Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
5e chambre civile
ARRET DU 20 JUIN 2023
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 20/01350 - N° Portalis DBVK-V-B7E-ORKI
Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 FEVRIER 2020
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MONTPELLIER
N° RG 18/01866
APPELANTES :
S.C.I. DIBAGE immatriculée au RCS de Montpellier n° 432 397 123 prise en la personne de sa gérante en exercice, domicilié ès qualités audit siège
[Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 3]
Représentée par Me Thibaut AZNAR de la SCP 91 DEGRES AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et plaidant
Association LES PORTES DE JILLAQ Association régie par la loi du 1er/07/1901, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié ès qualités audit siège
[Adresse 6]
[Localité 3]
Représentée par Me Thibaut AZNAR de la SCP 91 DEGRES AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et plaidant
INTIMES :
Monsieur [Z] [P]
né le 29 Septembre 1971 à [Localité 3]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représenté par Me Gilles ARGELLIES de la SCP GILLES ARGELLIES, EMILY APOLLIS - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
assisté de Me Alice LASTRA DE NATIAS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant
Syndic de copropriété DE LA RÉSIDENCE CELLENEUVE pris en la personne de son syndic en exercice, la SARL CABINET PECOUL, immatriculée au RCS de MONTPELLIER sous le n° 322 747 486, dont le siège social est [Adresse 1], prise en la personne de son représentant légal, domicilié ès qualités au siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Cyrille CAMILLERAPP, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et plaidant
Ordonnance de clôture du 26 Avril 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 MAI 2023,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie AZOUARD, Conseiller et M. Emmanuel GARCIA, Conseiller, chargé du rapport.
Ce(s) magistrat(s) a (ont) rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Nathalie AZOUARD, Conseiller faisant fonction de Président
M. Emmanuel GARCIA, Conseiller
Madame Myriam GREGORI, Conseiller, en remplacement du magistrat empêché désignée par ordonnance du Premier Président en date du 14 février 2023
Greffier lors des débats : Madame Sylvie SABATON
ARRET :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Madame Nathalie AZOUARD, Conseiller faisant fonction de Président, en remplacement du Président empêché et par Madame Sylvie SABATON, greffier.
EXPOSE DU LITIGE
[Z] [P] est propriétaire depuis le 8 novembre 2005 d'un bien en copropriété situé à [Localité 3], dans la résidence Celleneuve, qui est régie par un règlement de copropriété du 19 octobre 1970, prévoyant un usage d'habitation bourgeoise sauf pour le bâtiment situé en rez-de-chaussée, dont l'usage commercial est toléré.
Le 2 octobre 2014, le tribunal de grande instance de Montpellier a rendu une ordonnance permettant à la SCI Dibage d'acquérir un lot commercial situé au rez-de-chaussée.
Le 9 mars 2015, la SCI Dibage a donné ce local à bail à l'association Les Portes de Jillaq, laquelle exerce des activités culturelles et d'enseignement.
[Z] [P], estimant que d'importantes nuisances avaient été générées par ce locataire, notamment du fait des nombreuses allées et venues de personnes étrangères à la résidence, du non-respect des lieux et de l'installation d'une enseigne d'envergure rouge sur la façade de l'immeuble, a alerté le syndic de copropriété le 20 juin 2017.
Le 1er septembre 2017, le syndic a adressé un courrier à la SCI Dibage afin de lui demander de faire respecter le règlement de copropriété à sa locataire, tant au titre de l'enseigne que des nuisances créées par l'activité exercée.
Les 23 et 28 mars 2018, [Z] [P] a fait assigner la SCI Dibage, l'association Les Portes de Jillaq et le syndicat des copropriétaires aux fins de solliciter la résiliation du contrat de bail entre la SCI Dibage et l'association, subsidiairement, la cessation immédiate des troubles subis sous astreinte, en limitant les allées et venues aux seuls jours ouvrables sur le fondement contractuel et des troubles anormaux de voisinage, et l'indemnisation du préjudice moral subi. Il a soutenu qu'il pouvait exercer cette action sans avoir à démontrer un préjudice individuel distinct de celui de la copropriété du fait de l'inaction du syndicat. Il a fait valoir que sa locataire avait résilié le bail en raison des nuisances occasionnées par l'association, qui était ouverte sept jours sur sept et recevait de nombreux visiteurs bruyants.
