déconsidèrent les professionnels et prennent à partie les jeunes [...]

. Suppression des espaces d'expressions depuis le 11 novembre 2016 sans explication,

. Des réunions de fonctionnement hebdomadaires sont supprimées,

- le contrôle :

. Il est demandé au personnel éducatif de noter sur chaque photocopie le nom, prénom de la personne qui fait la copie,

. Les compte-rendu réalisés sont désormais corrigés modifiés avant d'être remis à la lecture de l'équipe,

. Il est demandé de détailler de plus en plus les interventions,

. Le permanent responsable éducatif évoque lors d'une réunion le fait que les intervenants sont trop souvent dans le bureau à discuter,

. Il n'y a plus d'accessibilité aux dossiers des jeunes placés dans un bureau fermé à clés,

. Il est demandé de nettoyer les chambres des jeunes avec elles après le repas du soir, des contrôles ont lieu plusieurs fois par jour.

Le compte-rendu du Conseil à la Vie sociale (CVS) du 10 octobre 2016 relève que 'Mme [I] n'a pas informé les jeunes mamans accueillies que ce CVS devait se tenir de sorte qu'elles ignoraient qu'elles avaient des questions à préparer', carence que l'auteur du compte-rendu signé par le président de l'association qualifie de 'défaillances' et de 'dysfonctionnement' qu'il indique avoir décidé de passer sous silence, afin de 'protéger' la salariée, tout en faisant signer ce compte-rendu par la représentante des jeunes mamans accueillies. (Annexe 36)

Elle justifie encore que l'employeur a modifié son planning pour le 18 janvier 2017 pour le jour même contraignant la salariée à solliciter un justificatif auprès de l'association pour justifier l'annulation de la prestation de garde (de ses) enfants (annexe 37).

Toujours le 18 janvier, et 'suite à la réunion de structuration des services éducatifs', elle est informée par une lettre annulant la lettre recommandée du 17 janvier, qu'elle ne travaillera finalement pas du samedi 21 au lundi 23 janvier et qu'elle sera considérée en récupération. (Annexe 38).

Pris dans leur ensemble, le 'turn-over' du personnel au sein d'une structure de taille fort modeste sur une si courte période, la lettre circulaire ainsi signée par 4 salariées, pour un effectif avoisinant les 5 ETP, faisant état de divers dysfonctionnements dans l'organisation du service, le fait de protéger prétendument l'autorité de l'assistante à la suite d'une omission tout en s'assurant que cette information sera portée à la connaissance des personnes accueillies en faisant signer le compte-rendu de la réunion du 10 octobre 2016, et les modifications de planning sans délai de prévenance en janvier 2017, laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral managérial et organisationnel.

À réception de ce signalement, l'association a fait l'objet d'une inspection diligentée le 31 janvier 2017.

Il ressort du rapport définitif dressé par le directeur Enfance Famille du conseil général, du docteur [A], médecin coordonateur PMI, de M. [J], chef du service qualité du Conseil général et de M. [C] de ce même service, en conclusions que 'si les inspecteurs ont senti les membres de l'équipe présents le jour de l'inspection (Mme [I] était ce jour là et depuis 3 jours mis à pied à titre conservatoire, Mmes [W] et [S] étant en arrêt-maladie), investis et soucieux de faire évoluer le fonctionnement du LVA vers une amélioration de la qualité de la prise en charge et ce d'autant plus après les récents épisodes de gale et d'hospitalisation en urgence d'un bébé', l'inspection a maintenu les prescriptions - définies comme 'l'expression écrite d'une non-conformité, d'un non-respect d'obligations légales et réglementaires opposables' - suivantes :

- rédaction du règlement de fonctionnement, règles de vie, contrat de séjour, livret d'accueil, conseil de la vie sociale : document à adresser dès sa réécriture effective,

- faire évoluer l'organisation existante afin, d'une part, de maintenir une présence continue et quotidienne en personnel du LVA et la présence d'un des permanents sur le site,

- mettre en oeuvre les conclusions du contrôle réalisé par l'inspection du travail,

- les effectifs en présence ne correspondent pas au cadre autorisé (4,75 ETP) et doivent faire l'objet d'une régularisation auprès de l'autorité de tutelle,

Il est encore relevé, après observations de l'association, que 'l'ensemble des 10 prescriptions et 23 préconisations formulées font apparaître un besoin de structuration de l'activité, notamment en ce qui concerne les relations entre les différents membres du personnel et l'organisation du travail pour pouvoir, d'une part, répondre au mieux aux besoins du public accueilli et, d'autre part, favoriser l'amélioration du climat social, l'actualisation du projet de service et l'écriture du projet éducatif doivent quant à elles, s'inscrire dans le cadre d'une démarche participative associant l'ensemble de l'équipe'.

