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06/03/2024 | FRANCE | N°21/03409

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 2e chambre sociale, 06 mars 2024, 21/03409


ARRÊT n°































Grosse + copie

délivrées le

à































COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



2e chambre sociale



ARRET DU 06 MARS 2024





Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/03409 - N° Portalis DBVK-V-B7F-PAON



Décision déférée à la Cour : Jugement du 1

6 AVRIL 2021

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE BEZIERS - N° RG F 19/00078









APPELANTE :



Madame [W] [S]

née le 28 Mai 1969 à [Localité 5] (11)

[Adresse 4]

[Localité 2]



Représentée par Me Charles SALIES, substitué par Mr Emilie BRUM, avocats au barreau de MONTPELLIER







INTIMEE :



Madame [O...

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 06 MARS 2024

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/03409 - N° Portalis DBVK-V-B7F-PAON

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 AVRIL 2021

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE BEZIERS - N° RG F 19/00078

APPELANTE :

Madame [W] [S]

née le 28 Mai 1969 à [Localité 5] (11)

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Charles SALIES, substitué par Mr Emilie BRUM, avocats au barreau de MONTPELLIER

INTIMEE :

Madame [O] [G]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Nissa JAZOTTES de la SELARL JAZOTTES & ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE

Ordonnance de clôture du 18 Décembre 2023

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 JANVIER 2024, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre

Monsieur Jacques FOURNIE, Conseiller

Madame Véronique DUCHARNE, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER

ARRET :

- contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, et par Madame Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.

*

* *

EXPOSÉ DU LITIGE :

Par contrat de travail à durée indéterminée du 27 janvier 2004, Mme [W] [S] a été engagée à temps complet par Mme [O] [G], exploitant un magasin « Fleur à Fleur » à [Localité 3], en qualité de vendeuse fleuriste à compter du 2 février 2004, moyennant une rémunération mensuelle de 1 159 euros brut.

A la demande expresse de la salariée, son temps de travail a été réduit à 28 heures par semaine à compter du 1er juin 2009.

Le 9 juillet 2017, la salariée a été victime d'un accident du travail, reconnu comme tel par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault (CPAM).

Par lettre du 19 juillet 2017, la salariée a mis en demeure l'employeur de lui payer les heures complémentaires et supplémentaires accomplies depuis le début de la relation de travail.

Le 25 juillet 2017, l'employeur lui a adressé un décompte récapitulatif du solde « des heures non payées et non récupérées » portant sur la période comprise entre le 1er janvier 2014 et le 31 décembre 2016, d'un montant total de 4 198,72 euros.

L'employeur a proposé une rupture conventionnelle.

Par lettre du 23 septembre 2017, la salariée a indiqué refuser cette proposition au motif que le formalisme de la rupture conventionnelle n'était pas respecté.

Par lettre du 25 septembre 2017, l'employeur a écrit à la salariée dans les termes suivants :

« Madame,

Dans l'attente de recevoir la convocation de la proposition de la rupture conventionnelle.

Je te dispense d'activité et tu seras payer.

Bon pour accord ».

Par lettre du 25 septembre 2017, l'employeur a convoqué à un entretien préalable la salariée en vue de lui proposer une rupture conventionnelle, fixé le 29 septembre 2017. Aucun accord n'a été trouvé.

Par lettre du 3 octobre 2017, l'employeur a alors convoqué la salariée à un entretien préalable au licenciement, fixé le 12 octobre 2017.

Après échanges écrits entre les parties sur l'existence ou non d'une mise à pied à titre conservatoire, le 13 octobre 2017, l'employeur a fait savoir par écrit à la salariée qu'il n'avait pris aucune mesure de mise à pied à titre conservatoire et lui a indiqué qu'à compter de ce jour et jusqu'à la prise de décision, elle serait rémunérée.

Par lettre du 25 octobre 2017, l'employeur a notifié à la salariée son licenciement pour faute grave.

Les documents de fin de contrat ont été délivrés à la salariée par lettre du 8 novembre 2017.

Par lettre du 15 janvier 2018, la salariée a contesté une retenue de salaire pour absence injustifiée.

Par requête du 21 février 2019, relevant l'exécution déloyale du contrat de travail constituée par le défaut de paiement des heures supplémentaires, l'accusation de vol du courrier de la CPAM, la retenue sur salaire injustifiée et le licenciement abusif, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Béziers en paiement de rappels de salaire, d'indemnités de rupture et d'une indemnité pour exécution déloyale.

