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06/07/2023 | FRANCE | N°18/05494

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 3e chambre civile, 06 juillet 2023, 18/05494


Grosse + copie

délivrées le

à































COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



3e chambre civile



ARRET DU 06 JUILLET 2023



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 18/05494 - N° Portalis DBVK-V-B7C-N36L





Décision déférée à la Cour :

Jugement du 06 SEPTEMBRE 2018

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MONTPELLIER

N° RG 16/00073





APPELANTS :r>


Monsieur [D] [W]

né le 02 Septembre 1955 à [Localité 16] 69

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 14]

et

Madame [Y] [I] épouse [W]

née le 12 Juin 1959 à [Localité 13] (SÉNÉGAL)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 14]

Représentés par ...

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

3e chambre civile

ARRET DU 06 JUILLET 2023

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 18/05494 - N° Portalis DBVK-V-B7C-N36L

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 06 SEPTEMBRE 2018

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MONTPELLIER

N° RG 16/00073

APPELANTS :

Monsieur [D] [W]

né le 02 Septembre 1955 à [Localité 16] 69

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 14]

et

Madame [Y] [I] épouse [W]

née le 12 Juin 1959 à [Localité 13] (SÉNÉGAL)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 14]

Représentés par Me Christine AUCHE HEDOU de la SCP AUCHE HEDOU, AUCHE - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER,

Assistés à l'instance par Me Céline CARDIN - DONNADIEU, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMES :

Monsieur [N] [G]

de nationalité Française

Les [Adresse 15]

[Localité 7] (MAROC)

et actuellement [Adresse 19] (MAROC)

Non représenté - signification remise à l'étranger le 21 décembre 2018

Madame [V] [T] épouse [G]

de nationalité Française

Les [Adresse 15]

[Localité 7] (MAROC)

et actuellement [Adresse 19] (MAROC)

Non représentée - signification remise à l'étranger le 21 décembre 2018

Maître [R] [P] [J]

de nationalité Française

[Adresse 11]

[Adresse 11]

[Localité 4]

et

SCP [E] [O] [P] [J]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentés par Me Gilles LASRY de la SCP D'AVOCATS BRUGUES - LASRY, avocat au barreau de MONTPELLIER

Société JEMA IMMOBILIER

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentée par Me Yvan MONELLI de la SELARL MBA & ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué à l'audience par Me Brice LAURENS, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTERVENANTE :

SARL AGENCE IMMOBILIERE EUROPEENNE

RCS de Montpellier n°377575709, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié ès qualités au siège social

[Adresse 12]

[Localité 5]

Représentée par Me Nadine ZENOU, avocat au barreau de MONTPELLIER

Ordonnance de clôture du 22 Février 2023

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 mars 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

M. Gilles SAINATI, président de chambre

M. Thierry CARLIER, conseiller

M. Fabrice DURAND, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Camille MOLINA,

en présence de Mme Marine HOF, greffière stagiaire.

ARRET :

- rendu par défaut ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour fixée au 25 mai 2023 et prorogée au 06 juillet 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par M. Gilles SAINATI, président de chambre, et par Mme Sabine MICHEL, Greffière.

*

* *

EXPOSE DU LITIGE

M. et Mme [G] ont acheté le 2 mars 1999 et le 1er mars 2000 deux parcelles de terrain à bâtir cadastrées C n°[Cadastre 10] (anciennement n°[Cadastre 8]) et C n°[Cadastre 9] sur la commune de [Localité 14] (34).

Ils ont construit sur ces terrains situés [Adresse 1] à [Localité 14] une maison de 220 m² conformément à un permis de construire délivré le 19 mai 1999.

Par acte sous seing privé du 29 février 2012, M. [N] [G] et Mme [V] [T] épouse [G] ont vendu cette maison à M. [D] [W] et à Mme [Y] [I] épouse [W] au prix de 644 700 euros, outre 20 300 euros payés pour les biens mobiliers.

La SARL Jema Immobilier, exerçant sous l'enseigne [U] Immobilier, est intervenue dans le cadre d'un mandat de recherche d'une maison individuelle dans le secteur nord de [Localité 18] pour le compte de M. et Mme [W].

L'Agence Immobilière Européenne était quant à elle chargée par M. et Mme [G] de vendre leur bien.

L'acte authentique de vente a été reçu le 3 mai 2012 par Me [R] [P] [J], notaire associée à [Localité 17] (34).

