Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
1re chambre sociale
ARRET DU 07 JUIN 2023
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 19/05956 - N° Portalis DBVK-V-B7D-OJ6W
Arrêt n° :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 24 JUILLET 2019 DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER
N° RG F 17/00335
APPELANT :
L'EPIC SNCF MOBILITES, au droits duquel vient la SNCF VOYAGEURS, société anonyme
ayant son siège [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal, domicilié es qualité audit siège,
Représenté par Me Jérémy BALZARINI de la SCP LEVY, BALZARINI, SAGNES, SERRE, LEFEBVRE, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué par Me DE ARANJO, avocat au barreau de Montpellier
INTIME :
Monsieur [T] [B]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représenté par Me Xavier LAFON de la SCP LAFON PORTES, avocat au barreau de BEZIERS
Ordonnance de clôture du 03 Novembre 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 AVRIL 2023,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre
Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller
Mme Véronique DUCHARNE, Conseillère
Greffier lors des débats : Mme Marie BRUNEL
ARRET :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, et par Mme Marie BRUNEL, Greffière.
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* *
EXPOSÉ DU LITIGE
L'EPIC SNCF MOBILITÉS a embauché M. [T] [B] suivant contrat de travail au cadre permanent du 20 septembre 1999 en qualité d'agent de man'uvre graissage. À compter du 1er mai 2008 le salarié a nommé agent escale service gare. Il sera affecté à un poste d'agent de service commercial à compter du 1er octobre 2010.
Le 21 mars 2014, le salarié recevait un avertissement ainsi rédigé :
« La pochette de versement n° 012460755 que vous aviez inscrite sur le carnet de versement le 19 février 2014 à 10h30 n'a pas été déposée dans le coffre. Celle-ci n'a pas été trouvée lors de la reconnaissance des versements. Infraction à l'article 2 du RH0006. »
Une cliente de l'entreprise a déposé plainte pour des faits de harcèlement sexuel du 6 août 2014 à l'encontre du salarié dans les termes suivants :
« Conformément aux instructions reçues de M. [K] [G], commissaire divisionnaire de police, chef du service de sécurité de police recevons la personne dénommée ci-dessus [Mme [U] [C] demeurant à [Localité 7]] qui nous déclare : Le 14/07/2014, j'ai été victime du vol de mon portefeuille dans lequel se trouvait ma carte bancaire, mon seul moyen de paiement. J'ai déposé une pré plainte en ligne pour cela. Mais ma mère m'a offert un voyage en Corse du 24/07 au 04/08/2014/. À la fin de mon séjour en Corse, je suis arrivée sur le continent dans la ville de [Localité 11]. N'ayant pas les moyens de payer le train pour rentrer jusqu'à [Localité 7], j'ai quand même pris le risque de me faire verbaliser par les contrôleurs et je suis donc montée dans le TER qui faisait la liaison [Localité 11] / [Localité 5]. Je précise que dans le trajet [Localité 11]/[Localité 5], je n'ai pas vu les contrôleurs. Puis une fois en gare de [6], j'ai repris un autre TER pour rallier [Localité 7] : Là, avant de monter dans le train qui était déjà à quai, je suis allée me présenter au contrôleur principal de ce TER, afin de lui expliquer mon problème. Je lui ai dit que je ne possédais aucun litre de transport et que je n'avais pas les moyens de payer un billet, car je n'avais plus d'espèces sur moi et surtout je n'avais pas encore récupéré ma carte bancaire, qui m'avait été volée quelques jours auparavant. Ce contrôleur après m'avoir écoutée, m'a dit : « Y a pas de soucis montez dans le train on réglera