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06/03/2024 | FRANCE | N°21/02747

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 2e chambre sociale, 06 mars 2024, 21/02747


ARRÊT n°































Grosse + copie

délivrées le

à































COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



2e chambre sociale



ARRET DU 06 MARS 2024





Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/02747 - N° Portalis DBVK-V-B7F-O7GP



Décision déférée à la Cour : Jugement du 1

2 AVRIL 2021

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE NARBONNE - N° RG F 19/00275









APPELANT :



Me [F] [M] [J], ès qualités de Mandataire judiciaire de Monsieur [I] [Z], personne physique,

[Adresse 1]

[Localité 5]



Représenté par Me David VAYSSIE de la SCP DAVID VAYSSIE, avocat au barreau de NARBONNE



...

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 06 MARS 2024

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/02747 - N° Portalis DBVK-V-B7F-O7GP

Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 AVRIL 2021

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE NARBONNE - N° RG F 19/00275

APPELANT :

Me [F] [M] [J], ès qualités de Mandataire judiciaire de Monsieur [I] [Z], personne physique,

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représenté par Me David VAYSSIE de la SCP DAVID VAYSSIE, avocat au barreau de NARBONNE

Monsieur [I] [Z]

né le 25 Novembre 1948 à [Localité 9](11)

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 10]

Représenté par Me David VAYSSIE de la SCP DAVID VAYSSIE, avocat au barreau de NARBONNE

INTIMES :

Madame [E] [R]

née le 05 Septembre 1987 à [Localité 10] (11)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 10]

Représentée par Me Jean AUSSILLOUX de la SCP ASA AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de NARBONNE

Monsieur [P] [G], ès qualités de mandataire liquidateur de l'EIRL [I] [Z]

de nationalité Française

[Adresse 7]

[Localité 10]

Défaillant

UNEDIC DELEGATION AGS - CGEA de [Localité 11]

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représentée par Me Julien ASTRUC, substitué par Me Eléonore FONTAINE, de la SCP DORIA AVOCATS, avocats au barreau de MONTPELLIER

Ordonnance de clôture du 18 Décembre 2023

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 JANVIER 2024, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre

Monsieur Jacques FOURNIE, Conseiller

Madame Véronique DUCHARNE, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER

ARRET :

- réputé contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, et par Madame Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.

*

* *

EXPOSÉ DU LITIGE :

En juillet 2004, M. [I] [Z] qui exploitait un fonds de commerce de vente et dépannage de matériel électroménager a donné ce fonds en location-gérance à la société [Z] Electroménager S.A.R.L. qu'il a constituée avec sa fille, Mme [N] [Z] épouse [C], par ailleurs employée de l'entreprise et un autre salarié, M. [A]. Ce dernier exercera les fonctions de gérant de juillet 2004 au 28 septembre 2018.

Suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 3 mars 2008, Mme [E] [R] était engagée en qualité d'assistante administrative par la société [Z] Electroménager SARL.

Par un courrier du 31 juillet 2018, la société [Z] Electroménager S.A.R.L. a notifié à M. [I] [Z] la résiliation du contrat de location-gérance avec effet au 30 juin 2019.

L'assemblée générale des associés a désigné le 28 septembre 2018, Mme [R], qui avait acquis en 2010 les parts de M. [I] [Z] (35/300), en qualité de gérante en remplacement de M. [A], démissionnaire.

Postérieurement à la reprise de son fonds de commerce au 1er juillet 2019, M. [I] [Z] a constitué l'Eirl [I] [Z], qui a été immatriculée au registre du commerce le 22 août 2019.

Invoquant le transfert de son contrat de son travail en application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail au profit de M. [I] [Z] et reprochant à ce dernier de l'avoir placée en congés payés durant la première quinzaine de juillet, de ne lui avoir pas versé le complément de salaire durant ses arrêts maladie, puis de ne lui avoir plus fourni de travail et d'avoir cessé de la rémunérer, malgré ses mises en demeure, Mme [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Narbonne le 12 novembre 2019, aux fins d'entendre prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de M. [I] [Z] et sa condamnation au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

Par un jugement du 27 mai 2020, le tribunal de commerce de Narbonne a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de l'Eirl [I] [Z], Maître [G] étant désigné ès qualités de liquidateur judiciaire.

Convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement économique, Mme [R] a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle, le contrat de travail prenant fin au 29 juin 2020.

Le 18 décembre 2020, Mme [R] a saisi le conseil de prud'homme de Narbonne aux même fins à l'encontre de Maître [G], ès qualités et de l' AGS.

Après avoir ordonné la jonction de ces deux instances, le conseil de prud'hommes a, par jugement en date du 12 avril 2021, statué comme suit :

Juge que Mme [E] [R] est titulaire d'un contrat de travail et que M. [I] [Z] n'a pas respecté les obligations de l'article L.1224-1 du code du travail,

Condamne M. [I] [Z] à payer à Mme [E] [R] les rappels de salaires suivants :

- 851, 14 euros pour le mois de juillet 2019,

- 1 376, 58 euros pour le mois d'août 2019,

- 222,75 euros au titre des congés payés afférents,

Condamne M. [I] [Z] à lui adresser un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées,

Fixe la créance de Mme [R] à la liquidation de l'Eirl [Z] aux montants des rappels de salaires de  :

- 1 304,27 euros pour le mois de septembre 2019,

- 12 595,23 euros pour les mois d'octobre 2019 à juin 2020,

- 1 389,95 euros au titre des congés payés afférents,

Enjoint au liquidateur judiciaire de l'Eirl [Z] d'adresser à Mme [R] un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées,

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [R] au 29 juin 2020 aux torts de M. [I] [Z] et du liquidateur judiciaire, et ce solidairement, la rupture s'analysant en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Condamne solidairement M. [I] [Z] et fixe la créance de Mme [R] dans la liquidation de l'Eirl [Z] aux sommes suivantes :

- 15 315 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 2 784 euros au titre du préavis, outre 278,40 euros au titre des congés payés afférents,

- 4 331,70 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

Condamne solidairement M. [I] [Z] et enjoint au liquidateur de l'Eirl [Z] d'adresser à Mme [R] le certificat de travail et l'attestation pôle emploi dûment rectifiés et conformes au présent jugement,

Condamne M. [I] [Z] à payer à Mme [R] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes, fins et conclusions,

Rend la présente décision opposable au liquidateur judiciaire et aux AGS dans la limite légale de leurs garanties strictement définies dans la loi du 25 janvier 1985,

Condamne M. [I] [Z] aux dépens afférents à sa propre condamnation et fixé les dépens afférents à la condamnation de l'Eirl [Z] comme en matière de liquidation judiciaire.

Le 27 avril 2021, M. [I] [Z] a relevé appel des chefs de ce jugement l'ayant condamné à verser des sommes à titre de rappel de salaire et de congés payés afférents pour les mois de juillet et août 2019 et l'ayant condamné solidairement avec l' Eirl à payer des sommes à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés sur préavis, d'indemnité de licenciement, de frais irrépétibles et de dépens ainsi qu'à la remise du certificat de travail et de l'attestation pôle Emploi.

Par un jugement du tribunal de commerce du 9 mars 2022, une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l'encontre de M. [I] [Z] en nom propre, Maître [J] étant désigné ès qualités de liquidateur judiciaire.

' selon ses dernières conclusions en date du 30 mars 2023, Maître [J], ès qualités de liquidateur judiciaire de M. [I] [Z], demande à la cour de réformer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Narbonne en ce qu'il a condamné M. [Z] à payer à titre personnel et, statuant à nouveau, de débouter Mme [R] de l'intégralité de ses demandes et la condamner à payer à [I] [Z] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Maître [J], ès qualités, qui concède que le fonds de commerce a bien été transféré dans un premier temps à M. [I] [Z], soutient que le contrat de travail de Mme [R] a été transféré, à compter du 26 juillet 2019, au profit de l' Eirl [I] [Z] (n° de siret [Numéro identifiant 8]), de sorte que le débiteur qu'il représente n'est pas tenu, à titre personnel, de la dette liée à l'activité professionnelle, seule l' Eirl étant tenue des salaires. Il conteste donc la décision du conseil qui ne pouvait retenir la responsabilité personnelle et non limitée à ses apports de M. [Z].