Le 16 mai 2019, l'assemblée générale des copropriétaires a voté à la majorité l'autorisation du syndic à participer à la procédure.
Le syndicat des copropriétaires a souligné que les copropriétaires avaient tenté de résoudre le conflit à l'amiable avant d'autoriser le syndic à agir et qu'il était recevable à solliciter une action oblique en résiliation de bail. Il était établi, selon lui que l'association avait causé de nombreux troubles et infractions au règlement de copropriété, malgré plusieurs mises en demeure, en recevant des visiteurs tous les jours de l'année, ce qui était contraire au respect de la tranquillité d'une résidence principalement bourgeoise. En 2019, l'association avait reconnu la réalité des troubles puisqu'elle avait fait prendre des mesures pour faire interdire l'accès du parking aux adhérents, ce qui était insuffisant en l'absence de résiliation du bail du fait de l'utilisation du parking comme lieu de passage pour déposer et reprendre les enfants. Le syndicat a donc sollicité également la résiliation du bail, subsidiairement, l'interdiction sous astreinte d'exercice de toute activité dans les locaux les dimanche et jours fériés et, pour les autres jours, de recevoir un nombre d'adhérents compatible avec la configuration des lieux, outre l'obligation d'enlever l'enseigne.
La SCI Dibage et Les Portes de Jillaq ont fait valoir que les adhérents n'avaient pas accès aux bâtiments d'habitation et qu'avant le 26 mai 2019, aucune assemblée générale de copropriété n'avait fait état de nuisances émanant de l'association. L'association a ajouté avoir recruté un agent de sécurité en novembre 2018 pour régler les flux de voitures puis avoir interdit l'accès au parking à ses adhérents, dès avril 2019. Les intimées ont ajouté n'avoir été informées que trois fois de nuisances. En outre, si le syndicat des copropriétaires pouvait se prévaloir de l'action oblique pour solliciter la résiliation d'un bail conclu par un copropriétaire, elle ne reconnaissait pas cette possibilité à un copropriétaire contre un autre copropriétaire. [Z] [P] n'aurait donc pas qualité pour demander la résiliation du bail. La SCI Dibage et Les Portes de Jillaq ont ajouté notamment que le règlement de copropriété n'interdisait pas les activités commerciales et n'imposait pas des jours d'ouverture, que le règlement intérieur établi en plus par le syndic n'était ni obligatoire ni justifié, qu'aucune mesure sonore n'avait été effectuée, que les troubles relevés par l'huissier sur la voie publique n'établissaient pas que leur origine aurait été les voitures des adhérents et que l'enseigne de l'association était conforme au règlement de copropriété. Selon elles, aucun trouble anormal de voisinage n'était démontré et le départ de la locataire de [Z] [P] n'avait pas de lien avec les nuisances prétendues de l'association.
Le jugement rendu le 20 février 2020 par le tribunal judiciaire de Montpellier énonce dans son dispositif :
Rejette la demande de résiliation du bail passé entre la SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq ;
Condamne in solidum la SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq à maintenir les locaux loués fermés les dimanche et jours fériés et ce sous astreinte de 500 euros plus frais de constat d'huissier par infraction constatée, à supprimer dans un délai de 15 jours et au-delà sous astreinte de 100 euros par jour de retard l'enseigne rouge placée au-dessus de l'entrée, à payer à [Z] [P] une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts et 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à payer au syndicat des copropriétaires une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Le jugement expose que [Z] [P] est recevable à solliciter la résiliation du bail en ce qu'il invoque un préjudice personnel résultant de la résiliation de son propre bail par sa locataire, tout comme le syndicat des copropriétaires au nom de l'intérêt collectif. Il rappelle néanmoins qu'une telle demande ne peut prospérer qu'en cas d'incompatibilité du bail avec le règlement de copropriété ou de violation suffisamment grave par la locataire de son obligation de respecter le règlement de copropriété. Il relève que l'activité d'enseignement ne figure pas dans la liste des activités expressément interdites dans le règlement et que l'activité d'école pour jeunes enfants, qui occasionne des flux d'entrée et de sortie pendant quinze minutes quatre fois par jour, entraîne des nuisances plus importantes qu'un commerce classique mais ne permet pas de résilier le bail.