ça plus tard » J'ai donc suivi ses conseils et je me suis installée dans le TER en fin de rame. Je précise que le train devait partir de [Localité 5] à 18h18, mais il a eu un retard de 30 minutes. Une fois le train parti, ce contrôleur m'a rejoint à ma place et m'a expliqué qu'il allait me verbaliser. Il m'a déclaré que le montant de cette amende plus le prix du billet de train s'élèverait à 83 €. En même temps qu'il m'expliquait ceci, je lui ai tendu mon passeport afin qu'il relève mon identité pour établir le procès verbal et là il m'a dit en me regardant : « Ah [U] [U] [U]' !!! Suivez-moi' » Je me suis levée et je l'ai suivi. Nous nous sommes dirigés complètement vers l'arrière du train où se trouvait la cabine de conduite où nous étions tous seuls. D'ailleurs pour rentrer dans le poste de conduite il a pris une clé spéciale et m'a precisé qu'il n'était pas autorisé à le faire. Il a refermé la porte. Il a commencé à me questionner sur ma vie professionnelle, a fait des allusions aux difficultés financières que peuvent rencontrer les étudiants. Ensuite il a continué à me parler en m'informant des emplois d'été au sein de la SNCF en tant que contrôleur. Jusqu'à ce moment, il n'avait pas encore rédigé sa contravention. Puis d'un coup, il m'a déclaré en ses termes : « Est-ce que vous voulez vous faire de l'argent cette nuit » J'ai été très surprise et étonnée de ses propos. Je me suis sentie mal à I aise au vu de la promiscuité des lieux et de la situation. Je lui ai répondu : « Qu'est-ce que vous entendez par là ' » Il a recommencé à me dire « Est-ce que vous voulez vous faire beaucoup d'argent ' » Je lui ai répondu clairement que l'argent ne m'intéressait pas. Il m'a répondu « Pourtant les filles sont intéressées par ce genre de propositions » J'ai eu l'impression qu'il voulait dire que les filles de mon âge étaient intéressées par ce genre de proposition. Ensuite il a enchaîné en me disant « Il y a toujours un montant qui fait changer d'avis » Je lui ai expliqué que mon corps ne valait pas de l'argent quelle que soit la somme proposée. Il m'a dit « Est-ce que tu veux que je pose l'argent sur la table ». Je lui ai répondu non. Il l'a fait quand même en sortant des billets de sa poche de pantalon. Un billet de 100 € se trouvait dans un petit sac plastique transparent. Il y avait d'autres billets de 50 €. Je ne m'intéressais pas du tout à sa proposition. Vu cela il m'a dit « Je peux retirer un peu plus en arrivant à [Localité 7] » Il a enchaîné en déclarant : « À ton avis combien tu vaux » Je n'ai pas répondu à sa question considérant que c'était ridicule. Il m'a dit « Bon ben je vous aurai donné 300 € » J'ai répondu en étant en colère « comment vous pouvez fixer des prix sur le corps des personnes ' » Il m'a dit : « Par exemple 50 € pour une paire de seins 50 de plus pour une fellation avec préservatif et plus cher sans préservatif » « Pour vous cela aurait été 300 € ça vous remboursera les retraits frauduleux dus au vol de votre carte bancaire » J'ai été choquée et je lui ai dit « mais pour vous il y a aucune différence entre un rapport normal et un rapport tarifié » Ce à quoi il me répond « J'ai de l'argent j'achète ma liberté je vous ai vue, vous êtes jolie j'ai envie de vous sauter donc je vous propose » « je suis honnête » Il m'a dit « Vous êtes une fille bien éduquée vous avez des valeurs mais rien que pour corrompre montrez-moi vos sous-vêtements et je vous donne 50 € » J'ai dit non certainement pas. Il a enchaîné en me disant « Avec 50 € vous pourriez payer un verre à vos amis ce soir » J'ai répondu : « c'est hors de question je vais pas payer un verre avec des sous que j'aurai