' Maître [G], à qui l'appelant à fait signifier sa déclaration d'appel et ses conclusions, en sa qualité de mandataire liquidateur de l' Eirl [Z], n'a pas constitué avocat.

' Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 19 octobre 2023, Mme [R] demande à la cour de confirmer le jugement et de débouter Maître [J], ès qualités, de l'ensemble de ses demandes, de le condamner avec l'AGS à remettre l'attestation pôle emploi rectifié, et de fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de M. [I] [Z] à la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

' selon ses dernières conclusions en date du 21 octobre 2021, l'AGS demande à la cour de :

Lui donner acte de ce qu'elle réclame la stricte application des textes légaux et réglementaires.

Rejeter l'appel de M. [I] [Z] tendant à solliciter sa mise hors de cause.

Constater que l' Eirl [Z] n'existait pas lors du transfert des contrats de travail entre la société [Z] Electroménager et M. [I] [Z] le 30 juin 2019 lors du retour du fonds de commerce, de sorte qu'il ne peut être imputé à l' Eirl [Z] une absence de transfert entre ces deux premières entités desquelles elle est un tiers.

Infirmer le jugement et dire et juger irrecevables les demandes de Mme [R] à l'encontre de l' Eirl [Z].

Prendre acte de ce que la garantie de l'AGS est subsidiaire.

En tout état de cause, constater que Mme [R] ne démontre pas de l'existence d'un contrat de travail établi sous un lien de subordination lors du retour du fonds de commerce à M. [I] [Z] le 30 juin 2019, alors qu'elle était à cette date gérante de la société locataire-gérante, et associée de celle-ci.

Ainsi, infirmer de plus fort le jugement et débouter Mme [R] de l'ensemble de ses demandes irrecevables, infondées et injustifiées à l'égard de l' Eirl [Z], directement ou solidairement.

Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Retenu que Mme [R] était titulaire d'un contrat de travail,

- Jugé que le « contrat de travail » de Mme [R] aurait été transféré de la société [Z] Electroménager à l' Eirl [Z],

- Fixé la créance de Mme [R] à la liquidation de l' Eirl [Z] aux montants des rappels de salaires de :

' 1 304,27 euros pour le mois de Septembre 2019,

' 12 595,23 euros pour les mois d'Octobre 2019 à Juin 2020,

' 1 389,95 euros au titre des congés payés afférents.

- Prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [R] au 29 juin 2020 aux torts de M. [I] [Z] et de Maître [G] en sa qualité de mandataire liquidateur de l' Eirl [Z], et ce solidairement, la rupture s'analysant en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- Condamné solidairement M. [I] [Z] et fixé la créance de Mme [R] dans la liquidation de l' Eirl [Z] aux sommes suivantes :

' 15 315 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

' 2 784 euros au titre du préavis, outre 278,40 euros au titre des congés payés afférents,

' 4 331,70 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- Rendu la présente décision opposable à Maître [G], ès-qualités de mandataire à la liquidation judiciaire de l' Eirl [Z] et l'UNEDIC AGS du Sud-Ouest en leur CGEA de [Localité 11] dans la limite légale de leurs garanties strictement définies dans la loi du 25 janvier 1985 ;

- Fixé les dépens afférents à la condamnation de l' Eirl [Z] comme en matière de liquidation judiciaire.

Condamner M. [I] [Z] et Mme [R] à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Condamner Mme [R] à verser la somme de 1 000 euros à titre d'amende civile pour procédure manifestement abusive sur le fondement de l'article 32-1 du Code de procédure civile.

