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31/05/2023 | FRANCE | N°20/04019

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 2e chambre sociale, 31 mai 2023, 20/04019


Grosse + copie

délivrées le

à















COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



2e chambre sociale



ARRET DU 31 MAI 2023





Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 20/04019 - N° Portalis DBVK-V-B7E-OWGA



ARRÊT n°



Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 SEPTEMBRE 2020

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE PERPIGNAN - N° RG F 18/00282







APPELANT :



Monsieur [T] [M]



né le 03 Février 1963 en ALGERIE

de nationalité française

[Adresse 1]

[Adresse 4]

[Localité 3]



Représenté par Me Fanny LAPORTE, substituée par Me Yann GUARRIGUE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avoc...

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 31 MAI 2023

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 20/04019 - N° Portalis DBVK-V-B7E-OWGA

ARRÊT n°

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 SEPTEMBRE 2020

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE PERPIGNAN - N° RG F 18/00282

APPELANT :

Monsieur [T] [M]

né le 03 Février 1963 en ALGERIE

de nationalité française

[Adresse 1]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représenté par Me Fanny LAPORTE, substituée par Me Yann GUARRIGUE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocats au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Assistée par Me Sophie VILELLA, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES, avocat plaidant

INTIMEE :

S.A.S. TRANSIT TRANSPORTS PHILIPPE REY

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentée par Me Olivier BONIJOLY de la SELARL CAPSTAN - PYTHEAS, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué par Me Eva MASSEBEUF, avocat au barreau de MONTPELLIER

Ordonnance de clôture du 14 Mars 2023

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 AVRIL 2023,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Caroline CHICLET, Conseiller, chargée du rapport.

Madame Caroline CHICLET, Conseiller, faisant fonction de président

Madame Isabelle MARTINEZ, Conseiller

Madame Véronique DUCHARNE, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER

ARRET :

- contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Madame Caroline CHICLET, Conseiller, en remplacement du président, empêché et par Madame Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.

*

* *

EXPOSE DU LITIGE :

[T] [M] a été engagé à compter du 19 octobre 1998 par la Sas Transit Transport Philippe Rey, employant habituellement au moins onze salariés et appartenant au groupe Logifel depuis le 1er octobre 2018, en qualité de chauffeur poids lourd dans le cadre d'un contrat à durée saisonnier à temps complet régi par la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport.

La relation contractuelle s'est poursuivie à durée indéterminée.

Du 26 juin 2003 au 11 janvier 2018, [T] [M] a été nommé délégué syndical.

A partir du 17 octobre 2014, il a été élu membre titulaire au sein du collègue ouvrier/employé de la délégation unique du personnel.

Du 24 mars 2016 au 10 décembre 2016, le salarié a été placé en arrêt de travail pour syndrome dépressif et a repris son activité le 11 décembre 2016 après un avis d'aptitude sans réserve de la médecine du travail.

Il a de nouveau été arrêté du 15 mars 2017 au 30 novembre 2017.

Le 3 novembre 2017, [T] [M] a écrit à son employeur pour dénoncer des faits de racisme, d'injures et de maltraitance professionnelle anciens et persistants à son encontre au sein de l'entreprise et l'informer de son intention de saisir la justice à défaut de règlement amiable.

Le 22 novembre 2017, le salarié a informé l'employeur de son état d'invalidité.

Après deux visites de reprise, les 5 et 13 décembre 2017, le médecin du travail a conclu à une inaptitude définitive 'à tous les postes dans l'entreprise, le groupe et ses filiales suite avis spécialisé (...), suite étude de poste et des conditions de travail et entretien avec l'employeur. (...) Article R.4624-42 du code du travail. L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.'

Après consultation des délégués du personnel pour les informer et les consulter sur les possibilités de reclassement du salarié, l'employeur a informé [T] [M] de l'impossibilité de procéder à son reclassement par courrier du 22 janvier 2018.

