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14/03/2024 | FRANCE | N°20/03445

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 2e chambre sociale, 14 mars 2024, 20/03445


Grosse + copie

délivrées le

à











COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



2e chambre sociale



ARRET DU 14 MARS 2024



N° :



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 20/03445 - N° Portalis DBVK-V-B7E-OVC7



Décision déférée à la Cour :

Jugement du 22 JUILLET 2020

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE PERPIGNAN

N° RG F 19/00310



APPELANTE :



Madame [Z] [C] [T] épouse [L]

née le 1

2 février 1967 à [Localité 7] (66)

de nationalité Française

Domiciliée [Adresse 5]

[Localité 3]



Représentée par Me Yann GARRIGUE de la SELARL LX MONTPELLIER, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué par Me Fanny LAPORT...

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 14 MARS 2024

N° :

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 20/03445 - N° Portalis DBVK-V-B7E-OVC7

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 22 JUILLET 2020

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE PERPIGNAN

N° RG F 19/00310

APPELANTE :

Madame [Z] [C] [T] épouse [L]

née le 12 février 1967 à [Localité 7] (66)

de nationalité Française

Domiciliée [Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Yann GARRIGUE de la SELARL LX MONTPELLIER, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué par Me Fanny LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Assistée par Me Sophie VILELLA, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES, avocat plaidant

INTIMEES :

S.E.L.A.R.L. MJSA en la personne de Maître [S] [V] es qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SAS [A] ET ASSOCIES NOTAIRES

Domiciliée [Adresse 4]

[Localité 7] FRANCE

Représentée par Me Alexandra MERLE, avocat au barreau de MONTPELLIER

Association UNEDIC DELEGATION AGS - CGEA [Localité 8]

Domiciliée [Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Julien ASTRUC de la SCP DORIA AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER

Ordonnance de clôture du 13 Juin 2023

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Janvier 2024,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre Conseiller, chargé du rapport et Madame Magali VENET.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre

Madame Magali VENET, Conseiller

Monsieur Patrick HIDALGO, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Naïma DIGINI

ARRET :

- contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, et par Madame Naïma DIGINI, Greffier.

*

* *

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme [Z] [T] épouse [L] était engagée en contrat de travail à durée indéterminée par la SCP [F] et Parazols, notaires à [Localité 6] (66) le 1er avril 1987. L'année suivante sa s'ur, Mme [P] [T], était également recrutée par l'étude notariale. En août 2015, son fils, M. [X] [L] était embauché en contrat de travail à durée déterminée en qualité d'employé aux formalités.

Au dernier état de la relation contractuelle, Mme [L] exerçait les fonctions de clerc rédacteur à temps complet pour une rémunération mensuelle brute de 2957,46 euros. Elle était responsable du service des formalités.

Le 30 mars 2017, Mme [P] [T] a déposé plainte à la gendarmerie nationale à l'encontre de Maître [A] pour harcèlement moral. Mme [L] et son fils étaient respectivement entendus en qualité de témoin par les enquêteurs les 30 et 31 mars. Le 4 avril 2017, Mme [Z] [L] se présentait au commissariat de police et déposait également plainte pour harcèlement moral.

Le 22 mai 2017, elle saisissait, avec son fils, le conseil de prud'hommes de Perpignan aux fins d'entendre condamner l'employeur au paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral.

Par lettre du 18 août 2017, la salariée a pris acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur.

Par jugement du 5 juin 2018, le conseil de prud'hommes a sursis à statuer en raison de l'instance pénale en cours.

Le procureur de la République a classé l'affaire sans suite, pour infraction insuffisamment caractérisée.

Mme [L] a réintroduit l'instance le 13 juin 2019.

Par jugement du 22 juillet 2020, le conseil a constaté l'absence de harcèlement moral, jugé que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail s'analysait en une démission et a débouté Mme [L] de l'ensemble de ses demandes.

Suivant déclaration en date du 13 août 2020, Mme [L] a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Aux termes d'un jugement en date du 23 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Perpignan a prononcé le redressement judiciaire de la SAS [A] associés notaires.

