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14/03/2024 | FRANCE | N°20/02714

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 2e chambre sociale, 14 mars 2024, 20/02714


Grosse + copie

délivrées le

à











COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



2e chambre sociale



ARRET DU 14 MARS 2024



N° :



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 20/02714 - N° Portalis DBVK-V-B7E-OTY3



Décision déférée à la Cour :

Jugement du 27 MAI 2020

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER

N° RG F 18/00858



APPELANTE :



Madame [C] [Z]

née le 24 Mai 1961 à [Loc

alité 6]

de nationalité Française

Domiciliée [Adresse 2]

[Localité 5]



Représentée par Me Philippe JABOT de la SELARL CHEVILLARD, JABOT, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué par Me Ysaline KISYLYCZKO, avocat au barr...

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 14 MARS 2024

N° :

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 20/02714 - N° Portalis DBVK-V-B7E-OTY3

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 27 MAI 2020

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER

N° RG F 18/00858

APPELANTE :

Madame [C] [Z]

née le 24 Mai 1961 à [Localité 6]

de nationalité Française

Domiciliée [Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Philippe JABOT de la SELARL CHEVILLARD, JABOT, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué par Me Ysaline KISYLYCZKO, avocat au barreau de MONTPELLIER

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/006398 du 22/07/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de MONTPELLIER)

INTIMES :

Monsieur [H] [N] Es qualité de « Mandataire liquidateur » de la « SAS ROLLAND BEAUX ARTS »

Domicilié [Adresse 4]

[Localité 5]

Représenté par Me Ingrid BARBE, avocat au barreau de MONTPELLIER

Association UNEDIC (DELEGATION AGS - CGEA [Localité 7]

Domiciliée [Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Julien ASTRUC de la SCP DORIA AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER

Ordonnance de clôture du 09 Janvier 2024

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Janvier 2024,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, chargé du rapport et Madame Magali VENET, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre

Madame Magali VENET, Conseiller

Monsieur Patrick HIDALGO, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Naïma DIGINI

ARRET :

- contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, et par Madame Naïma DIGINI, Greffier.

*

* *

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [C] [Z] a été engagée par la SAS Rolland Beaux Arts selon contrat à durée déterminée du 02 janvier 2017 au 31 mars 2017 pour accroissement temporaire d'activité, en qualité de vendeuse débutante.

Par un avenant du le 1er avril 2017 la relation de travail s'est poursuivie selon contrat à durée indéterminée.

Par avenant du 10 juillet 2017 les parties ont convenu de l'octroi d'une prime exceptionnelle à Mme [Z] de 2400 euros pour la période du 01/07/2017 au 31/12/2017 avec la mention 'la prime exceptionnelle sera définitivement acquise au 31/12/2017 et versée mensuellement, sous réserve de la présence effective de Mme [C] [Z] à compter du 01/07/2017 à hauteur de 400 euros nets. Enfin, il est précisé que la prime exceptionnelle de 400 euros par mois sera réduite au prorata temporis des absences avérées de Mme [C] [Z] sur la période considérée'.

Le 21 octobre 2017, Mme [Z] a été placée en arrêt de travail. Le certificat médical initial fait état d'un accident du travail et mentionne un ' Harcèlement + agression verbale et physique. Stress post traumatique, anxiété généralisée .

Suite à la reprise de son poste le 14 novembre 2017, Mme [Z] a fait l'objet d'un arrêt de travail de prolongation pour rechute et syndrome anxio-dépressif à compter du 16 novembre 2017.

Le 1er février 2018, lors de la visite médicale de reprise, le médecin du travail a rendu un avis d'inaptitude précisant que ' tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé .

Par courrier du 13 février 2018, la société a convoqué la salariée à un entretien préalable à un licenciement prévu le 23 février.