gagné en montrant mes sous-vêtements » II m'a répondu « Tu réfléchis trop » Il a tout retenté en me déclarant « Avec 300 € imagines ce que tu pourrais faire » J'ai encore refusé son avance. Il m'a dit « Bon j'abandonne » et il est parti dans le train me laissant dans la cabine de pilotage sans pour autant fermer la porte à clé. Je suis restée sur place et j'ai lu mon livre. Il est revenu plus tard me voir et il a rigolé de ses propositions indécentes qu'il venait de me faire. II m'a dit qu'il risquait beaucoup. Il m'a déclaré à plusieurs reprises que j'étais jolie que je devais avoir plusieurs propositions. Sur la fin du trajet il m'a proposé 50 € pour aller dîner avec lui et ensuite avoir un rapport gratuitement. Bien entendu j'ai refusé catégoriquement cela. Je lui ai dit qu'il devait être marié et qu'il arrête de m'embêter avec ses propositions. Il m'a dit « J'ai une copine j'habite à Clémenceau tiens je vais te donner mon adresse mail pour postuler au niveau des jobs d'été » Son adresse mail est la suivante : [Courriel 4]. Le train était arrivé en gare de [Localité 7], il m'a déclaré « Je me branlerai ce soit en pensant à vous », puis a ouvert la porte de la cabine de conduite et je suis descendue du train. Je suis en mesure de décrire ce contrôleur. Il s'agit d'un homme de type européen, âgé de 38 ans (sa déclaration), 170 cm 175 cm, corpulence forte, ventre bedonnant, cheveux bruns courts raides, yeux marron. Je n'ai pas d'autres informations utiles à la poursuite de l'enquête à vous communiquer. »
L'employeur demandait au salarié ses explications écrites par lettre du 5 novembre 2014 et ce dernier répondait ainsi le 10 novembre 2014 :
« Le 6 août 2014, j'accompagne en tant qu'agent B le TER 876520 de [Localité 5] à [Localité 8]. Voici mes explications écrites sur les faits qui me sont reprochés lors de cet accompagnement.
- Autoriser une cliente à monter à bord du train : Lors de l'accueil du TER sur le quai à [Localité 5] une cliente se présente à moi. Elle me précise s'être fait voler sa carte bleue à [Localité 11]. Elle doit rentrer chez elle à [Localité 7]. Elle n'a pas de moyen de paiement. Elle souhaite monter à bord du train. Dans un temps, je lui réponds que ce n'est pas possible, car elle doit être en possession d'un titre de transport pour voyager. Elle insiste et me précise que c'est le dernier train pour rentrer chez elle. Selon elle, elle dormira dans la gare ou aux abords si elle ne peut prendre ce train. Cette situation suscite chez moi une empathie importante. Exceptionnellement, je lui demande si elle possède une pièce d'identité. Elle me répond que oui. Je l'autorise à monter à bord en lui précisant que je lui dresserai un Procès Verbal (PV). J'avise l'agent titulaire qu'il y aura un PV à dresser après le départ.
- Décidé de ne pas dresser de PV à la cliente : Après la ronde de sécurité, je retrouve cette voyageuse assise dans un compartiment (matériel CORAIL). Je lui demande de me présenter sa pièce d'identité. Elle me tend son passeport. Je le consulte. À ce moment précis, le TER entre en gare de [10]. Je lui rends son passeport. Je descends sur le quai. Après le départ du TER de la gare de [10], je retourne voir la voyageuse. Celle-ci roule des cigarettes. Elle ne me présente plus son passeport et tient à m'expliquer sa situation personnelle. Elle m'indique être étudiante, avoir peu de moyens, ne plus avoir de Carte Bleue. Prenant en considération sa situation et l'honnêteté dont elle a fait preuve sur le quai à [Localité 5] en se présentant spontanément à moi, elle me convainc de ne pas lui dresser de PV. Je pars rejoindre l'agent titulaire en tête de train.
