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22/03/2024 | FRANCE | N°20/04249

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 1re chambre de la famille, 22 mars 2024, 20/04249


Grosse + copie

délivrées le

à















COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



1re chambre de la famille



ARRET DU 22 MARS 2024



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 20/04249 - N° Portalis DBVK-V-B7E-OWTV



Décision déférée à la Cour :

JUGEMENT DU 24 SEPTEMBRE 2020

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PERPIGNAN

N° RG 20/00284



APPELANTS :



Madame [J] [C]

née le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 14]

(MAROC)

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentée par Me Yann GARRIGUE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

et assistée de Me...

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

1re chambre de la famille

ARRET DU 22 MARS 2024

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 20/04249 - N° Portalis DBVK-V-B7E-OWTV

Décision déférée à la Cour :

JUGEMENT DU 24 SEPTEMBRE 2020

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PERPIGNAN

N° RG 20/00284

APPELANTS :

Madame [J] [C]

née le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 14] (MAROC)

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentée par Me Yann GARRIGUE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

et assistée de Me Marie-Hélène ZIBERLIN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

Madame [L] [C]

née le [Date naissance 2] 1957 à [Localité 12]

de nationalité Française

[Adresse 10]

[Adresse 10]

Représentée par Me Yann GARRIGUE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

et assistée de Me Marie-Hélène ZIBERLIN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

Monsieur [G] [C]

né le [Date naissance 7] 1961 à [Localité 17]

de nationalité Française

[Adresse 8]

[Adresse 8]

Représenté par Me Yann GARRIGUE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

et assistée de Me Marie-Hélène ZIBERLIN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

INTIMEE :

Madame [T] [R]

née le [Date naissance 6] 1974 à [Localité 13] (MAROC)

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

Représentée par Me Jacques Henri AUCHE de la SCP AUCHE HEDOU, AUCHE - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

et assistée de Me Pierre ST-MARC GIRARDIN, avocat au barreau de PARIS, substitué à l'audience par Me Christine AUCHE HEDOU, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 21 NOVEMBRE 2023

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 DECEMBRE 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie LECLERC-PETIT, Conseillère, chargée du rapport, et Madame Morgane LE DONCHE, Conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine KONSTANTINOVITCH, Présidente de chambre

Madame Nathalie LECLERC-PETIT, Conseillère

Madame Morgane LE DONCHE, Conseillère

Greffière lors des débats : Madame Marie-José TEYSSIER

ARRET :

- CONTRADICTOIRE ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées de cette mise à disposition au 23/02/2024, date à laquelle le délibéré a été prorogé au 22/03/2024, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Madame Catherine KONSTANTINOVITCH, Présidente de chambre, et par Mme Audrey VALERO, greffier.

FAITS ET PROCÉDURE

Du mariage de M. [E] [C] et Mme [H] [W], célébré le [Date mariage 3] 1954 sous le régime de la séparation de biens sont nés trois enfants [J], [L] et [G] [C]. Le couple cessait la vie commune en 1994.

A compter de 1999, M. [E] [C] vivait maritalement à [Localité 14] avec Mme [T] [R].

Le 14 février 2005, M. [E] [C] et Mme [T] [R] constituaient la SCI [11] pour l'acquisition d'un immeuble à usage d'hôtel à [Localité 16].

Par testaments en date des 25 octobre 2006, 6 avril 2011 et 19 octobre 2011, M.'[E] [C], toujours marié, léguait à Mme [T] [R] les parts de la SCI [11] dont il serait encore propriétaire à sa mort ainsi que le compte courant de la SCI.

M. [E] [C] décédait le [Date décès 9] 2014 à [Localité 15], avant son épouse Mme [H] [W] qui décédait en 2015, il laissait pour lui succéder ses trois enfants.

Le 21 mars 2016, les enfants et héritiers de M. [E] [C], faisaient enregistrer au greffe du tribunal de grande instance de Perpignan une déclaration valant acception de la succession à concurrence de l'actif.