Les acquéreurs M. et Mme [W] se sont ultérieurement plaints de vices cachés affectant le bien acheté et d'irrégularités affectant l'acte de vente.

Par actes d'huissier du 24 décembre 2015, M. et Mme [W] ont fait assigner M. et Mme [G], Me [P] [J], la SCP [E]-[O]-[P] [J] et la SARL Jema Immobilier aux fins d'annulation de la vente et d'indemnisation de leurs préjudices.

Par acte d'huissier du 16 janvier 2017, la SARL Jema Immobilier a fait assigner en intervention forcée l'Agence Immobilière Européenne aux fins d'être garantie des éventuelles condamnations prononcées à son encontre.

Par jugement réputé contradictoire du 6 septembre 2018, le tribunal de grande instance de Montpellier a :

' déclaré recevable l'action en annulation de la vente engagée par M. et Mme [W] ;

' prononcé l'annulation pour dol de la vente de l'immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 14] (34) cadastré C n°[Cadastre 9] et C n°[Cadastre 10] lieudit [Adresse 1], intervenue le 3 mai 2012 entre M. et Mme [G] et M. et Mme [W] selon acte reçu par la SCP [E] [O] [P] [J] ;

' condamné M. et Mme [G] à rembourser le prix de vente de 665 000 euros à M. et Mme [W] ;

' condamné M. et Mme [G] à payer à M. et Mme [W] la somme de 70 348,43 euros de dommages-intérêts ;

' ordonné la restitution par M. et Mme [W] à M. et Mme [G] du bien susvisé, une fois le prix de vente initial de 665 000 euros intégralement versé ;

' condamné Me [P] [J] et la SCP [E]-[O]-[P] [J] à payer la somme de 10 000 euros à M. et Mme [W] ;

' rejeté les demandes formées à l'encontre de la SARL Jema Immobilier-[U] Immobilier ;

' dit n'y avoir lieu à condamnation de la SARL Agence Immobilière Européenne à relever et garantir la SARL Jema-[U] Immobilier,

' condamné in solidum M. et Mme [G], Me [P] [J] et la SCP [E]-[O]-[P] [J] à payer la somme de 3 000 euros à M. et Mme [W] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et 1 500 euros chacune à la SARL Jema Immobilier-[U] Immobilier et à la SARL Agence Immobilière Européenne ;

' condamné in solidum M. et Mme [G], Me [P] [J] et la SCP [E]-[O]-[P] [J] aux dépens ;

' dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement.

Par déclaration au greffe du 2 novembre 2018, M. et Mme [W] ont relevé appel de ce jugement à l'encontre de M. et Mme [G], de Me [P] [J], de la SCP [E]-[O]-[P] [J] et de la SARL Jema Immobilier [U] Immobilier.

Vu les dernières conclusions de M. et Mme [W] remises au greffe le 5 juillet 2019 ;

Vu les dernières conclusions de Me [P] [J] et de la SCP [E]- [O]-[P] [J] remises au greffe le 10 avril 2019 ;

Vu les dernières conclusions de la SARL Agence Immobilière Européenne remises au greffe le 13 juin 2019 ;

Vu les dernières conclusions de la SARL Jema Immobilier remises au greffe le 6 novembre 2020 ;

Pour plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

La déclaration d'appel a été signifiée à M. et Mme [G], domiciliés au Maroc, par acte d'huissier du 21 décembre 2018 conformément à l'article 684 du code de procédure civile.

M. et Mme [G] n'ont pas constitué avocat.

La clôture de la procédure a été prononcée le 22 février 2023.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur le dol reproché par M. et Mme [W] à leurs vendeurs M. et Mme [G],

L'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 applicable au présent litige, dispose que le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les man'uvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces man'uvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.

Le dol ne se présume pas et doit être prouvé.

La démonstration du dol suppose de caractériser l'intention dolosive de l'une des parties, c'est-à-dire la volonté de celle-ci de tromper l'autre en pratiquant des man'uvres ou en retenant sciemment des informations qui, si elles avaient été connues de cette autre partie, auraient dissuadé celle-ci de contracter.

M. et Mme [W] soutiennent avoir été victime d'un dol portant :

' sur l'existence de plusieurs sinistres d'inondation ayant frappé l'immeuble ;

' sur la non conformité de la maison au permis de construire et aux règles d'urbanisme.