Le jugement relève néanmoins que si la circulation abondante et l'engorgement du parking ont cessé suite à l'introduction de l'instance, l'association exerce toujours, après son activité d'enseignement et jusqu'à tard le soir les mercredi, samedi et dimanche, une activité culturelle attirant deux cents personnes dans la résidence et occasionnant des brouhaha et salissures. Cette activité n'a pas de lien avec l'activité commerciale autorisée par le règlement de copropriété et constitue un trouble abusif du voisinage permettant d'interdire l'ouverture des locaux les dimanches et jours fériés. L'enseigne mise en place porte atteinte à l'harmonie de la façade et viole donc le règlement de copropriété.
Le jugement expose qu'un trouble a été causé à [Z] [P] du fait du départ de sa locataire, qui payait un loyer mensuel de 608 euros, que les défenderesses doivent réparer in solidum l'une pour sa faute, l'autre pour sa carence à la dénoncer.
La SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq ont relevé appel du jugement par déclaration au greffe du 4 mars 2020.
Le 29 janvier 2021, [Z] [P] a assigné la SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq afin de faire liquider l'astreinte suite au constat d'ouverture des locaux le dimanche 8 mars 2020.
Le 14 juin 2021, le tribunal judiciaire de Montpellier a fait droit à cette demande et a condamné in solidum la SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq à payer notamment la somme de 500 euros au titre de l'astreinte, outre 492,34 euros au titre des frais de constat d'huissier.
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 26 avril 2023.
Les dernières écritures pour la SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq ont été déposées le 19 avril 2023.
Les dernières écritures pour [Z] [P] ont été déposées le 13 janvier 2023.
Les dernières écritures pour le syndicat des copropriétaires ont été déposées le 3 septembre 2020.
Le dispositif des écritures pour la SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq énonce :
A titre liminaire, débouter les intimés de leurs demandes sur la validité de l'appel ;
Réformer la décision du premier juge en ce qu'elle a ordonné la fermeture des locaux les dimanches et jours fériés, condamné in solidum les appelantes à payer à [Z] [P] la somme de 10 000 euros à titre de préjudice et 2 500 euros à [Z] [P] et au syndicat des copropriétaires au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre entiers dépens ;
Débouter les intimés de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
Débouter [Z] [P] de sa demande de dommages-intérêts ;
Condamner [Z] [P] à restituer aux concluantes les 10 000 euros qui lui ont été versées au titre des dommages-intérêts ;
Débouter les intimés de leurs demandes d'article 700 ;
Condamner [Z] [P] et le syndicat des copropriétaires à restituer aux concluantes les 2 500 euros et 2 000 euros qui leur ont été versés au titre des frais irrépétibles de première instance ;
Dire que chaque partie gardera à sa charge ses dépens.
La SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq soutiennent que leur appel est recevable contrairement à l'argument des intimés qui font valoir l'absence de mention des chefs de jugement critiqués. Elles font valoir que l'article 901 du code de procédure civile, modifié le 25 février 2022, prévoit que la déclaration d'appel peut comporter une annexe, comme c'est le cas en l'espèce, cette annexe comportant les chefs de jugement critiqués. En outre, par avis en date du 8 juillet 2022, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a admis que cet article était immédiatement applicable aux instances en cours, sous réserve qu'elle ait été formée avant l'entrée en vigueur des textes réglementaires et qu'elle n'ait pas été annulée, ce qui est le cas. Dans cet avis, la Cour de cassation admet la possibilité de transmettre les chefs de jugement critiqués dans une annexe jointe à la déclaration d'appel, et ce même en l'absence d'empêchement technique.
La SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq sollicitent la confirmation de l'absence de troubles anormaux de voisinage provoqués par son activité d'enseignement. Elles contestent que l'association exerce d'autres activités culturelles le soir. Les trois constats d'huissier versés aux débats font état de va-et-vient des adhérents de l'association aux heures de dépose des enfants uniquement. Selon les appelantes, le jugement aurait retenu la présence de quelques deux cents personnes dans la résidence en déformant l'attestation de [W] [P], frère du demandeur, qui pourtant n'évoque rien qui se passerait en soirée. En tout état de cause, depuis avril 2019, l'interdiction faite par les concluantes aux adhérents d'accéder au parking de la copropriété permet de faire obstacle à toute prétention concernant les troubles anormaux. La SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq soutiennent que les mesures prises par l'association sont suffisantes. L'huissier a pu constater le 9 novembre 2019 un grand calme, uniquement émaillé de 13h41 à 14h11 par le bruit des autos, les cris des enfants et des personnes parlant fort, précision faite que les autos s'arrêtent bien sur la voie publique et que la présence du salarié embauché par l'association pour régler la circulation a été constatée. En outre, les mesures prises par le jugement représentent une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce et de l'industrie, en leur interdisant d'ouvrir les dimanche et jours fériés.
La SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq contestent les arguments de [Z] [P]. Il n'est en effet pas possible de parler de nuisances pour qualifier les allées et venues dans un local d'enseignement ni pour le brouhaha et les étrangers à la résidence dans une activité d'accueil du public. En ce qui concerne la surfacturation alléguée de l'agent d'entretien, les appelantes soulignent que le syndic doit informer le prestataire de la présence d'une école et, qu'en outre, la SCI Dibage paye des charges à ce titre sans que la révision du coût n'ait jamais été prévue à l'ordre du jour. Les appelantes précisent qu'elles ont ôté l'enseigne mais qu'il s'agissait d'une sanction injustifiée puisque l'institut présent avant dans le local avait une enseigne comparable.
La SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq contestent verser dans l'islamisme radical et estiment qu'il n'est pas démontré leur intention d'implanter un lieu de culte dans la résidence. Elles ajoutent que la pièce n° 8 de [Z] [P], qui constitue prétendument la réponse au recommandé du syndic du 1er septembre 2017, est la réponse faite au courrier du 29 octobre 2015. Les trois constats d'huissier ne font état de nuisances sonores qu'aux heures d'arrivée et de départ de l'école et le constat du 27 janvier 2018 souligne la présence de femmes voilées et d'hommes en djellaba, ce qui est la réelle justification, selon les appelantes, de l'action intentée par [Z] [P] contre les aspects ethniques des personnes se rendant dans les locaux. Les appelantes soutiennent que la saisie-attribution du 16 octobre 2020 a assuré paiement intégral à [Z] [P] de ses frais. La lettre d'huissier du 20 mai 2002 que le copropriétaire verse aux débats pour démontrer l'absence de paiement concerne une précédente saisine infructueuse du fait de la période de confinement du Covid. La SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq font valoir que [Z] [P] mentionne deux articles de presses affirmant que la fermeture administrative de l'école à [Localité 7] et à [Localité 3] serait causée par des faits d'islamisme, ce qui est d'une part faux, les fermetures étant justifiées par des défauts de conformité au règlement de sécurité ou par la tardiveté des démarches administratives nécessaires, et qui, d'autre part, n'a pas de lien avec le trouble anormal de voisinage au centre de l'assignation.
La SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq soulignent que toutes les anomalies de la résidence leur sont imputées, sans preuve. Dans le courrier du 5 novembre 2019, il leur est reproché le stationnement d'un véhicule-ventouse sur l'une des vingt-sept places qui leur appartient alors que les appelantes s'étaient plaintes déjà plusieurs fois du non respect des vingt-sept places. Elles ajoutent ne pas avoir de lien avec les dépôts d'ordures qui leur sont reprochés, ni avec le blocage du portail dont il a été démontré qu'il résultait d'un prestataire. Elles rappellent qu'elles ont agi face aux plaintes en interdisant aux clients l'entrée du parking, en embauchant un agent de sécurité mais aussi en relançant le syndic pour identifier clairement les vingt-sept stationnements leur appartenant. Seules les déclarations de [Z] [P] viennent étayer le fait que les occupants menacent de quitter les lieux si les troubles ne cessent pas. Il est également prétendu qu'il a fallu réparer le revêtement du parking du fait des nombreuses allées et venues, sans qu'aucune facture ne soit versée aux débats.
En ce qui concerne le préjudice allégué de [Z] [P], la SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq soulignent que la condamnation à réparation du premier juge n'est pas justifiée puisque celui-ci n'a pas qualifié le préjudice retenu. Elles relèvent que [Z] [P] n'a toujours mentionné qu'un préjudice moral sans que le juge ne puisse allouer une somme inférieure ou supérieure au préjudice dont le quantum doit être démontré par celui qui l'allègue. Le préjudice moral évoqué par [Z] [P] parait peu justifié dès lors qu'il s'agit d'une problématique de voisinage et qu'il habite dans les Vosges. Les appelantes soutiennent que le manque à gagner en loyer n'est pas établi, notamment car dans la lettre de la locataire, celle-ci se plaint de l'école mais aussi de problèmes d'entretien et de réparations, outre le fait qu'elle ne précise pas dans son congé qu'il ait été causé par l'école. Selon elle, [Z] [P] ne démontre pas avoir des difficultés à relouer le logement ni avoir tenté de le relouer, ce qui ne permet pas d'identifier un préjudice. La dévalorisation du bien n'est pas non plus établie, outre le fait que le préjudice allégué n'est ni actuel ni certain puisque l'appartement n'a pas été vendu. [Z] [P] fait valoir qu'entre 2005 et 2020, son bien aurait perdu 40 % de sa valeur. Or l'association souligne qu'elle n'est dans les lieux que depuis 2015.
La SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq estiment qu'elles ne pouvaient être condamnées en première instance au paiement des trois constats alors même qu'ils ont été effectués à la seule demande de [Z] [P].
Le dispositif des écritures pour [Z] [P] énonce :
Déclarer l'appel interjeté par la SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq dépourvu d'effet dévolutif ;
Subsidiairement, débouter la SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions et confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Condamner solidairement la SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq à verser la somme de 3 000 euros à [Z] [P] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens outre les frais de constat d'huissier.
[Z] [P] soutient que l'appel n'a pas d'effet dévolutif dès lors qu'il ne mentionne pas les chefs de jugement expressément critiqués, comme la Cour de cassation l'a retenu dans un arrêt du 30 janvier 2020. Si le décret du 25 février 2022 est venu valider la pratique des annexes à la déclaration d'appel, il est néanmoins obligatoire que l'acte renvoie expressément à cette annexe. Ainsi, la cour d'appel de Paris a pu considérer le 31 août 2020 que l'absence de toute mention dans la déclaration d'appel de cette annexe exclut que cette dernière ait pu faire corps avec elle, quand bien même elle a été adressée dans le même envoi.