Ils engageaient plusieurs procédures à l'encontre de Mme [R], tant au pénal qu'au civil.

Par actes d'huissier des 9, 11 et 24 janvier 2019, Mme [T] [R] assignaient les héritiers Mme [J] [C], Mme [L] [C] et M. [G] [C] devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de délivrance du legs.

Par ordonnance du 5 juillet 2019, le juge de la mise de ce tribunal se déclarait incompétent au profit du tribunal de grande instance de Perpignan ; décision confirmée par arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 11 décembre 2019.

Par jugement en date du 24 septembre 2020, dont la cour est saisie, le juge du tribunal judiciaire de'Perpignan, les consorts [C] défaillants :

ordonnait la délivrance par Mme [J] [C], Mme [L] [C] et M. [G] [C] à Mme [T] [R] des legs qui lui avaient été consentis par testaments des 25 octobre 2006, 6 avril 2011 et 19 octobre 2011

condamnait in solidum Mme [J] [C], Mme [L] [C] et M. [G] [C] au paiement de la somme de 1'500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile

laissait les dépens à la charge de la succession.

***

Mme [J] [C], Mme [L] [C] et M. [G] [C] ont relevé appel de ce jugement par déclaration au greffe en date du 8 octobre 2023 des chefs de la délivrance du legs, des frais irrépétibles et des dépens.

Par ordonnance sur incident du 16 septembre 2022, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande d'expertise du testament du 25 octobre 2006, sa qualité de copie n'étant pas contestée, et a ordonné l'expertise des testaments des 6 avril et 19 octobre 2011 afin de déterminer, comme demandé par les appelants, s'il s'agissait d'originaux.

L'expert dans son rapport déposé au greffe de la cour d'appel le 28 février 2023 a conclu que les testaments olographes des 6 avril 2011 et 19 octobre 2011 sont des originaux.

Les dernières écritures de Mme [J] [C], Mme [L] [C] et M. [G] [C] ont été déposées le 8 novembre 2023 et celles de Mme [T] [R] le 13 octobre 2023.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance en date du 21 novembre 2023.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme [J] [C], Mme [L] [C] et M. [G] [C], dans le dispositif de leurs dernières écritures auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé, demandent à la cour d'infirmer la décision dont appel et :

*à titre principal

déclarer Mme [T] [R] irrecevable en sa demande de délivrance du legs au titre du testament du 25 octobre 2006

déclarer irrecevable comme tardive la demande de délivrance des legs formée par Mme [R] en application de l'article 788 du code civil

déclarer irrecevable la demande de délivrance des legs en ce que Mme [R] a accompli des actes manifestant sa volontaire claire et non équivoque de renoncer à ces legs particuliers

*à titre subsidiaire

déclarer mal fondée la demande de Mme [T] [R] quant à la délivrance du legs du 25 octobre 2006

surseoir à statuer sur la demande tendant à l'annulation des testaments des 6 avril et 19 octobre 2011 pour altération des facultés mentales du défunt

*à titre infiniment subsidiaire

dans l'hypothèse où les libéralités seraient validées, dire et juger que celles-ci incluant les legs particuliers sont réductibles à la quotité disponible

juger que les intérêts au taux légal sont dus sur l'indemnité de réduction et payables à compter de l'ouverture de la succession

*en tout état de cause

débouter Mme [T] [R] de toutes ses demandes, fins et conclusions

condamner Mme [T] [R] à payer aux consorts [C] la somme de 6'000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile

la condamner aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise.

Mme [T] [R], dans le dispositif de ses dernières écritures auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé, demande à la cour, au visa des articles 1010 et suivants du code civil, de :

débouter les appelants de leurs demandes, fins et conclusions

confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris

condamner in solidum les consorts [C] à lui verser la somme de 6'000'€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais d'expertise, à moins qu'il ne soient mis à la charge de la succession.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures précitées pour l'exposé exhaustif des moyens des parties.