Sur l'existence de plusieurs sinistre d'inondations antérieurs,

L'acte de vente litigieux du 3 mai 2012 stipule :

« En application de l'article L. 125-5-IV du code de l'environnement, le vendeur déclare que, pendant la période où il a été propriétaire, le bien n'a pas subi de sinistre ayant donné lieu au versement d'une indemnité en application de l'article L.125-2 ou de l'article L.128-2 du code des assurances et que, par ailleurs, il n'avait pas été lui-même informé d'un tel sinistre en application de ces dispositions. »

Le notaire a joint à son acte un imprimé « déclaration de sinistres indemnisés » en application de l'article L. 125-5 du code de l'environnement qui est resté non renseigné quant à la situation de l'immeuble au regard des cinq arrêtés de catastrophe naturelle publiés entre 1982 et 2005.

La propriété de M. et Mme [W] a été inondée les 17 et 29 septembre 2014. Suite à cet événement, les nouveaux propriétaires ont découvert que leur bien avaient subi plusieurs inondations antérieures, toutes reconnues « catastrophes naturelles » aux dates suivantes :

' les 7 et 9 octobre 2001 : M. [G] a adressé le 6 décembre 2001 un courrier à la commune de [Localité 14] pour déclarer un sinistre d'inondation ayant notamment consisté en la présence de 5 cm d'eau dans les pièces du rez-de-chaussée de la maison.

' les 8 et 9 septembre 2002 : M. et Mme [G] ont déclaré ce sinistre à leur assureur Groupama Sud et constitué un dossier aux fins d'indemnisation du sinistre.

' le 6 septembre 2005 : M. et Mme [G] n'ont reconnu l'existence de ce sinistre que tardivement dans un courrier du 3 mars 2015 dont le contenu est par ailleurs largement mensonger en ce qu'il minimise considérablement la gravité de ce sinistre.

M. et Mme [G] ont ainsi déclaré trois sinistres d'inondation à leur assurance et aux autorités communales, y compris en signant une pétition publique pour défendre les intérêts et obtenir une indemnisation en faveur des sinistrés.

M. et Mme [G] ont cependant dissimulé à leurs acquéreurs tous ces sinistres antérieurs et ont faussement déclaré dans l'acte de vente du 3 mai 2012 que le bien n'avait subi aucun sinistre au sens de l'article L. 125-5-IV du code de l'environnement.

Il est parfaitement établi en l'espèce, au regard des risques majeurs d'inondation affectant cet immeuble et des sinistres intervenus avant la vente litigieuse, que si M. et Mme [W] avaient été loyalement informés par leurs vendeurs du caractère inondable de ce bien immobilier, il ne l'auraient pas acheté au prix de 665 000 euros.

La dissimulation volontaire de ces sinistres et les déclarations mensongères faites dans l'acte de vente du 3 mai 2012 caractérisent un dol commis par M. et Mme [G] au préjudice leurs acquéreurs.

Sur la violation du droit de l'urbanisme,

L'acte de vente litigieux du 3 mai 2012 stipule qu'aucune construction ou rénovation n'a été effectuée dans les dix dernières années par les vendeurs.

Le notaire a annexé à son acte la demande de renseignements d'urbanisme qu'il a adressée à la commune de [Localité 14] qui l'a partiellement remplie le 20 mars 2012. Le notaire a annexé cet imprimé comportant une rubrique « permis de construire » dont aucun des items détaillés n'a été renseigné.

Postérieurement à leur acquisition, M. et Mme [W] ont fait intervenir un expert immobilier qui a mis en évidence les multiples irrégularités affectant leur maison au regard du droit de l'urbanisme :

' surface habitable réellement construite de 218,65 m² au lieu de 133,76 m² autorisée par le permis de construire délivré le 19 mai 1999, soit près de 85 m² de surface habitable construite illégalement ;

' implantation et hauteur des ouvrages non conformes au permis de construire ;

' construction d'une extension de 25 m² à l'étage et aménagement du garage malgré l'irrecevabilité de la demande de permis notifiée aux vendeurs le 24 avril 2007.

La construction de la piscine extérieure avec zone de stationnement a été autorisée le 17 juin 2004 en contradiction avec la déclaration des vendeurs sur l'absence de construction édifiée moins de dix ans auparavant.