Par actes d'huissier en date du 28 octobre 2021, Mme [L] a fait délivrer des assignations en intervention forcée à l'encontre des organes de la procédure collective et de l' AGS.

Suivant décision du 16 mars 2022, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevable les conclusions déposées le 7 février 2022 par Maître Salvignol, conseil de Maître [O], ès qualités d'administrateur judiciaire de la société [A] & Associés et SELARL MJSA, ès qualités de mandataire judiciaire.

Selon jugement en date du 22 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Perpignan a rejeté le plan de cession et prononcé la liquidation judiciaire de la société.

' suivant ses conclusions en date du 30 mai 2023, Mme [L] demande à la cour d'infirmer le jugement, de juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d'un licenciement nul et de fixer au passif de la société [A] & Associés les sommes suivantes :

- 98 362,00 euros net à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

- 9 836,19 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 983,62 euros brut au titre de l'indemnité de congés payés sur le préavis,

- 37 029,55 euros net au titre de l'indemnité de licenciement,

- 20 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice spécifique résultant du comportement de l'employeur,

L'appelante demande également à la cour d'ordonner au mandataire liquidateur de lui délivrer le certificat de travail et l'attestation pôle emploi rectifiés ainsi que les bulletins de paie du préavis et de juger la décision opposable à l' AGS.

Au soutien de son action, l'appelante fait valoir avoir subi un harcèlement moral de la part de Maître [A], l'un des trois notaires associés de l'étude, et reproche dans ce contexte de l'employeur un manquement à son obligation de sécurité.

Elle indique que depuis le départ de Maître [F], Maître [A], avec le soutien de Maître [R] [M], notaire salariée, harcèle les salariés dans des proportions qui deviennent inquiétantes, plaçant l'ensemble des salariés de l'office dans un grand désarroi, Maître [A] développant un comportement incohérent qui nourrit une angoisse extrême chez les salariés qui essuient menaces, chantages, cris, crises et injonctions contradictoires. Elle ajoute que la vie au sein de l'Etude est devenue un véritable enfer, chacun se sentant vulnérable face au despotisme de Maître [A]. Elle relève que dans ses conclusions la société intimée ne conteste pas la dégradation des conditions de travail mais 1'impute à ses deux associés, Maîtres [J] et [H] et concluent qu' 'en réalité, ces trois salariés, issues de la même famille ( Mme [L] , son fils et sa soeur), étaient instrumentalisés dans le cadre du différend entre associés, afin d'exercer des pressions sur Maître [A] afin qu'il quitte la structure.'  L'appelante considère que la société reconnaît que les salariés, dont elle, ont subi les conséquences directes des différends existant entre les associés et qu'elle n'a pas su les en préserver, au mépris de son obligation de sécurité.

' Par conclusions en date du 12 juin 2023, la Selarl MJSA, prise en la personne de Maître [V], assignée en intervention forcée ès qualités de mandataire liquidateur de la société [A] & Associés par acte d'huissier du 20 avril 2023, demande à la cour de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes dans son intégralité, de débouter la salariée de l'intégralité des demandes et de condamner Mme [L] aux entiers dépens, ainsi qu'au paiement de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de juger la garantie de l'AGS - CGEA acquise.

' Selon ses dernières conclusions en date du 7 janvier 2022, l' AGS demande à la cour de :

Confirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué, constater l'absence de harcèlement moral et juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d'une démission,

Débouter en conséquence en conséquence Mme [L] de l'intégralité de ses demandes totalement injustifiées,

En tout état de cause,

Constater que la garantie de l'AGS est plafonnée toutes créances avancées pour le compte du salarié à l'un des trois plafonds définis par l'article D. 3253-5 du Code du travail et qu'en l'espèce, c'est le plafond 6 qui s'applique,

Exclure de la garantie AGS les sommes éventuellement fixées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, dépens et astreinte,

Dire que toute créance sera fixée en brut et sous réserve de cotisations sociales et contributions éventuellement applicables, conformément aux dispositions de l'article L. 3253-8 in fine du Code du travail,

Lui donner acte de ce qu'elle revendique le bénéfice exprès et d'ordre public des textes légaux et réglementaires applicables tant au plan des conditions de la mise en 'uvre du régime d'assurance de créances des salariés que de l'étendue de ladite garantie.