SUR QUOI LA COUR

* délivrance du legs au titre du testament du 25'octobre 2006

' Au soutien de leur demande, Mme [J] [C], Mme [L] [C] et M. [G] [C] rappellent que le testament du 25 octobre 2006 produit par l'intimée n'est pas un original, comme le reconnaît Mme [R] dans ses conclusions. Ils affirment qu'elle ne peut invoquer la pièce produite comme une copie d'un original perdu. Ils ajoutent qu'il n'est de testament olographe que l'original car le testament doit être l'expression des dernières volontés du testateur et doit permettre de s'assurer que celui-ci n'a pas procédé à la destruction de son testament.

' En réponse, Mme [T] [R] fait valoir qu'en cas de perte de l'original et à défaut de contestation sur l'existence et le contenu du testament, les juges apprécient souverainement les dernières volontés du défunt en se référant aux documents qui leur sont soumis.

' Réponse de la cour

Par ce testament, M. [E] [C] a légué à Mme [T] [R], en cas de décès, la totalité des parts de la SCI [11], dont il serait propriétaire au jour de son décès.

En application de l'article 1360 du code civil, seule la perte de l'original d'un testament olographe par suite d'un cas de force majeure, ou de l'impossibilité matérielle de se procurer l'écrit, autorise celui qui s'en prévaut à rapporter par tous moyens la preuve de son existence et de son contenu.

La demande de délivrance de ce legs est donc recevable.

Pour autant il appartient donc à celui qui allègue d'un prétendu testament, d'abord de rapporter la preuve de l'impossibilité matérielle de se procurer l'écrit original ou de sa perte par suite d'un cas de force majeure, pour seulement dans un second temps être admise à rapporter par tous moyens la triple preuve : 1°/ de l'existence d'un testament, parfait en la forme, 2°/ de sa disparition en dehors de la volonté du testateur (à savoir démontrer que le testateur n'a pas en application de l'article 895 du code civil usé de la faculté de révoquer son testament), 3°/ et, enfin, du contenu du testament, spécialement du legs allégué.

Le cas fortuit ou la force majeure, suppose que l'événement invoqué soit à la fois extérieur (extrinsèque), irrésistible (insurmontable) et imprévisible. La seule preuve de la perte ou de la destruction de l'écrit ne peut suffire : il est nécessaire de préciser les circonstances particulières qui ont pu l'accompagner.

En l'espèce Mme [R] qui se prévaut de ce testament et sur laquelle repose la charge de la preuve, ne s'explique pas sur les circonstances de la disparition de l'original, ni ne démontre sa perte par cas fortuit ou force majeure.

En conséquence de quoi la demande de délivrance de ce legs sera déclarée recevable mais Mme [R] en sera déboutée et le jugement déféré infirmé de ce chef.

* sur la prescription de l'action en délivrance des legs de 2004 et 2011

' Au soutien de leur demande, Mme [J] [C], Mme [L] [C] et M. [G] [C] font valoir qu'ils ont enregistré leur déclaration d'acception de la succession de leur père à concurrence de l'actif net le 21 mars 2016. Ils précisent que cette déclaration a fait l'objet d'une publication dans le journal l'Indépendant le 3 avril 2016 et que Mme [R] en a nécessairement eu connaissance par le biais des assignations des 9 et 24 août 2017. Ils expliquent que le légataire particulier ne dispose pas d'un droit réel sur un bien de la succession, mais d'une créance envers la succession. Le légataire particulier doit ainsi déclarer son legs dans les 15 mois suivant le 3 avril 2016. Or, Mme [R] ayant fait valoir son legs particulier le 21 juin 2018, elle était hors délais. Ils précisent que la réforme de 2006 n'a pas changé le statut du légataire à titre particulier.

