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31/05/2023 | FRANCE | N°20/05135

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 2e chambre sociale, 31 mai 2023, 20/05135


Grosse + copie

délivrées le

à















COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 31 MAI 2023



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 20/05135 - N° Portalis DBVK-V-B7E-OYGV





Décision déférée à la Cour :

Jugement du 05 NOVEMBRE 2020

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE PERPIGNAN N° RG 19/00141



APPELANTE :



S.A.S. EXTREM VISION PERPIGNAN

[Adresse 1]

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Représentée par Me KALCZYNSKI avocat pour Me Vincent DE TORRES de la SCP DE TORRES - PY - MOLINA - BOSC BERTOU, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES



INTIMEE :



Madame [N] [U]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représ...

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 31 MAI 2023

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 20/05135 - N° Portalis DBVK-V-B7E-OYGV

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 05 NOVEMBRE 2020

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE PERPIGNAN N° RG 19/00141

APPELANTE :

S.A.S. EXTREM VISION PERPIGNAN

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me KALCZYNSKI avocat pour Me Vincent DE TORRES de la SCP DE TORRES - PY - MOLINA - BOSC BERTOU, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES

INTIMEE :

Madame [N] [U]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Alexandre SALVIGNOL de la SARL SALVIGNOL & ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER

Représentée par Me Cédrik BREAN, avocat au barreau de TOULOUSE

Ordonnance de clôture du 15 Mars 2023

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 AVRIL 2023,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Isabelle MARTINEZ, Conseillère, chargé du rapport.

Ce(s) magistrat(s) a (ont) rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Véronique DUCHARNE, Conseillère, faisant fonction de Présidente

Madame Caroline CHICLET, Conseillère

Madame Isabelle MARTINEZ, Conseillère

Greffier lors des débats : M. Philippe CLUZEL

ARRET :

- contradictoire;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Mme Véronique DUCHARNE, Présidente, et par M. Philippe CLUZEL, Greffier.

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE

Madame [N] [U] a été embauchée par la Sas Extrem Vision en qualité de responsable administratif et financier, catégorie cadre, position 2-1, coefficient 105, selon un contrat de travail à durée déterminée à temps complet du 9 février 2015 au 8 août 2015 inclus.

Le 3 août 2015, la salariée a signé un contrat à durée indéterminée prenant effet le 9 août 2015.

Le 15 février 2018, la salariée a sollicité, au cours de son entretien annuel, la redéfinition de ses tâches en raison de la grande diversité de celles-ci, une diminution de la pression pesant sur ses épaules et l'arrêt des remarques dévalorisantes.

Le 20 février 2018, les parties ont signé un document faisant état d'un accord sur le principe d'une rupture conventionnelle du contrat à la fin du mois d'avril 2018 et ont prévu d'en fixer les modalités ultérieurement.

A compter du 5 mars 2018, la salariée a été placée en arrêt de travail jusqu'à la fin de la relation de travail.

Le 13 mars 2018, elle a été convoquée à un entretien, fixé au 20 mars 2018, en vue d'une éventuelle rupture conventionnelle. La salariée, en arrêt de travail, ne s'est pas présentée à cet entretien.

Le 29 mars 2018, la salariée a été convoquée à un entretien préalable, fixé au 16 avril 2018, à son éventuel licenciement.

La salariée, toujours en arrêt de travail a fait connaître à l'employeur ne pas pouvoir s'y présenter pour des raisons médicales.

Le 18 avril 2018, l'employeur a notifié à la salariée son licenciement pour faute grave.

Contestant son licenciement, la salariée a saisi, le 27 mars 2019, le conseil de prud'hommes de Perpignan lequel, par jugement du 5 novembre 2020, a :

- jugé le licenciement nul car en lien avec une situation de harcèlement moral ;

- constaté le caractère vexatoire du licenciement ;

En conséquence,

- condamné la Sas Extrem Vision à verser à Mme [N] [U] les sommes suivantes :

* 26 648, 26 € de dommages et intérêts au titre du licenciement nul;

* 20 000 € de dommages et intérêts au titre du caractère vexatoire du licenciement ;

* 7994,49 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

* 2109,65 € au titre de l'indemnité de licenciement ;

* 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral;

* 2500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens;

- jugé que les sommes ayant nature de salaire porteront intérêts à compter de l'engagement de la procédure ;

- ordonné à la Sas Extrem Vision de délivrer à Mme [U] les documents sociaux de fin de contrat rectifiés conformes au jugement ;

- débouté les parties de l'ensemble de leurs autres demandes.