Il se déduit des précédents développements que M. et Mme [G] ont menti sur l'absence de construction de moins de dix ans susceptible d'engager leur responsabilité décennale sur le fondement de l'article 1792-1-2° du code civil.

M. et Mme [G] ont surtout dissimulé à leurs acquéreurs le caractère irrégulier et non déclaré d'une partie importante de la construction vendue.

Cette non conformité au droit de l'urbanisme de l'immeuble vendu est un élément essentiel dont la connaissance par M. et Mme [W] les aurait conduits à contracter à des conditions financières différentes, s'agissant d'un immeuble exposé notamment à un refus d'assurance et à une impossibilité de reconstruction en cas de sinistre.

Le préjudice entraîné par le non respect du droit de l'urbanisme est d'autant plus important que l'immeuble vendu est particulièrement vulnérable et exposé à un risque de destruction du fait de sa vulnérabilité aux inondations que M. et Mme [G] ont également dissimulée à leurs acquéreurs. L'impossibilité de reconstruire en cas de destruction prend donc une acuité particulière en l'espèce.

Les déclarations et réticences dolosives de M. et Mme [G] quant à l'irrégularité de leur construction matérialisent donc un dol commis à l'encontre de M. et Mme [W] qui n'auraient pas acheté ce bien dans les mêmes conditions financières s'ils avaient eu préalablement connaissance de ces informations.

Le dol est donc parfaitement établi contre M. et Mme [G].

Sur les conséquences du dol commis par M. et Mme [G],

En cause d'appel, M. et Mme [W] sollicitent :

' à titre principal : l'annulation de la vente pour dol sous la stricte condition que cette annulation soit assortie de la condamnation solidaire du notaire et de l'agent immobilier, avec les vendeurs auteurs du dol, à payer non seulement les dommages-intérêts mais aussi sur le remboursement du prix de l'immeuble dont la vente est annulée ;

' à titre subsidiaire : la condamnation solidaire de tous les intimés à les indemniser de la moins-value subie par le biens et de tous les chefs de préjudice accessoires.

La cour ne peut que rejeter la demande principale d'annulation de la vente assortie de la condamnation solidaire du notaire et de l'agent immobilier à rembourser le prix de vente, s'agissant d'une créance de restitution, et non de dommages-intérêts, qui ne peut donc pas être mise solidairement à la charge des professionnels de l'immobilier intervenus lors de l'opération.

Dans l'hypothèse où il ne serait pas fait droit à leur demande de condamnation générale et solidaire de tous les intimés, M. et Mme [W] renoncent expressément à leur demande principale d'annulation de la vente pour dol et demandent à titre subsidiaire à la cour d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a annulé la vente pour dol et de condamner solidairement tous les intimés à les indemniser à hauteur de :

' 532 000 euros représentant la moins-value du bien évaluée à 80 % du prix d'achat de 665 000 euros ;

' 10 000 euros en réparation du trouble de jouissance ;

' 50 000 euros en réparation du préjudice moral ;

' 2 722,80 euros de frais de remise en état suite à l'inondation du 29 septembre 2014.

Le jugement déféré sera donc infirmé en ses dispositions ayant annulé la vente pour dol et organisé les restitutions entre les parties à l'acte annulé.

Le préjudice réparable de M. et Mme [W], qui ont fait le choix de ne pas demander l'annulation du contrat, ne correspond pas à la perte d'une chance de ne pas contracter, mais seulement à la perte d'une chance d'avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses.

Dans la mesure où la demande de dommages-intérêts formée à titre subsidiaire par M. et Mme [W] correspond à la moins-value affectant l'immeuble vendue, il n'y a pas lieu de rouvrir les débats en application de l'article 16 du code de procédure civile.

En effet, cette demande d'indemnisation de cette perte de chance s'appuie sur la moins-value alléguée de l'immeuble, moins-value qui a été contradictoirement débattue entre les parties notamment sur la base du rapport d'expertise privée de M. [C] produit par les appelants.

En l'espèce, la cour évalue cette moins-value consécutive au caractère inondable de la maison et au non respect des règles d'urbanisme à 350 000 euros au regard des vices affectant l'immeuble et du prix total de 644 700 euros payé le 3 mai 2012.