Par jugement du 16 avril 2021, le conseil de prud'hommes a statué comme suit :

- « dit avoir constaté la prescription dans le cadre d'un licenciement et d'une demande reconventionnelle sur les heures supplémentaires,

- condamne Madame [G] à régler la somme de 572,94 euros brut au titre des retenues pour absences injustifiées,

- déboute Madame [S] du surplus de ses demandes,

- dit ne pas avoir lieu au paiement de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les dépens, si il en est exposé, seront supportés par le défendeur ».

Par déclaration enregistrée au RPVA le 20 juillet 2021, Mme [W] [S] a régulièrement interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées par voie de RPVA le 20 juillet 2021, Mme [W] [S] demande à la Cour :

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré prescrites ses demandes concernant les heures supplémentaires et la contestation du licenciement ;

- de dire et juger qu'elle a effectué des heures supplémentaires qui ne lui ont pas été rémunérées et que l'employeur s'est rendu coupable de l'infraction de travail dissimulé ;

- de dire et juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Mme [G] à payer un rappel de salaire pour retenue injustifiée et condamner cette dernière à lui payer les sommes de :

* 1 399,57 euros brut à titre de rappel de salaires pour heures supplémentaires au titre de l'année 2017,

* 139,95 euros au titre des congés payés y afférents,

* 572, 94 euros à titre de rappel de salaires pour retenue irrégulière pour absence injustifiée,

* 57,29 euros au titre des congés payés y afférents,

* 14 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 4 398,59 euros à titre d'indemnité de licenciement,

* 2 345,90 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 234,59 euros au titre des congés payés y afférents,

* 7 037,70 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

* 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- la condamner aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées par voie de RPVA le 20 septembre 2021, Mme [O] [G] demande à la Cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé les demandes afférentes à la contestation du licenciement et des heures supplémentaires comme étant prescrites et débouté Mme [S] de ses demandes ;

-le réformer en ce qu'il :

* a rejeté ses demandes à titre reconventionnel concernant le paiement indu des heures supplémentaires,

* l'a condamnée au paiement d'un rappel de salaire de 572,94 € pour retenue irrégulière pour absences injustifiées ;

- débouter Mme [S] de l'ensemble de ses demandes ;

- la condamner à lui verser la somme brute de 4 198,72 euros au titre de la restitution de l'indu ; et à titre subsidiaire au titre de l'enrichissement sans cause ;

- condamner Mme [S] à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour l'exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile, à leurs conclusions ci-dessus mentionnées et datées.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 18 décembre 2023.

MOTIFS :

En cause d'appel, la salariée ne maintient pas sa demande au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail, rejetée par le conseil de prud'hommes, de sorte que cette disposition du jugement n'est pas contestée.

Sur le rappel de salaire au titre de la retenue pour absence injustifiée.

La salariée verse aux débats la lettre de l'employeur du 25 septembre 2017 par laquelle il lui notifie qu'elle est dispensée d'activité dans l'attente de la convocation en vue d'une rupture conventionnelle, avec maintien de salaire.

Aucune pièce du dossier n'établit que l'employeur aurait demandé à la salariée de se présenter à son poste de travail à compter du 25 septembre 2017, ou qu'il l'aurait mise en demeure de reprendre son emploi à l'issue de la procédure de rupture conventionnelle non aboutie.

Dès lors, l'employeur sera tenu de régler la somme de 572,94 euros à titre de rappel de salaire, outre la somme de 57,29 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférents.

Sur le rappel de salaires au titre des heures complémentaires et des heures supplémentaires.

L'article L.3245-1 du code du travail dispose que l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

En l'espèce, la salariée - qui fait valoir qu'elle a accompli des heures supplémentaires au cours de la relation de travail, qu'une partie de celles-ci ne lui a été payée que le 25 juillet 2017 alors qu'elle avait sollicité l'employeur par écrit et que les heures effectuées en 2017 ne lui ont pas été réglées -, demande l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en rappel de salaire au titre des heures supplémentaires de l'année 2017.

L'employeur, qui soulève la fin de non-recevoir tirée de la prescription, sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré prescrite cette demande.

Il y a lieu de relever que la juridiction prud'homale n'a pas motivé ce point.

La salariée a saisi le conseil de prud'hommes le 21 février 2019 et son contrat de travail a été rompu le 25 octobre 2017, de sorte que sa demande en rappel de salaire est recevable pour la période débutant le 25 octobre 2014.