Loin de lever les critiques formulées par les salariées dans leur courrier du 20 janvier 2017 sur les défaillances organisationnelles en termes de travail de week-end, de difficultés des relations entre les permanents responsables et les éducateurs/assistants, l'organisation des plannings autant de difficultés récurrentes de nature à caractériser, de manière continue, des conditions de travail dégradées de nature à avoir, sinon pour objet, du moins pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'employeur ne justifie pas que les manquements ainsi relevés dans l'organisation du service et les relations entre les permanents responsables et les autres salariés de l'association étaient étrangers à tout harcèlement moral.

Il ne justifie pas davantage le fait d'avoir porté à la connaissance des personnes accueillies le fait que la salariée avait oublié de les informer de la tenue du CVS, en qualifiant cette omission de 'défaillance' et de 'dysfonctionnement' tout en prétendant vouloir protéger l'intéressée en le passant sous silence.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté Mme [I] de sa demande de reconnaissance d'un harcèlement moral. Le préjudice en découlant sera fixé à la somme de 3 000 euros.

Sur la cause du licenciement :

Convoquée le 27 janvier 2017 à un entretien préalable fixé au 6 février suivant, Mme [I] a été licenciée par lettre du 13 février 2019, énonçant les motifs suivants :

« Conformément aux dispositions légales, je vous précise que votre licenciement se justifie en raison des motifs suivants.

Vous exercez au sein du lieu de vie et d'accueil les fonctions d'assistante permanente.

A ce titre, vous n'êtes pas sans savoir que vous avez une mission de protection, d'éducation et de surveillance et que vous devez appliquer les consignes des permanents ainsi que toutes les règles de mise en oeuvre du projet éducatif et assurer le suivi des projets personnalisés des jeunes.

Or, de nombreux agissements montrent que vous vous placez régulièrement vis E1 vis de la hiérarchie dans une situation d'opposition qui entrave le bon fonctionnement du lieu de vie et nuit au lien social qui est nécessaire dons les relations au sein du lieu de vie.

A deux reprises, j'ai déjà dû formellement vous avertir en vue d'obtenir un changement de comportement de votre part :

-une première fois parce que vous n'aviez pas rédigé le rapport demandé par les permanents et que votre investissement négatif avait nuit et troublé le bon déroulement de la réunion d'un CVS.

-une seconde fois car vous avez pris la parole devant une mineure jeune maman pour

remettre cause la décision du permanent responsable éducatif qui a accepté de lui accorder l'argent de poche qu'elle demandait après lui avoir dit de respecter les formules de politesse.

En dépit de ces mesures, force est de constater que vous persistez à ne pas vouloir suivre les règles et les instructions de travail. Que votre attitude de déni face a la réalité de vos manquements ne permet pas de mener une collaboration constructive et sereine.

Ainsi, à titre d'exemples non exhaustifs :

- lundi 2 janvier 2017, vous n'avez pas mis à jour le dossier médical de l'enfant d'une jeune maman dont vous êtes la référente, ce qui n'a pas permis de présenter l'historique médical du bébé qui était admis aux urgences. Malgré le caractère avéré et grave de cette omission, vous prétendez fallacieusement que vous n'étiez pas la référente,

- le week-end do 7 janvier 2017, vous avez accompagné en voiture un groupe de jeunes mamans avec leurs bébés d' une sortie et vous êtes rentrés au lieu de vie en retard à 19h 24, après l'heure de prise du repos (19 heures). Non seulement, vous n'avez pas justifié ce retard mais vous n'avez pas non plus jugé bon 'de prévenir. vos supérieurs, lesquels très inquiets de ne pas avoir de nouvelles, ont cru qu'un accident était survenu compte tenu du gel présent sur les routes des la tombée du jour. Vos agissements ont en outre retardé la prise du repas ainsi que le coucher des enfants. A 20h 33 ms ces derniers n'étaient toujours pas couchés. Vous estimez que cette situation n'est pas anormale, ce qui est intolérable sachant que l'exécution des missions d'éducation impose de respecter et de faire respecter les horaires qui sont instaurés au lieu de vie. Dans le même sens, le mauvais entretien des chambres des mamans dont vous êtes la référente montre que vous ne veillez pas à les sensibiliser sur la nécessité qu'elles assurent un bon cadre de vie pour leur enfant :

-le vendredi 13 janvier 2017, vous ne vous êtes même pas aperçue que vous deviez aller chercher un enfant chez l'assistante maternelle. C'est cette dernière qui a alerté

l'établissement au sujet de cet oubli. Une fois encore, vous n'assumez pas la réalité des faits fautifs alors que votre manquement décrédibilise-le lieu de vie.