En effet, la moins-value alléguée par M. et Mme [W] à hauteur de 532 000 euros est excessive et ne correspond pas à la valeur vénale de la maison, qui est certes fortement affectée par les vices précités, mais cependant pas au point de subir une perte de 80 % de sa valeur.

Si M. et Mme [G] avaient loyalement informé leurs acquéreurs sur les risques et défauts de l'immeuble, ces derniers auraient contracté en payant un prix correspondant à la valeur vénale réelle de l'immeuble avec une probabilité que la cour évalue à 90 %.

Le préjudice de perte de chance subi par les acquéreurs s'élève donc à :

350 000 euros x 90 % = 315 000 euros.

Il sera donc fait partiellement droit à la demande subsidiaire formée par les appelants à hauteur de 315 000 euros de dommages-intérêts que M. et Mme [G] seront condamnés à payer à M. et Mme [W].

Aucun trouble de jouissance en lien de causalité avec la faute des vendeurs n'est par ailleurs démontré par M. et Mme [W] de sorte que leur demande de ce chef ne peut qu'être rejetée.

La demande de condamnation de M. et Mme [G] à leur verser la somme de 2 722,80 euros correspondant aux frais de remise en état suite à l'inondation du 29 septembre 2014 sera également rejetée en l'absence de lien de causalité entre la faute des vendeurs et ce chef de préjudice.

M. et Mme [G] seront en outre condamnés à payer à M. et Mme [W] une indemnité de 25 000 euros en réparation de leur préjudice moral au regard de l'anxiété et des multiples désagréments administratifs et judiciaires qui leur ont été causés par la faute des vendeurs.

Sur l'action en responsabilité exercée contre le notaire,

Le notaire qui intervient comme rédacteur d'acte doit conseiller utilement et habilement ses clients en attirant leur attention de manière complète et circonstanciée sur la portée, les effets et les risques de leurs engagements, ainsi qu'en suggérant les mesures les plus propices pour obtenir le résultat qu'ils désirent atteindre.

En premier lieu, aucun grief de défaut d'information ne peut cependant être allégué contre Me [P] [J] concernant le plan de prévention des risques dans la mesure où il est établi qu'aucun plan de cette nature n'était en vigueur à la date de l'acte de vente reçu le 3 mai 2012.

En cas de vente d'un immeuble à usage d'habitation, ce devoir de conseil oblige le notaire rédacteur de l'acte à obtenir préalablement un certificat d'urbanisme et à joindre les références des autorisations d'urbanisme accordées aux vendeurs pour construire la maison vendue.

A défaut d'avoir pu obtenir ces informations, le notaire doit à tout le moins informer l'acquéreur des risques afférents à une construction susceptible d'avoir été édifiée irrégulièrement et des conséquences qui en résultent sur l'usage de cette maison et sur les conditions d'une éventuelle revente.

En l'espèce, Me [P] [J] a commis une première faute en annexant à l'acte authentique de vente une demande de renseignements d'urbanisme partiellement complétée par la commune de [Localité 14] le 20 mars 2012 et comportant une rubrique « permis de construire » dont aucun des items détaillés n'a été renseigné (annexe n°5 à l'acte de vente), alors que ces informations sont nécessaires au notaire pour pouvoir informer l'acquéreur sur la situation réglementaire du bien acheté.

A défaut d'avoir reçu de la part des vendeurs ou de la commune une quelconque information sur les autorisations d'urbanisme délivrées pour la construction de la maison, il appartenait au notaire soit de rechercher ces informations, soit d'informer les acquéreurs des risques potentiels existant du fait de l'absence d'information quant à ces autorisations.

La preuve de cette information repose sur le notaire qui ne démontre pas en l'espèce avoir correctement informé ses clients acquéreurs notamment sur les risques de moins-values et l'impossibilité d'assurer ou de reconstruire à l'identique l'immeuble irrégulièrement édifié en cas de destruction accidentelle.

En l'espèce, il ressort du courrier de la commune de [Localité 14] (pièce n°19 des appelants) que le notaire n'a pas interrogé la mairie avant la vente sur les certificats de conformité et les permis de construire délivrés. Le notaire a ainsi manqué à son devoir de conseil envers M. et Mme [W].

Me [P] [J] a commis une seconde faute en annexant à l'acte authentique de vente du 3 mai 2012 un imprimé « déclaration de sinistres indemnisés » en application de l'article L.125-5 du code de l'environnement non renseigné quant à la situation de l'immeuble au regard des cinq arrêtés de catastrophe naturelle publiés entre 1982 et 2005 (annexe n°12 à l'acte de vente), alors que la production de ce document est obligatoire pour toute vente en application de la loi du 30 juillet 2003.

