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14/06/2023 | FRANCE | N°20/05823

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 2e chambre sociale, 14 juin 2023, 20/05823


Grosse + copie

délivrées le

à















COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 14 JUIN 2023



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 20/05823 - N° Portalis DBVK-V-B7E-OZQI

N°23/975

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 26 NOVEMBRE 2020

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE PERPIGNAN



APPELANTE :



S.A.R.L. EXPRESSO COURSES

[Adresse 1]

[Localité 3]

ReprésentÃ

©e par Me NICOD KALCZYNSCKI avocat pour Me Vincent DE TORRES de la SCP DE TORRES - PY - MOLINA - BOSC BERTOU, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES



INTIMEE :



Madame [S] [W]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée...

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 14 JUIN 2023

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 20/05823 - N° Portalis DBVK-V-B7E-OZQI

N°23/975

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 26 NOVEMBRE 2020

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE PERPIGNAN

APPELANTE :

S.A.R.L. EXPRESSO COURSES

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me NICOD KALCZYNSCKI avocat pour Me Vincent DE TORRES de la SCP DE TORRES - PY - MOLINA - BOSC BERTOU, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES

INTIMEE :

Madame [S] [W]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me SEBASTIAN avocat pour Me Yann SANCERRY, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES

Ordonnance de clôture du 21 Mars 2023

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 AVRIL 2023,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Véronique DUCHARNE, Conseillère, chargé du rapport.

Ce(s) magistrat(s) a (ont) rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Véronique DUCHARNE, Conseillère, faisant fonction de Présidente

Madame Florence FERRANET, Conseillère

Madame Magali VENET, Conseillère

Greffier lors des débats : M. Philippe CLUZEL

ARRET :

- contradictoire;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Mme Véronique DUCHARNE, Présidente, et par M. Philippe CLUZEL, Greffier.

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE

Par contrat à durée indéterminée du 29 octobre 2018 prévoyant une période d'essai d'un mois, Mme [S] [W] a été engagée à temps complet par la SARL Expresso Courses en qualité de chauffeur livreur moyennant une rémunération mensuelle brut de 1 498,47 €. La convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires est applicable.

Par lettre du 26 novembre 2018, l'employeur a confirmé à la salariée la prolongation d'un mois supplémentaire de sa période d'essai, qu'elle a acceptée par lettre du 27 novembre 2018.

Par lettre du 31 décembre 2018, la salariée a indiqué mettre fin à son contrat de travail dans les termes suivants :

« Je soussignée [W] [S] atteste vouloir mettre fin à mon contrat de chauffeur livreur au sein de la société expresso courses.

Cette arrêt prend effet immédiatement ».

Ce même jour, les documents de fin de contrat lui ont été remis (reçu pour solde de tout compte, certificat de travail et attestation destinée à Pôle emploi).

Les parties ont échangé des courriers :

- par lettre du 1er janvier 2019, la salariée a évoqué un entretien du 31 décembre 2018 à 10 heures avec l'employeur et a sollicité la rupture conventionnelle de son contrat de travail,

- par lettre du 10 janvier 2019, la salariée a

* dénoncé ses conditions de travail, faisant état notamment des heures supplémentaires non payées et d'un rythme de travail excessif qui l'ont amenée à solliciter la rupture conventionnelle du contrat,

* évoqué le fait que l'employeur lui avait demandé de rédiger dans son bureau une lettre de démission qui était selon lui la seule option possible,

*précisé être déterminée à obtenir le paiement des heures supplémentaires réalisée et solliciter une résolution amiable du litige avant saisine de la juridiction prud'homale,

- par lettre du 17 janvier 2019, l'employeur a pour l'essentiel contesté tant l'existence d'heures supplémentaires non payées que les pressions en vue de faire rédiger par la salariée sa lettre de démission,

- par lettre du 4 février 2019, la salariée a maintenu ses allégations.