Au soutien de ses demandes, l' AGS fait essentiellement valoir que l' Eirl n'a été immatriculée que postérieurement au transfert légal du contrat de travail de Mme [R] au 1er juillet 2019 consécutivement à la prise d'effet de la résiliation de la location gérance, de sorte qu'à cette date le contrat de travail de Mme [R], à supposer que son existence soit établie ce qu'elle conteste, a été transféré de la société [Z] Electroménager SARL, à M. [I] [Z]. Elle conteste l'obligation de l' Eirl au titre des salaires postérieurs à la date de publication au BODACC de l'immatriculation de l' Eirl [I] [Z] sous l'enseigne '[Z] Electroménager', advenue le 29 août 2019.

Elle plaide que si la cour devait reconnaître l'existence d'un contrat de travail liant la société [Z] Electronique SARL et Mme [R], l'exploitation du fonds de commerce est bien revenu à M. [I] [Z] au 1er juillet 2019, qu'il est le seul employeur des salariés qui étaient attachés au fonds de commerce exploité par la SARL, et donc de Mme [R], et qu'après le 29 août ce serait M. [Z] en Eirl sous réserve que les salariés aient bien été transférés à l' Eirl ce que M. [Z] n'établit pas, l' Ags relevant que la déclaration d'affectation de patrimoine ne vise qu'une partie du matériel, pas le stock et ne comprend aucune référence au transfert du fonds.

Par décision en date du 18 décembre 2023, le conseiller de la mise en état a clôturé l'instruction du dossier et fixé l'affaire à l'audience du 8 janvier 2024.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs écritures déposées et soutenues oralement à l'audience.

MOTIFS :

En l'état des pièces communiquées, il est établi que :

- Le 15 juin 2004, la société [Z] Electroménager, spécialisée dans la vente et la mise en service d'appareils électroménagers est constituée entre :

- M. [A], salarié dans l'entreprise depuis 1981, à hauteur de 135 parts/300,

- Mme [N] [Z] épouse [C] à hauteur de 135 parts/300,

- Et M. [I] [Z] à hauteur de 30 parts/300. (Pièce n°1 de l' AGS)

- Le même jour, M. [A] est désigné comme gérant de la société [Z] Electroménager SARL, la prise d'effet de cette désignation étant reportée au jour de l'immatriculation à venir de la société au registre du commerce et des sociétés. (Pièce n°2 de l' AGS)

- Suivant acte authentique en date du 13 juillet 2004, M. [I] [Z] a donné en location-gérance son fonds de commerce au profit de cette société. (Pièces n°9 de l' AGS)

- Suivant contrat de travail signé le 3 mars 2008, Mme [R] a été engagée en qualité d'assistante administrative par la société [Z] Electroménager, (pièce n°1 de l'intimée)

- Le 30 décembre 2010, l'assemblée générale des associés entérine la cession par M. [Z] de ses 30 parts au profit de Mme [R]. (Pièce n°3 de l' AGS)

- Le 31 juillet 2018, M. [A], ès qualités de gérant de la société [Z] Electroménager SARL, notifie à M. [I] [Z] la résiliation du contrat de location-gérance avec une date d'effet de résiliation au 30 juin 2019.

- Le 28 septembre 2018, l'assemblée générale des associés désigne Mme [R] en qualité de gérante en remplacement de M. [A] démissionnaire.

Sur l'existence et le transfert du contrat de travail :

L' Ags conteste l'existence du contrat de travail dont se prévaut Mme [R] en invoquant notamment le fait qu'elle était associée et gérante de la société [Z] Electroménager SARL depuis le 28 septembre 2018.

Toutefois, alors que Mme [R] verse aux débats le contrat de travail qu'elle a signé avec la société [Z] Electroménager SARL, plusieurs années avant d'acquérir des parts et de devenir associée minoritaire (30 parts sur 300), et des bulletins de salaire sur la période courant de 2008 à 2019, l' AGS ne fournit aucun élément probant de nature à démontrer son prétendu caractère fictif.