Par lettre adressée le 27 février 2018, la société a licencié Mme [Z] pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Le 27 août 2018, la salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Montpellier pour lui demander de :

- dire et juger que Mme [Z] a été victime de faits de harcèlement moral de la part de son employeur

- dire et juger que le licenciement de Mme [Z] est la conséquence du harcèlement moral subi et est en conséquence nul

- dire et juger que l'employeur a commis l'infraction de travail dissimulé

- dire et juger qu'il y a lieu de prononcer la requalification en contrat à durée indéterminée du contrat de travail à durée déterminée conclu par Mme [Z] en date du 2 janvier 2017

Et en conséquence,

- Fixer la créance de Mme [Z] à l'égard de la procédure collective de la société Rolland Beaux Arts représentée par Maître [N] es qualité de mandataire liquidateur aux sommes de :

- 10 000€ à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral

- 11 280,80 € à titre de dommages intérêts pour licenciement nul

- 11280,80€ à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé

-1880,30€ à titre d'indemnité de requalification

-dire et juger qu'à défaut de fond s disponibles ces sommes seront réglées par le CGEA AGS deToulouse

-ordonner l'exécution provisoire

-ordonner la remise par Me [N] es qualité de liquidateur judiciaire à Mme [Z] des bulletins de paie et d'une attestation pôle emploi rectifiés conformément à la décision à intervenir

- dire et juger que l'exécution provisoire se fera sur la base du salaire de référence de 1880,30 euros

- dire et juge que les condamnations porteront intérêts légaux à compter de la saisine du conseil de prud'hommes.

Par jugement du 28 juin 2019, le tribunal de commerce de Montpellier a prononcé la liquidation judiciaire de la société Rolland Beaux Arts et désigné Maître [H] [N] en qualité de liquidateur judiciaire.

Par jugement du 27 mai 2020, le conseil de prud'hommes de Montpellier a débouté Mme [Z] de l'ensemble de ses demandes.

Par déclaration du 07 juillet 2020, Mme [Z] a relevé appel du jugement.

Dans ses dernières conclusions en date du 26 décembre 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, Mme [Z] demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Montpellier en ce qu'il l'a débouté de l'intégralité de ses demandes ;

Statuant à nouveau,

- juger qu'elle a été victime de faits de harcèlement moral de la part de son employeur ;

- juger que le licenciement de Mme [Z] est la conséquence du harcèlement moral subi et est en conséquence nul ;

- juger que l'employeur a commis l'infraction de travail dissimulé ;

- juger qu'il y a lieu de prononcer la requalification du contrat de travail à durée déterminée conclu le 02 janvier 2017 en contrat à durée indéterminée ;

En conséquence,

- fixer la créance de Mme [Z] à l'égard de la procédure collective de la société Rolland Beaux Arts représentée par Me [N], ès qualité de mandataire liquidateur, aux sommes de :

10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

11 280,80 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

11 280,80 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;

1 180,30 euros au titre de l'indemnité de requalification ;

- juger qu'à défaut de fonds disponibles, ces sommes seront réglées par le CGEA AGS de [Localité 7] ;

- ordonner la remise par Me [N] ès qualité de liquidateur judiciaire à Mme [Z] des bulletins de paie et d'une attestation pôle emploi rectifiés conformément à la décision à intervenir ;

- juger que les condamnations porteront intérêts légaux à compter de la saisine du conseil de prud'hommes.

Par ordonnance du 5 janvier 2022, le conseiller chargé de la mise en état a prononcé l'irrecevabilité des conclusions déposées le 09 novembre 2021 par Maître Ingrid Barbe, conseil de Maître [N] [H] ès qualités de mandataire liquidateur de la société Rolland Beaux Arts.

Dans ses dernières conclusions du 29 décembre 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, l'UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 7] demande à la cour de :

- déclarer irrecevables les demandes nouvelles formulées par Mme [Z] au titre d'une prétendue requalification de son CDD en CDI et au titre d'une prétendue situation de travail dissimulé

- confirmer le jugement rendu le 27 mai 2020 par le conseil de prud'hommes de Montpellier qui a débouté Mme [Z] de l'intégralité de ses demandes ;

En conséquence,

- débouter Mme [Z] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner Mme [Z] à verser la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est en date du 09 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'exécution du contrat de travail:

Sur l'indemnité de requalification:

En application de l'article L.1242-1 du code du travail, toute embauche réalisée pour faire face à l'activité normale et permanente de l'entreprise doit s'effectuer, sauf exception, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée.