- Installé la cliente en cabine arrière et vous l'auriez rejointe à plusieurs reprises : Lors d'un nouveau passage, la voyageuse m'interpelle. Elle me demande s'il existe un lieu où elle pourrait fumer une cigarette. Je l'invite à s'installer en cabine arrière et d'en sortir immédiatement après avoir fumé sa cigarette. Je continue ma ronde. Ne la voyant pas revenir, je m'inquiète et je la rejoins. Une fois dans la cabine, je discute avec elle. Une conversation débute. Elle me pose beaucoup de questions sur le métier d'ASCT. Au bout de quelques minutes, l'agent titulaire entre dans la cabine et m'invite à le suivre pour contrôler le train. Devant lui, je demande à nouveau à la voyageuse de quitter la cabine. Elle me demande si elle peut rester, car la température est meilleure que dans le reste du train. J'accepte. Je pars contrôler le train avec l'agent titulaire. Une fois les opérations de contrôle terminées, je rejoins la voyageuse en cabine. Nous reprenons la conversation entamée plus tôt. À plusieurs reprises, l'agent titulaire nous rejoint et participe à la conversation. Entre [Localité 9] et [Localité 7], notre conversation s'arrête. La cliente quitte la cabine. Je ne l'ai jamais revue.
- Indiqué à votre collègue votre attrait pour la cliente : Je réfute catégoriquement avoir tenu ce genre de propos.
- Décidé de descendre à [Localité 7] avec la cliente et non à [Localité 8] comme le prévoyait votre commande : Peu avant d'entrer en gare de [Localité 7], le TER accuse un retard de plus de 30mn. J'estime avoir peu de chances de pouvoir prendre le train du retour (au départ de [Localité 8]) sur lequel je suis commandé « renfort » jusqu'à [Localité 7] (fin de service). Il n'y a plus de solution ferroviaire pour me rapatrier à [Localité 7] après ce train. Dans ce cas, mon repos journalier risquerait de ne plus être réglementaire pour assurer ma prise de service du lendemain. Je tente, en vain, à plusieurs reprises de joindre la CPST afin de l'informer de la situation. Je prends l'initiative après avoir obtenu l'accord du titulaire, de descendre en gare de [Localité 7]. Je descends seul. Je réfute catégoriquement être descendu avec la voyageuse.
- Réalisé des propositions financières pour obtenir des actes sexuels de la part de la cliente : Je réfute catégoriquement avoir effectué des propositions financières pour obtenir des actes sexuels de la part de la cliente. »
Le 4 février 2015 le directeur de la région décidait de traduire le salarié devant le conseil de discipline qui devait siéger le 29 avril 2015 mais il informait le salarié le 31 mars 2015 qu'il abandonnait les poursuites.
Le 27 novembre 2014, l'employeur a encore reproché au salarié des faits de malversation financière pour un montant de 5 550,12 €. Le salarié s'est expliqué par lettre non datée et ainsi rédigée :
« Je suis étonné de recevoir cette demande d'explications écrites le 29/11/2014. En effet, fin août 2014, vous m'avez alerté verbalement sur ces versements tardifs lors d'un entretien informel dans votre bureau. Je vous ai alors apporté mes explications. Le 04/11/2014, lors d'un entretien avec la SUGE financière, j'ai donné les mêmes explications cette fois, par écrit. Pour rappel, j'ai perdu les espèces de la séance 9714. J'ai décidé d'assumer mon erreur en les versant sur mes propres deniers. Je ne pouvais cependant pas les verser d'un coup. J'ai, par conséquent, décalé mes versements suivants afin d'être à jour sur le plan comptable lors du versement de la séance 9221. Depuis cette séance (du 26/08/2014), je n'ai plus effectué de versement tardif. Vous parlez d'un préjudice pour l'entreprise s'élevant à 5 550,12 €. Je ne comprends pas ce montant. M. le directeur d'unité opérationnelle, je n'ai jamais ni volé ni détourné de l'argent de l'entreprise. Bien au contraire, j'ai toujours activement participé à la sauvegarde des recettes à bord des trains. En 2013, j'ai encaissé plus de 50 000 € en CC132 et dressé pour presque 60 000 € de procès-verbaux dans le cadre de l'exercice de mes fonctions à bord des trains. »