Au demeurant, il ressort du procès-verbal de l'assemblée générale des associés du 30 décembre 2010, aux termes duquel l'assemblée générale a agréé la salariée en qualité d'associée, consécutivement à la cession par M. [I] [Z] de ses 30 parts à son profit, qu'il a été convenu que Mme [R] conserverait ses parts sociales tout autant qu'elle demeurerait salariée de la société, le procès-verbal précisant qu' 'en cas de perte de son emploi pour quelque motif que ce soit, elle s'engage à céder ses parts aux autres associés'.

L'assemblée générale n'a désigné Mme [R], associée minoritaire, en qualité de gérante, que lors de l'assemblée générale du 28 septembre 2018. Postérieurement, l'intéressée a signé un avenant à son contrat de travail, daté du 1er octobre 2018, aux termes duquel la société représentée par M. [A], a convenu que Mme [R] conserverait ses tâches administratives et continuerait d'exercer les fonctions techniques qui sont les siennes, et cumulerait en conséquence son contrat de travail avec sa fonction de mandataire social, la rémunération de la gérance étant fixée à 100 euros bruts.

Nonobstant, Mme [R] concède expressément qu'en raison de son statut de dirigeante, son contrat de travail, qui préexistait à sa désignation de gérante, a été de fait suspendu à compter du 28 septembre 2018.

En l'état de ces éléments, l' AGS n'est pas fondée à contester l'existence de son contrat de travail au jour du transfert. En effet, il n'est nullement établi que ce contrat, que la salariée a cumulé à compter de décembre 2010 avec son statut d'associée, ait été résilié au jour de sa désignation en qualité de gérante.

Ce contrat a été suspendu jusqu'à la date de prise d'effet de la résiliation de la location-gérance et de la reprise de plein droit par M. [I] [Z] de son fonds de commerce et des contrats de travail y attachés. Au jour de la résiliation de la location gérance, le contrat de travail de Mme [R] a été transféré au profit du propriétaire du fonds de commerce et a repris effet, Mme [R] étant de nouveau placée sous un lien de subordination avec son nouvel employeur, repreneur de son fonds de commerce.

C'est donc à bon droit et par de justes motifs que le conseil a retenu que le contrat de travail de Mme [R] avait été transféré au profit de M. [Z] au 1er juillet 2019.

Sur l'incidence de la constitution de l' EIRL sur la charge des obligations de l'employeur :

Nonobstant la reprise de plein droit des contrats de travail au jour de la reprise du fonds de commerce qu'il concède expressément dans ses conclusions, Maître [J], ès qualités, soutient que M. [I] [Z] ne serait tenu d'aucune obligation à l'égard de Mme [R] sur son patrimoine personnel (ou non affecté), dans la mesure où il a constitué une Eirl à compter du 26 juillet 2019.

Le statut d'entrepreneur individuel à responsabilité limitée (Eirl), créé par la loi n 2010-658 du 15 juin 2010, autorise l'entrepreneur à affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d'une personne morale (article L. 526-6 du code de commerce). La constitution du patrimoine affecté résulte du dépôt d'une déclaration effectué à l'un des registres tenus au greffe du tribunal de commerce. Une fois la déclaration effectuée, il s'opère un cloisonnement, actif et passif, des deux patrimoines, chacun d'eux répondant des seules dettes qui lui sont rattachées.

L'article L. 526-12 1° du code de commerce précise que par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil, les créanciers auxquels la déclaration d'affectation est opposable et dont les droits sont nés à l'occasion de l'exercice de l'activité professionnelle à laquelle le patrimoine est affecté ont pour seul gage général le patrimoine affecté.

De manière symétrique, l'article L. 526-12 2° dispose que les autres créanciers auxquels la déclaration est opposable ont pour seul gage général le patrimoine non affecté.