Par requête enregistrée du 1er mars 2019, estimant que du fait des manquements ci-dessus évoqués sa démission s'analysait en une prise d'acte de la rupture de son contrat de travail et produisait les effets d'un licenciement privé de cause réelle et sérieuse, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Perpignan.

Par jugement du 26 novembre 2020, le conseil de prud'hommes a:

- requalifié la démission en prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur,

- requalifié la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la SARL Expresso Courses à verser à Mme [S] [W] les sommes suivantes :

* 1.658,32 € net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en maintenant le barème de l'article L.1235-3 du code du travail,

* 374, 45 € brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* 37, 44 € brut au titre des congés payés sur le préavis,

* 1.257, 60 € brut à titre de paiement des heures supplémentaires,

* 125, 76 € brus à titre de paiement des heures supplémentaires,

* 111, 64 € brut au titre des rappels de salaire pour les mois d'octobre à décembre 2018 ;

- débouté Mme [S] [W] de sa demande au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;

- débouté la SARL Expresso Courses de l'intégralité de ses demandes ;

- ordonné à cette dernière de délivrer à la salariée le certificat de travail, l'attestation Pôle Emploi, les bulletins de paie d'octobre et décembre 2018 le tout rectifié, ainsi que le bulletin de paie du préavis ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement ;

- condamné la SARL Expresso Courses à verser à Mme [S] [W] la somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la SARL Expresso Courses aux entiers dépens.

Par déclaration enregistrée au RPVA le 17 décembre 2020, l'employeur a régulièrement interjeté appel de ce jugement.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions enregistrées au RPVA le 1er mars 2021, la SARL Expresso Courses demande à la Cour, de :

- rejeter toutes conclusions contraires comme injustes ou mal fondées ;

- réformer le jugement entrepris ;

- débouter Mme [S] [W] de l'intégralité de ses prétentions;

- la condamner au paiement d'une somme de 374,45 € bruts à titre de préavis de démission non effectué ;

- la condamner au paiement d'une somme de 2 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions enregistrées au RPVA le 30 mars 2021, Mme [S] [W] demande à la Cour de :

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;

- requalifier la démission en prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur ;

A titre principal, de condamner la SARL Expresso Courses au paiement de la somme de 4.974,96 € net à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en écartant le barème de l'article L 1235-3 du Code du travail ;

A titre subsidiaire, de condamner la SARL Expresso Courses au paiement de la somme de 1.658,32 € net à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

En tout état de cause, de

- condamner la SARL Expresso Courses au paiement des sommes suivantes :

* 374,45 € brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* 37,44 € brut au titre des congés payés sur le préavis,

* 1. 257,60 € brut à titre de paiement des heures supplémentaires,

* 125,76 € brut au titre d'indemnité pour les congés payés sur les heures supplémentaires,

* 111,64 € brut au titre des rappels de salaires pour les mois d'octobre 2018 à décembre 2018 ;

* 9.949,32 € net au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;

- débouter la SARL Expresso Courses de l'intégralité de ses demandes ;

- la contraindre à délivrer le certificat de travail, l'attestation pôle emploi, les bulletins de paie d'octobre 2018 à décembre 2018 rectifiés, ainsi que le bulletin de paie du préavis sous astreinte de 76 € par jour de retard ;

- la condamner enfin aux frais d'instance, de notification et d'exécution s'il y a lieu ainsi qu'au paiement de la somme de 3.000€ en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Pour l'exposé des prétentions des parties et leurs moyens, il est renvoyé, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile, à leurs conclusions ci-dessus mentionnées et datées.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 21 mars 2023.

MOTIFS

Sur les rappels de salaire.

Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du Code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, la salariée estime avoir accompli d'une part, plus d'heures de travail en octobre, novembre et décembre 2018 et d'autre part, des heures supplémentaires en novembre et décembre 2018.