- le 16 janvier 2017, vous ne vous êtes pas également aperçue qu'une réunion du personnel éducatif avait été annulée.

Je déplore aussi que :

- malgré les rappels à l'ordre, vous rendez toujours vos rapports très tardivement le week-end bien que vous savez pertinemment que cela empêche le chef de service de préparer un partie de la réunion qui doit se dérouler le lundi suivant.

- vous vous obstinez à ne pas effectuer de compte rendu écrit détaillant les activités que vous proposez pour les jeunes, ce qui place vos supérieurs dans l'impossibilité d'avoir une connaissance précise de votre travail.

Des lors, j'ai décidé de vous licencier en considérant que l'ensemble des éléments susvisés sont constitutifs d'une faute grave qui rend impossible la poursuite même temporaire de nos relations professionnelles. »

Mme [I] critique la décision entreprise en ce qu'elle a considéré établie la matérialité de faits et fait valoir qu'elle a en réalité fait l'objet de cette procédure disciplinaire pour avoir signalé aux autorités de tutelle et au procureur de la République les dysfonctionnements internes.

Le mandataire liquidateur de l'association soutient rapporter la preuve des agissements qu'elle reproche au salarié.

En vertu de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et la poursuite du contrat. Il incombe à l'employeur qui l'invoque d'en apporter la preuve.

A titre liminaire, il sera observé que sans solliciter devant la cour leur annulation, Mme [I] avait contesté les 2 avertissements notifiés par l'employeur et visés dans la lettre de licenciement.

Pour preuve de la faute grave reprochée au salarié, le mandataire liquidateur de l'association verse aux débats les éléments suivants :

- un compte-rendu de l'entretien préalable à un éventuel licenciement non signé,

- le compte-rendu du CVS du 10 octobre 2016,

- un compte-rendu d'une réunion du 19 décembre 2016, non signé,

- la copie d'une photographie du tableau des consignes,

- la photographie du journal d'appel d'un téléphone portable sur lequel figure une annotation 'appel de la nounou sur le numéro d'astreinte'.

En premier lieu, le reproche fait à la salariée de ne pas avoir noté la suppression d'une réunion, qui aurait été portée à sa connaissance par SMS, et de s'être présentée en conséquence au siège de l'association ne saurait sérieusement être invoqué par l'employeur au soutien d'un licenciement. Cette erreur, à la supposer établie, qui ne préjudicie qu'à la salariée, ne constitue en aucune façon un manquement à ses obligations professionnelles ni un quelconque comportement fautif.

En deuxième lieu, le fait non contesté par la salariée d'être rentrée d'une sortie autorisée par le président au LVA avec un léger retard qu'elle estime à dix minutes, à savoir 19H10, au lieu de 19H, mais, compte tenu des temps de route calculés par l'employeur, au plus tôt à 19H24, de sorte que les responsables se seraient inquiétés d'un éventuel accident de la route, ce dont il n'est même pas attesté, et que les enfants n'étaient pas couchés à 20H33, n'est pas sérieux.

En troisième lieu, il n'est pas sérieusement contredit par la salariée qu'elle avait oublié d'aller chercher à l'heure convenue un bébé confié à une assistante maternelle. Ce fait, unique, dans un contexte non sérieusement contredit où la salariée avait davantage de travail tenant l'arrêt maladie de Mme [W], maîtresse de maison, n'est pas sérieux, ni l'affirmation selon laquelle cet oubli et le retard pris pour récupérer cet enfant aurait répercuté une image défavorable de l'association auprès des tiers.

En quatrième lieu, concernant le grief par lequel l'employeur reproche à la salariée de ne pas avoir mis à jour le dossier médical de l'enfant d'une jeune maman en sa qualité de 'référente', force est de relever que l'employeur se borne à communiquer un document intitulé 'réunion du 19/12/2016 - [E] et [O]', se présentant comme un compte-rendu d'une réunion au cours de laquelle M. [U] [N] aurait précisé que '[L] [I] est désignée comme référente de [E] [B] et de sa fille [...]'.

Alors que Mme [I] conteste s'être vu confier la responsabilité du suivi de cette jeune femme, ce seul document, non signé, qui n'est pas corroboré par un quelconque autre élément, ne présente pas de valeur probante.