Cependant , en application de l'article L.1242-2 du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée peut être conclu, notamment, en cas d'accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise.

En application de l'article L.1245-2 du code du travail, lorsque le conseil de prud'hommes fait droit à la demande du salarié de requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, il lui accorde une indemnité à la charge de l'employeur, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire.

Mme [Z], qui a initialement travaillé du 02 janvier 2017 au 31 mars 2017 en CDD pour accroissement temporaire d'activité avant d'être engagée en CDI à compter du 1er avril 207, sollicite la requalification du CDD en CDI à compter du 02 janvier 2017 au motif que l'employeur ne justifie pas d'un accroissement temporaire d'activité, et sollicite à ce titre , dans le dispositif de ses demandes, une indemnité d'un montant de 1180,30€.

Il convient préalablement de constater que la requête initiale de la salariée faisait mention d'une demande au titre de 'rappel de salaire sur requalification' qui doit s'analyser en une demande de rappel sur requalification du CDD en CDI, de sorte que contrairement à ce que soutient l'intimé, la demande figurait bien dans la requête initiale de la salariée lors de la saisine du conseil de prud'hommes et qu'elle est en conséquence recevable.

Par ailleurs, devant le premier juge, l'employeur n'a fait état d'aucun élément justifiant d'un accroissement temporaire d'activité.

Enfin, la circonstance que Mme [Z] ait été , après l'arrivée du terme du contrat à durée déterminée, engagée par contrat à durée indéterminée, ne la prive pas du droit de demander la requalification du contrat à durée déterminée initial, qu'elle estime irrégulier, en contrat à durée indéterminée et l'indemnité spéciale de requalification prévue par l'article L. 1245-2 du code du travail.

En conséquence, il convient de faire droit à la demande et d'allouer à Mme [Z], dans la limite du montant sollicité dans le dispositif de ses écritures, la somme de 1180,30 euros à titre d'indemnité de requalification.

Sur la demande au titre du travail dissimulé:

En application de l'article 70 du code de procédure civile, les demande reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.

En l'espèce, Mme [Z] a sollicité une indemnité pour travail dissimulé par conclusions devant le conseil de prud'hommes en cours de procédure alors qu'elle n'en avait pas formulé la demande dans sa requête initiale.

Cependant, Mme [Z] a initialement formée des demandes au titre de l'exécution du contrat de travail dans une requête initiale qui mentionnait la mise en place d'un site internet et la demande de l'employeur pour qu'elle gère ce site en qualité d'auto-entrepreneur, de sorte que la demande au titre du travail dissimulé se rattache par un lien suffisant aux prétentions originaires et qu'il convient de la déclarer recevable.

Mme [Z] soutient que l'employeur qui l'a recrutée en qualité de vendeur a souhaité lui confier la tâche supplémentaire de créer et gérer le site internet de la boutique en lui demandant de s'inscrire en qualité d'auto-entrepreneur et de lui remettre mensuellement une facture de 150€, jusqu'à ce qu'il décide en octobre 2017 de supprimer cette tâche.

Elle précise qu'elle recevait des directives de ce dernier concernant la tenue du site internet et qu'elle était, comme pour le reste de ses tâches, soumises au même lien de subordination, de sorte qu'on ne peut distinguer une tâche distincte qu'elle aurait exécuté en qualité d'indépendante.

Elle ne verse cependant aux débats aucun élément justifiant qu'elle animait le site internet de la boutique dans le cadre d'un lien de subordination avec l'employeur, qui dans un mail du 03 août 2017, se borne à lui fait part de ses attentes en qualité de prestataire , lui rappelant que sa prestation est rémunérée à hauteur de 150€ par mois qu'il lui réglait en sa qualité d'auto-entrepreneur, de sorte que l'infraction de travail dissimulé n'est pas caractérisée. La décision sera confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande formée à ce titre.

Sur le harcèlement:

L'article L 1152-1 du code du travail dispose que 'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel'.