Par décision du 13 juin 2023, le conseiller de la mise en état a clôturé l'instruction et fixé l'audience de plaidoiries au 4 juillet, l'audience ayant été reportée au 16 janvier 2024.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs écritures déposées et soutenues oralement à l'audience.

MOTIFS

Sur le harcèlement moral :

En application des articles L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon les dispositions de l'article L. 1154-1 du même code, dans sa version issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, du code du travail, lorsque le salarié présente des éléments de fait, précis et concordants, constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, l'appelante n'établit pas les faits suivants, observation faite qu'il ne vise pas dans ses conclusions les pièces de son bordereau censées justifier ses allégations sur ces points :

- les 'agressions de toutes sortes de Maître [A]', sans que la cour d'appel soit placée en situation de comprendre si l'appelante invoque des faits qu'elle aurait personnellement subis,

- le reproche qu'il lui aurait fait lors d'une conversation téléphonique en date du 30 janvier 2017 de ne pas avoir préparé des donations comme il le lui avait demandé la veille d'un week-end, alors même qu'elle était venue travailler le dimanche après-midi pour préparer les dossiers que Maître [J] était allé déposer à l'enregistrement, avant de la remercier, informé entre-temps par son confrère qu'elle avait satisfait à ses instructions,

- le fait que Maître [A] l'a accusée les 12 et 16 juin 2017, de 'trafiquer les actes',

En revanche, il est constant qu'un conflit fort a opposé les 3 associés de l'étude, à savoir Maître [A], qui détenait 50% des parts, à ses 2 associés, Maîtres [J] et [H] détenant chacun 25% à compter du début de l'année 2017.

Par un courrier électronique circulaire, en date du 3 avril 2017, Maître [A] adressait une note à l'ensemble des salariés, ainsi libellée :

'Comme vous le savez nous rencontrons actuellement des difficultés entre associés. Ces tensions ne devraient pas vous concerner... [...] J'étais donc heureux de m'associer avec Maîtres [H] et [J]' La suite m'a montré que je m'étais trompé. Depuis plusieurs semaines, l'ambiance a changé au sein de notre petite entreprise. Vous êtes souvent perdus face à des injonctions contradictoires. Vous étiez partagés, vous voilà instrumentalisés. Je le regrette je n'ai rien fait pour encourager ces tensions. Actuellement, nous sommes à bord 'un navire qui prend l'eau. [...] En quelques semaines nous avons perdu 250 dossiers dont 3 lotissements et une promotion immobilière. [...] J'essaye de sauver ce qui peut l'être' Quel est l'avenir de l'étude ' Je ne le connais pas aujourd'hui mais tout doit être fait pour maintenir la compétence et le professionnalisme afin que Maîtres [H] et [J] et moi même puissions trouver des solutions sereinement.

Il est déjà difficile d'avoir à affronter ces moments, il ne faut pas y ajouter de grandes difficultés économiques.

Avec mes associés nous n'avons pas la même vision de la profession de la clientèle, c'est un fait' Nous n'arrivons plus à travailler ensemble, c'est un constat. [...]

La réaction de mes associés est totalement disproportionnée, excessive. Après m'avoir calomnié personnellement et professionnellement, voilà qu'on me menace de procédures judiciaires pénales'

On n'hésite plus à me présenter comme un véritable tyran qui rendrait la vie impossible aux salariés. J'ai eu besoin de prendre un peu de recul tant le choc est important. [...]

Pour le cas où un employé serait, pour des raisons personnelles, tenté de volontairement commettre des 'oublis' sur la constitution d'un dossier ou de la rédaction d'un acte, je l'engage à y réfléchir à 2 fois. L'étude est en péril, il se desservirait.

Le cours du travail doit reprendre normalement pour nous laisser le temps de régler nos problèmes de direction de l'étude.

Quelque puisse être les tensions entre associés, il faut que vous puissiez travailler convenablement et assurer vos tâches avec le plus grand professionnalisme' Merci de votre confiance et de votre patience'.