Le fait que les vendeurs M. et Mme [G] n'aient pas rempli ce document qui leur avait été remis constituait un élément de nature à faire douter de leur loyauté et de l'exactitude de leurs déclarations faites dans l'acte de vente.

Le fait même que ce document ait été annexé en l'état à l'acte de vente, sans aucune mention ni observation du notaire quant au fait que ce document était vierge de toute information, matérialise de la part de l'officier ministériel un défaut de conseil et d'information de ses clients quant à l'importance de la connaissance des risques naturels et de l'existence éventuelle de sinistres passés ayant concerné l'immeuble vendu.

Le notaire devait faire preuve d'une vigilance accrue en raison de la publication en 1982, 1992, 2002, 2003 et 2005 de cinq arrêtés portant état de catastrophe naturelle dont les quatre derniers constituaient des inondations et coulées de boues.

Ces deux manquements du notaire à son devoir de conseil et d'information ont causé à M. et Mme [W] un préjudice constitué par la perte de chance de contracter dans des conditions financières plus avantageuses.

En effet, si le notaire avait correctement informé les acquéreurs des risques importants inhérents à cette information lacunaire pourtant requise par la loi, et ainsi prodigué son devoir de conseil aux acquéreurs qui s'engageaient sur un important investissement immobilier, M. et Mme [W] auraient été en mesure de mieux appréhender ces risques et de rechercher des informations complémentaires sur les vices susceptibles d'affecter la maison qu'ils achetaient.

Ils auraient notamment pu procéder aux vérifications nécessaires auprès des services publics compétents et déceler tout ou partie des mensonges dolosifs dont M. et Mme [G] ont largement fait usage pour obtenir le consentement de leurs cocontractants.

Cette perte de chance correspondant à une part de la moins-value affectant l'immeuble acheté le 3 mai 2012 dont l'appréciation a été débattue contradictoirement entre les parties dans leurs conclusions d'appel, notamment sur la base du rapport d'expertise privée de M. [C].

La réouverture des débats aux fins de faire respecter l'article 16 du code de procédure civile n'est donc pas nécessaire.

Le caractère irrégulier de la construction et le caractère inondable de la maison a généré une perte de valeur pour cette maison qui peut être évaluée à 350 000 euros au regard de son prix d'achat de 644 700 euros payé le 3 mai 2012.

Si M. et Mme [W] avaient été correctement informés par Me [P] [J], ils auraient été en mesure de rechercher des renseignements complémentaires qui leur auraient permis, avec une probabilité évaluée à 50 % de chance, de contracter au prix réel de marché de la maison en tenant compte des vices qui leur ont été cachés.

Ce préjudice de perte de chance est donc évalué à hauteur de :

350 000 euros x 50 % = 175 000 euros.

Le notaire sera donc condamné in solidum avec M. et Mme [G] à indemniser M. et Mme [W] à hauteur de 175 000 euros sur le fondement de l'article 1382 ancien du code civil et le jugement déféré sera infirmé en sa disposition ayant limité ce quantum de condamnation à 10 000 euros.

Les demandes formées par M. et Mme [W] contre Me [P] [J] en réparation des frais de mise en état, d'un préjudice de jouissance et d'un préjudice moral seront rejetées en l'absence de lien de causalité entre la faute commise par le notaire et les préjudices allégués.

Sur l'action en responsabilité exercée contre la SARL Jema Immobilier,

En application de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable au litige, l'agent immobilier est tenu d'un devoir de conseil et d'information à l'égard de son mandant, dont la violation permet d'engager sa responsabilité qui s'apprécie au regard des informations dont l'agent et les parties disposent.

M. et Mme [W] ont fait appel aux services de la SARL Jema Immobilier, exerçant sous l'enseigne « agence immobilière [U] », qui se présentait comme « spécialiste du secteur depuis plus de trente ans avec une parfaite connaissance du marché immobilier ».

La conclusion d'un contrat de mandat met à la charge de l'agent immobilier l'obligation d'éclairer et d'informer ses clients profanes sur le marché immobilier en général mais aussi sur les avantages et les risques spécifiquement attachés aux biens immobiliers présentés à ces clients.