L'article L1154-1 du code du travail précise qu'il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [Z] reproche à son employeur :

- des agressions verbales et des pressions, lors d'altercations en date des 21 octobre 2017 et 15 novembre 2017 pour qu'elle accepte une rupture conventionnelle aux conditions fixées par ce dernier

- la suppression d'une prime de 400 euros,

- la demande de l'employeur de cesser le travail relatif au site internet de la boutique et la suppression à ce titre des 150 euros mensuels perçus,

- la rétrogradation dans ses fonctions par le retrait sans motif, le 15 novembre 2017, des clefs de la boutique et de la fonction relative à la décoration des vitrines.

Elle verse aux débats:

- son arrêt de travail initial pour accident du travail du 21 octobre 2017sur lequel figure à la rubrique constatations détaillées: 'harcèlement, agression verbale et physique. Stress post traumatique, anxiété généralisée...'

- l'arrêt de travail de prolongation du 16 novembre 2017 mentionnant 'rechute: syndrome anxio dépressif, harcèlement au travail, surmenage.'

- un courrier manuscrit qu'elle a remis en main propre à son employeur le 15 novembre 2017 rédigé ainsi:

'suite aux diverses pressions et harcèlement subi depuis plusieurs mois, suite à votre demande insistante pour ma demande de rupture conventionnelle, je vous informe que je j'envisage de quitter les fonctions que j'exerce actuellement et ce malgré vos menaces de ce matin , et le plus rapidement possible'.

- un second courriel adressé à l'employeur le 23 novembre 2017 dans lequel elle fait état des griefs suivants: 'après le harcèlement et autres pressions pour que je donne ma rupture conventionnelle, la rétrogradation de mes responsabilités(reprise des clefs du magasin mardi 14 novembre suppression de la caisse, plus de vitrine à faire ..)suppression du site internet (moins 150€ par mois)ou le non renouvellement de la prime de 400 euros négociée en juillet, maintenant vous me freinez dans les démarches administratives''

- un nouveau courrier adressé à l'employeur le 02 décembre 2017 dans lequel elle reprend l'ensemble des griefs qu'elle lui reproche:

-les difficultés liées aux modalités d'une rupture conventionnelle sur lesquelles l'employeur et la salariée ne se sont pas entendus,

- le refus de lui allouer une 'prime de départ' de 800 euros,

- la rétrogradation dont elle a fait l'objet (vous ne m'avez plus sollicitée pour les vitrines le 15/11, reprise des clefs du magasin le même jour sans motif et modification d'horaires ,

-suppression d'une prime de 400 euros ,

- demande de suppression du site internet,

- harcèlement et pressions quotidiennement en présence de clients 'si ça ne vous plaît pas, vous partez toutes les deux'...'je veux votre rupture conventionnelle' ....'si vous ne supportez pas les réflexions, il faudrait songer à partir...' 'Si vous ne signez pas cette rupture dans les termes que je veux..méfiez-vous! faites attention à vous!'

-violences verbales et limites physiques: 'avec [O] les disputes fréquentes vont même jusqu'à ce qu'il me coince dans le bureau en m'empêchant de sortir, en hurlant à 10 cm de mon visage 'je veux que vous partiez!'

- une attestation de Mme [L] [R], salariée de la société, en date du 17 décembre 2017 rédigée en ces termes:

'j'ai eu l'occasion d'assister à deux disputes entre [C] et [O] [P] au sein même du magasin et cela devant les clients. Ces disputes étaient verbalement violentes, notamment de la part de M. [P] qui haussait vite le ton, [C], elle, est toujours resté très calme. J'ai pu voir de nombreux clients choqués des propos dits par [O] à son employée. Le fait de hurler sur [C] comme un parent pourrait hurler sur son enfant, de la rabaisser comme il l'a fait devant les clients était un manque de respect était totalement déplacé de sa part. La première dispute à laquelle j'ai assisté étais mi-octobre, elle concernait le fait que [O] [P] arrive tard dans la matinée au magasin(11h30) alors qu'une livraison était prévue, [C] et moi avions donc beaucoup de monde manutention à faire en même temps de s'occuper de l'accueil et de l'encaissement des clients..