' En réponse, Mme [T] [R] fait valoir que le légataire particulier n'est pas tenu à l'option successorale. Elle explique que, si avant la réforme entrée en vigueur en 2007, les légataires de sommes d'argent étaient assimilés à des créanciers successoraux, tel n'est plus le cas aujourd'hui. Elle indique en effet qu'à présent, l'héritier doit attendre l'expiration du délai de déclaration des créances avant de délivrer les legs à titre particulier. Elle ajoute que depuis la réforme, le légataire à titre particulier n'est plus créancier de la succession, mais simple créancier de la délivrance de son legs. Le délai de 15 mois ne lui est donc pas applicable, mais seulement la prescription quinquennale de droit commun. Le de cujus étant décédé le [Date décès 9] 2014 et la demande de délivrance du legs ayant été formulée le 1er octobre 2018, son action n'est pas prescrite.

'Réponse de la cour

Les consorts [C] ont accepté la succession de leur père à concurrence de l'actif net, leurs déclarations ont été enregistrées au greffe du Tribunal judiciaire de [Localité 16] le 21 mars 2016.

Ils entendent voir appliquer à Mme [R] les dispositions de l'article 792 du code qui prévoit qu'en cas d'acceptation de la succession à concurrence de l'actif net que les créanciers de la succession déclarent leurs créances en notifiant leur titre au domicile élu de la succession. Faute de déclaration dans un délai de quinze mois à compter de la publicité prévue à l'article 788, les créances non assorties de sûretés sur les biens de la succession sont éteintes à l'égard de celle-ci.

Mme [R] leur oppose que le légataire à titre particulier est depuis la réforme de 2006, créancier de la délivrance de son legs.

En l'espèce, il convient de distinguer le legs du compte courant et le legs de l'unique action de la SCI dont M. [C] était propriétaire au jour de son décès.

$gt; nature des legs : dettes successorales soumises à déclaration '

En l'espèce, le testament du 19 octobre 2004 institue Mme [R] légataire du compte courant net de frais et de droits de M. [E] [C] et celui du 6 avril 2011 la part de la SCI [11] dont [E] [C] était encore propriétaire suite aux diverses cessions dont la dernière en date du 30 mars 2011.

Mme [R] a assigné les héritiers réservataires en délivrance des legs par actes des 9, 11 et 24 janvier 2019, après leur avoir demandé par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er octobre 2018.

L'article 1014 du code civil prévoit que le légataire particulier ne pourra se mettre en possession de la chose léguée, ni en prétendre les fruits ou intérêts, qu'à compter du jour de sa demande en délivrance, ou du jour auquel cette délivrance lui aurait été volontairement consentie.

'legs du compte courant

Suivant l'arrêt de cassation du 26 septembre 2012 cité par les appelants en application des articles 1014 et 1021 du code civil, le legs d'une somme d'argent, a nécessairement pour effet de rendre le légataire créancier de la succession. Néanmoins si le legs porte sur une somme d'argent individualisée (tel est le cas s'agissant du compte courant qui n'est pas par nature fongible), la propriété de cet actif monétaire isolé est, dès l'instant du décès, transférée au légataire, de sorte que celui-ci n'est pas alors un créancier de la succession et peut revendiquer contre les héritiers les sommes léguées.

Il n'y a donc pas lieu de faire application, à ce legs, du délai de 15 mois prévu à l'article 792 du code civil.

' legs de la part dans la SCI [11]

Ce legs ne saurait être assimilé à une dette de la succession, par conséquence de quoi il n'a pas non plus à être déclaré dans le délai de l'article 792 du code civil.

$gt; prescription de l'action en délivrance

L'article 1014 du code civil prévoit que tout legs pur et simple donnera au légataire, du jour du décès du testateur, un droit à la chose léguée, droit transmissible à ses héritiers ou ayants cause. Néanmoins le légataire particulier ne pourra se mettre en possession de la chose léguée, ni en prétendre les fruits ou intérêts, qu'à compter du jour de sa demande en délivrance, ou du jour auquel cette délivrance lui aurait été volontairement consentie.