Subsidiairement, au fond, [Z] [P] sollicite la confirmation du jugement. Il rappelle qu'un copropriétaire peut agir directement à l'encontre d'un autre copropriétaire aux fins de solliciter le respect du règlement de copropriété sur le fondement de la responsabilité contractuelle, comme la Cour de cassation l'a admis plusieurs fois, mais également sur le fondement des troubles anormaux de voisinage. [Z] [P] soutient que l'association exerce des activités excédant les troubles normaux de voisinage, notamment les soirs et week-ends, ce qui est contraire tant à l'article 11 du règlement de copropriété qu'au contrat de bail. Il affirme que sa locataire a mis fin au bail et a quitté les lieux après dix-huit années passées dans les lieux du fait des nuisances qu'elle dénonçait dans son courrier en date du 6 juillet 2017. [Z] [P] verse aux débats le témoignage d'autres copropriétaires, notamment son frère, qui confirme les troubles anormaux et atteste que « de l'ordre de 200 personnes traversent la résidence le samedi et autant le dimanche ». Il verse aux débats une attestation commune des résidents, qui dénoncent le trouble excessif porté à la tranquillité des résidents. [Z] [P] ajoute que le syndic a dû écrire à plusieurs reprises à la SCI Dibage pour dénoncer les manquements de sa locataire. Selon lui, le salarié de l'association bloque le portail avec des pierres pour l'empêcher de se refermer. La personne chargée de l'entretien se serait également plainte d'avoir du travail supplémentaire du fait du grand nombre de papiers de bonbons et gâteaux retrouvés dans les allées. Par courrier du 5 novembre 2019, le syndic a adressé à l'association un courrier dénonçant la présence d'une voiture ventouse sur le parking.
[Z] [P] fait valoir les trois constats d'huissier, qui confirment que de nombreux occupants se plaignent des nuisances subies et menacent de quitter les lieux. L'un des constats rapporte que l'un des copropriétaires a énoncé que nombre d'occupants étaient excédés et souhaitaient quitter la résidence, que le prix de vente des appartements avait diminué de ce fait et décrivait les allées venues de personnes et de véhicules. Le fait que l'association ait embauché un agent de sécurité pour mettre fin aux troubles confirme que le trouble était réel. Néanmoins, dans le constat du 9 novembre 2019, le flot incessant de véhicules est également constaté et les visiteurs accèdent aux locaux par les parties communes. L'association Jillaq mentionne sur les réseaux sociaux, qu'elle est ouverte 7 jours/7, de 9h à 12h et 14h à 18h en semaine, et de 8h45 à 18 h en continu le samedi et dimanche, ce qui semble contraire avec la nécessité de préserver la tranquillité de l'immeuble. Selon [Z] [P], la preuve des nuisances est également rapportée par le vote à la majorité des copropriétaires pour demander au syndic d'agir en justice.
[Z] [P] dénonce également l'ouverture des locaux postérieurement au jugement, comme l'a constaté l'huissier le 8 mars 2020.
En ce qui concerne la demande de réparation du préjudice subi, [Z] [P] fait valoir le départ de sa locataire le 31 janvier 2019 en raison des nuisances mentionnées. Ces nuisances occasionnent également des difficultés pour relouer le bien et une perte de valeur importante. En effet, l'appartement acheté 110 000 euros en 2005 est estimé aujourd'hui à 80 000 euros alors que sur cette période le prix de l'immobilier a augmenté de 10 % en moyenne.
[Z] [P] souligne qu'en dépit de l'exécution provisoire ordonnée, les appelants ont uniquement déposé l'enseigne sans cesser leurs activités les dimanche et jours fériés et organisant même leur insolvabilité.
Le dispositif des écritures pour le syndicat des copropriétaires énonce :
Confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
Condamner la SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq à cesser toute utilisation des locaux le dimanche et les jours fériés ;
Les condamner à recevoir un nombre d'adhérents compatible avec la configuration des lieux ;
Assortir ces deux condamnations d'une astreinte de 500 euros par infraction constatée ;
Condamner solidairement la SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq à payer au syndicat des copropriétaires la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700, somme venant en plus de celle allouée par les premiers juges sur le même fondement et aux dépens.