Elle verse aux débats les pièces suivantes, dont certaines sont contenues dans ses écritures :

- ses notes manuscrites relatives à ses horaires de travail ainsi que ses relevés GPS et téléphoniques,

- un décompte précisant qu'elle a accompli :

* 27 heures de travail en octobre 2018 et non 21 rémunérées par l'employeur,

* 18,30 heures les 1er et 2 novembre et non 14 heures,

* 8 heures le 31 décembre et non 7 heures,

- un décompte sous forme de tableau pour la période litigieuse (du 29 octobre au 31 décembre 2018) précisant le nombre d'heures de travail par jour avec le détail des horaires,

- un décompte récapitulatif précisant pour chaque mois le nombre d'heures de travail accomplies ainsi que le nombre d'heures supplémentaires (43,3 en novembre 2018, 50,35 en décembre 2018),

- un tableau récapitulatif faisant apparaître le nombre d'heures accomplies par semaine en novembre et en décembre 2018, le taux horaire applicable ainsi que le taux horaire majoré soit de 25% soit de 50%, le nombre d'heures supplémentaires majorées à 25% soit 59,65 heures et le nombre d'heures supplémentaires majorées à 50% soit 35,15 heures, le total représentant 1257,60 €.

Ces éléments sont suffisamment précis pour mettre l'employeur en mesure de répondre, d'autant que celui-ci avait l'obligation en application de l'article 26 de l'accord du 16 juin 1961 dans sa rédaction en vigueur au moment de la relation de travail, de contrôler « la durée du travail au moyen d'un carnet de route constitué de feuilles de temps établies en triple exemplaire autocopiant dont 1 pour le salarié et 1 pour la souche qui reste à l'entreprise », étant précisé qu' « un dispositif informatique de contrôle (pouvait) également être mis en place dans l'entreprise », que « les feuilles du carnet de route autocopiant, remplies quotidiennement, (devaient) comporter les horaires de début et de fin d'amplitude ; une partie étant réservée aux observations », ces feuilles de route permettant « d'enregistrer, d'attester et de contrôler le temps passé au service de l'employeur ». Il était également précisé que «  ce document contradictoire, (était) signé au moins une fois par mois par le coursier et l'employeur ou son représentant; l'exemplaire du coursier lui (était) remis chaque mois avec son bulletin de paie ».

L'employeur critique les pièces fournies par la salariée, ne produit pas les feuilles du carnet de route et verse aux débats :

- pour la première fois en cause d'appel, le « rapport historique des événements » correspondant à l'enregistrement du badge de la salariée sur la période litigieuse, lequel permet de connaître à quelle heure celle-ci est arrivée au dépôt et à quelle heure elle en est repartie ; il en ressort qu'effectivement, elle accomplissait des heures supplémentaires,

- un tableau récapitulatif mentionnant 1 heure de pause quotidienne sans préciser le détail des heures travaillées, dont il résulte que la salariée a accompli 21,75 heures de travail en octobre 2018 ; 157,75 heures en novembre 2018 ; 142,75 heures en décembre 2018,

- les attestations régulières de MM. [H] [O], chef d'équipe, [B] [C] (analyste), [V] [P], responsable du dépôt et de l'équipe au sein de laquelle la salariée travaillait, dont il résulte pour l'essentiel que les pauses étaient imposées et étaient prises par la salariée qui ne les a pas intégrées à ses décomptes et que la fin de journée correspondait à son retour de tournée et non à la fin de ses bavardages avec ses collègues de travail,

- les attestations régulières de MM. [L] [I], responsable des chauffeurs, et [T] [M], chauffeur-livreur, lesquels indiquent respectivement que la salariée était ponctuelle et souriante pendant sa période d'essai et a seulement sollicité un téléphone professionnel et que lorsqu'il est arrivé au second témoin de prendre la tournée de la salariée après son départ, il a pu prendre sa pause repas et n'a jamais dépassé les 7 heures de travail quotidien,

- les bulletins de salaire ne mentionnant aucune heure supplémentaire.