Ce devoir d'information doit être apprécié en tenant compte en l'espèce du fait que l'agent immobilier s'est présenté comme « spécialiste du secteur depuis plus de trente ans avec une parfaite connaissance du marché immobilier ».

L'expertise de la SARL Jema Immobilier, son expérience ancienne du marché immobilier local et les conseils prodigués à M. et Mme [W] ont été rémunérés par une commission d'entremise de 20 000 euros (partagée avec l'agent immobilier mandaté par les vendeurs).

En annexant à l'acte sous seing privé rédigé pour ses clients un document déclaratif « état de risques naturels et technologiques » vierge et non complété, la SARL Jema Immobilier a commis une première faute de négligence envers M. et Mme [W].

Toutefois, en l'absence de tout plan de prévention de risques naturels prévisibles (PPRNP) prescrit ou approuvé à la date de la vente, ce document, y compris s'il avait été correctement rempli par les vendeurs et vérifié par l'agent immobilier, n'était pas de nature à alerter M. et Mme [W] du risque important d'inondation qui grevait l'immeuble acheté.

A cette faute commise lors de la préparation de l'acte sous seing privé s'ajoute la négligence commises par la SARL Jema Immobilier, agent immobilier opérant sur ce secteur « depuis trente ans » qui ne pouvait pas ignorer l'existence d'inondations récurrentes survenues à [Localité 14], et plus largement dans une région où les fréquents épisodes cévenols exposent les maisons proches de cours d'eau à des inondations brutales et répétées.

La simple consultation des bases de données publiques, ou encore une simple prise de renseignement auprès de la commune de [Localité 14], aurait immédiatement révélé à l'agent immobilier la publication d'au moins quatre arrêtés portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle de type « inondations et coulées de boues » en 1992, 2001, 2002 et 2005.

La présence du cours d'eau à proximité immédiate de la propriété vendue, parfaitement visible sur le terrain et sur les cartes topographiques d'usage courant, n'a pas pu échapper à un professionnel de l'immobilier soumis à une obligation minimale de connaissance des caractéristiques et des risques potentiels affectant le bien qu'il a pour mission de commercialiser.

La présence de ce cours d'eau imposait à l'agent immobilier de vérifier l'existence du risque d'inondation dans une région où ce risque est particulièrement répandu. A défaut de disposer des informations nécessaires, il appartenait à la SARL Jema Immobilier de se renseigner et de s'adjoindre si nécessaire le concours de tout professionnel et de tout service public compétents en la matière.

S'agissant des conditions de construction de la maison vendue par M. et Mme [G], la SARL Jema Immobilier aurait dû se procurer le permis de construire des vendeurs et à défaut informer ses clients M. et Mme [W] des risques particuliers encourus en cas de non respect du droit de l'urbanisme par les constructeurs M. et Mme [G].

En l'espèce, la surface importante de la maison avec dépendances et piscine extérieure était de nature à générer un risque accru d'irrégularité et imposait à l'agent immobilier une vigilance accrue alors qu'il n'a pris aucune information auprès du vendeur ou de la commune concernant les autorisations d'urbanisme délivrées au vendeur.

Il ressort en outre du courrier de la commune de [Localité 14] (pièce n°19 des appelants) que l'agent immobilier n'a pas interrogé la mairie avant la vente sur les certificats de conformité et les permis de construire délivrés.

En manquant à son obligation de conseil et d'information, la SARL Jema Immobilier a ainsi exposé M. et Mme [W] à un préjudice de perte de chance de contracter dans des conditions financières plus favorables.

Le jugement déféré sera donc infirmé en ces dispositions ayant rejeté toutes les demandes indemnitaires formées par M. et Mme [W] contre la SARL Jema Immobilier.

Cette perte de chance correspond à une part de la moins-value d'immeuble achetée le 3 mai 2012 dont la fixation a été débattue contradictoirement entre les parties, de sorte que la réouverture des débats aux fins de faire respecter l'article 16 du code de procédure civile n'est pas nécessaire.

La SARL Jema Immobilier sera donc condamnée in solidum avec le notaire et avec M. et Mme [G] à indemniser la perte de chance subie par M. et Mme [W] à hauteur de 175 000 euros, représentant une probabilité de 50 % de contracter au prix réel de marché de la maison en tenant compte d'une moins-value de 350 000 euros.