Il s'en déduit que si le légataire particulier devient, dès l'ouverture de la succession, propriétaire de la chose léguée, il est néanmoins tenu, pour faire reconnaître son droit, de demander la délivrance du legs.

En application de l'article 2219 du code civil lorsque l'action en délivrance du légataire particulier est atteinte par la prescription, celui-ci, qui ne peut plus se prévaloir de son legs, ne peut prétendre aux fruits de la chose léguée.

La prescription de l'action en délivrance de legs a été ramenée par l'article 2224 du code civil de trente à cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Une fois acquise, elle empêche le légataire de se prévaloir de son legs.

En l'espèce, M [E] [C] est décédé le [Date décès 9] 2014 et Mme [R] a assigné ses héritiers en délivrance des trois legs en janvier 2019, après leur avoir demandé par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er octobre 2018 auquel ils ont répondu par courriers des 1, 26 et 29 octobre 2018 s'opposant la délivrance des legs.

Il s'en déduit qu'au 1er octobre 2018 Mme [R] avait connaissance des trois legs particuliers en sa faveur ; elle affirme avoir ignoré l'existence de ces legs jusqu'à la découverte des testaments litigieux en 2018.

Il appartient à celui qui allègue d'un délai de prescription de prouver que le délai est échu.

Si les appelants excipent de la prescription de la demande de délivrance, ils ne démontrent pas que Mme [R] avait connaissance des legs avant octobre 2018, en conséquente de quoi la demande de délivrance d'abord amiable, puis judiciaire n'est pas prescrite.

* renonciation au legs

Les appelants soutiennent, sur le fondement de l'article 1043 du code civil, que Mme [R] auraient renoncé à la délivrance des legs, par suite de l'addition d'actes concordants postérieurs au décès de leur père et accomplis en connaissance de cause, à savoir les échanges entre 2015 et 2017 entre Mme [R] et leur notaire auquel elle n'a pas fait état des legs, de ses affirmations dans le cadre des procédures judiciaires les ayant opposé où elle a contesté avoir bénéficié des largesses de M. [C] mais n'a pas évoqué les legs, de la reconnaissance par celle-ci de leur qualité d'héritiers dans le rapport proposé à l'assemblée générale du 13 juin 2018 de la SCI [11] et des déclarations fiscales qu'elle a déposées aux services fiscaux de 2015 à 2017 en sa qualité de gérante de la SCI [11] où en annexe elle apparaît associé pour 9 part et M. [E] [C] pour une part.

Ils en déduisent que l'accomplissement par Mme [R] de ces actes manifeste sa volonté réitérée et non équivoque de reconnaître leurs droits dans la SCI [11] et sur le compte courant d'associé de leur père, et ce faisant de renoncer à ses legs particuliers et au droit de demander la délivrance des legs.

' Réponse de la cour

Ces moyens sont inopérants, n'étant pas démontré que jusqu'en 2018 Mme [R] se savait bénéficiaire des legs, elle ne pouvait, avant juin 2018, revendiquer les droits qui y sont attachés et qu'elle a mis en 'uvre sans aucune ambiguïté dans le courrier du 1er octobre 2018 et dans les assignations délivrés aux héritiers en janvier 2019.

* sursis à statuer

' Au soutien de leur demande, Mme [J] [C], Mme [L] [C] et M. [G] [C] font valoir qu'une procédure en annulation de libéralités est en cours devant le tribunal judiciaire de Paris. Ils expliquent que le juge des tutelles saisi le 11 juin 2013, n'a pas statué sur la demande de protection avant la mort de leur père mais de nombreux éléments médicaux mettent en évidence l'altération de son état de santé, notamment le développement d'une maladie d'Alzheimer. Ils soulignent que, de l'aveu même de l'intimée, l'état de santé du de cujus avait commencé à se dégrader depuis 2008, outre que l'IRM du 25 juillet 2011 avait mis en évidence une dégénérescence cérébrale majeure de M. [E] [C].