La fin de non-recevoir doit être rejetée et le jugement infirmé de ce chef.

Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du Code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures complémentaires ou supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, la salariée, qui réclame le paiement de la somme de 1 399,57 euros outre l'indemnité compensatrice de congés payés afférents, verse aux débats les pièces suivantes :

- ses bulletins de salaire dont il résulte que la durée mensuelle de travail était de 121,33 heures (28 heures par semaine) en 2017, sans mention d'heures complémentaires ni d'heures supplémentaires,

- la copie d'un planning 2017 comptabilisant le nombre d'heures de travail par jour de janvier à octobre inclus,

- un relevé des heures de travail effectuées de janvier à août 2017 inclus, non signé, présenté par semaine, précisant, pour chaque jour travaillé de chaque semaine, le nombre d'heures accomplies et faisant état des jours de congés payés et d'arrêt de travail ; il en résulte que le temps partiel convenu entre les parties a été dépassé en mai (126 heures soit 4,67 heures complémentaires), ce dont il se déduit que la salariée a accompli des heures complémentaires en janvier (35 heures, soit 7 heures complémentaires), en avril (34,35, soit 6,35 heures complémentaires), en mai (50 heures, soit 7 heures complémentaires) et en juin (35 heures, soit 7 heures complémentaires), outre les heures supplémentaires de mai,

- sa lettre du 19 juillet 2017 réclamant le paiement des heures supplémentaires, la copie d'une lettre du 12 août 2017 relative au décompte reçu par lettre du 25 juillet 2017 portant sur la période comprise entre 2014 et 2016, faisant état d'un total de 252h25 et sollicitant le paiement de ces heures de travail au plus tôt.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur, chargé du contrôle du temps de travail de la salariée, de répondre.

L'employeur relève que, compte tenu des congés payés et de l'arrêt de travail, la demande de la salariée porte sur 5,5 mois, du 22 février au 25 septembre dont il faut déduire l'arrêt de travail du 9 juillet au 4 août et les congés du 11 au 27 août.

Il rétorque que la salariée avait toute latitude pour prendre ses récupérations à sa convenance à condition de les noter dans le planning et que les plannings signés par cette dernière établissent qu'elle travaillait fréquemment moins de 121,33 heures par mois ou 28 heures par semaine.

Il verse aux débats les plannings, tous signés par la salariée, dont ceux correspondant à la période de janvier à octobre 2017 produits par cette dernière.

En premier lieu, les heures complémentaires doivent être payées après application d'une majoration de 110 % ou de 125 % selon qu'elles excèdent ou non le seuil du dixième du temps de travail contractuel ; elles ne peuvent pas être récupérées.

Aucune des parties n'a pris la peine de présenter le calcul sur lequel elles se fondaient, notamment la salariée.

L'examen des plannings signés permet de fixer la somme totale due à 485,85 euros au titre du rappel de salaire pour heures complémentaires accomplies en 2017, outre la somme de 48,58 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés y afférents.

En second lieu, les heures supplémentaires accomplies sur cette même période s'élevant au vu des plannings signés à 15, la somme due à ce titre s'établit à 164,85 euros outre l'indemnité compensatrice de congés payés d'un montant de 16,48 euros.

Sur la demande reconventionnelle au titre des heures supplémentaires.

L'employeur sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté sa demande au titre du paiement indu des heures supplémentaires. La salariée ne fait pas mention de cette disposition. La question de la fin de non-recevoir n'est pas débattue en cause d'appel.

Il est constant que l'employeur a payé à la salariée, au mois de juillet 2017, la somme de 4 198,72 euros au titre des heures complémentaires « non récupérées » accomplies de 2014 à 2016 inclus et après avoir déduit des heures de récupération pour un montant total de 3 937,17 euros.

Il soutient à présent avoir commis une erreur de calcul au motif que toutes ces heures ont été récupérées au vu des plannings produits.

L'analyse de ceux-ci montre que, comme en 2017, régulièrement, la salariée n'a pas accompli l'intégralité des 28 heures de travail hebdomadaires prévues, qu'elle a en revanche atteint la durée légale de travail au moins une fois par semaine et qu'elle l'a dépassée régulièrement, ce qui a généré des heures supplémentaires majorées à 25 %.

L'employeur n'établit pas qu'il aurait payé à la salariée plus que ce qu'il lui devait, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande reconventionnelle.

Sur le travail dissimulé.