C'est le jugement dont la Sas Extremvision Perpignan a régulièrement interjeté appel le 18 novembre 2020.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions déposées par RPVA le 14 mars 2023, la Sas Extrem Vision, demande à la Cour de réformer le jugement entrepris, débouter Mme [U] de l'intégralité de ses prétentions et la condamner au paiement d'une somme de 2000€ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions déposées par RPVA le 14 mars 2023, Mme [N] [U], demande à la cour de :

A titre principal,

- Confirmer le jugement entrepris ;

Y ajoutant,

Juger que les sommes ayant nature d'indemnité porteront intérêt à compter du jugement rendu, et subsidiairement à compter de l'arrêt à intervenir ;

- ordonner à l'employeur de délivrer à la concluante les documents obligatoires modifiés ;

- condamner l'employeur au remboursement des indemnités de chômage versées à Mme [U] dans la limite de six mois auprès du Pôle emploi ;

- condamner l'employeur à verser à la salariée la somme de 3600€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de la somme de 2500€ allouée en première instance.

A titre subsidiaire,

- Juger que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;

- constaté le caractère vexatoire du licenciement ;

En conséquence,

- condamné la Sas Extrem vision à verser à Mme [U] les sommes suivantes:

* 10 000 € de dommages et intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 20 000 € au titre du caractère vexatoire du licenciement ;

* 7994,49 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

* 2109,65 € au titre de l'indemnité de licenciement ;

* 6000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, de loyauté et à ses obligations contractuelles de formation ;

* 3600 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de la somme de 2500€ allouée en première instance ainsi qu'aux entiers dépens ;

Juger que les sommes ayant nature d'indemnité porteront intérêt à compter du jugement rendu, et subsidiairement à compter de l'arrêt à intervenir ;

- ordonner à l'employeur de délivrer à la concluante les documents obligatoires modifiés ;

- condamner l'employeur au remboursement des indemnités de chômage versées à Mme [U] dans la limite de six mois auprès du Pôle emploi.

Pour l'exposé des moyens il est renvoyé aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

L'instruction du dossier a été clôturée par ordonnance du 15 mars 2023 fixant la date d'audience au 5 avril 2023.

SUR CE

Sur l'exécution du contrat de travail

Sur le harcèlement moral

En application de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l'article L.1154-1 du code du travail, dans sa version issue de la loi du 8 août 2016, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Invoquant l'existence d'un harcèlement moral, la salariée fait valoir qu'elle avait fait l'objet de la part du directeur de la société, Monsieur [M], d'humiliations publiques, de remarques dévalorisantes, d'accusations mensongères, de pressions visant à l'évincer de l'entreprise et qu'elle avait été confrontée à une situation de surcharge de travail. Elle ajoute que ces faits avaient eu pour effet de dégrader sa santé psychique, raison pour laquelle elle avait été placée en arrêt de travail du 5 mars 2018 jusqu'au 24 mai 2018.

Pour étayer ses affirmations, la salariée verse aux débats :

Pour les humiliations publiques écrites et orales

- une lettre du 23 novembre 2017 adressée par le directeur à une partie du personnel annonçant la modification des horaires d'ouverture de la société et désignant expressément Mme [U] comme étant responsable de cette mesure, celle-ci ne respectant pas ses horaires. Il indiquait'ces horaires sont au détriment de tous, mais grâce à cela j'ose espérer que cette orientation est idéale pour [N] face à ses contraintes personnnelles et que nous pourrons ainsi profiter du secrétariat comme il se doit';

- des témoignages de deux salariés ayant reçu le mail précité :

* Monsieur [K] rapporte que le directeur a réuni tout le personnel pour reccueillir leur avis sur les nouveaux horaires, en présence de Mme [U]. Il indique que 'la situation était assez humiliante pour Mme [U] comme l'ont ressenti aussi, et exprimé par leur malaise plusieurs personnes' ;

* Monsieur [J] rapporte que le mail groupé 'avait pour but d'impliquer l'équipe de travail dans le châtiment de Mme [U]' , que lors de la réunion publique du 27 novembre 2017, cette dernière avait été incriminée devant tout le personnel pour que l'équipe se retourne contre elle et que cette réunion lui avait paru 'très humiliante et s'apparentait à un procès public'.