' En réponse, Mme [T] [R] fait valoir que la demande de sursis à statuer est irrecevable par application de l'article 566 du code de procédure civile pour être nouvelle en cause d'appel outre qu'elle est infondée. En effet de nombreuses pièces démontrent que M. [E] [C] disposait des capacités intellectuelles nécessaires à la gestion de ses affaires jusqu'à la fin de sa vie ; ainsi le Professeur [U] a constaté le 1er février 2013 qu'il était en mesure de comprendre la portée de ses actes entre 2011 et 2014. Elle rappelle qu'une plainte pour abus de faiblesse déposée par les appelants à son encontre a fait l'objet d'une ordonnance de non-lieu le 7 octobre 2020, après rapport déposé par le docteur [O] expert désigné par le juge d'instruction.

' Réponse de la cour

En application de l'article 566 du code de procédure civile, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

La demande de sursis à statuer n'a pas été présentée au premier juge devant lequel les appelants étaient non comparants. Elle a été formée dans les premières conclusions des appelants qui ont intenté plusieurs actions. Elle est donc recevable.

La plainte pour abus de faiblesse déposée par les appelants le 8 février 2018 entre les mains du juge d'instruction s'est achevée par une ordonnance de non-lieu en date du 7 octobre 2020. Tous les recours dont les consorts [C] ont saisi la chambre de l'instruction ont été rejetés et n'ont pas prospéré en cassation. Pour finir et par arrêt du 13 avril 2023, la cour de cassation a rendu un avis de non admission par suite du pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction du 12 octobre 2021 ayant confirmé le non-lieu.

Par jugement en date du 31 octobre 2017, les consorts [C] ont été déboutés de leur action civile visant à contester la désignation de Mme [R] comme bénéficiaire de contrats d'assurance vie en fraude des droits de leur mère décédée, cette décision a été confirmée par arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 21 mars 2019.

Reste pendante l'action engagée par les consorts [C] contre la société [11] et Mme [R] aux fins notamment d'annulation des testaments, l'affaire a été plaidée le 15 février 2024.

Au soutien de leurs demandes, les appelants produisent trois courriers émanant de trois praticiens hospitaliers :

un courrier du docteur [U] en date du 3 mai 2011 qui indique que M. [E] [C] débute une maladie neuro dégénérative.

un courrier du docteur [S] du 27 juillet 2011 qui note ' une désorientation spatio temporelle, des fluctuations attentionnelle, un ralentissement , un apraxie réflexive sans troubles visio-spatiaux, ni troubles du langage qui s'expliquent en grande partie par un syndrome d'apnée du sommeil sévère ..'

un nouveau courrier du docteur [U] du 23 août 2011 qui indique seulement 'il est atteint d'apnée du sommeil sévère et d'une maladie d'Alzheimer' sans préciser le stade d'évolution de la maladie, ni sa naissance.

un courrier du docteur [Y] du 23 août 2011qui précise 'il a correctement répondu aux questions posée..., il a été appareillé hier pour l'apnée du sommeil, il est depuis beaucoup plus vivant'.

un courrier du docteur [U] du 23 août 2011 précise 'la prise en charge du syndrome d'apnée du sommeil améliorera considérablement les performances cognitives du malade.

Mme [R] produit les conclusions du rapport de Mme [O], expert désigné par le juge d'instruction, qui indique ' en tenant compte de tous les éléments médicaux évoqués ci dessus, et sur le faisceau d'arguments, nous considérons que l'état psychique de M. [C] en 2011 et 2014 lui permettait d'être en mesure de comprendre la portée de ses actes, et plus particulièrement les actes de nature financière'.