Le syndicat des copropriétaires s'en rapporte à justice sur les prétentions de [Z] [P] en lien avec l'absence de saisine de la cour.
Le syndicat des copropriétaires sollicite la confirmation du jugement de première instance et la reprise des motifs de ce dernier.
Le syndicat des copropriétaires conteste le fait que l'association ne pourrait pas causer des troubles car elle occupe un bâtiment distinct des autres puisque les photographies versées aux débats montrent que ledit bâtiment n'est pas éloigné des autres et est au contraire enclavé entre les bâtiments à usage d'habitation. L'entrée du local de l'association n'est pas directement accessible depuis la voie publique mais nécessite de cheminer sur les parties communes situées sous les balcons des habitations.
Le syndicat soutient que depuis l'arrivée de l'association, des troubles et infractions au règlement de copropriété existent, ce qui explique pourquoi il a mis en demeure plusieurs fois la SCI Dibage, dès le 1er septembre 2017, afin de lui rappeler que les activités pratiquées ne devaient pas changer la destination bourgeoise de l'immeuble. Les troubles sont démontrés dans les constats d'huissier et dans les attestations des copropriétaires. Le syndicat des copropriétaires souligne le fait que vingt-deux des vingt-quatre copropriétaires lui ont donné mandat d'agir en justice. Il ajoute que la preuve par attestation est un moyen légal et reconnu dans le code de procédure civile. Les appelantes n'ont pas mis en 'uvre les moyens permettant aux parties d'agir lorsqu'elles estiment qu'une attestation est fausse. Il ajoute que ce n'est qu'à compter du 9 avril 2019 que l'association Les Portes De Jillaq a fait un geste en interdisant l'accès du parking aux adhérents et ce uniquement une fois que le syndicat avait décidé de se joindre à la procédure, ce qui empêchait l'association d'opposer l'absence de qualité à agir de [Z] [P] comme moyen de défense.
Le syndicat des copropriétaires conteste l'existence d'une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce et de l'industrie. Il fait déjà valoir que l'association les Portes De Jillaq a choisi d'exercer sous la forme d'une association et n'a donc pas d'activité lucrative, les restrictions d'ouverture de la structure ne peuvent donc être critiquées sur le plan économique. Il parait cohérent d'assurer aux résidents d'une habitation bourgeoise a minima un jour de tranquillité. Le syndicat rappelle que le Conseil constitutionnel a plusieurs fois retenu que la liberté d'entreprendre devait céder devant le repos dominical.
En ce qui concerne l'enseigne, le syndicat des copropriétaires relève que personne n'a porté appel sur ce point. Le fait que la procédure ait été nécessaire pour l'association ôte l'enseigne démontre que la procédure était incontournable.
MOTIFS
1. Sur l'effet dévolutif de l'appel
L'article 562 du code de procédure civile dispose que l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
En l'espèce, la SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq ont relevé appel du jugement du tribunal judiciaire de Montpellier rendu le 20 février 2020, par déclaration au greffe du 4 mars 2020.
L'article 901 du code de procédure civile, dans sa version en vigueur du 1er janvier 2020 au 1er janvier 2021, soit dans sa version applicable au cas d'espèce, dispose en son 4° que la déclaration d'appel est faite par acte contenant, outre les mentions prescrites par l'article 57, et à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
Il est exact, comme le reprend [Z] [P], que par arrêt du 30 janvier 2020, soit antérieurement à l'appel qui saisit la cour, la Cour de cassation, au visa de l'article 562 du code de procédure civile, a dit que seul l'acte d'appel opérait la dévolution des chefs critiqués du jugement et qu'il en résultait que lorsque la déclaration d'appel tendait à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui étaient critiqués, l'effet dévolutif n'opérait pas.
Et [Z] [P] d'ajouter que ce n'est que par un décret du 25 février 2022, soit postérieurement à l'acte d'appel du 4 mars 2020, que le premier alinéa de l'article 901 du code de procédure civile a pu préciser que la déclaration d'appel pouvait être faite par acte comportant, le cas échéant, une annexe.