Le 26 janvier 2018, [T] [M] a été convoqué à un entretien préalable à son éventuel licenciement fixé au 7 février 2018.

Après avoir obtenu l'autorisation de l'inspection du travail le 4 avril 2018, la société Philippe Rey a licencié [T] [M] pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement par courrier du 19 avril 2018.

Le 27 juillet 2018, [T] [M] a saisi le conseil des prud'hommes de Perpignan pour voir juger que le harcèlement moral de l'employeur est à l'origine de son inaptitude, voir annuler le licenciement et obtenir la réparation de ses préjudices ainsi que l'application de ses droits.

Par jugement du 15 septembre 2020, ce conseil a :

- constaté le bien fondé du licenciement pour inaptitude professionnelle et impossibilité de reclassement ;

- constaté l'absence de tout manquement à l'obligation de sécurité ;

- débouté [T] [M] de l'ensemble de ses demandes ;

- débouté la société Philippe Rey de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que chaque partie conservera ses propres dépens.

Le 28 septembre 2020, [T] [M] a relevé appel de tous les chefs du jugement l'ayant débouté de ses prétentions.

Vu les conclusions de l'appelant remises au greffe le 21 février 2023 ;

Vu les conclusions de la société Transit Transport Philippe Rey remises au greffe le 16 décembre 2020 ;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 14 mars 2023 ;

MOTIFS :

Sur la compétence du juge judiciaire :

Nonobstant le fait que cette question de l'incompétence du juge judiciaire soulevée par l'intimée n'est pas reprise dans le dispositif de ses conclusions, puisqu'elle n'a pas formé d'appel incident sur ce point contre le chef du jugement ayant constaté le bien fondé du licenciement autorisé par l'inspection du travail, la cour rappelle, à toutes fins, que si le juge judiciaire, ne peut pas, conformément au principe de séparation des pouvoirs, se prononcer sur le caractère réel et sérieux du licenciement pour inaptitude d'un salarié protégé autorisé par décision administrative (Cass. soc., 4 nov. 2020, n°19-18.178), il a compétence en revanche, sans porter atteinte à ce principe, pour prononcer la nullité du licenciement lorsque l'inaptitude trouve sa cause dans un manquement de l'employeur à ses obligations, tel que le harcèlement moral subi par le salarié protégé (Cass. soc., 29 juin 2017, n°15-15.775).

En effet, lorsqu'il est saisi d'une demande d'autorisation de licenciement pour inaptitude, l'inspecteur du travail ne contrôle pas les causes à l'origine de celle-ci (CE, 20 nov. 2013, n°340591 ; Cass. soc., 15 avr. 2015, n°13-21.306).

En conséquence la cour dit le juge judiciaire compétent pour statuer sur la demande d'annulation du licenciement pour inaptitude formée par l'appelant, ainsi que ce dernier le fait valoir justement, dès lors qu'il est soutenu que c'est le harcèlement moral subi dans l'entreprise qui est à l'origine de l'inaptitude.

Sur la demande de rappel de salaire :

[T] [M] demande à la cour de réparer l'omission de statuer du conseil des prud'hommes sur sa demande de rappel de salaire d'un montant de 2.531,73 € bruts au titre des 23 jours de RTT non accordés en 2015 et 2016.

La société intimée conclut au débouté sur ce point.

Si l'accord d'entreprise du 31 décembre 1999 prévoit l'allocation de 23 jours de RTT aux conducteurs zone courte, affectés au chantier gare [7] et par extension au chantier de [Localité 6] et ses succursales, qui passent sur une base forfaitaire de 180 heures par mois, il incombe à l'appelant qui prétend relever de cette catégorie d'en rapporter la preuve.

Or, [T] [M] ne fournit pas le moindre commencement de preuve de ce qu'il appartiendrait à cette catégorie de conducteurs alors que l'employeur le conteste et que ses bulletins de paie ne font pas état d'un forfait mensuel de 180 heures mais d'un horaire de base de 169 heures auquel s'ajoute 31 heures supplémentaires soit 200 heures au total par mois.