Il ressort de l'enquête de gendarmerie diligentée suite aux plaintes déposées par Mmes [T] et [L], et des témoignages concordants recueillis par les enquêteurs auprès de plusieurs collaborateurs que la détérioration de l'ambiance au sein de l'étude, puis du conflit entre les associés pourraient être, en partie, liés à la rivalité qui a opposé Mme [T], soeur de la salariée, qui s'est présentée aux enquêteurs comme le 'bras droit' de Maître [A] jusqu'au recrutement par l'étude de Maître [M], en qualité de notaire associée à la fin de l'année 2014, à cette dernière.

M. [G] et Mme [Y] confirment la place privilégiée dont bénéficiait Mme [T] auprès de Maître [A] jusqu'à l'arrivée de la notaire salariée, Mme [F] émettant l'hypothèse que Mme [T] n'ait pas supporté de perdre, à l'arrivée de Mme [M], l'importance qu'elle estimait avoir au sein de l'étude. Selon M. [B], Mme [T] propageait au sein de l'étude la rumeur selon laquelle Maître [A] entretenait une relation intime avec Maître [M], rumeur dont l'existence est confirmée par Mme [N].

Il ressort encore de cette enquête qu'après avoir accepté, en janvier 2017, à la demande de ses associés, le départ de la SCP de Maître [M] - qui était concomitamment placée en arrêt maladie de la mi janvier à la mi mars 2017 - Maître [A] a finalement décidé à la reprise du travail par cette dernière de la conserver au sein des effectifs, revirement qui n'a pas été accepté par ses associés.

Selon Maître [J], Maître [A] lui a remis à la même époque pour signature une lettre datée du 13 mars 2017 - jointe à la procédure de gendarmerie - aux termes de laquelle il était censé exprimer sa 'volonté de démissionner de sa qualité de co-gérant de la SCP, et de lui céder une partie de ses parts (2,5% du total)', courrier que l'associé refusera de signer, Maître [J] ajoutant que Maître [A] lui a alors annoncé que 'cela serait la guerre'.

Dans ce contexte, délétère, Mme [L] établit le comportement outrancier que pouvait adopter Maître [A] à l'égard de la collectivité des salariés ou de certains de ses collègues :

* au cours d'une réunion regroupant les personnels en janvier 2017, Maître [A] évoque son insatisfaction relativement à la qualité du travail et menace ses collaborateurs en leur disant 'vous êtes nuls, des incapables... je vais vous virer et vous remplacer par des marocains', ainsi qu'en témoignent M. [G] et Maître [H] ; entendu par les enquêteurs, Maître [A] a déclaré que ces propos étaient sortis de leur contexte, précisant avoir simplement exposé que 'le notariat évolue, qu'il y avait un risque de faillite d'étude et donc de réduction du personnel et de sous-traitance évoquée par les instances nationales dans les pays francophones' ;

* M. [I] confirme avoir entendu (pièce n° 29) Maître [A] menacer de faire 'couler l'Etude' ('cette année, l'étude fêtes ses 220 ans, elle ne fêtera pas sa 221ème année ! Je vais couler l'Etude !'),

* Maître [A] est présenté par plusieurs collaborateurs comme 'soupe au lait', colérique, ce que l'intéressé concède aux enquêteurs lorsqu'il est confronté 'à l'incompétence de ses collaborateurs' ; Mme [E] indique que Maître [A] était le 'seul notaire associé à crier, il s'emporte puis se calme avant de s'excuser', elle l'a entendue crier 'ta gueule' à Mme [T] ;

* Mme [Y] déclare aux enquêteurs que sa collègue [U] [D] - qui a refusé d'être entendue dans le cadre de l'enquête pénale en précisant qu' 'elle était passée à autre chose' - lui avait parlé de l'incident au cours duquel il avait jeté son sac à main à travers le bureau ; si Maître [A] a contesté la réalité de ce geste agressif, Maître [H] a déclaré avoir reçu la même confidence de Mme [D] ;

* Mme [T], soeur de la salariée, déclare qu'un jour en frappant de son poing le retour de son bureau, il l'a cassé. Maître [A] entendu par les enquêteurs a reconnu avoir pu dire à Mme [T] 'ta gueule' et avoir frappé du poing sur son bureau 'face au ton (de cette dernière) qui n'était pas adapté' ;

* il concède également avoir pu traiter une collaboratrice de 'petite conne' - incident confirmé par Maître [H] qui a déclaré en avoir été témoin - et ses associés de 'connard', mais contestait avoir menacé une salariée de la 'faire passer par la fenêtre'.