La dissimulation d'emploi salarié prévue à l'article L 8221-5 du Code du travail n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a, de manière intentionnelle, omis d'accomplir la formalité relative à la déclaration préalable à l'embauche ou de déclarer l'intégralité des heures travaillées.

L'article L 8223-1 du même Code, dans sa version applicable, prévoit qu'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié concerné par le travail dissimulé a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

En l'espèce, la salariée sollicite l'indemnité forfaitaire de travail dissimulé compte tenu de l'absence de paiement des heures « supplémentaires » en 2014, 2015, 2016 et 2017.

Toutefois, l'analyse du dossier ne montre pas une intention de dissimulation de la part de l'employeur.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de ce chef de demande.

Sur le licenciement pour faute grave.

En premier lieu, l'employeur soulève la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en contestation du licenciement.

L'article L.1471-1 alinéa 2, dans sa rédaction en vigueur du 24 septembre 2017 au 22 décembre 2017, applicable en l'espèce, dispose que « Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture ».

L'article 43 du décret n°91-1266 du 19 décembre 1991, dans sa rédaction alors en vigueur, dispose notamment que « (') lorsqu'une action en justice doit être intenté avant l'expiration d'un délai devant les juridictions de première instance, l'action est réputé avoir été intenté dans le délai si la demande d'aide juridictionnelle s'y rapportant est adressée ou déposée au bureau d'aide juridictionnelle avant l'expiration dudit délai et si la demande en justice ou le recours est introduit dans un nouveau délai de même durée à compter :

(')

3° De la date à laquelle le demandeur de l'aide juridictionnelle ne peut plus contester la décision d'admission (') ;

4° Ou, en cas d'admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné.

Le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle dispose de 15 jours pour former un recours contre la décision tandis que le ministère public bénéficiait à l'époque de 1 mois pour former un recours.

En l'espèce, la rupture a été notifiée le 25 octobre 2017 et la saisine prud'homale est intervenue le 21 février 2019.

Mais la salariée justifie qu'elle a présenté une demande au bureau d'aide juridictionnelle le 16 octobre 2018, soit dans le délai de douze mois à compter de la rupture, que la décision lui accordant l'aide juridictionnelle totale date du 6 novembre 2018, qu'elle pouvait par conséquent saisir la juridiction - après l'expiration du délai de recours de1 mois et 15 jours - à compter du 21 décembre 2018 jusqu'au 21 décembre 2019.

Ayant saisi le conseil de prud'hommes le 21 février 2019, son action n'était pas prescrite.

L'employeur sera débouté de la fin de non-recevoir.

La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. La charge de la preuve de la gravité de la faute privative des indemnités de préavis et de licenciement incombe à l'employeur débiteur qui prétend en être libéré.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige et c'est au regard des motifs qui y sont énoncés que s'apprécie le bien-fondé du licenciement, étant précisé que, depuis le 1er janvier 2018, les motifs énoncés peuvent, après la notification de celle-ci, être précisés par l'employeur, soit à son initiative soit à la demande du salarié.

En l'espèce, la lettre de licenciement est rédigée comme suit :

« Madame,

(')

Nous avons eu à déplorer de votre part un agissement fautif.

En effet, vous m'avez fait des courriers recommandés pour me demander le paiement d'heures supplémentaires déclarant que je ne vous les avez pas payé. Je tiens à vous préciser que nous sommes une petite structure de trois salariés et que je vous ai toujours laissé vous organiser comme vous le souhaitiez pour les récupérer.

De plus, chaque année, je faisais un point avec vous concernant cette récupération et vous m'affirmiez que tout était à jour, comme c'est d'ailleurs le cas pour tous les autres salariés.

J'ai rencontré des clients qui m'ont annoncé que vous déclariez, haut et fort, que j'étais une personne malhonnête, une voleuse, et que je ne payais pas mes salariés. Vous avez eu des propos très désobligeants à mon encontre et les clients m'ont retourné ces propos. Cela a fortement terni ma réputation.

Vous avez créé une ambiance détestable dans une petite structure.

J'ai également appris, après en avoir discuté avec mes clients et d'autres personnes que lorsqu'ils se présentaient au magasin aux heures où vous étiez censée y être vous n'y étiez pas. Après une enquête approfondie, il s'avère que vous aviez pris vos heures de récupération, que vous partiez voir le médecin et que vous quittiez le magasin plus tôt pour convenance personne (sic) mais vous ne l'imputiez pas dans le carnet de récupération.