Il sera par conséquent débouté de cette prétention.

Sur la demande de nullité du licenciement pour inaptitude :

[T] [M] conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de nullité du licenciement et demande à la cour d'accueillir sa prétention et de condamner l'employeur à lui payer les sommes suivantes :

- 26.730,72 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

- 20.000,00 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice spécifique résultant du comportement de l'employeur,

- 4.455,12 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 455,51 € bruts au titre des congés payés y afférents.

La société Philippe Rey conclut à la confirmation du jugement.

L'article L. 1152-1 du code du travail énonce que : 'Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.'

Selon l'article L.1154-1 du code du travail dans sa version issue de la loi du 8 août 2016 'Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.'

Il résulte des dispositions des articles qui précèdent que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, au soutien de sa demande, [T] [M] présente les faits suivants :

- injures racistes et moqueries subies de la part d'un personnel d'encadrement, M. [L] (1),

- conditions de travail rendues délibérément plus lourdes, stressantes et chronophages par ce cadre (2)

- rémunération maintenue au taux horaire prévu lors de l'embauche sans prise en compte de son ancienneté dans l'entreprise (3)

- absence de mesure d'information et de prévention des risques psycho-sociaux prise par l'employeur malgré les nombreux signalements reçus depuis 2004 (4).

- importante dégradation de son état de santé avec apparition d'un syndrome anxio-dépressif à compter de mars 2016 (5).

(1) La matérialité de ces injures racistes et moqueries résulte suffisamment des témoignages précis, circonstanciés et concordants de [G] [F], chauffeur et secrétaire du CHSCT de l'entreprise pendant une dizaine d'année et membre titulaire de la délégation unique du personnel, et de [V] [H], salarié de l'entreprise entre le 1er janvier 2003 et le 30 juin 2006 qui attestent avoir entendu à plusieurs reprises un cadre de l'entreprise, M. [L], s'adresser à [T] [M] en lui disant 'Les gris ce sont des voleurs, ici nous avons notre quota', 'Tu es un petit chauffeur, tu ne vaux rien, tu es un saboteur', 'Les gris, vous êtes tous des voleurs'. Ces injures racistes et propos dénigrants sont confortés en outre par le témoignage de [I] [W], amie de [T] [M] depuis 2008, à laquelle il s'est confié en se disant victime d'agressions verbales, d'insultes et de propos racistes dans son entreprise, par un courrier adressé par la CGT des Pyrénées Orientales au directeur de l'établissement et à la Direccte le 2 juillet 2004 dénonçant les propos racistes et agissements de M. [L] et par un courrier de [T] [M] au directeur du 22 octobre 2004 se plaignant de l'attitude inadmissible à son égard de son supérieur hiérarchique.

(2) Les témoigages précis, circonstanciés et concordants de [G] [F] (voir ci-dessus ses qualités), [V] [H] (voir ci-dessus ses qualités) et de [A] [D], chauffeur manutentionnaire dans l'entreprise de manière intermittente durant plusieurs années, entre le 2 novembre 2010 et le 13 juillet 2015, démontrent que [T] [M] a été régulièrement et fréquemment victime de l'acharnement de son supérieur hiérarchique, M. [L], jusqu'au départ en retraite de ce dernier en 2014.

En effet, [A] [D] atteste que ce responsable avait instauré un tour de permanence obligeant deux chauffeurs à rester après le déchargement pour ramasser les dernières palettes sur le marché, tour dont il avait exclu [T] [M] qui était de permanence tous les jours et ne bénéficiait d'aucune aide. Il ajoute que lorsque les chauffeurs rentraient de leur tournée pour vider les marchandises à quai, ils bénéficiaient tous d'une aide de la part des agents de quai sauf [T] [M].