Au final, les courriers des médecins produits par les appelants, à supposer qu'ils soient nouveaux et n'aient pas été examinés dans les précédentes procédures ayant opposé les parties, ne sont pas de nature à démontrer l'absence de capacité à tester de M. [C] le 6 avril 2011 et le 19 octobre 2011, date des deux testaments ouvrant droit à délivrance de legs.

Dans ces conditions et au regard de l'ancienneté du litige, la demande de sursis à statuer sera rejetée.

* réduction des legs à la quotité disponible et intérêts

' Les consorts [C] qui demandent à la cour dans le dispositif de leurs conclusions de dire que les legs ne pourront être délivrés que dans la limite de la quotité disponible et que les intérêts sur l'indemnité de réduction seront dus au taux légal et payables à compter de l'ouverture de la succession, n'ont pas fait valoir de moyens de ce chef.

' Mme [R] n'a pas conclu de ce chef.

' Réponse de la cour

En droit par application de l'article 921 du code civil, la réduction peut être demandée par les héritiers réservataires, dans les cinq ans à compter de l'ouverture de la succession, ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l'atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès.

Elle suppose que le notaire ait constaté lors du règlement de la succession que les droits réservataires d'un héritier sont susceptibles d'être atteints par les libéralités effectuées par le défunt et qu'il ait informé chaque héritier de son droit de demander la réduction des libéralités qui excèdent la quotité disponible.

En l'espèce, faute pour les consorts [C] de démontrer l'atteinte à leur réserve, et de justifier de l'avis délivré par le notaire en charge de la succession, la demande sera jugée prématurée à ce stade des opérations de partage.

* dépens et frais irrépétibles

L'équité commande de condamner les consorts [C] à payer à Mme [T] [R] la somme de 2500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de les débouter de leur demande à ce titre.

En application de l'article 1016 du code civil, les frais de la demande en délivrance de legs sont à la charge de la succession, sans néanmoins qu'il puisse en résulter de réduction de la réserve légale.

En conséquence de quoi, le jugement de première instance sera confirmé en ce qu'il a mis les dépens à la charge de la succession et y ajoutant la cour laisse à la charge de la succession les dépens d'appel, à l'exception des frais d'expertise qui resteront à la charge de Mme [J] [C], Mme [L] [C] et M. [G] [C].

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu publiquement, après débats en audience publique,

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné la délivrance par Mmes [J] et [L] [C] et M. [G] [C] à Mme [T] [R] des legs qui lui ont été consentis par testaments des 6 avril 2011 et 19 octobre 2011 et mis les dépens de première instance à la charge de la succession.

INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a ordonné la délivrance par Mme [J] [C], Mme [L] [C] et M. [G] [C] à Mme [T] [R] du legs consenti par le testament du 25 octobre 2006 et statuant à nouveau :

Déclare recevable la demande par Mme [T] [R] de délivrance du legs consenti par testament du 25 octobre 2006.

Déboute Mme [T] [R] de sa demande de délivrance du legs consenti par testament du 25 octobre 2006.

Y AJOUTANT

Déboute Mme [J] [C], Mme [L] [C] et M. [G] [C] de leur demande de sursis à statuer

Dit prématurée la demande des appelants de délivrance des legs dans la limite de la quotité disponible avec intérêts au taux légal sur l'indemnité de réduction à compter de l'ouverture de la succession

Condamne Mme [J] [C], Mme [L] [C] et M. [G] [C] à payer à Mme [T] [R] la somme de 2 500€ en application de l'article 700 du code de procédure civile

Déboute Mme [J] [C], Mme [L] [C] et M. [G] [C] de leur demande à l'encontre de Mme [T] [R] au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Laisse les dépens de l'instance d'appel à la charge de la succession, à l'exception des frais d'expertise qui resteront à la charge de Mme [J] [C], Mme [L] [C] et M. [G] [C]

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 1re chambre de la famille
Numéro d'arrêt : 20/04249
Date de la décision : 22/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-22;20.04249 ?
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