Le 31 mars 2015, l'employeur a mis le salarié à pied durant 12 jours avec rétrogradation dans les termes suivants :
« Décision de M. le directeur de région en date du 31 mars 2015 : Dernier avertissement avec mise à pied de 12 jours ouvrés et avec rétrogradation à la qualification inférieure. Pour les motifs suivants : Dans le cadre d'une enquête menée par la SUGE financière, au vu des divers éléments recueillis qui ont donné lieu à l'édition d'un rapport reçu par l'établissement le 25 novembre 2014, l'enquête a établi les faits suivants que vous avez reconnus lors de votre entretien du 4 novembre 2014. Cavalerie comptable effectuée entre le 4 juillet et le 26 août 2014 :
' Séance 9214 : 16 jours de retard pour un montant de 682,00 €
' Séance 9215 : 8 jours de retard pour un montant de 163,39 €
' Séance 9216 : 6 jours de retard pour un montant de 388,36 €
' Séance 9217 : 26 jours de retard pour un montant de 1 088,70 €
' Séance 9218 : 28 jours de retard pour un montant de 260,00 €
' Séance 9219 : 18 jours de retard pour un montant de 356,00 €
' Séance 9220 : 14 jours de retard pour un montant de 300,00 €
' Séance 9221 : 9 jours de retard pour un montant de 160,00 €
Le préjudice estimé pour l'entreprise s'élève à 5 550,12 €. Ces faits fautifs caractérisent une malversation constituant une faute grave et sont en infraction au référentiel VO 0712 et à l'article 2 du RH 0006. Les dates d'exécution de la mise à pied vous seront indiquées ultérieurement. »
Se plaignant de harcèlement moral et contestant notamment la sanction disciplinaire, M. [T] [B] a saisi le 28 mars 2017 le conseil de prud'hommes de Montpellier, section commerce, lequel, par jugement rendu le 24 juillet 2019, a :
annulé la sanction disciplinaire du 31 mars 2015 ;
condamné l'employeur à payer au salarié les sommes suivantes :
'6 895,00 € nets à titre de rappel de salaires ;
' 689,50 € nets au titre des congés payés ;
' 500,00 € au titre des frais irrépétibles ;
débouté le salarié de ses autres demandes ;
débouté l'employeur de sa demande présentée au titre des frais irrépétibles ;
mis les éventuels dépens de l'instance à la charge de l'employeur.
Cette décision a été notifiée le 1er août 2019 à l'EPIC SNCF MOBILITÉS qui en a interjeté appel suivant déclaration du 28 août 2019.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 3 novembre 2022.
Suivant arrêt avant dire droit du 25 janvier 2023, la cour a renvoyé la cause à l'audience du 4 avril 2023 pour permettre à la SA SNCF VOYAGEURS de produire son entier dossier de plaidoirie comportant les pièces numérotées de 1 à 30.
Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 14 octobre 2022 aux termes desquelles la SA SNCF VOYAGEURS venant aux droits de l'EPIC SNCF MOBILITÉS demande à la cour de :
infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
'annulé la sanction disciplinaire du 31 mars 2015 ;
'condamné l'employeur à payer au salarié les sommes suivantes :
'6 895,00 € nets à titre de rappel de salaires ;
' 689,50 € nets au titre des congés payés ;
' 500,00 € au titre des frais irrépétibles ;
dire régulières les procédures disciplinaires poursuivies et la sanction prononcée ;
dire régulière et bien-fondée la retenue de salaire de 1 000 € opérée en septembre 2016 ;
constater l'absence de tout fait de harcèlement moral de l'employeur ;
débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes ;
condamner le salarié à lui payer la somme de 2 500 € au titre des frais irrépétibles outre les entiers dépens de l'instance.
Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 20 février 2020 aux termes desquelles M. [T] [B] demande à la cour de :
confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a annulé la sanction disciplinaire du 31 mars 2015 ;
l'infirmer pour le surplus ;
dire qu'il a été victime de harcèlement moral ;
dire que du fait de la sanction injustifiée dont il a fait l'objet, il a été indûment privé d'une partie de sa rémunération constituée de primes et d'indemnités ;
condamner l'employeur à lui verser les sommes suivantes :
'15 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
'10 695 € nets à titre de rappel de salaire et de primes ;
' 1 069 € nets au titre des congés payés y afférents ;
' 1 000 € au titre du remboursement de l'indemnité de non-affectation ;
dire que les sommes allouées porteront intérêts, à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, celle-ci valant sommation de payer au sens de l'article 1344-1 du code civil ;
condamner l'employeur à lui payer la somme de 1 800 € au titre des frais irrépétibles ;
condamner l'employeur aux entiers dépens de première instance et d'appel.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1/ Sur la sanction disciplinaire du 31 mars 2015
Le salarié demande à la cour d'annuler la sanction disciplinaire prononcée le 31 mars 2015. Il fait valoir que les faits reprochés sont prescrits pour avoir été commis entre le 4 juillet et le 26 août 2014 alors que la procédure disciplinaire n'a été engagée que le 17 décembre 2014, soit plus de 4 mois après les faits contrairement aux dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail. Il fait valoir que le rapport SUGE indique :
« Le mercredi 10 septembre 2014, M. [O] [R] responsable gestion finance de l'ECT Languedoc-Roussillon, alerte notre service au sujet de versements suspects concernant un agent commercial train M. [B] [T]. Après avoir obtenu l'accord pour traiter ce dossier du DUO de l'établissement M. [L] [M], nous prenons connaissance du VO 0712 (FC14) et du livret d'information sur les versements distribués aux agents de l'ECT. Nous effectuons un listage des opérations des fiches accelio, cahier d'émargement et journal des opérations, sur lesquels nous sommes habilités à vérifier les versements des différents ASCT de l'entreprise. À cette occasion, nous constatons qu'effectivement l'agent [T] [B] accuse plusieurs retards sur la restitution de ses séances. Nous relevons 8 retards' »
Le salarié soutient que l'employeur n'avait pas à attendre l'approbation du rapport du SUGE, le 21 novembre 2014, pour déclencher la procédure disciplinaire.
Le salarié ajoute que l'employeur était informé depuis plusieurs années de ses retards dans la restitution des transactions, ce qui ressort de ses entretiens annuels d'évaluation, et qu'il existait ainsi une tolérance sur la date de restitution. Il conteste tout détournement et relève que l'employeur ne lui réclame toujours aucune somme dans le cadre de la présente instance.
Enfin, le salarié reproche à l'employeur d'avoir prononcé simultanément trois sanctions disciplinaires distinctes, un avertissement, une mise à pied et une rétrogradation et il soutient que la SNCF ne peut tirer argument de son référentiel RH 00144 pour soutenir qu'il ressort de celui-ci que constitue une seule et unique sanction « le dernier avertissement avec mise à pied de 3 à 12 jours ouvrés avec, le cas échéant, déplacement par mesure disciplinaire ou rétrogradation à la qualification inférieure », dès lors que ces dispositions sont contraires au droit commun.
Le salarié relève que l'employeur ne pouvait lui imposer une modification de son contrat de travail à titre disciplinaire, telle une rétrogradation et qu'il devait tout d'abord lui notifier la proposition d'une telle sanction en l'informant expressément de sa faculté d'accepter ou de refuser cette mesure.
Concernant la prescription bimensuelle, l'employeur répond que les informations ne sont parvenues à la connaissance de la direction qu'à la suite d'un rapport de la direction territoriale SUGE Méditerranée approuvé le 21 novembre 2014 et reçu par l'établissement le 25 novembre 2014.