[V] [H] et [G] [F] attestent que lorsqu'il y avait des livraisons de glace à faire chez la société Sobraques entre midi et deux heures, 'M. [L] le faisait faire par [T]' pendant que les autres chauffeurs rentraient chez eux ce qui écourtait sa pause déjeuner et lorsqu'il lui arrivait de revenir de sa pause à 14h05, M. [L], qui l'attendait à la pointeuse matin et soir, lui faisait remarquer son retard.

[G] [F] témoigne que, bien que [T] [M] ait demandé à être prévenu la veille des livraisons chez la société Sobraques durant l'été afin de prévoir des habits chauds et adaptés aux congélateurs réglés sur - 20° et éviter ainsi un choc thermique, M. [L] et la direction n'en ont jamais tenu compte. Il ajoute que M. [L] désignait souvent [T] [M] pour les livraisons difficiles de terreau en plein champs et les ramasses les plus tardives sur le MIN de St Charles.

(3) Il résulte des mentions figurant sur le bulletin de paie d'août 2016 de l'appelant que son taux horaire s'élevait à 9,77 € bruts, taux correspondant à celui de l'embauche d'un ouvrier roulant, selon la négociation annuelle obligatoire (NAO) applicable au 1er janvier 2016, alors que, selon cette même NAO (pièce 71 de l'appelant), son taux horaire aurait dû être de 10,3138 € bruts après 10 ans d'ancienneté et de 10,5084 € bruts après 15 ans d'ancienneté. La matérialité de ce fait est donc établie.

(4) Aucune mesure d'information et de prévention concernant les risques psycho-sociaux, notamment ceux liés au harcèlement moral ou à la discrimination, n'a été mise en oeuvre dans l'entreprise en application des articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail (anciennement article L.230-2 antérieurement au 1er mai 2008) en dépit des multiples signalements, depuis 2006, de [G] [F] auprès du CHSCT ou de la direction concernant l'attitude agressive et humiliante de M. [L] envers les chauffeurs (PV du 23 juin 2006) et les faits de discrimination syndicale dont se disait victime [T] [M] (PV du 16 mars 2007, PV du 18 mai 2007, courrier du 12 mars 2008) et des courriers d'alerte du salarié adressés à la direction par lettre simple le 16 mai 2008 (dénonçant l'attitude agressive et insultante de M. [L]) et par lettres recommandées avec avis de réception les 5 et 18 septembre 2014 (dénonçant l'agression physique et les injures du nouveau chef de quai, M. [E], ayant succédé à M. [L]). Si l'intervention de l'employeur, en 2014 (qui contestait pourtant les faits dénoncés par le salarié) auprès du nouveau chef de quai pour apaiser les relations a eu un effet bénéfique pendant quelques mois, elle n'a pas suffi à prévenir l'apparition de nouveaux incidents puisque par courrier du 14 avril 2016, [T] [M] a dénoncé de nouveaux faits d'insultes et de dénigrement de la part du chef de quai, M. [E] et qu'aucune mesure n'a été prise.

(5) Les éléments médicaux produits par le salarié montrent que ce dernier s'est ouvert auprès de la médecine du travail, dès mars 2014, de la discrimination syndicale qu'il prétendait subir au travail et, en juin 2016, de son état dépressif qu'il attribuait à une ambiance difficile au travail. [T] [M], qui a été placé en arrêt de travail pour syndrome anxio-dépressif entre mars 2016 et décembre 2016 puis entre mars 2017 et le novembre 2017 sans reprise jusqu'à l'avis d'inaptitude et le licenciement, justifie avoir été suivi par un psychiatre à compter de novembre 2016 avec un traitement antidépresseur et anxiolityque au long cours ayant nécessité un protocole de soins avec la CPAM pour syndrome dépressif.