Sans même qu'il soit nécessaire de retenir le témoignage de M. [M] [P], engagé au sein de l'association le 5 janvier 2017, qui affirme avoir reçu des instructions de M. [V] [P], président de l'association, pour falsifier des compte-rendus de réunions de la CSV, l'éventuel lien de parenté unissant ces 2 personnes n'étant pas précisé, il n'est pas justifié que ce manquement soit imputable à la salariée.

Aucun élément ne vient étayer les autres griefs visés dans la lettre de licenciement.

Alors que la salariée souligne de manière pertinente que la convocation à l'entretien préalable à un éventuel licenciement faisait implicitement référence à la correspondance que Mme [I] avait, avec 3 de ses collègues, adressée aux autorités de tutelle et au procureur de la République, l'employeur indiquant à Mme [I] que, 'depuis début janvier et plus particulièrement le 20 janvier 2017, vous avez eu un comportement que nous ne pouvons admettre [...]', non seulement l'association ne rapporte pas la preuve d'un quelconque manquement de la salariée à ses obligations contractuelles, mais il ressort des éléments produits que la salariée a été licenciée pour un motif qui ne figure pas dans la lettre de licenciement, à savoir le fait d'avoir dénoncé, avec 3 de ses collègues, divers dysfonctionnements visant tant la prise en charge des jeunes femmes enceintes et de leur bébé, que des conditions de travail des salariés.

Dès lors, le jugement sera infirmé en ce qu'il a dit le licenciement pourvu d'une cause réelle et sérieuse, sans en tirer toutefois les conséquences en terme d'indemnisation.

Sur l'indemnisation du licenciement :

Au jour de la rupture, Mme [I] âgée de 35 ans bénéficiait d'une ancienneté de 1 ans et 6 mois au sein de l'association 'Le Pied à l' Etrier' qui employait moins de onze salariés. Elle percevait un salaire mensuel brut de 1 850 euros.

Le licenciement étant injustifié, la salariée est fondée à solliciter un rappel de salaire au titre de la période de mise à pied conservatoire elle-même injustifiée. Au vu des fiches de paye, le rappel de salaire auquel l'association sera condamnée s'élève à la somme de 939,21 euros bruts, outre celle de 93,92 euros au titre des congés payés afférents.

La salariée peut prétendre au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, correspondant, conformément à l'article L. 1234-5 du code du travail, à la rémunération brute qu'elle aurait perçue si elle avait travaillé pendant la période du délai-congé. Au vu de la durée du préavis, fixée à un mois tenant son ancienneté, et du montant de son salaire, il lui sera alloué une indemnité compensatrice de préavis de 1 850 euros bruts, outre 185 euros bruts au titre des congés payés afférents.

Calculée sur la base d'une ancienneté au terme du préavis auquel elle avait droit, de 1 ans et 7 mois, du salaire de référence, calculé sur la moyenne la plus favorable pour la salariée des 3 mois derniers mois travaillés, conformément aux dispositions de l'article R 1234-2 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, l'indemnité de licenciement à laquelle la société sera condamnée sera fixée à la somme de 605,37 euros.

La salariée est fondé en sa demande de dommages-intérêts au titre de la perte injustifiée de son licenciement.

Mme [I] justifie s'être inscrit à Pôle-emploi et avoir bénéficié de l'allocation de retour à l'emploi pendant 58 jours avant de trouver un emploi en qualité d' ASESH en CDD, rémunéré 720 euros par mois. Au regard de son ancienneté dans l'entreprise, et de son âge, le préjudice résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse doit être arrêté à la somme de 3 700 euros.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Dit que Mme [I] a subi un harcèlement moral,

Juge le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Fixe ainsi que suit la créance de Mme [I] au passif de l'association 'Le Pied à l' Etrier' :

- 3 000 euros de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

- 939,21 euros bruts au titre de la mise à pied du 28 janvier 2017 au 13 février 2017, outre 93,92 euros au titre des congés payés afférents,

- 1 850 euros bruts à titre d'indemnité de préavis outre 185 euros au titre des congés payés afférents,

- 605,37 euros nets à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 3 700 euros bruts d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Dit qu'en application des articles L 622-28 et L 641-3 du Code de commerce, le jugement d'ouverture de la procédure collective arrête définitivement à sa date le cours des intérêts au taux légal des créances salariales nées antérieurement,

Déclare la présente décision opposable à l' AGS,

Dit que les dépens seront considérés comme frais privilégiés dans le cadre de la procédure collective.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thomas Le Monnyer, Président, et par Marie-Lydia Viginier, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 2e chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/00701
Date de la décision : 24/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-24;20.00701 ?
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