* en octobre 2017 (donc postérieurement à la rupture du contrat de travail), Maître [A] s'emporte à l'égard de Mme [P] [T], en présence de M. [I] qui en a témoigné aux enquêteurs, en lui reprochant le fait d'être responsable de la mauvaise ambiance, en lui disant 'qu'il allait la détruire, qu'elle pouvait changer de secteur de travail et oublier le notariat et qu'il allait faire en sorte qu'elle ne puisse plus trouver de travail dans le notariat'.

Il ressort de l'audition de Maître [J], du 14 novembre 2017 que dans ce contexte, 8 collaborateurs - dont Mme [L] et son fils - sur les 11 que comprenait l'effectif, quitteront la société.

Mme [L] justifie par ailleurs que le conseil de prud'hommes de Perpignan a par jugement contradictoire du 11 juin 2020, prononcé la nullité du licenciement pour inaptitude de Mme [P] [T] - intervenu en mai 2018 - en raison du harcèlement moral subi et a condamné la SCP à diverses sommes de nature salariale et indemnitaire, jugement dont il n'est pas allégué par la société intimée qu'elle en ait interjeté appel.

Par ailleurs, et plus spécifiquement par rapport à sa situation personnelle, Mme [L] établit les faits suivants :

- le 27 mars 2017, Maître [A] récupère dans le bureau des formalités, service au sein duquel il travaillait sous l'autorité de sa mère, Mme [L], les sceaux à son nom, dont l'appelant indique, sans être contredit par l'employeur, qu'en sa qualité d'agent certificateur, il les utilisait quotidiennement ;

- le 23 mai 2017, Maître [A] lui adresse un courrier électronique par lequel le notaire la remercie en sa qualité de cheffe du service des formalités, de 'bien vouloir contrôler à l'avenir si les sceaux sont bien présents sur les pièces déposées aux SPF', Maître [A] précisant avoir récupéré ce jour aux SPF le rejet d'un acte pour défaut de sceau ;

- par courrier électronique du 15 juin 2017, Maître [A] lui adresse, ainsi qu'à son fils qui travaillait dans son service, une 'note à l'attention du service formalités', aux termes de laquelle il leur confirme qu'il leur adressera prochainement 'une note de service indiquant quelles sont leurs attributions et les tâches à effectuer', se 'permet de leur rappeler qu'ils sont les employés de la société [A] & Associés Notaires et qu'en conséquence, en sa qualité de co-gérant, ils ont l'obligation de procéder aux tâches qu'il leur confie et ce de façon loyale', qu' 'au vu des difficultés rencontrées par l' Etude actuellement, et plus particulièrement par certains notaires exerçant au sein de la SCP, il les informe que dorénavant, pour l'ensemble des actes rédigés directement par un notaire (associé ou salarié) ils seront en charge de contrôler les actes (comme ils le faisaient d'ailleurs auparavant, avant qu'ils ne décident unilatéralement de ne plus le faire) et de réaliser l'ensemble des formalités postérieures des actes', ce message précisant que 'ceci n'est pas un souhait, mais un ordre direct venant de l'un de leurs supérieurs hiérarchiques' et que 'tout manquement à cet ordre pourrait faire l'objet de sanctions disciplinaires [...]'.

Par ailleurs, la salariée, dont il est établi qu'elle a été placée en arrêt maladie à compter du 31 juillet 2017 pour 'dépression réactionnelle', verse aux débats plusieurs ordonnances médicales lui prescrivant notamment du Xanax.