J'ai pu entendre [O] dire à [C] ce genre de phrase :

'je suis le patron, j'arrive à l'heure que je veux!' Vous n'avez pas à me demander pourquoi et de parler comme ça'[C] répond calmement: 'vous me parlez sur un autre ton'

-' [C] arrêter ce que vous ' faire' immédiatement et venez tout de suite dans mon bureau'

Tous ces propos, sans aucun calme, avec un comportement très nerveux qui m'a mis très mal à l'aise. Suite à cela, il y a eu beaucoup de pression et de tension au travail, tellement que je me suis moi-même mis en arrêt maladie car je commençais à aller au travail avec une boule au ventre et angoissé de la moindre réflexion après cette dispute.

[O] et [D] ont proposé à [C] une rupture conventionnelle. Nous voulons et ne pouvons pas accepter cette rupture, l'ambiance est devenue de plus en plus pesante, jusqu'à ce que [C] craque étant en arrêt maladie suite à une autre dispute entre elle et [O] à laquelle je n'ai pas assisté.

[C] et moi-même sommes revenu de notre arrêt maladie quasiment en même temps, elle le 14 novembre et moi le 15 novembre, c'est ce jour qu'il y a eu la deuxième dispute où j'ai été présente. Ne se sentant plus du tout à l'aise et à sa place au travail, [C] décide d'écrire une demande de rupture conventionnelle en précisant que c'était suite au harcèlement et à la demande des employeurs. Après la lecture de cette demande , [O] est sorti de son bureau en étant hors de lui, hurlant sur [C] qui était alors en caisse :

-'Nous n' écrivez pas ça dans ces termes !'

- 'C'est pas comme ça que ça se passe'

- 'Vous prenez un modèle et vous écrivez votre demande de rupture avec les termes que je veux'.

Dans la journée, [D] [P] a repris les clefs du magasin à [C], ce qui signifiait qu'elle n'ouvrirait et ne fermerait plus le magasin (sachant que ces horaires ne changeaient pas, elle continuerait à venir à l'ouverture mais sans gérer la caisse), cela lui a enlevé une tâche importante qu'il y avait dans son travail et qui prouvait la confiance que les employeurs pouvaient avoir envers elle. [C] est repartie en arrêt maladie le soir même il n'est toujours pas revenue.'

- Un témoignage de Madame [W] [F] , cliente du magasin rédigé en ces termes le 16 novembre 2017:

'...Etant donc étudiante en arts plastiques, régulièrement depuis près de trois ans je me rends à la boutique Dalle, [Adresse 3], pour me fournir en matériels d'arts. Je constate avec regret depuis ces années le mauvais comportement, le manque de respect, de courtoisie et la mauvaise foi de la part de la responsable et de je suppose de son mari, à l'égard de leurs stagiaires, employés et clients.

La responsable en question, aigrie au plus haut point s'acharne sans pitié et devant les clients sur ses employés, qui pour certains subissent tellement de pression qu'ils en deviennent désagréables avec leurs clients.

Hier, mercredi 15 novembre 2017, j'ai assisté pour la énième fois à ce mauvais comportement envers l'employé [C] [Z] de la part de sa responsable, alors que Madame [Z] s'occupait justement de moi......

Hier par chance , Mme [Z]'est occupée de moi non seulement de façon très professionnelle mais aussi agréable, douce et souriante.

Lorsque sa responsable lui a fait un scandale pour une histoire d'emploi du temps devant moi, le sourire de Madame [Z] s'est éteint qu'elle n'a pas rétorqué. Je lui ai répondu de ne pas se laisser faire, le respect doit être mutuel !'

Pris dans leur ensemble, ces éléments de fait, précis et concordants, à savoir les violences verbales de l'employeur et les pressions exercées pour obtenir une rupture conventionnelle ainsi que le retrait de certaines fonctions, laissent supposer l'existence d'un harcèlement.

Pour prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que la décision de l'employeur est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, l'UNEDIC Délégation AGS CGEA de [Localité 7] mentionne que l'employeur a répondu par courrier aux divers griefs allégués par Mme [Z] et qu'il a contesté devant la CPAM la prise en charge de l'accident du travail de Mme [Z] au titre de la législation professionnelle, précisant que les divers arrêts de travail de la salariée comportent des contradictions.