L'article L. 1332-4 du code du travail dispose que :
« Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. »
En application de ce texte, dès lors que les faits sanctionnés ont été commis plus de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires, il appartient à l'employeur d'apporter la preuve qu'il n'en a eu une connaissance exacte et complète que dans les deux mois ayant précédé l'engagement des poursuites. Le supérieur hiérarchique qui a connaissance des faits fautifs d'un salarié doit être considéré comme l'employeur même s'il n'est pas titulaire du pouvoir disciplinaire.
En l'espèce M. [R] [O], responsable gestion financière de l'ECT Languedoc-Roussillon, a eu connaissance des faits au moins à compter du 10 septembre 2014 puisqu'il en a alors informé la SUGE (Surveillance Générale, soit la police ferroviaire). L'employeur ne rapporte pas la preuve de ce que l'enquête de la SUGE lui ait permis d'acquérir une connaissance plus exacte ou plus précise des faits reprochés au salarié et il ne précise pas même la date de l'obtention par la SUGE de telles précisions. Dès lors, la prescription se trouve acquise et la triple sanction disciplinaire sera annulée.
2/ Sur la demande de rappel de salaire
Le salarié explique qu'à la suite de sa rétrogradation il s'est vu retirer le bénéfice d'un certain nombre de primes même si son salaire de base est resté identique. En réparation il sollicite la somme de 10 695 € nets outre celle de 1 069 € nets au titre des congés payés y afférents. Il fait valoir qu'il a notamment perdu l'allocation de déplacement de 300 € par mois.
L'employeur conteste toute diminution de rémunération expliquant que la baisse de rémunération ne s'explique que par l'absentéisme du salarié qui est passé de 2 jours en 2014 à 81 jours en 2015. Il ajoute que si la rémunération est passée de 34 082 € nets en 2014 à 27 187 € en 2015, elle est remontée à 35 446,29 €.
La cour retient que le salarié ne détaille pas le rappel de rémunération qu'il sollicite et ne réclame pas le rétablissement de certaines primes alors qu'il continue d'être employé par l'entreprise et encore que l'employeur justifie que sa rémunération globale n'a pas été affectée par la sanction. En conséquence le salarié sera débouté de ce chef de demandes.
3/ Sur l'indemnité de non-affectation
Le salarié fait valoir que par lettre du 23 septembre 2016 l'employeur lui a indiqué qu'il aurait perçu l'indemnité de non-affectation à un roulement sur les années 2015 et 2016 pour un montant total de 1 269,56 € et qu'il a retenu à ce titre la somme de 1 000 € sur le bulletin de septembre 2016, qu'il ne lui a pas été précisé les raisons pour lesquelles il ne pouvait prétendre à cette prime mais qu'il semblerait que ce soit la conséquence de la mesure conservatoire, laquelle était injustifiée. Aussi le salarié sollicite-t-il le paiement de la somme de 1 000 € à titre de remboursement de l'indemnité de non-affectation.
L'employeur répond que le salarié percevait une indemnité de non-affectation à un roulement sur les années 2015 et 2016 depuis le 1er janvier 2015 alors que l'attribution de cette indemnité correspond à l'affectation d'un agent à un poste déterminé comme « Réserve » au cadre d'organisation de l'établissement concerné, et répondant à des contraintes d'utilisation particulières, comme indiqué dans le RH 0130 alors qu'il n'était pas positionné sur un poste de ce type et ne remplissait pas les conditions permettant l'octroi de la prime.
Au vu du RH 0130 produit par l'employeur, il n'apparaît pas que le salarié ait pu prétendre à l'indemnité de non-affectation durant les années 2015 et 2016 sans que cette situation soit en rapport avec une mesure conservatoire prise dans le cadre des instances disciplinaires diligentées à l'encontre du salarié. Ce dernier sera en conséquence débouté de sa demande de remboursement.