Pris dans leur ensemble, ces derniers faits ainsi établis, précis et concordants, survenus au cours de l'année 2017 dans un contexte de dégradation des conditions de travail que l'employeur concède en indiquant notamment qu' 'incontestablement un conflit entre associés est intervenu en tout début d'année 2017", que 'la salariée, son fils et sa soeur avaient pris partie dans le cadre du différend entre associés', et qu'ils 'ont exercé des pressions sur Maître [A] pour qu'il quitte la structure', que 'le dépôt de plainte de Mme [T] intervenait le lendemain d'un rendez-vous au cours duquel les 2 associés minoritaires auraient brandi la menace de procédures pénales contre Maître [A] s'il ne quittait pas la SCP', et ajoutant que 'comme le relève le maréchal des logis Surroca dans son procès-verbal de synthèse, si une dégradation des conditions de travail a pu intervenir sur une courte période, celle-ci est due à un conflit entre associés auquel tout le monde fait référence', à savoir les propos outranciers tenus par Maître [A] à l'égard de la collectivité des salariés et les comportements agressifs commis à l'égard de certains d'entre eux, mais au vu ou au su de tous, le retrait le 20 mars 2017 des sceaux établis à son nom et les courriers électroniques adressés, en mai et juin 2017, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.

En premier lieu, force est de relever que l'employeur ne justifie pas les propos tenus auprès de la collectivité des salariés menaçant de 'couler l'étude' ou de les 'remplacer par des salariés marocains', constitutifs de pressions exercées à l'encontre de chacun.

Nonobstant le conflit opposant les 3 associés de l' Etude, l'employeur ne justifie en aucune façon la volonté déterminée de Maître [A] de notifier à M. [L], comme aux autres salariés recrutés en contrat de travail à durée déterminée, le non renouvellement de leur contrat de travail à durée déterminée, et ce 17 mois avant son terme, allant jusqu'à requérir un huissier de justice pour lui remettre ce courrier, alors même que cette remise ne présentait strictement aucun caractère d'urgence.

En ce qui concerne les inquiétudes invoquées par Maître [A] pour justifier le retrait des sceaux à son nom et à celui de la notaire salariée, que Mme [L] utilisait quotidiennement dans le cadre de son activité, et la lettre de recadrage du 25 juin 2017, l'employeur ne fournit aucune explication argumentée et étayée de nature à donner crédit à ses suspicions quant à la loyauté des consorts [L] à son égard, dans le contexte où il avait personnellement décidé, sans l'aval de ses associés, de licencier Mme [P] [T]. La seule solidarité familiale qu'il pouvait présumer liant la salariée à sa soeur ne saurait justifier ses agissements à l'égard de Mme [L].

Si la société affirme que 'dans le contexte de la séparation des membres de la SCP, Maître [A] a eu à connaître de très graves irrégularités dans certains actes passés par ses anciens associés ce qui l'a conduit à une plus grande vigilance', il n'est fourni aucune pièce justificative de nature à étayer ses allégations.

Alors que les qualités professionnelles de Mme [L] n'avaient jusqu'alors jamais donné lieu à des remarques défavorables, que la décision de classement sans suite de la plainte pénale prise par le procureur de la République est dépourvue de portée, l'employeur ne justifie pas que ses agissements, ainsi établis, ne sont pas constitutifs d'un harcèlement ni que sa décision de lui retirer les sceaux était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Par suite, le jugement sera infirmé en ce qu'il a considéré que le harcèlement moral dénoncé par Mme [L] n'était pas établi.

Force est de relever en outre que dans ce contexte de conflit entre associés et de pressions exercées sur les salariés, l'employeur ne justifie par aucun élément probant avoir pris des mesures afin de préserver la santé psychique de ses collaborateurs.

Le préjudice subi par la salariée découlant des manquements de l'employeur à ses obligations sera réparé par l'allocation de la somme de 4 500 euros à titre de dommages-intérêts.

Sur la prise d'acte de la rupture du contrat de travail :

Mme [L] rapporte la preuve de manquements graves et réitérés rendant impossible la poursuite du contrat de travail en lien avec des faits de harcèlement moral. Par application des dispositions de l'article L. 1152-3 du code du travail, la prise d'acte de la rupture du contrat de travail sera requalifiée en licenciement nul.