L'AGS verse aux débats:

- Un courrier adressé le 24 novembre 2017 à Mme [Z] dans lequel l'employeur conteste les faits de harcèlement ainsi que la rétrogradation, précise qu' il a proposé un réaménagement de ses horaires de travail et qu'il lui est impossible de signer le formulaire cerfa de rupture conventionnelle remis par la salariée le 15 novembre 2017 comportant les remarques suivantes 'suite harcèlement, pression, rétrogradation dans mes responsabilités' au regard du non respect de la procédure et des allégations infondées de cette dernière.

-Un second courrier adressé à Madame [Z] le 30 décembre 2017 dans lequel, après avoir repris les griefs que lui reproche la salariée, l'employeur répond que

- c'est à juste titre que la prime de 400 € qui n'est due que sous réserve de la présence effective de Mme [Z] ne sera plus versée à compter de janvier 2018 en raison de l'arrêt de travail de cette dernière.

-La fermeture du site Internet qu'elle avait établi pour le compte de la société en sa qualité d'auto entrepreneur ne constitue pas la perte d'un avantage mensuel lié à son contrat de travail comme elle le prétend.

- aucune prime de départ d'un montant de 800 € n'avait été convenue entre les parties rappelant que lors des pourparlers relatifs à une rupture conventionnelle les parties avaient discuté du montant d'une éventuelle indemnité spécifique de rupture conventionnelle de son contrat de travail.

- la reprise des clefs du magasin à la salariée et la décision de ne plus lui confier la décoration des vitrines relève du pouvoir de direction de l'employeur et ne peut s'analyser en une rétrogradation qui se définit par l'affectation d'un salarié à un emploi hiérarchiquement inférieur.

-Dans ce même courrier produit aux débats par l'AGS, l'employeur conteste le harcèlement et les violences verbales alléguées et mentionne avoir reçu une plainte écrite d'une cliente le 29 juillet 2017 en raison du comportement de Mme [Z] et de ses propos à son égard, sachant que le courrier de contestation de la cliente qui est relatif à l'établissement erroné d'une facture est produit aux débats. Il mentionne en outre avoir rectifié les erreurs matérielles figurant sur le bulletin de salaire du mois de novembre 2017 lié au fonctionnement du logiciel comptable qui par défaut considère que les absences causées par une maladie non professionnelle au cours de la période d'acquisition des congés payés ne sont pas assimilées à du temps travail effectif. Par ailleurs, il critique les mentions figurant sur les arrêts de travail et faits états d'anomalies concernant les mentions portées sur certains certificats.

- L'AGS verse en outre aux débats un courrier de Mme [T] [E] du 12 février 2018 dans lequel cette dernière mentionne en sa qualité de peintre illustratrice avoir été présente le 21 octobre 2017 en début de matinée au magasin Dalbe pour animer un stage et précise: 'j'ai entendu une dispute éclater entre Mme [C] [Z] et M. [O] [P]. Ces deux personnes très en colère criaient dans la réserve pendant quelques minutes puis ils sortirent de la réserve très énervés en continuant de s'invectiver à haute voix. C'était gênant car nous ne comprenions pas ce qui se passait. Mme [C] [Z] au bout de quelques minutes est parti du magasin Dalbe et M. [O] [P] s'est excusé auprès de nous. Quelques minutes après, est revenue dans le magasin Dalbe Mme [Z] pour récupérer quelque chose et s'est excusée elle aussi auprès de mon groupe d'élèves. Je n'ai pas vu d'agression physique sur la personne de Mme [C] [Z] ni d'agression physique sur la personne de M. [O] [P]. Je tiens aussi à noter que j'ai toujours eu de très bons rapports avec Mme [Z] et M. [P].'

Au vu des pièces produites par l'AGS, il est établi , que la suppression de la prime de 400 euros et la fermeture du site internet géré par Mme [Z] en sa qualité d'auto-entrepreneur, ne peuvent s'analyser en fait de harcèlement.