Ces éléments ne suffisent pas à contredire les pièces produites par la salariée : ni le récapitulatif réalisé par l'employeur et non signé par la salariée, ni les témoignages émanant notamment des supérieurs hiérarchiques ne sont corroborés par des éléments issus du contrôle de la durée du travail de la salariée.Enfin, aucun élément ne permet de comparer les tournées confiées à la salariée avec celles effectuées par l'employé qui témoigne.

Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur à payer à cette dernière :

- la somme de 111,64 € au titre du rappel de salaire pour les heures accomplies en octobre, novembre et décembre 2018, étant précisé qu'aucune indemnité compensatrice de congés payés y afférents n'est sollicitée,

- la somme de 1 257,60 € au titre du rappel de salaire pour les heures supplémentaires, outre la somme de 125,76 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés y afférents.

Sur le travail dissimulé.

La dissimulation d'emploi salarié prévue à l'article L 8221-5 du Code du travail n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a, de manière intentionnelle, omis d'accomplir la formalité relative à la déclaration préalable à l'embauche ou de déclarer l'intégralité des heures travaillées.

L'article L 8223-1 du même Code, dans sa version applicable, prévoit qu'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié concerné par le travail dissimulé a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

En l'espèce, le faible volume d'heures de travail non déclaré ne suffit pas à établir l'élément intentionnel d'autant qu'il n'est pas démontré que la salariée aurait attiré l'attention de l'employeur sur ce point avant la remise de sa lettre de démission.

Sur la rupture.

La démission ne se présume pas et doit résulter d'une volonté claire et non équivoque de rompre le contrat de travail.

En l'espèce, la salariée sollicite que sa démission soit requalifiée en prise d'acte de la rupture.

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison des faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifient, soit dans le cas contraire d'une démission.

Les faits invoqués par le salarié doivent non seulement être établis mais constituer des manquements suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite de la relation contractuelle.

Enfin, c'est au salarié et à lui seul qu'il incombe d'établir les faits allégués à l'encontre de l'employeur. S'il subsiste un doute sur la réalité des faits invoqués à l'appui de la prise d'acte, celle-ci doit produire les effets d'une démission.

En l'espèce, la salariée fait état de pressions de la part de l'employeur pour obtenir sa démission et affirme qu'il la lui a dictée. Elle verse aux débats l'attestation régulière de M. [K] [D], ex-salarié du 16 au 29 juin 2016 qui affirme avoir été poussé à la démission du fait de pressions morales.

Toutefois, ce témoignage, sans lien avec le présent litige, est inopérant et ne suffit pas à établir que la démission est viciée, d'autant que l'employeur verse aux débats l'attestation régulière de la secrétaire, Mme [N] [Y], laquelle affirme avoir été présente le jour où la salariée a demandé la rupture de son contrat de travail, ce à quoi il lui avait été répondu que ce n'était pas possible, que si elle souhaitait démissionner, elle devait respecter un préavis d'une semaine, auquel elle s'était dit opposée, puis qu'elle avait rédigé sa lettre de démission.

En revanche, il résulte de ce qui précède que la salariée a accompli des heures de travail non rémunérées dès le début de la relation de travail et jusqu'à son terme, de sorte que sa démission est équivoque.

L'accomplissement d'heures de travail non rémunérées constitue un manquement grave de la part de l'employeur, tenu d'opérer un contrôle sérieux de la durée du travail. Dès lors, ce manquement justifie que la démission soit analysée en une prise d'acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur l'applicabilité du barème d'indemnisation.

La salariée fait valoir que la barémisation des indemnités prud'homales résultant des ordonnances dites Macron est irrégulière et injustifiée par référence à l'article 24 de la Charte sociale européenne révisée et à l'article 10 de la convention n°158 de l'OIT sur le licenciement. Elle ajoute que le Comité européen des droits sociaux (CEDS), chargé de faire respecter ladite Charte révisée et d'en sanctionner les manquements, a indiqué que les mécanismes d'indemnisation sont réputés appropriés lorsqu'ils prévoient notamment des indemnités d'un montant suffisamment élevé pour dissuader l'employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime.