Les demandes formées par M. et Mme [W] contre la SARL Jema Immobilier en réparation de frais de remise en état, d'un préjudice de jouissance et d'un préjudice moral seront rejetées en l'absence de lien de causalité entre la faute commise par l'agent immobilier et les préjudices allégués.

Sur l'action en garantie exercée par la SARL Jema Immobilier contre la SARL Agence Immobilière Européenne,

Les fautes commises par la SARL Jema Immobilier au préjudice de M. et Mme [W] ont également été commises par la SARL Agence Immobilière Européenne qui était mandataire des vendeurs et soumise à une obligation de connaissance et de vérification des caractéristiques du bien objet de son mandat d'entremise.

En effet, la SARL Agence Immobilière Européenne a commis les mêmes fautes de négligence dans la gestion de son mandat de vente que celles qui sont reprochées à la SARL Jema Immobilier. Elle n'a pas procédé aux vérifications nécessaires concernant les autorisations d'urbanisme et les risques d'inondation et elle n'a pas dispensé les conseils de prudence qui s'imposaient au bénéfice de M. et Mme [W].

La SARL Jema Immobilier est donc fondée à agir en garantie à l'encontre de la SARL Agence Immobilière Européenne à hauteur de la moitié des sommes mises à sa charge par le présent arrêt.

L'autre moitié de cette dette de responsabilité sera supportée par la SARL Jema Immobilier au titre de ses propres fautes commises au préjudice de M. et Mme [W]. 

Sur les demandes accessoires,

La demande de dommages-intérêts formée par le notaire contre M. et Mme [W] pour procédure abusive sera rejetée dans la mesure où les appelants ont gagné leur procès en appel.

Le jugement déféré sera infirmé en ses dispositions ayant statué sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile.

M. [N] [G], Mme [V] [T] épouse [G], Me [R] [P] [J], la SCP [E]-[O]-[P] [J] et la SARL Jema Immobilier seront condamnés in solidum à supporter les dépens et à payer une indemnité de 5 000 euros aux appelants sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les autres demandes formées par les parties sur ce fondement seront rejetées.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions à l'exception de celle ayant déclaré recevable l'action en annulation de la vente sur le fondement du dol ;

Statuant à nouveau sur les dispositions infirmées,

Déboute M. [D] [W] et Mme [Y] [I] épouse [W] de leur demande principale d'annulation de la vente pour dol formée sous condition que cette annulation soit assortie d'une condamnation solidaire de Me [R] [P] [J], de la SCP [E]-[O]-[P] [J] et de la SARL Jema Immobilier à restituer le prix de la vente annulée ;

Déclare M. [N] [G] et Mme [V] [T] épouse [G] responsables in solidum d'un préjudice de perte de chance de 315 000 euros et d'un préjudice moral de 25 000 euros subi par M. [D] [W] et Mme [Y] [I] épouse [W] ;

Condamne en conséquence in solidum M. [N] [G] et Mme [V] [T] épouse [G] à payer à M. [D] [W] et Mme [Y] [I] épouse [W] les sommes complémentaires suivantes :

' 315 000 euros en réparation de la perte de chance ;

' 25 000 euros en réparation de leur préjudice moral ;

Déclare Me [R] [P] [J] et la SCP [E]-[O]-[P] [J] d'une part et la SARL Jema Immobilier d'autre part responsables in solidum avec M. [N] [G] et Mme [V] [T] épouse [G] du préjudice de perte de chance de 315 000 euros subi par M. [D] [W] et Mme [Y] [I] épouse [W] à hauteur de 175 000 euros;

Condamne en conséquence Me [R] [P] [J] et la SCP [E]-[O]-[P] [J] d'une part et la SARL Jema Immobilier d'autre part in solidum avec M. [N] [G] et Mme [V] [T] épouse [G] à payer à M. [D] [W] et Mme [Y] [I] épouse [W] les sommes suivantes :

' 175 000 euros en réparation du préjudice de perte de chance précité ;

' les entiers dépens de première instance et d'appel ;

' 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SARL Agence Immobilière Européenne à relever et garantir la SARL Jema Immobilier à hauteur de la moitié des sommes mises à sa charge par le présent arrêt tous chefs de condamnation confondus ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 3e chambre civile
Numéro d'arrêt : 18/05494
Date de la décision : 06/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-06;18.05494 ?
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