Nous avons également fait un rapprochement de votre présence et du chiffre d'affaire encaissé. Pendant votre absence maladie nous avons constaté que nous étions toujours en déficit lorsque vous étiez présente et au contraire en résultat positif pendant votre absence à effectif égal et vous n'avez pas été en mesure de nous l'expliquer pendant l'entretien préalable.

Nous avons encore découvert que, lors de vos temps de travail, vous alliez jouer sur internet, utilisiez mon ordinateur à titre personnel et parfois même vous demandiez à vos collègues de vous remplacer. Vous omettiez, dans ce cas, de déclarer les heures de remplacement et vous faisiez ensuite votre arrangement comme vous l'entendiez.

De plus, vous avez conservé une lettre très importante de la sécurité sociale et vous me l'avez rendu que très tardivement. Pour seule réponse vous m'avez précisée que vous attendiez que je vous règle vos heures.

A la suite de la rupture conventionnelle, je vous ai demandé de réintégrer votre poste. Je vous rappelle que le courrier disait « dans l'attente de la convocation vous étiez dispensée ».

Vous vous êtes mise en absence injustifiée durant toutes ses heures ce qui m'a obligé à me réorganiser. Je tiens à vous préciser qu'aucun justificatif ne m'a été présenté.

L'absence injustifiée fera l'objet d'une retenue sur la paie d'Octobre car le comptable résonne en paie décalée.

Cette conduite met en cause la bonne marche du service. Les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien du jeudi 12 octobre 2017 ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet ; nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de vous licencier pour faute grave.

Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien, même temporaire, dans l'entreprise s'avère impossible ; le licenciement prend donc effet immédiatement à la date de la première présentation sans indemnité de préavis ni de licenciement. (') ».

L'employeur reproche à la salarié les sept griefs suivants :

1) avoir réclamé un rappel de salaire alors qu'elle s'organisait comme elle l'entendait pour récupérer ses heures supplémentaires,

2) l'avoir dénigré auprès de la clientèle,

3) s'être absentée du commerce sans le mentionner dans le carnet de récupération,

4) avoir entraîné une baisse de chiffre d'affaires,

5) avoir vaqué à des occupations personnelles pendant son temps de travail (notamment des jeux sur internet),

6) avoir conservé une lettre de la sécurité sociale, destinée à l'employeur, pour obtenir le règlement de ses heures de travail,

7) s'être abstenue de reprendre son poste de travail après l'entretien relative à la rupture conventionnelle.

Le premier grief doit être écarté en ce qu'il résulte de ce qui précède que la salariée était en droit de réclamer le paiement d'heures complémentaires et d'heures supplémentaires non payées.

Au soutien du deuxième grief, l'employeur verse aux débats des copies de courriers rédigés par trois clientes du magasin (Mmes [V], [R] et [I]) sans reproduction de la formule de l'article 202 du code de procédure civile, lesquelles indiquent, dans des termes strictement identiques, que la salariée disait qu'elle avait une mauvaise patronne qui la faisait travailler plus que ce qu'elle devait et qu'elle refusait de payer ses heures supplémentaires ou de les lui faire récupérer.

Il est démontré qu'effectivement l'employeur n'avait pas réglé toutes les heures travaillées, de sorte que le fait pour la salariée d'évoquer cette difficulté auprès de certaines clientes n'apparaît pas constitutif d'une faute.

Au soutien des troisième et cinquième griefs, l'employeur verse aux débats les copies de trois courriers ne comprenant pas la reproduction de la formule précitée :

- deux d'entre eux sont rédigés par deux autres clientes du magasin (Mmes [M] [U] et [T]) qui évoquent le fait que la salariée, en accord avec son employeur, partait chercher sa fille à la sortie de l'école,

- le dernier, rédigé par Mme [F] [T], précise qu'alors que cette dernière travaillait avec la salariée pendant les congés de l'employeur au mois d'août 2017, elle avait constaté qu'elle la laissait seule à la boutique, qu'elle restait dans le bureau ou partait faire ses courses ou encore jouait sur la tablette, qu'elle fouillait dans les documents de l'ordinateur de l'employeur et qu'elle se servait en fleurs coupées qu'elle oubliait de payer.

Toutefois, il est constant que la salariée était autorisée à s'absenter pour vaquer à ses occupations personnelles puisque l'employeur admet qu'il acceptait qu'elle quitte son poste de travail pour récupérer sa fille à la sortie de l'école.