En revanche, au regard des témoignages produits par l'une et l'autre des parties, aucune contradiction sérieuse n'est produite à l'encontre des attestations d'une salariée et d'une cliente ayant constaté le comportement agressif des employeurs à l'égard de Mme [Z], sachant que l' altercation verbale du 21 octobre 2017 a été suivie d'un arrêt de travail pour accident du travail , et celle 15 novembre 2017 d'un arrêt de travail pour rechute. Par ailleurs, Il n'est fait état d'aucun motif justifiant de la suppression de certaines responsabilités et missions de confiance antérieurement confiées à la salariée, par le retrait des clefs du magasin et de la fonction liée à la décoration des vitrines.

Enfin, que les arrêts de travail de Mme [Z] soient ou non définitivement pris en charge au titre de la législation sur les accidents du travail , force est de constater qu'ils sont concomitant aux difficultés relationnelles rencontrées par la salariée avec ses employeurs et qu'aucun autre problème d'origine médical n'est évoqué comme pouvant être à leur origine.

Il apparaît ainsi que le faits de harcèlement sont établis, la décision sera infirmée sur ce point.

Il convient d'allouer à Mme [Z] la somme de 2000 euros en réparation du préjudice subi.

Sur la rupture du contrat de travail

Mme [Z] fait valoir que les agissements de l'employeur, caractérisant une situation de harcèlement moral sont à l'origine de son inaptitude.

Aux termes de l'article L. 1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail résultant d'un harcèlement moral est nulle de plein droit.

Plus spécifiquement, lorsqu'il existe un lien certain entre la dégradation de l'état de santé du salarié à l'origine de son inaptitude et le harcèlement moral qu'il a subi, le licenciement pour inaptitude physique doit être déclaré nul.

En l'espèce, il ressort des éléments précédemment développés que le harcèlement moral est caractérisé; par ailleurs la salariée a fait l'objet le 21 octobre 2017 d'un premier arrêt de travail pour accident du travail en raison de ' Harcèlement + agression verbale et physique. Stress post traumatique, anxiété généralisée .

Suite à la reprise de son poste le 14 novembre 2017, Mme [Z] a bénéficié d'un arrêt de travail de prolongation pour rechute et syndrome anxio-dépressif à compter du 16 novembre 2017, puis, le 1er février 2018, lors de la visite médicale de reprise, le médecin du travail a rendu un avis d'inaptitude précisant que ' tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé .

Ces faits établissent que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement de l'intéressé est la conséquence des agissements de harcèlement moral subis par la salariée, de sorte que le licenciement est nul, le jugement sera infirmé en ce sens.

Sur les conséquences de la rupture du contrat de travail.

En application de l'article L.1235-3-1 du code du travail, lorsque le licenciement est entaché de nullité, le juge lui octroie une indemnité , à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure au salaire des six derniers mois.

En l'espèce, le salaire de Mme [Z] s'élevait à 1880,30 euros, il sera fait droit à sa demande d'octroi d'une indemnité d'un montant équivalent à 6 mois de salaire, soit la somme de 11281,80€.

En l'absence de rappel de salaire, il n'y a pas lieu d'ordonner la remise par Maître [N] ès qualitès de liquidateur judiciaire à Mme [Z] des bulletins de paie et d'une attestation pôle emploi rectifiés conformément à la décision à intervenir.

Il convient de rappeler que les créances de nature salariale produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et que les créances à caractère indemnitaire produisent intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens:

Il convient de rejeter la demande de l'UNEDIC Délégation CGEA de [Localité 7] fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et de dire que les dépens seront considérés comme frais privilégiés dans le cadre de la procédure collective.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Montpellier le 27 mai 2020 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté la demande relative au travail dissimulé,

Statuant à nouveau:

- Fixe la créance de Mme [Z] à l'égard de la procédure collective de la société Rolland Beaux Arts représentée par Maître [N] es qualité de mandataire liquidateur aux sommes de

- 2000 euros de dommages-intérêts pour harcèlement moral

- 11280,80 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement nul

- 1180,30 euros à titre d'indemnité de requalification

Y ajoutant,

Rejette la demande tendant à la remise des documents sociaux de fin de contrat rectifiés

Dit que les créances de nature salariale produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et que les créances à caractère indemnitaire produisent intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

Rejette la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile

Dit que les dépens seront considérés comme frais privilégiés dans le cadre de la procédure collective.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 2e chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/02714
Date de la décision : 14/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-14;20.02714 ?
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