Selon l'article L. 1235-3 du Code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux.

L'article 24 de la Charte sociale européenne révisée, selon la partie II de ce dernier texte stipule que :

« Les Parties s'engagent à se considérer comme liées, ainsi que prévu à la partie III, par les obligations résultant des articles et des paragraphes ci-après.

[...]

Article 24 ' Droit à la protection en cas de licenciement

En vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s'engagent à reconnaître :

a) le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service ;

b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.

A cette fin les Parties s'engagent à assurer qu'un travailleur qui estime avoir fait l'objet d'une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial ».

Eu égard à l'importance de la marge d'appréciation laissée aux parties contractantes par les termes précités de la Charte sociale européenne révisée, rapprochés de ceux des parties I et III du même texte, les dispositions de l'article 24 de ladite Charte ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

Si les termes de cet article sont proches de ceux employés à l'article 10 de la Convention n°158 de l'OIT, la Charte sociale européenne repose sur une logique programmatique : elle réclame des États qu'ils traduisent dans leurs textes nationaux les objectifs qu'elle leur fixe.

En outre, le contrôle du respect de cette Charte est confié au seul Comité européen des droits sociaux (CEDS).

Si des réclamations peuvent être portées devant cette instance, sa saisine n'a pas de caractère juridictionnel : les décisions qu'elle prend n'ont pas de caractère contraignant en droit français.

Dès lors, les employeurs et les salariés ne peuvent se prévaloir de l'article 24 de la Charte sociale européenne devant le juge en charge de trancher leur litige.

Il s'ensuit que le barème contesté doit être appliqué.

Sur les conséquences pécuniaires de la rupture.

L'article L 1235-3 du Code du travail prévoit que l'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un salarié totalisant moins d'une année d'ancienneté dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés ne peut excéder un mois de salaire brut.

Compte tenu de l'ancienneté de la salariée née le 17/02/1996 (moins d'un an), du nombre de salariés habituellement employés (au moins 11 salariés), de sa rémunération mensuelle brut (1658,32€) il convient de fixer les sommes suivantes à son profit :

- 1 658,32 € au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 374,45€ au titre de l'indemnité compensatrice de préavis (1 semaine),

- 37,44 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférents.

La demande reconventionnelle relative au non-respect du préavis attaché à la démission doit être rejetée.

Sur les demandes accessoires.

L'employeur devra délivrer à la salariée un certificat de travail, une attestation destinée à Pôle emploi et des bulletins de salaire rectifiés conformément la présente décision, sans qu'il soit nécessaire de prononcer une astreinte. Le conseil de prud'hommes ayant ordonné la délivrance des seuls bulletins de salaire d'octobre et de décembre 2018 sera confirmé de ce chef mais il sera ajouté l'obligation de délivrer le bulletin de salaire de novembre 2018 rectifié.

L'employeur sera tenu aux dépens de première instance et d'appel.

Il est équitable de le condamner à payer à la salariée la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel.

Le jugement sera par conséquent confirmé en toutes ses dispositions.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré, par arrêt mis à disposition au greffe ;

CONFIRME le jugement du 26 novembre 2020 du conseil de prud'hommes de Perpignant en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la SARL Expresso Courses à délivrer à Mme [S] [W] un bulletin de salaire du mois de novembre 2018, en sus de ceux d'octobre et décembre 2018, rectifié conformément au présent arrêt ;

DIT n'y avoir lieu de prononcer une astreinte assortissant l'obligation de délivrance des documents de fin de contrat et bulletins de salaire rectifiés ;

CONDAMNE la SARL Expresso Courses à payer à Mme [S] [W] la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel ;

CONDAMNE la SARL Expresso Courses aux entiers dépens de l'instance ;

LE GREFFIER P/LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 2e chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/05823
Date de la décision : 14/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-14;20.05823 ?
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