Au total, les injures racistes, les moqueries et l'acharnement du supérieur hiérarchique de [T] [M] à l'égard de ce dernier pendant plusieurs années, l'absence de prise en compte de son ancienneté dans la fixation de son taux horaire en dépit des prescriptions claires de la NAO 2016, l'absence de mesure d'information et de prévention sur les risques psycho-sociaux prise par l'employeur malgré les alertes multiples du délégué syndical et du salarié lui-même sur les faits de harcèlement ou de discrimination dont il se disait victime depuis 2006 et ses courriers de septembre 2014 et avril 2016 dénonçant des agressions physiques et verbales de son nouveau chef de quai et le retentissement de ces agissements ou omissions sur les conditions de travail et l'état de santé de [T] [M] qui a développé un syndrome anxio-dépressif invalidant entre mars et décembre 2016, avec une rechute à compter de mars 2017, ayant nécessité une prise en charge thérapeutique au long cours, sont des faits qui, pris ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Pour contester l'existence de tout harcèlement, l'employeur se borne à produire :

- les témoignages de deux salariés de l'établissement affirmant n'avoir jamais vu le moindre fait de violence ou de harcèlement à l'encontre de [T] [M] de la part de ses supérieurs ou de M.[L]. Cependant, ces témoignages, rédigés en des termes généraux et non circonstanciés, ne sont pas de nature à contredire les attestations précises, circonstanciées et concordantes des témoins précités.

- les témoignages de certaines des personnes mises en cause par l'appelant ( parmi lesquelles se trouve M. [E], le chef de quai) dont les dénégations sont insuffisantes, en l'absence d'autres éléments probants, pour contredire la matérialité des faits précis et circonstanciés dénoncés par le salarié auprès de la direction par courriers recommandés du 5 septembre 2014 et du 18 avril 2016 et pour lesquels il avait sollicité une enquête sérieuse et contradictoire dans son courrier recommandé du 18 septembre 2014 (demande d'audition de témoins directs des faits non entendus par la direction et de visionnage contradictoire de la vidéo surveillance) à laquelle l'employeur n'a pas procédé.

L'employeur ne démontrant pas l'absence de harcèlement moral ni ne justifiant ses décisions par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, le harcèlement moral subi par [T] [M] est établi et le jugement sera infirmé de ce chef.

Compte tenu du retentissement très important que ce harcèlement moral ancien et persistant a eu sur les conditions de travail du salarié entre 2006 et 2016 et sur son état de santé à compter de mars 2016 puisqu'il a développé un syndrome anxio-dépressif ayant nécessité un arrêt de travail de plusieurs mois (de mars 2016 à décembre 2016) avec une rechute en mars 2017 ayant conduit à son inaptitude à tous les postes dans l'entreprise, le groupe ou ses filiales et nécessité une prise en charge thérapeutique au long cours dans le cadre d'un protocole de soins conclu avec la CPAM, la société Philippe Rey sera condamnée à lui payer la somme de 15.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice.

Le syndrome dépressif de [T] [M] est apparu pour la première fois en mars 2016, après dix années de conditions de travail très difficiles (les témoins se demandant comment il avait pu tenir aussi longtemps dans ce contexte) et alors que les relations avec le successeur de M. [L] étaient devenues à nouveau exécrables (après un premier incident en septembre 2014 pour lequel l'employeur était intervenu auprès du chef de quai en vue d'apaiser les relations tout en contestant la réalité des faits dénoncés par le salarié et en refusant d'accéder à sa demande d'enquête sollicitée par courrier recommandé du 18 septembre 2014).

Le salarié s'en est ouvert de ses difficultés auprès de la médecine du travail en mars 2016 en imputant ses symptômes à l'ambiance difficile au travail.

En dépit du courrier recommandé d'alerte du salarié d'avril 2016 dénonçant des nouveaux faits d'insulte et de dénigrement de la part du chef de quai, l'employeur n'a pas jugé utile de se conformer à son obligation de sécurité et de prévention puisqu'aucune mesure n'a été prise.