En l'espèce, il ressort des éléments versés aux débats que M. [I] [Z] n'a signé la déclaration d'affectation du patrimoine que le 14 août 2019, et que l' Eirl n'a été enregistrée au greffe du tribunal de commerce que le 22 août 2019, l'immatriculation ayant fait l'objet d'une publicité le 29 août 2019, de sorte qu'elle est n'opposable aux tiers qu'à compter de cette dernière date.

En l'état de ces éléments, Maître [J], ès qualités, n'est pas fondé à soutenir que M. [I] [Z] à titre personnel ne serait pas tenu à ses obligations au seul motif qu'il a constitué une EIRL dans le courant du mois de juillet 2019. Le débiteur demeure tenu de ses obligations salariales jusqu'à la date de l'immatriculation de l' EIRL qui date du 22 août 2019, publiée le 29 août suivant.

Compte tenu des dates d'exigibilité des obligations de l'employeur, M. [I] [Z] est donc tenu au paiement des obligations salariales pour le mois de juillet 2019, l' Eirl [I] [Z] pour celles postérieure à son immatriculation.

L' Ags soutient par ailleurs que M. [I] [Z] ne peut s'exonérer de ses obligations en invoquant la constitution de l' Eirl dans la mesure où il n'a pas affecté au patrimoine de cette dernière les éléments du stock qu'il a récupéré de la société [Z] Electroménager.

Observation faite qu'aucune partie ne soulève l'existence d'une fraude du débiteur aux droits de la salariée, il n'appartient pas au juge prud'homal d'apprécier l'importance et la composition du patrimoine affecté par l'entrepreneur individuel à l' Eirl, mais, le cas échéant, au mandataire liquidateur de celle-ci à charge pour ce dernier de solliciter, le cas échéant, l'extension de la liquidation judiciaire au patrimoine non affecté de l'entrepreneur.

Compte tenu de la déclaration de patrimoine affecté et de la constitution de l'Eirl, enregistrée au registre du commerce le 22 août 2019, M. [I] [Z] n'est pas tenu sur son patrimoine non affecté au passif échu postérieurement à l'enregistrement de l' Eirl en ce qui concerne les créances salariales de Mme [R].

Enfin, l' AGS n'est pas fondée à relever que Mme [R] n'établirait pas le transfert de son contrat de travail entre M. [I] [Z] et l' Eirl, laquelle ne constitue pas une personne morale distincte de l'entrepreneur, de sorte que la relation contractuelle s'est poursuivie de plein droit auprès de l' Eirl [Z], à compter de sa constitution.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a retenu l'obligation solidaire de M. [I] [Z] sur son patrimoine personnel ou non affecté à compter du 22 août 2019 avec l' EIRL.

Sur les manquements de l'employeur et la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail :

Conformément aux dispositions de l'article 1224 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le salarié peut demander la résiliation judiciaire du contrat de travail en cas d'inexécution par l'employeur de ses obligations contractuelles. Il lui appartient alors de rapporter la preuve des faits qu'il allègue.

Si les manquements invoqués par le salarié au soutien de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail sont établis et d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de ce contrat, la résiliation judiciaire est prononcée aux torts de l'employeur et produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse au jour de la décision qui la prononce dès lors que le contrat n'a pas été rompu avant cette date

Affirmant avoir été placé unilatéralement en congés payés durant la première quinzaine de juillet puis privée de fourniture de travail et de salaire à compter de la mi juillet 2019, la salariée sollicite la confirmation du jugement de ces chefs.

Conformément aux dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, M. [I] [Z], propriétaire du fonds de commerce, était tenu de reprendre le contrat de travail de Mme [R] à compter de la résiliation de la location-gérance, de répondre à ses obligations en matière de maintien de salaire durant l'arrêt maladie de la salariée, de lui fournir du travail et de la rémunérer.