Pour les remarques dévalorisantes

- un courriel du 6 décembre 2017 émanant du directeur l'informant de la modification de son planning en ces termes : ' j'ai revu votre planning, merci de vous y tenir afin d'éviter de galérer sur des choses insignifiantes et solder ce qui se doit d'être fait' ;

- son compte rendu d'entretien annuel du 15 février 2018 qui mentionne, au titre des attentes auprès de sa hiérarchie, l'arrêt des remarques dévalorisantes ;

- des témoignages d'anciens salariés :

*Madame [Z] rapporte avoir entendu le directeur dénigrer la salariée ainsi que d'autres salariés de l'entreprise ;

*Mme [Y] rapporte avoir entendu le directeur dénigrer la salariée en l'accusant de ne rien savoir faire, d'être incompétente, d'être tout le temps malade à cause de ses régimes alimentaires pour plaire à son mari ;

*Monsieur [J] rapporte avoir vu la salariée sortir en pleurs du bureau du directeur le 19 février 2018. Il ajoute avoir vu, en six ans au sein de la société, six personnes se succéder au poste d'assistante administrative, dont trois occuper leur poste les larmes aux yeux du fait d'altercations répétées avec le directeur ;

*Monsieur [E] rapporte avoir entendu le directeur tenir des propos 'déstabilisants, blessants, déplacés parfois sexistes, des allusions à des situations strictement privées hors contexte professionnel'. Il ajoute que ce sont les traits de caractère narcissique et manipulateur du directeur, qui sont,sans doute, à l'origine des multiples malaises constatés chez Mme [U] durant ses 11 mois passés au sein de la société.

Pour les accusations mensongères

Des témoignages d'anciens salariés :

*Madame [F] rapporte que le directeur lui a demandé de recenser par tous les moyens l'ensemble des fautes, erreurs, retards dans le travail de Mme [U] ; qu'elle n'a recensé aucune faute et a compris qu'il projetait une action contre elle ;

*Madame [Y] rapporte avoir entendu le directeur accuser la salariée d'avoir bloqué les comptes de la banque, volé la carte bancaire, 'magouillé' des chiffres, avoir changé tous les codes d'accès.

Pour la diversité des tâches confiées et la surcharge de travail

- son compte rendu d'entretien annuel du 15 février 2018 qui mentionne l'intensité des tâches confiées, les délais trop courts pour les réaliser, une demande de redéfinition et de partage de ses tâches et de diminution de la pression ;

- un courriel du 18 avril 2018 de Mme [F], salariée ayant succédé à Mme [U] sur le poste de responsable administratif et financier, alertant le directeur de la difficulté à exécuter correctement ses missions du fait de la grande diversité des tâches confiées incluant des tâches invasives et peu en relation avec le poste, telles que l'accueil téléphonique et la gestion des colis. En réponse, l'employeur indiquait, le 19 avril 2018, être 'conscient du besoin d'évoluer et de dégager du temps pour les tâches importantes' ;

- Des témoignages d'anciens salariés :

*Madame [Z], ayant également succédé à la salariée sur le même poste rapporte qu'en sus des tâches administratives et financières, elle était chargée du nettoyage de bureau ainsi que du hall d'entrée et des toilettes ainsi que de la préparation, de l'expédition et de la réception des colis y compris pendant la pause déjeuner.