Le seul témoignage de Mme [T] est insuffisant à caractériser une faute susceptible d'entraîner un licenciement, la cour n'étant pas en mesure, du fait de la carence de l'employeur, de vérifier la répartition des tâches entre les différents salariés, plus particulièrement en son absence, ni de vérifier les allégations relatives au jeu sur la tablette pendant les heures de travail, ce témoignage n'étant corroboré par aucun autre élément objectif du dossier.

Le grief lié à la baisse de chiffre d'affaires n'est pas clairement explicité par l'employeur qui produit seulement le témoignage analysé ci-dessus de Mme [T], laquelle ajoute aux éléments déjà examinés, que la salariée vidait le tiroir-caisse en fin de journée. Or, l'employeur ne produit aucun document comptable attestant de la baisse du chiffre d'affaires allégué, de sorte que ce grief doit être écarté, d'autant que le fait pour une salariée de vider la caisse en fin de journée ne caractérise pas en soi une attitude malhonnête.

L'avant-dernier grief n'est pas non plus étayé, l'employeur n'établissant par aucune pièce du dossier que la salariée se serait emparée d'un courrier qui ne lui était pas destiné afin de faire pression pour obtenir le paiement de ses heures de travail.

Enfin, le dernier grief doit être également écarté en ce qu'il résulte de ce qui précède que la retenue pour absence injustifiée à l'issue de l'entretien relatif à une éventuelle rupture conventionnelle n'est pas fondée, l'employeur n'établissant pas avoir mis en demeure la salariée de reprendre son travail alors qu'il l'avait dispensée de travailler.

Il s'ensuit que le licenciement pour faute grave est privé de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences pécuniaires de la rupture.

L'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur du 24 septembre 2017 au 1er avril 2018 issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, applicable au cas d'espèce, prévoit que l'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un salarié totalisant 13 années complètes d'ancienneté dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés, doit être comprise entre 3 et 11,5 mois de salaire brut.

L'indemnité du licenciement sans cause réelle et sérieuse, calculée sur la base d'un salaire de référence brut, correspond, elle aussi, à une indemnité brut.

Compte tenu de l'âge de la salariés (née le 28/05/1969), de son ancienneté à la date du licenciement (13 ans 8 mois et 23 jours), du nombre de salariés habituellement employés (moins de 11 salariés), de sa rémunération mensuelle brut reconstituée (1 350 euros), de l'absence de tout justificatif relatif à sa situation actuelle et des éléments relatifs à sa situation personnelle (un enfant mineur à charge au jour du licenciement) ainsi que des limites des demandes, il convient de fixer les sommes suivantes à son profit :

- 4 050 euros brut au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 2 345,90 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis (2 mois),

- 234,59 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférents,

- 4 398,59 euros net au titre de l'indemnité légale de licenciement.

Sur les demandes accessoires.

L'employeur sera tenu des dépens de première instance et d'appel.

Il est équitable de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré, par arrêt mis à disposition au greffe ;

CONFIRME le jugement du 16 avril 2021 du conseil de prud'hommes de Béziers en ce qu'il a :

- condamné Mme [G] à régler la somme de 572,94 euros brut au titre de la retenue pour absence injustifiée,

- débouté Mme [S] de ses demandes au titre de l'indemnité forfaitaire de travail dissimulé et de l'exécution déloyale du contrat de travail et en ce qu'il a dit ne pas y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Mme [O] [G] de sa demande reconventionnelle en répétition de l'indu ;

INFIRME le jugement pour le surplus ;

Statuant à nouveau,

REJETTE les fins de non-recevoir tirée de la prescription de la demande en rappel de salaire et de l'action en contestation du licenciement ;

CONDAMNE Mme [O] [G] à payer à Mme [W] [S] les sommes suivantes :

- 485,85 euros au titre du rappel de salaire pour heures complémentaires accomplies en 2017,

- 48,58 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés y afférents,

- 164,85 euros au titre du rappel de salaire pour heures supplémentaires accomplies e 2017,

- 16,48 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés y afférents,

DIT que le licenciement pour faute grave de Mme [W] [S] est sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE Mme [O] [G] à payer à Mme [W] [S] les sommes suivantes :

- 4 050 euros brut au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 2 345,90 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 234,59 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférents,

- 4 398,59 euros net au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

Y ajoutant,

CONDAMNE Mme [O] [G] à payer à Mme [W] [S] la somme de 57,29 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés liés à la retenue sur salaire d'un montant de 572,94 euros ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel ;

CONDAMNE Mme [O] [G] aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 2e chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/03409
Date de la décision : 06/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-06;21.03409 ?
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