En l'espèce, la salariée établit s'être vainement mise à disposition de l'employeur à compter du 1er juillet 2019 par la communication de plusieurs éléments concordants :

- le courrier électronique adressé le 2 juillet 2019 à M. [Z] par lequel Mme [R] acte que ce dernier lui a refusé l'accès aux locaux et qu'elle a constaté le matin même que ceux-ci étaient fermés,

- le courrier électronique en date du 7 août 2019 aux termes duquel la salariée, après avoir rappelé à M. [Z] qu'il lui a refusé l'accès à son poste le 1er juillet et qu'elle s'est présentée pendant deux semaines devant les locaux dont les portes étaient fermées, lui annonce le terme de son arrêt maladie, message auquel l'employeur a répondu en lui indiquant que les locaux étaient fermés jusqu'au mardi 27 août pour rénovation,

- les attestations circonstanciées de Mmes [K], [Y] et [W], qui attestent avoir accompagné la salariée sur son lieu de travail les 2 et 12 juillet, le 28 août mais avoir constaté que les locaux étaient fermés, ainsi que le 20 septembre, pour la première témoin, laquelle précise que ce jour-là le magasin était ouvert mais que M. [Z] a refusé à Mme [R] et à un autre salarié de rentrer.

- le courrier électronique du 16 septembre 2019 par lequel la salariée demande des explications sur le bulletin de paie de juillet reçu lequel mentionne qu'elle a été placée en congés payés sans l'en avoir informée au préalable et des explications sur les soldes négatifs sur ses bulletins de salaire pour 'absence non rémunérée' alors même qu'elle s'est vainement présentée pour reprendre son travail,

- les réclamations parallèles de M. [U], collègue de travail, confronté également au refus de M. [Z] de le laisser reprendre son travail,

- l'intervention de l'inspecteur du travail auprès de l'employeur le 16 octobre 2019 et la correspondance qu'il a adressée à l'employeur le 25 octobre 2019 pour lui rappeler ses obligations légales suite à la reprise de son fonds de commerce vis-à-vis de M. [U].

Alors qu'il appartient à l'employeur de rapporter la preuve qu'il a satisfait à ses obligations en reprenant concrètement le contrat de travail de Mme [R], qui justifie s'être tenue à sa disposition, et du fait extinctif justifiant le non versement du maintien de salaire durant ses arrêts maladie puis de son salaire au cours des périodes qualifiées 'd'absence non rémunérée', force est de constater que Ni M. [Z] pour la période courant du 1er juillet au 29 août ni l' Eirl ne rapporte pas la preuve d'un fait extinctif les libérant de leurs obligations successives.

Par suite, le jugement sera confirmé sur les montants de salaire, lesquels ne sont pas utilement critiqués par les intimés mais réformé sur la répartition de l'obligation de la dette. Il sera fixé au passif :

' de la liquidation judiciaire de M. [I] [Z] les sommes suivantes :

- 851, 14 euros pour le mois de juillet 2019,

- 85,11 euros au titre des congés payés afférents,

' de l' EIRL les créances suivantes :

- 1 304,27 euros pour le mois de septembre 2019,

- 12 595,23 euros pour les mois d'octobre 2019 à juin 2020,

- 1 389,95 euros au titre des congés payés afférents,

Il s'ensuit que l'employeur a mis en échec le transfert de plein droit du contrat de travail de la salariée qui a été privée pendant plusieurs mois de ses compléments de salaire durant son arrêt maladie puis de ses salaires.

Les manquements de l'employeur ainsi caractérisés, lesquels n'ont pas été régularisés une fois la juridiction prud'homale saisie, revêtaient une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

Partant, le jugement sera confirmé en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse au jour de la notification du licenciement pour motif économique prononcé par le mandataire liquidateur de l' Eirl [Z].

Sur l'indemnisation du licenciement injustifié :

Âgée de 32 ans au jour de la rupture, Mme [R] détenait, déduction faite de la période de suspension du contrat de travail du 28 septembre 2018 au 30 juin 2019, une ancienneté de 11 ans et 8 mois. Son salaire mensuel brut s'élevait à 1 399,47 euros.