* Madame [Y] rapporte que les fiches de postes des responsables administratif et financier étaient surchargées en missions, celles-ci ne pouvant être effectuées par une seule personne ;

* Madame [I] rapporte que le directeur lui avait mis la pression pour qu'elle rédige une attestation allant à l'encontre des accusations portées contre lui par Mme [U] s'agissant de sa charge de travail. Elle dénonce aujourd'hui cette attestation déclarant l'avoir rédigée sous pression, dans le cadre d'une stratégie de manipulation ;

*Madame [K] rapporte avoir vu la salariée faire de la comptabilité, de la rédaction des appels d'offre, de la traduction, de l'expédition et de la réception de colis, des paiements en ligne, le suivi des fournisseurs, la relance client, le ménage et de la production.

Pour la dégradation de la santé de Madame [U]

- son arrêt de travail initial du 5 mars 2018 pour 'burn out en relation avec une situation de pression sur le lieu de travail, trouble anxieux caractérisé' ; et ses prolongations indiquant notamment 'récit de violences morales, état dépressif réactionnel,vécu auto-dépreciatif, pleurs associé à un état de stress aigu' ;

- le certificat établi par le médécin du travail, suite à une visite du 26 mars 2018 effectuée sur demande de la salariée indiquant 'prévoir inaptitude car la salariée est dans un état de détresse, angoisse extrême, le jour de la visite se remet en question, doute de ses qualités, me paraît détruite suite aux différents qu'elle m'a racontés avec son employeur'.

- le certificat médical du 23 avril 2018 établi par un médecin psychiatre faisant état de 'troubles psychiques en rapport avec le travail, la patiente ayant développé au fil du temps un syndrome anxieux avec insomnie d'endormissement, un vécu persécutoire et un trouble dépressif, expression de son inadaptation à son poste de travail'. Un médicament antidépresseur lui a été prescrit à ce titre.

Ces faits, pris dans leur ensemble, laissent présumer une situation de harcèlement moral en ce que la salariée, surchargée de travail, avait été l'objet d'humiliation devant ses collègues de travail, d'accusations infondées et de remarques dévalorisantes sur la qualité de son travail et ses compétences de la part du directeur de la société, son état de santé s'en trouvant affecté au point d'être placée en arrêt de travail pour état dépressif réactionnel.

Il incombe dès lors à l'employeur, conformément à l'article L 1154-1 du code du travail, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L'employeur conteste l'existence d'une situation de surcharge de travail et les remarques désobligeantes à l'encontre de la salariée, fait valoir que les certificats médicaux du médecin du traitant son dépourvus de valeur probante, que les arrêts de travail avaient pour origine des difficultés personnelles liées à la dégradation de l'état de santé de son père et à son divorce, que ses demandes de reconnaissance d'un accident du travail puis d'une maladie professionelle auprès de la CPAM avaient été rejetées et qu'enfin la salariée ne justifiait pas du préjudice allégué.

Il produit aux débats:

- une attestation de M. [A], consultant extérieur à la société, ayant réalisé un audit de celle-ci au cours des mois de janvier et de février 2018. Il indique s'être entretenu avec la salariée le 29 janvier 2018 et rapporte que celle-ci peinait à expliquer ses missions, s'attribuait des responsabilités qu'elle n'avait pas et ajoute que son volume de travail représentait une charge largement assumable par une assistante administrative ;

- le compte-rendu de l'entretien annuel du 15 février 2018 précité qui mentionne, au titre des points forts, 'une bonne entente dans l'équipe par rapport à l'année précédente' et une appréciation 'positive' quant à façon de collaborer et de travailler dans l'équipe;

- deux courriers de la CPAM des 20 juillet 2018 et 6 janvier 2020 notifiant le refus de reconnaître le caractère professionnel de l'accident et de la maladie déclarés par la salariée ;

- deux photographies montrant la salariée souriante lors de la soirée d'anniversaire du dirigeant en août 2016 et lors d'une 'séance de cohésion' en octobre 2017.

La cour ne peut que constater que les pièces produites par l'employeur n'expliquent pas son comportement, l'employeur se bornant soit à discuter la valeur et la portée des éléments présentés par la salariée alors même qu'à ce stade de l'analyse la cour a déjà constaté, comme dit précédemment, que lesdits éléments établissaient la matérialité de plusieurs faits imputables à l'employeur et pris dans leur ensemble laissaient bien présumer une situation de harcèlement moral, soit à situer les faits dans la seule sphère personnelle alors que, l'analyse faite par la cour des éléments présentés par la salariée conduit à constater que les faits avaient indéniablement eu lieu dans le cadre ou à l'occasion de l'exécution du contrat de travail.

Or, la salariée a produit des témoignages concordants d'anciens salariés rapportant avoir été personnellement témoins des humiliations publiques écrites et orales des 23 et 27 novembre 2017, de propos dévalorisants tenus à son égard par le directeur lequel remettait en cause ses compétences professionnelles et la qualité de son travail ainsi que des pleurs de la salariée sortant de son bureau.

En outre, lorsque la salariée a alerté le directeur, lors de son entretien professionnel du 15 février 2018, sur la nécessité de redéfinir ses tâches en raison de la trop grande diversité de celles-ci, ce dernier a réagi le 20 février 2018 en lui proposant une rupture conventionnelle sans justifier de la moindre tentative d'adaptation de sa charge de travail.

Lorsque la salariée a été placée en arrêt de travail en mars 2018, l'employeur a ensuite tout soudainement engagé une procédure de licenciement pour faute grave en demandant à la salariée ayant succédé à Mme [U] sur son poste de recenser l'ensemble des éléments pouvant être utilisés à son encontre. Ce témoignage, corroboré par la chronologie des faits et d'autres témoignages d'anciens salariés ayant vécu des situations similaires de harcèlement, permet d'établir une volonté délibérée de l'employeur d'évincer la salariée de l'entreprise par des procédés caractérisant un harcèlement moral.

Pour ces motifs, le jugement qui a reconnu l'existence d'un harcèlement moral sera confirmé.

Compte tenu de l'impact de ces faits sur la santé de la salariée laquelle après avoir subi des agissements graves au cours de la relation de travail avait été placée en arrêt de travail pour un syndrome anxio-dépressif, la société Sas Extrem Vision Perpignan sera condamnée à lui payer la somme de 20 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le harcèlement moral.

Sur la rupture,

Sur la procédure de licenciement

Les premiers juges ont reconnu l'existence d'une irrégularité de procédure mais ont omis de statuer sur ce point. L'employeur, qui conclut à la confirmation du jugement du conseil de prud'hommes, conteste l'existence d'une irrégularité de procédure. Il fait valoir que la lettre de licenciement a été expédiée le 20 avril 2018, soit quatre jours après l'entretien préalable au licenciement, dans le délai légal.

La salariée reconnaît que la lettre a été expédiée le 20 avril 2018 mais fait valoir que la décision a été prise antérieurement à cette date, sans respecter un délai de réflexion de deux jours. Elle en déduit que l'employeur a violé l'article L. 1236-2 alinéa 3 du code du travail.

En application de l'article L. 1232-6 alinéa 3 du code du travail, la lettre recommandée de licenciement pour motif personnel ne peut être expédiée moins de deux jours ouvrables après la date prévue de l'entretien préalable au licenciement auquel le salarié a été convoqué.

En l'espèce, l'entretien préalable au licenciement avait été fixé au 16 avril 2018 et l'employeur justifie avoir expedié la lettre de licenciement le 20 avril 2018.

Le délai de deux jours ouvrables entre la date prévue de l'entretien préalable et l'expédition de la lettre de licenciement a donc bien été respecté. Il convient de débouter la salariée de sa demande à ce titre.

Sur le bien fondé du licenciement

L'employeur conclut à l'infirmation du jugement du conseil de prud'hommes qui a jugé le licenciement nul au vu du harcèlement moral et du caractère vexatoire du licenciement.

En application de l'article L. 1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance de l'article L. 1152-1 du code du travail est nulle.

Il appartient donc pour dire qu'un licenciement est nul de caractériser que le salarié a été licencié pour avoir subi ou refusé de subir un harcèlement moral et donc d'établir un lien entre le harcèlement moral et le licenciement.

En l'espèce, la lettre de licenciement du 18 avril 2018 est rédigée en ces termes :

' Madame [U],

Comme suite à l'entretien préalable à cette éventuelle mesure pour lequel nous vous avions précédemment convoquée en date du lundi 16 avril 2018 à 9 heures 30 et dont l'issue ne nous a pas permis de modifier notre appréciation quant à cette éventuelle mesure que nous envisagions alors à votre endroit, dès lors que vous ne vous y êtes pas rendue, nous nous voyons désormais contraints par la présente de vous notifier votre licenciement pour faute grave en votre qualité de Cadre position 2.1 coefficient 105 pour les raisons développées ci-après :

Après que nous ayons convenu d'un commun accord de la mise en place d'une procédure de rupture conventionnelle de votre contrat de travail à raison d'un certain nombre de manquements professionnels vous incombant ayant notamment trait à des retards dans la gestion de la comptabilité, à des erreurs de procédure, à des absences injustifiées ainsi qu'à une erreur de TVA, puis que vous ayez finalement été placée en arrêt maladie à compter du 5 mars dernier, vous vous êtes à cette occassion permis de conserver par devers vous la carte bleue de l'entreprise dédiée au paiement des fournisseurs bien que sachant pertinemment que les 2 autres cartes bleues de l'entreprise sont dédiées à des objets différents avec les plafonds autorisés y afférents.

En l'état de cette situation préjudiciable, et selon courrier recommandé avec accusé de réception en date du 7 mars 2018, nous attirions tout particulièrement votre attention sur cette situation en vous rappelant que cette carte bleue était nécessaire pour assurer la continuité de l'activité durant votre absence.

Pour toute réponse, vous nous indiquiez en date du 9 mars suivant qu'il n'y avait : 'pas lieu de s'inquiéter' et que ladite carte bleue était en votre possession, sans pour autant nous la restituer ce qui est constitutif d'insubordination.

En réponse à ce qui précède et suivant courrier recommandé avec accusé de réception en date du 13 mars suivant, nous vous demandions expressément :

- de nous restituer cette carte dès réception du courrier ;

- de nous restituer les clés sécurisées de la société, nous pénalisant en terme d'organisation, sans pour autant que vous ne défériez à cette demande renouvelée en dépit des conséquences en découlant pour nous.

Bien au contraire, concernant la carte bleue, vous vous êtes permis contrairement à nos instructions de la restituer à notre organisme bancaire pour destruction, en nous intimant de lui demander d'en établir une autre à notre nom, ce qui dénote une volonté d'insubordination et de nous porter préjudice compte-tenu de la situation de blocage en découlant.

Fait aggravant, indépendamment de la détention de la carte bleue précitée, il s'avère par ailleurs que notre compte de paiement en ligne des fournisseurs France et international s'est avéré bloqué par des codes personnels au surplus exempts d'un certificat à jour compte tenu du non renouvellement dudit certificat d'authentifcation de la plate-forme de paiement en ligne de nos fournisseurs, via le Credit Agricole, sans que vous n'ayez effectué aucune diligence à ce sujet.

Votre licenciement prendra donc effet à réception des présentes.

Par ailleurs, nous nous comprenons pas votre allégation en cours de procédure selon laquelle vous bénéficieriez d'un 'statut protecteur' dont vous ne nous avez jamais fait état, sans précision aucune et dont vous ne nous produisez aucun justificatif y afférent.'

Ainsi, l'employeur reproche à la salariée d'avoir conservé la carte bleue dédiée au paiement des fournisseurs, de l'avoir restituée à la banque pour destruction au lieu de la restituer à la société, d'avoir conservé les clés de l'entreprise et d'avoir contribué au blocage du compte de paiement en ligne des fournisseurs à défaut d'avoir demandé le renouvellement du certificat d'authentification de la plateforme de paiement.

L'employeur produit aux débats :

Pour la conservation de la carte bleue,

- le contrat de carte de paiement du 25 septembre 2017, conclu entre le crédit agricole et la société. Le contrat mentionne que la salariée est titulaire de la carte et que celle-ci est établie à son nom;

- une lettre du 13 mars 2018 adressée à la salariée lui demandant de restituer la carte bleue de paiement des fournisseurs ;

- les témoignages de:

* Mme [W], chef de service au sein du cabinet d'expertise comptable intervenant pour la société, qui indique que la salariée a détourné les moyens de paiement usuels de la société entrainant des problématiques complexes à résoudre ;

* M. [G], salarié de la société, qui rapporte que la conservation de la carte bancaire par la salariée a empêché d'effectuer des paiements fournisseurs.

Pour la non restitution des clés

- une attestation de la salariée indiquant avoir reçu, le 16 février 2015, trois clés de la société.

- la lettre du 13 mars 2018 précitée adressée à la salariée lui demandant de restituer les clés de l'entreprise ;

Pour le blocage du compte de paiement en ligne

- une attestation de M. [B], employé de banque, qui rapporte que la société dispose depuis le 23 janvier 2014 d'un contrat EDIWEB permettant notamment la réalisation d'opérations de paiement éléctroniques, qu'un contrat Certipro a été délivré à Mme [U] afin de lui permettre de s'authentifier, de générer et de valider des ordres et que le certificat, d'une durée de validité de 3 années, peut être renouvelé par le titulaire du certificat en cliquant sur le lien de renouvellement reçu par e-mail. Il ajoute que le dernier renouvellement a été effectué en date du 5 février 2018 sans avoir fait l'objet d'une activation avant sa date d'expiration soit le 4 mars 2018, ce qui a nécessité une demande de renvoi d'un nouveau lieu d'activation validé en date du 13 mars 2018. Il indique que sur la période allant du 4 février 2018 au 13 mars 2018, aucune des opérations permises par l'outil n'a été réalisée.

- un courriel du 13 mars 2018 de Mme [F] à M. [M], lui transférant un courriel du service certificat du crédit agricole du 2 février 2018 indiquant que le certificat CA Certipro arrivera au terme de sa période de validité le 4 mars 2018 et invitant la société à renouveler ce certificat ;

- une capture d'écran du gestionnaire de certificats du poste informatique du secrétariat faisant mention de deux certificats (cedicam au nom de Mme [U] et certeurope au nom de M. [M]) ;

En réplique, la salariée fait valoir que :

- son employeur a délibérement cherché à l'évincer de la société, à la suite de son arrêt de travail, dans un contexte de rupture conventionnelle ;

- elle était en droit de restituer à la banque la carte bleue dont elle était porteuse et responsable et que la société, qui détenait deux autres cartes bancaires, n'avait subi aucun préjudice ;

- elle n'a reçu le courrier de demande de restitution des clés que le 29 mars 2018, qu'elle ne pouvait se déplacer en raison de sa situation de santé et du harcèlement vécu et qu'il existait au minimum six jeux de clés disponibles pour les bureaux ;

- s'agissant du non renouvellement du certificat, aucun écrit ne faisait part de cette difficulté avant le licenciement, qu'elle n'a pas eu connaissance du courriel faisant mention de la nécessité de renouveler le certificat, qu'en tout état de cause, l'employeur ne souhaitait pas renouveler le certificat dès lors qu'il lui avait été délivré personnellement.

Elle produit aux débats :

Pour les manoeuvres de l'employeur visant à évincer la salariée de la société

Les témoignages précitées de deux anciennes salariés Madame [F] et Madame [I]

Pour la non restitution de la carte bleue

- une lettre du 9 mars 2018 dans laquelle elle indique à l'employeur qu'elle est en possession de la carte bleue de paiement des fournisseurs, libellée à son nom, qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter et qu'aucun achat n'a pu être effectué depuis qu'elle est en arrêt de travail ;

- une lettre du 5 avril 2018 dans laquelle elle indique à l'employeur avoir restitué la carte bancaire, qui lui était personnelle, à la banque auprès de M. [X] lequel atteste également en ce sens ;

- des témoignages d'anciens salariés (Messieurs [L], [K] et Madame [F]) qui rapportent que la société avait à sa diposition plusieurs moyens de paiement dont trois cartes bancaires (celles de M. [M], Mme [S] et M. [Z]) et un compte paypal, ce qui a permis à l'entreprise de fonctionner correctement sans rencontrer de problèmes.

Pour la non restitution des clés

- des témoignages de trois anciens salariés (Messieurs [K] et [J] et Madame [F]) qui rapportent que la non restitution par la salariée des clés de l'entreprise n'a engendré aucune difficulté dès lors que plusieurs salariés disposaient des clés de l'entreprise et procédaient à l'ouverture et à la fermeture des locaux.

Comme déjà indiqué, le harcèlement moral commis par l'employeur reposait sur sa volonté délibérée d'évincer la salariée. D'ailleurs, contrairement à ce qu'énonce la lettre de licenciement, les faits analysés plus haut et se rapportant à la carte bleue, la non restitution des clés et le blocage du compte n'avaient aucun caractère fautif.

Ainsi, la cour retiendra que le licenciement notifié le 18 avril 2018, qui est en lien direct avec les faits de harcèlement moral subis par Mme [U], est nul.

L'article L.1235-3-1 du code du travail applicable au jour du licenciement prévoit que lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues en son deuxième alinéa, le salarié qui ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou dont la réintégration est impossible se voit octroyer une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Mme [U] avait une ancienneté de trois années dans l'entreprise, percevait un salaire mensuel brut moyen de 2664,83€, justifie avoir été en arrêt maladie du 5 mars 2018 au 24 mai 2018. Elle justifie avoir retrouvé un emploi en intérim uniquement pour la période du 6 avril 2021 au 11 octobre 2022, être aujourd'hui sans emploi et indemnisée par Pôle emploi à hauteur de 36,28€ par jour.

Il y a lieu de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a condamné l'employeur à lui verser les sommes suivantes :

- 26 648,26€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul (correspondant à 10 mois de salaire brut) ;

- 7994,49€ au titre de l'indemnité compensatrice de préavis (correspondant à trois mois en application de l'article 15 de la convention collective des bureaux d'étude techniques) ;

- 2109,65€ au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, en application de l'article 19 de la convention collective précitée.

Sur la demande de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires de licenciement

Les faits allégués par Mme [U] au soutien de sa demande de dommages-intérêts sont les mêmes que ceux qui ont été évoqués dans le cadre de la demande de reconnaissance du harcèlement moral.

Mme [U] ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui qui a été indemnisé précédemment, elle sera donc déboutée de cette demande et le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les demandes accessoires

Il sera fait droit à la demande de délivrance des documents de fin de contrat rectifiés, sans que cette condamnation ne soit assortie d'une astreinte.

La Sas Extrem Vision Perpignan qui succombe sera tenue aux dépens d'appel et condamnée en équité à verser à Mme [U] la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

En outre, le licenciement de Mme [U] ayant été jugé nul sur le fondement de l'article L.1252-3 du code du travail, il y a lieu à l'application de l'article L.1235-4 du Code du travail, dans sa version applicable au présent litige, et d'ordonner le remboursement par la Sas Extrem Vision Perpignan aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié du jour de son licenciement au jour de la présente décision, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Perpignan du 5 novembre 2020 uniquement en ce qu'il a condamné la Sas Extrem Vision Perpignan à verser à Mme [N] [U] la somme de 20 000 € au titre des circonstances vexatoires du licenciement ;

Statuant à nouveau sur ce seul chef infirmé,

Déboute Mme [N] [U] de sa demande de dommages et intérêts au titre des circonstances vexatoires du licenciement ;

Confirme le jugement pour le surplus,

Y ajoutant ;

Ordonne le remboursement par la Sas Extrem Vision Perpignan aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à Mme [N] [U] du jour de son licenciement au jour de la présente décision, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage ;

Ordonne la remise à Mme [N] [U] de ses documents de fin de contrat rectifiés conformes à l'arrêt à intervenir dans les deux mois de la notification de l'arrêt, sans qu'il n'y ait lieu au prononcé d'une astreinte ;

Condamne la Sas Extrem Vision Perpignan à verser à Mme [N] [U] la somme de 1 500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que les intérêts sur les sommes allouées sont dûs à compter de la réception par le débiteur de la première demande en justice pour les sommes de nature salariale et à compter de l'arrêt pour les sommes de nature indemnitaire ;

Condamne la Sas Extrem Vision Perpignan aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Le Greffier P/Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 2e chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/05135
Date de la décision : 31/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-31;20.05135 ?
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