Au cas d'espèce, il est constant que la déclaration d'appel du 4 mars 2020 ne contenait pas les chefs du jugement expressément critiqués, lesquels figuraient néanmoins sur un document annexe, déposé simultanément.
La SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq lui opposent le fait que par un avis du 8 juillet 2022, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a décidé que le décret du 25 février 2022 et l'arrêté du 25 février 2022 modifiant l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant la cour d'appel étaient immédiatement applicables aux instances en cours pour les déclarations d'appel qui avaient été formées antérieurement à l'entrée en vigueur de ces deux textes réglementaires, pour autant qu'elles n'avaient pas été annulées par une ordonnance du magistrat compétent, qui n'avait pas fait l'objet d'un déféré dans le délai requis, ou par l' arrêt d'une cour d'appel statuant sur déféré.
L'avis précise qu'une déclaration d'appel, à laquelle est jointe une annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqués, constitue l'acte d'appel conforme aux exigences de l'article 901 du code de procédure civile, dans sa nouvelle rédaction, même en l'absence d'empêchement technique.
La SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq en tirent pour conséquence que dès lors que sa déclaration d'appel a été formée le 4 mars 2020, soit avant l'entrée en vigueur de ces textes réglementaires, et qu'elle n'a aucunement fait l'objet d'une annulation, qu'une annexe comportant les chefs du jugement critiqués était jointe conformément aux exigences de l'article 901 du code de procédure civile, la cour était valablement saisie en raison du maintien de l'effet dévolutif de l'appel, et ce conformément à l'article 562 du code de procédure civile.
Si [Z] [P] ne conteste pas cette argumentation, notamment que les dispositions de l'article 901 du code de procédure civile, dans sa version actuelle, trouvent à s'appliquer, il leur oppose toutefois que l'arrêté du 25 février 2022 visé par les appelantes, effectivement applicable aux instances en cours et qui a modifié l'arrêté du 20 mai 2020, a pu, en son article 2, modifier l'article 4 de l'arrêté du 20 mai 2020, lequel est désormais rédigé de la façon suivant : « Lorsqu'un document doit être joint à un acte, ledit acte renvoie expressément à ce document. ».
A l'appui, il cite un arrêt de la cour d'appel de [8] du 31 août 2022, laquelle a eu l'occasion de dire que l'absence de toute mention dans la déclaration d'appel de cette annexe excluait que cette dernière a pu faire corps avec elle, quand bien même elle a été adressée dans le même envoi.
En l'état de cette argumentation, la cour retient en conséquence que si le décret du 25 février 2022 est venu valider la pratique des annexes à la déclaration d'appel, l'arrêté du 25 février 2022 impose néanmoins que l'acte renvoie expressément à cette annexe, et retient au cas d'espèce que dès lors que l'annexe n'a pas été mentionnée dans la déclaration d'appel du 4 mars 2020, elle ne peut être considérée comme faisant corps avec elle, de sorte que l'appel interjeté par la SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq est dépourvu d'effet dévolutif au sens de l'article 562 du code de procédure et, qu'ainsi, la cour n'est pas saisie.
2. Sur les dépens et les frais non remboursables
La SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq seront condamnées aux dépens de l'appel.
La SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq seront en outre condamnées solidairement à payer à [Z] [P] et au syndicat des copropriétaires, à chacun, la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe ;
DIT que l'appel interjeté le 4 mars 2020 par la SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq est dépourvu d'effet dévolutif, de sorte que la cour n'est pas saisie ;
CONDAMNE solidairement la SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq à payer à [Z] [P] la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais non remboursables exposés en appel ;
CONDAMNE solidairement la SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq à payer au syndicat des copropriétaires de la résidence Celleneuve la somme de 3 000 euros sur le même fondement ;
CONDAMNE la SCI Dibage et l'association Les Portes de Jillaq aux dépens de l'appel.
Le greffier Le Président