4/ Sur le harcèlement moral
L'article L. 1154-1 du code du travail dispose que :
« Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. »
Le salarié reproche à l'employeur d'avoir initié concomitamment deux procédures disciplinaires qui devaient durer environ 6 mois pour être l'une abandonnée et l'autre annulée. Il fait grief à l'employeur de l'avoir rétrogradé, de ne pas l'avoir noté depuis l'année 2010 et de ne pas l'avoir fait bénéficier de promotion ou d'avancement depuis 7 ans. Il ajoute que ces faits ont dégradé son état de santé et il produit une attestation du Pr [Y] [X], psychiatre, ainsi rédigé :
« Je soussigné Professeur [Y] [X] psychiatre certifie avoir suivi M. [B] [T] né le 17.05.1976 de janvier à mars 2015 pour des troubles émotionnels ayant nécessité la mise en 'uvre d'un traitement et un arrêt de travail de plusieurs semaines. Aux dires du patient ces troubles étaient secondaires aux difficultés professionnelles qu'il vivait à cette époque. »
La cour retient que le salarié présente ainsi des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral et qu'il appartient dès lors à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
L'employeur explique que le comportement du salarié concernant la passagère qu'il a laissé monter sans billet était gravement inadapté et que la procédure disciplinaire n'a été abandonnée que du fait de l'absence de réponse pénale. Il explique le délai de l'autre procédure disciplinaire par le délai d'enquête de la SUGE, la sanction disciplinaire étant conforme au règlement de l'entreprise.
L'employeur ne conteste pas l'absence de notation mais explique que cette carence n'est pas propre au salarié. Il explique que dernier a obtenu le 1er juillet 2010 la position B 02 07, que le 1er mars 2012 il est passé CBOR, obtenant ainsi sa qualification C ainsi que deux positions supplémentaires soit C 01 09 et qu'il a été rétrogradé au niveau B sans perte de salaire et qu'ainsi l'absence de promotion n'a duré que 5 ans.
La cour retient que l'engagement de la procédure disciplinaire concernant les faits du 6 août 2014 n'apparaît pas fautif au vu tant des déclarations de la passagère que des explications du salarié et qu'il en va de même concernant l'engagement des poursuites relatives aux faits de cavalerie au regard de la reconnaissance partielle des faits par le salarié. L'absence de promotion de ce dernier n'apparaît pas plus fautive tant que la rétrogradation était toujours contestée en justice. L'absence de notation durant la procédure judiciaire, même pris en combinaison avec la dégradation de la santé mentale du salarié, n'apparaît pas constituer à elle seule des faits répétés ayant eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité, d'altérer la santé physique ou mentale ou de compromettre l'avenir professionnel, étant relevé que le salarié n'a pas vu sa rémunération diminuer et que sa demande de remboursement d'indemnité n'était pas fondée.
En conséquence, le salarié n'a pas été victime de faits de harcèlement moral et il sera débouté de sa demande de dommages et intérêts de ce chef.
5/ Sur les autres demandes
Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais irrépétibles qu'elles ont exposés en cause d'appel. Elles seront donc déboutées de leurs demandes formées en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civil à cette hauteur.
L'employeur supportera les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :
annulé la sanction disciplinaire du 31 mars 2015 ;
condamné la SA SNCF VOYAGEURS à payer à M. [T] [B] la somme de 500 € au titre des frais irrépétibles ;
débouté la SA SNCF VOYAGEURS de sa demande présentée au titre des frais irrépétibles ;
mis les éventuels dépens de l'instance à la charge de la SA SNCF VOYAGEURS.
L'infirme pour le surplus.
Statuant à nouveau,
Déboute M. [T] [B] de ses demandes de rappel de salaire, de remboursement d'indemnité et de dommages et intérêts pour harcèlement moral.
Déboute les parties de leurs demandes relatives aux frais irrépétibles d'appel.
Condamne la SA SNCF VOYAGEURS aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT