Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
3e chambre civile
ARRET DU 15 JUIN 2023
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 19/00781 - N° Portalis DBVK-V-B7D-OAB5
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 09 janvier 2019
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MONTPELLIER
N° RG 12/05090
APPELANTE :
SARL SCIB MEDITERRANEE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Arnaud LAURENT de la SCP SVA, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué à l'audience Me Thierry VERNHET, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMEE :
SAS SOCIETE DE CONCEPTION D'ARCHITECTURE ET D'URBANISME (SCAU)
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Sophie ENSENAT, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 22 mars 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 avril 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
M. Gilles SAINATI, président de chambre
M. Thierry CARLIER, conseiller
M. Fabrice DURAND, conseiller
qui en ont délibéré.
En présence de Mme [T] [E], juriste assistante
Greffier lors des débats : Mme Camille MOLINA
ARRET :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour fixée au 8 juin 2023 prorogée au 15 juin 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par M. Gilles SAINATI, président de chambre, et par Mme Camille MOLINA, Greffière.
*
* *
EXPOSE DU LITIGE
La SCI Montpellier Jacques C'ur a fait construire un ensemble immobilier « L'Amiral » sur l'îlot B de la [Adresse 5] à [Localité 2] comprenant 3 300 m² de locaux commerciaux, 95 appartements en accession, 74 logements sociaux ainsi que 4 niveaux de 100 parkings chacun.
Par contrat du 21 septembre 2005, la société maître d'ouvrage a confié à la Société de Conception d'Architecture et d'Urbanisme (SAS SCAU) une mission complète de maîtrise d''uvre de conception et d'exécution de ce projet dont les travaux étaient évalués à 20 000 000 euros.
Par contrat de sous-traitance du 9 mars 2007, la SAS SCAU a confié à la Société de Coordination et d'Ingénierie du Bâtiment (SARL SCIB) une partie de sa mission de maîtrise d''uvre d'exécution de ces travaux.
Par avenant n°1 au contrat de sous-traitance du 9 mars 2007, la SAS SCAU et la SARL SCIB ont rendu applicable l'option n°2 afférente à la gestion des travaux modificatifs des acquéreurs (TMA).
Les travaux ont été achevés fin 2010, avec un retard d'une année par rapport au planning prévu.
Par courrier du 21 décembre 2009 et du 1er octobre 2010, la SARL SCIB a fait valoir auprès du maître de l'ouvrage :
' que la livraison finale était intervenue avec 12 mois de retard : 42 mois au lieu de 30 mois ;
' que le montant des travaux était passé de 19 500 000 euros à 22 500 000 euros.
La SARL SCIB demandait alors à la SAS SCAU de lui payer des honoraires complémentaires d'un montant de 120 000 euros HT que la SAS SCAU estimait ne pas lui devoir en application du contrat.
Par ordonnance du 6 janvier 2011, le juge des référés du tribunal de grande instance de Montpellier a condamné la SAS SCAU à payer à la SARL SCIB une provision de 117 000 euros à valoir sur les honoraires supplémentaires dus à la société sous-traitante.
Par arrêt du 5 juillet 2012, la cour d'appel de Montpellier a infirmé cette ordonnance et rejeté la demande de provision en retenant l'existence d'une contestation sérieuse liée à l'interprétation du contrat.
Dans le cadre d'une instance en référé distincte engagée par la SCI Montpellier Jacques C'ur, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, une expertise des désordres allégués par le maître de l'ouvrage a été confiée par M. [V] [P] par ordonnances du 18 février 2010 et du 16 décembre 2010.
A la demande de la société Presspali France, une autre expertise concernant ce même chantier a été confiée par ordonnances de référé du 7 janvier 2010 et du 5 août 2010 à M. [N] [K].
Par acte d'huissier du 19 septembre 2012, la SARL SCIB a fait assigner la SAS SCAU devant le tribunal de grande instance de Montpellier en paiement de 117 000 euros d'honoraires complémentaires et 5 000 euros de dommages-intérêts.
Par jugement du 11 février 2013, le tribunal de grande instance de Montpellier a sursis à statuer dans l'attente des rapports d'expertise de M. [K] et M. [P] précédemment désignés selon ordonnances de référé des 7 janvier 2010 et 18 février 2010.
Dans ce même jugement, le tribunal confiait à M. [K] le chef de mission complémentaire suivant : « fournir tous les éléments techniques et de fait de nature à permettre à la juridiction compétente de déterminer les retards éventuellement imputables à la SARL SCIB et d'apporter les éléments d'information permettant de déterminer le préjudice que la faute commise par la SARL SCIB a pu causer à la SAS SCAU, et ce afin de pouvoir déterminer le montant de la rémunération due par la SAS SCAU à la SARL SCIB. »
Par jugement contradictoire du 9 janvier 2019, le tribunal de grande instance de Montpellier a :
' condamné la SAS SCAU à payer à la SARL SCIB la somme de 13 156 euros avec les intérêts au taux légal à compter du 19 septembre 2012 ;
' débouté la SCIB du surplus de ses demandes ;
' condamné la SAS SCAU aux dépens et à payer à la SCIB une somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
' ordonné l'exécution provisoire.
Par déclaration au greffe du 31 janvier 2019, la SARL SCIB a relevé appel de ce jugement à l'encontre de la SAS SCAU.
Vu les dernières conclusions de la SARL SCIB Méditerranée (nouvelle dénomination sociale de la SARL SCIB) remises au greffe le 16 octobre 2019 aux termes desquelles elle sollicite l'infirmation du jugement et la condamnation de la SAS SCAU à lui payer 117 000 euros HT d'honoraires complémentaires, outre la TVA au taux de 20 %, 10 000 euros de dommages-intérêts, 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.
Vu les dernières conclusions de la SAS SCAU remises au greffe le 16 septembre 2019 aux termes desquelles elle demande à la cour :
' d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a statué extra petita sur des prétentions afférentes à l'avenant n°1 du 9 mars 2007 non formulées par la SARL SCIB ;
' de débouter la SARL SCIB de toutes ses demandes ;
' de condamner la SARL SCIB à supporter les dépens et à lui payer 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
La clôture de la procédure a été prononcée au 22 mars 2023.
MOTIFS DE L'ARRET
A titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément aux dispositions du troisième alinéa de l'article 954 du code de procédure civile, les demandes tendant simplement à voir « constater », « rappeler » ou « dire et juger » ne constituent pas des demandes en justice visant à ce qu'i1 soit tranché sur un point litigieux mais des moyens, de sorte que la cour n'y répondra pas dans le dispositif du présent arrêt.
Sur la demande d'honoraires complémentaires présentée par la SARL SCIB MEDITERRANEE,
La SARL SCIB MEDITERRANEE sollicite l'infirmation du jugement déféré et l'octroi d'un complément de rémunération de 117 000 euros en rapport avec la durée de prolongation du chantier par rapport à la durée contractuellement prévue.
La SAS SCAU soutient qu'aucune rémunération complémentaire n'est due à la SARL SCIB s'agissant d'un contrat de sous-traitance stipulant une rémunération forfaitaire.
L'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Il appartient au juge d'interpréter les conventions qui lui sont soumises et de déterminer quelle a été la commune intention des parties.
En l'espèce, la cour constate que les seules clauses du contrat de sous-traitance litigieux du 9 mars 2007 afférentes à la durée et à la rémunération de la SARL SCIB sont les clauses suivantes :
Page 3 :
« 2 ' Programme de réalisation
- sur une dalle, construction de logements et de commerces :
95 appartements en accession (7 000 m² de SHON)
74 logements sociaux (en VEFA) (57 000 m² SHON)
Commerces en rez-de-chaussée dont l'enseigne Champion (Bailleur commerces) sur 3 500 m² SHON.
- en infrastructure : 4 niveaux de parkings affectés à chacun des programmes précités (~100 places par niveau)
- Budget Prévisionnel Hors Taxes de 20 000 000 euros »
Page 4 :
« 3 - Objectifs prédéfinis :
- durée des travaux : 30 mois
- ordre de service de démarrage : avril 2007
- marché à conclure : en lots séparés. »
Page 9 :
« Pour la durée de la réalisation du programme immobilier, elle [la maîtrise d''uvre d'exécution] organise la circulation des documents, la diffusion des informations, les réunions de coordination des étude de conception, rédige et diffuse les comptes-rendus de réunion du chantier. »
Page 12 :
« Travaux modificatifs demandés par les acquéreurs (TMA) :
Cette prestation ne fait pas partie du contrat.
En option, il pourra être demandé au maître d''uvre d'exécution d'en assurer la gestion moyennant une rémunération forfaitaire de 100 euros HT par dossier. »
Page 15 :
« 9 - Modification du contenu ou de la durée de la mission :
La rémunération définie au chapitre 10 ci-après correspond aux prestations nécessaires à l'accomplissement de la mission de la maîtd''uvreeuvre d'exécution aux conditions normalement prévues dans le présent contrat.locuteurs
10 - Rémunération :
Pour assurer la mission telle que définie dans le présent contrat, il est convenu entre les parties un montant d'honoraires hors taxes forfaitaire, ferme et non révisable, réparti comme suit :
- montant des honoraires : 300 000 euros HT selon l'échéancier suivant (')
- options affermies dès la signature du présent contrat :
. option n°1 : validation des plans d'exécution des entreprises (hors fluides, hors plans façades) : 51 000 euros HT, facturation mensuelle
. option n°3 : assistance durant l'année de parfait achèvement :16 500 euros HT, règlement fin de période de parfait achèvement.
Total HT : 367 500 euros HT
- option non affermie :
. option n°2 : gestion des travaux modificatifs acquéreurs : pour chaque demande modificative liée à un acquéreur, une facturation de 100 euros Htsera faite. »
La cour observe en premier lieu :
' que l'article 2 précité du contrat de sous-traitance mentionne un budget de 20 000 000 euros pour l'opération en précisant que ce montant n'est que prévisionnel ;
' que l'article 3 du même contrat qualifie la durée des travaux de 30 mois d'« objectif prédéfini », ce qui confère également à cette durée un caractère prévisionnel et simplement indicatif.
Ce caractère prévisionnel des montants mentionnées dans les deux articles précités est corroboré par les clauses du contrat afférentes à la rémunération de la SARL SCIB, et tout particulièrement l'article 10 qui stipule « un montant d'honoraires hors taxes forfaitaire, ferme et non révisable » sans envisager d'autre complément de rémunération que celui afférent aux travaux modificatifs demandés par les acquéreurs.
Contrairement à la position soutenue par la SARL SCIB dans ses écritures, l'objet de ce forfait n'est pas limité par une durée maximale des travaux et le contrat de sous-traitance ne prévoit aucune rémunération supplémentaire en cas de retard pris par le chantier.
En mentionnant l'exécution de la mission « aux conditions normalement prévues dans le présent contrat », l'article 9 du contrat ne se réfère pas au délai prévisionnel du chantier mais à l'objet matériel du contrat.
L'objet du forfait correspond aux ouvrages du programme sommairement décrits à l'article 2 du contrat dont le sous-traitant maître d'oeuvre d'exécution devait organiser, superviser et contrôler la réalisation par les locateurs d'ouvrage.
Contrairement à la position soutenue à tort par la SARL SCIB dans ses écritures, l'objet de ce forfait n'est limité :
' ni par le montant des travaux évalués à titre simplement prévisionnel à 20 000 000 euros à l'article 2 du contrat ;
' ni par la durée de ces travaux mentionnée à titre simplement indicatif à hauteur de 30 mois à l'article 3 du contrat.
L'objet de ce forfait correspond à la mission de maîtrise d''uvre d'exécution sous-traitée par la SAS SCAU à la SARL SCIB concernant les travaux de réalisation du programme immobilier « L'Amiral » dont aucune pièce versée aux débats par la SARL SCIB n'établit qu'ils ont été modifiés ou que leur volume a augmenté par rapport à la description du programme contenue dans l'article 2 du contrat de sous-traitance du 9 mars 2007.
Une éventuelle augmentation du montant total des marchés de travaux ne démontre pas à elle seule un dépassement de l'objet du forfait, c'est-à-dire la réalisation de travaux et d'ouvrages additionnels qui n'étaient pas prévus dans le programme décrit dans l'article 2 du contrat du 9 mars 2007.
Par ailleurs, les demandes formées par la SAS SCAU contre la société maître d'ouvrage et fondées sur un autre contrat n'entraînent aucune conséquence sur les demandes formées par la SARL SCIB dans le cadre du présent litige.
La SARL SCIB ne démontre pas davantage que la SAS SCAU aurait commis une quelconque faute ayant allongé la durée de ce chantier et donc susceptible d'engager sa responsabilité envers l'entreprise sous-traitante.
Le retard du chantier résulte exclusivement du dépôt de bilan par plusieurs entreprises titulaires de marchés en cours d'exécution des travaux ainsi que de 45 jours d'intempéries.
La SAS SCAU a exécuté le contrat de sous-traitance de bonne foi et la SARL SCIB n'est pas fondée à lui reprocher sa propre erreur d'appréciation économique en ayant accepté un montant forfaitaire de rémunération ne tenant pas suffisamment compte des risques inhérents au projet.
Ces défaillances constituent des aléas classiques dans le déroulement d'une opération de construction qui doivent être anticipés lorsqu'un maître d''uvre s'engage contractuellement pour un prix forfaitaire ainsi que l'a fait la SARL SCIB envers la SAS SCAU par contrat du 9 mars 2007.
Il en résulte que la SARL SCIB doit être déboutée de sa demande en paiement d'honoraires complémentaires du fait d'un allongement de la durée du chantier ainsi que de sa demande de dommages-intérêts.
Le jugement déféré sera en outre infirmé en sa disposition ayant condamné la SAS SCAU à payer à la SARL SCIB la somme de 13 156 euros correspondant la rémunération des travaux modificatifs demandés par les acquéreurs, s'agissant d'une condamnation intervenue extra petita en l'absence de toute prétention formée par la SARL SCIB de ce chef tant en première instance qu'en cause d'appel.
Sur les demandes accessoires,
Le jugement déféré sera également infirmé en ses dispositions afférentes aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.
La SARL SCIB Montpellier succombe intégralement en appel et devra donc supporter les entiers dépens de première instance et d'appel.
L'équité commande en outre de condamner la SARL SCIB à payer à la SAS SCAU une indemnité de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile représentant les frais supportés en première instance et en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute la Société de Coordination et d'Ingénierie du Bâtiment Montpellier (SARL SCIB Montpellier) de ses demandes en paiement d'honoraires complémentaires et de dommages-intérêts formées contre la Société de Conception d'Architecture et d'Urbanisme (SAS SCAU) ;
Condamne la SARL la Société de Coordination et d'Ingénierie du Bâtiment Montpellier (SARL SCIB Montpellier) à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel ;
Condamne la SARL la Société de Coordination et d'Ingénierie du Bâtiment Montpellier (SARL SCIB Montpellier) à payer à la Société de Conception d'Architecture et d'Urbanisme (SAS SCAU) une indemnité de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile représentant les frais supportés en première instance et en cause d'appel ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
La greffière, Le président,