C'est dans ces conditions qu'après une reprise ponctuelle entre le 11 décembre 2016 et le 14 mars 2017, [T] [M] a dû être placé de nouveau en arrêt de travail par son médecin psychiatre traitant à compter du 15 mars 2017 pour syndrome anxio-dépressif et ce, jusqu'à l'avis d'inaptitude définitive du 13 décembre 2017 et le licenciement.

La passivité et les dénégations obstinées de l'employeur face à des faits graves et renouvelés d'injures et de maltraitance professionnelle dont il a été informé et pour lesquels il n'a jamais cru devoir diligenter une enquête sérieuse ni mettre en oeuvre des mesures d'information et de prévention, son action s'étant limitée à une unique intervention auprès du chef de quai en 2014, sont à l'origine, au moins en partie, de l'inaptitude de [T] [M].

Le licenciement est donc nul, ainsi que le soutient justement l'appelant.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

[T] [M] qui avait une ancienneté de 19 ans et 7 mois à la date de la rupture et une rémunération brute de base de 2.177,56 € à la date du 1er mars 2018, a droit à une indemnité compensatrice de préavis de deux mois de salaire, et la société Philippe Rey sera condamnée à lui payer la somme de 4.355,12 € bruts (2.177,56 x 2) de ce chef outre la somme de 435,51 € bruts au titre des congés payés y afférents.

S'agissant du préjudice résultant de la perte de l'emploi, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée (2.177,56 € bruts), de l'âge de l'intéressé (55 ans), de son ancienneté dans l'entreprise (20 années et 1 mois en incluant le préavis de deux mois), de sa capacité à retrouver un emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard tel que cela résulte des pièces communiquées et des explications fournies à la cour (pension d'invalidité de catégorie 2 depuis novembre 2017, crédit bancaire de 120,04 € par mois, prêt familial de 3.000 €), la société Philippe Rey sera condamnée à lui verser la somme de 25.000 € à titre d'indemnité pour licenciement nul en application de l'article L.1235-3-1 du code du travail dans sa version issue de la loi du 29 mars 2018 applicable à la date du licenciement.

Sur les autres demandes :

Les créances à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le conseil des prud'hommes et les sommes à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt.

Il sera fait droit à la demande de remise des documents sociaux, sans que l'astreinte soit nécessaire.

La société Philippe Rey qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel et à payer à [T] [M] la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais exposés en première instance et en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement ;

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et réparant l'omission de statuer des premiers juges ;

Rappelle que le juge judiciaire est compétent pour connaître du présente litige ;

Dit que la société Transit Transport Philippe Rey a engagé sa responsabilité envers [T] [M] pour harcèlement moral ;

Dit que les agissements de l'employeur sont, au moins en partie, à l'origine de l'inaptitude de [T] [M], salarié protégé ;

Dit en conséquence que le licenciement pour inaptitude prononcé le 19 avril 2018 est nul ;

Condamne la société Transit Transport Philippe Rey à payer à [T] [M] les sommes suivantes :

$gt; 15.000 € à titre dommages-intérêts pour harcèlement moral,

$gt; 4.355,12 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

$gt;435,51 € bruts au titre des congés payés y afférents,

$gt; 25.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter du jour où l'employeur a eu connaissance de leur demande, et les sommes à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt ;

Dit que la société Transit Transport Philippe Rey devra transmettre à [T] [M] dans le délai de deux mois suivant la signification de la présente décision un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformes ainsi qu'un bulletin de salaire récapitulatif ;

Déboute [T] [M] de sa demande d'astreinte et du surplus de ses prétentions ;

Déboute [T] [M] de sa demande de rappel de salaire au titre des RTT ;

Condamne la société Transit Transport Philippe Rey aux entiers dépens de première instance et d'appel, et à payer à [T] [M] la somme de 3.000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel.

LE GREFFIER LE CONSEILLER

Pour le président, empêché

C. CHICLET


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 2e chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/04019
Date de la décision : 31/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-31;20.04019 ?
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