Au jour de la rupture, Mme [L] âgée de 50 ans bénéficiait d'une ancienneté de 30 ans et 4 mois au sein de la société qui employait plus de dix salariés. Elle percevait un salaire mensuel brut avoisinant 3 278 euros.

Lorsque la salariée dont le licenciement est nul ne demande pas sa réintégration dans son poste, elle a droit d'une part aux indemnités de rupture et d'autre part à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à celle prévue par l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, quelles que soient son ancienneté et la taille de l'entreprise.

La salariée peut prétendre, en premier lieu, au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, correspondant, conformément à l'article L. 1234-5 du code du travail, à la rémunération brute qu'elle aurait perçue si elle avait travaillé pendant la période du délai-congé. En l'état de sa rémunération et de son ancienneté et des stipulations conventionnelles, il lui sera alloué la somme de 9 836,19 euros outre 983,62 euros au titre des congés payés afférents.

La salariée peut prétendre, en deuxième lieu, au paiement d'une indemnité de licenciement, calculée selon les modalités les plus favorables prévues par la convention collective ou la loi. Le calcul de la salariée qui mêle les mesures les plus favorables de l'un et l'autre des dispositifs ne sera pas entériné.

Compte tenu de sa rémunération et de son ancienneté, qui, pour le calcul des droits, s'apprécie à la date d'expiration normale du délai congé, il lui sera alloué au titre de l'indemnité légale de licenciement la somme de 29 623 ,64 euros. Elle n'est pas fondée à solliciter sur la base favorable de calcul de l'indemnité légale, le dispositif conventionnel prévoyant une majoration de 25% pour les salariés avant 30 ans d'ancienneté, ce qui est son cas, lequel repose sur une base beaucoup moins favorable de 1/10 de mois par année d'ancienneté jusqu'à 10 ans, plus 1/10 de mois par année d'ancienneté au-delà de 10 ans.

La salariée ne fournit aucun élément relativement à l'évolution de sa situation professionnelle, l'employeur constatant que l'intéressée ne conteste pas le constat opéré par le conseil de prud'hommes selon lequel elle a retrouvé un emploi dans une étude notariale.

Elle peut prétendre, à des dommages et intérêts au titre de son licenciement illicite, comme indiqué ci-dessus. Au regard de son ancienneté dans l'entreprise, et de son âge, et en l'absence d'autres éléments produits par la salariée à l'appui de sa demande indemnitaire, le préjudice résultant du licenciement nul doit être arrêté à la somme de 20 000 euros bruts.

Il sera ordonné au représentant de la société liquidée de délivrer au salarié les documents de fin de contrat. En revanche, la demande d'assortir cette injonction d'une astreinte n'étant pas nécessaire à en garantir l'exécution, elle sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau,

Dit que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement nul par application des dispositions de l'article L. 1152-3 du code du travail,

Fixe la créance de Mme [L] au passif de la société [A] & Associés Notaires aux sommes suivantes :

- 4 500 euros de dommages-intérêts en réparation des agissements de l'employeur,

- 9 836,19 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 983,62 euros au titre des congés payés afférents,

- 29 623,64 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 20 000 euros bruts d'indemnité pour licenciement nul.

Dit qu'en application des articles L 622-28 et L 641-3 du Code de commerce, le jugement d'ouverture de la procédure collective arrête définitivement à sa date le cours des intérêts au taux légal des créances salariales nées antérieurement,

Donne acte à l'AGS de son intervention et de ce qu'elle revendique le bénéfice exprès et d'ordre public des textes légaux et réglementaires applicables tant au plan de la mise en 'uvre du régime d'assurances des créances des salaires que de ses conditions et étendues de garantie, plus précisément des articles L 3253-8 , L 3253-17 et D 3253-5 du Code du travail,

Dit que les dépens seront considérés comme frais privilégiés dans le cadre de la procédure collective.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thomas Le Monnyer, Président, et par, Madame Naïma Digini, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 2e chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/03445
Date de la décision : 14/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-14;20.03445 ?
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