Compte tenu de son ancienneté et de sa rémunération, le jugement sera confirmé en ce qu'il a fixé au passif les indemnités de rupture aux sommes de 2 784 euros au titre du préavis, outre 278,40 euros au titre des congés payés afférents et de 4 331,70 euros au titre de l'indemnité de licenciement.

En vertu de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, la salariée peut prétendre au paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un montant minimal de 3 mois de salaire brut et un montant maximal de 10,5 mois de salaire brut.

La salariée ne produit aucun élément justificatif à l'appui de sa demande indemnitaire. Compte tenu des seuls éléments dont dispose la cour, et notamment de l'âge de la salariée au moment du licenciement, et des perspectives professionnelles qui en découlent, le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse doit être évalué à la somme de 7 500 euros bruts. Le jugement sera donc réformé sur le montant de cette indemnité.

Sur l'amende civile :

L'action de Mme [R] étant partiellement fondée, il ne sera pas prononcé d'amende civile à son encontre.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Confirme le jugement en ce qu'il a :

- Jugé que Mme [E] [R] est titulaire d'un contrat de travail et que M. [I] [Z] n'a pas respecté les obligations de l'article L.1224-1 du code du travail,

- Fixé les créances de Mme [E] [R] au passif de M. [I] [Z] aux sommes suivantes :  851, 14 euros pour le mois de juillet 2019, outre 85,11 euros au titre des congés payés afférents,

Enjoint au liquidateur judiciaire de M. [I] [Z] d'adresser à Mme [R] un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées,

- Fixé les créances de Mme [E] [R] au passif de la liquidation de l'Eirl [Z] aux sommes suivantes : 1 304,27 euros pour le mois de septembre 2019, 12 595,23 euros pour les mois d'octobre 2019 à juin 2020 et 1 389,95 euros au titre des congés payés afférents,

- Prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur au 29 juin 2020 produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Fixé la créance de Mme [R] au passif de la liquidation de l'Eirl [Z] aux sommes suivantes : 2 784 euros au titre du préavis, outre 278,40 euros au titre des congés payés afférents et 4 331,70 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- Enjoint à Maître [G], ès qualités de mandataire liquidateur de l'Eirl [Z] d'adresser à Mme [R] un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées, et de lui remettre une attestation pôle emploi, un certificat de travail et un bulletin de paie récapitulatif des sommes allouées,

- rejeté la demande d'astreinte.

- Condamné M. [I] [Z] à payer à Mme [R] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné M. [I] [Z] aux dépens afférents à sa propre condamnation et fixé les dépens afférents à la condamnation de l'Eirl [Z] comme en matière de liquidation judiciaire.

L'infirme pour le surplus,

Déboute Mme [R] de sa demande de condamnation solidaire à l'égard de M. [I] [Z] qui n'est pas tenu sur son patrimoine non affecté au titre des créances échues postérieurement au 29 août 2019,

Fixe l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de Mme [R] au passif de la liquidation de l'Eirl [Z] à la somme de 7 500 euros bruts,

Dit qu'en application des articles L 622-28 et L 641-3 du Code de commerce, le jugement d'ouverture de la procédure collective arrête définitivement à sa date le cours des intérêts au taux légal des créances salariales nées antérieurement,

Donne acte à l' AGS de son intervention et de ce qu'elle revendique le bénéfice exprès et d'ordre public des textes légaux et réglementaires applicables tant au plan de la mise en 'uvre du régime d'assurances des créances des salaires que de ses conditions et étendues de garantie, plus précisément des articles L. 3253-8 , L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail,

Rejette les demandes en paiement présentées en cause d'appel en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que les dépens d'appel seront considérés comme frais privilégiés dans le cadre de la procédure collective.

Signé par Monsieur Thomas Le Monnyer, Président, et par Marie-Lydia Viginier, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 2e chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/02747
Date de la décision : 06/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-06;21.02747 ?
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