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31/05/2023 | FRANCE | N°20/03911

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 2e chambre sociale, 31 mai 2023, 20/03911


Grosse + copie

délivrées le

à















COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



2e chambre sociale



ARRET DU 31 MAI 2023



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 20/03911 - N° Portalis DBVK-V-B7E-OV7Q



Décision déférée à la Cour :

Jugement du 17 SEPTEMBRE 2020

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE NARBONNE N° RG 19/00059



APPELANT :



Monsieur [R] [P]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Bruno BLANQUER de la SCP BLANQUER//CROIZIER/CHARPY, avocat au barreau de NARBONNE



INTIMEE :



S.A.S. NOUVELLE VISION prise en la personne de son représentant légal en exercice

[Adresse 4]

[Localité 2]

Repré...

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 31 MAI 2023

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 20/03911 - N° Portalis DBVK-V-B7E-OV7Q

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 17 SEPTEMBRE 2020

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE NARBONNE N° RG 19/00059

APPELANT :

Monsieur [R] [P]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Bruno BLANQUER de la SCP BLANQUER//CROIZIER/CHARPY, avocat au barreau de NARBONNE

INTIMEE :

S.A.S. NOUVELLE VISION prise en la personne de son représentant légal en exercice

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Michel GOURON, avocat au barreau de MONTPELLIER

Ordonnance de clôture du 15 Mars 2023

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 AVRIL 2023,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Isabelle MARTINEZ, Conseillère, chargé du rapport.

Ce(s) magistrat(s) a (ont) rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Véronique DUCHARNE, Conseillère, faisant fonction de Président en l'absence du Président empêché

Madame Caroline CHICLET, Conseillère

Madame Isabelle MARTINEZ, Conseillère

Greffier lors des débats : M. Philippe CLUZEL

ARRET :

- contradictoire;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Mme Véronique DUCHARNE, Présidente, et par M. Philippe CLUZEL, Greffier.

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur [R] [P] a été engagé par la SAS Nouvelle vision en qualité d'opticien, coefficient 250, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, à compter du 17 mai 2017.

Le 28 novembre 2018, il a été placé en arrêt de travail jusqu'au 5 mai 2019.

Le 29 novembre 2018, il a sollicité le paiement de ses salaires pour la période du 9 mai au 31 août 2017 et le paiement d'heures supplémentaires pour la période de mai à novembre 2018. Il a réitéré cette demande le 1er février 2019.

Le 15 février 2019, la société a refusé de payer les sommes demandées contestant sa qualité de salarié de la société compte tenu de sa statut d'actionnaire minoritaire de la société.

Sollicitant la résiliation judiciaire de son contrat de travail et imputant de multiples manquements à l'employeur concernant l'exécution du contrat de travail, il a saisi, le 4 mars 2019, le conseil de prud'hommes de Narbonne.

Le 30 avril 2019, il a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

Il a, de nouveau, saisi, le 20 août 2019, le conseil de prud'hommes de Narbonne lequel, par jugement du 17 septembre 2020, a :

- prononcé la jonction des deux instances ;

- reconnu l'existence d'un contrat de travail liant M. [P] à la SAS Nouvelle vision ;

- debouté le salarié de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail ;

- ordonné à la société de lui remettre un bulletin de salaire récapitulatif et la condamner à lui verser les sommes suivantes :

* 5805 € brut au titre des salaires sur la période du 9 mai au 31 août 2017 sans rappel des intérêts ;

* 1000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

- débouté les parties du surplus de leurs demandes.

C'est le jugement dont M. [R] [P] a régulièrement interjeté appel le 21 septembre 2020.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions de M. [R] [P] notifiées et déposées au RPVA le 11 juin 2021.

Vu les dernières conclusions de la SAS Nouvelle vision notifiées et déposées au RPVA le 8 mars 2023.

Pour l'exposé des prétentions des parties et de leurs moyens, il est renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, à leurs conclusions ci-dessus mentionnées et datées.

Vu l'ordonnance de clôture du 15 mars 2023 fixant la date d'audience au 5 avril 2023.

SUR CE

I - Sur le contrat de travail

La SAS Nouvelle vision conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il a reconnu l'existence d'un contrat de travail le liant à M. [P] et conteste son statut de salarié de la société.

M. [P] produit aux débats divers documents permettant de retenir l'existence d'un contrat de travail apparent notamment un contrat écrit daté du 17 mai 2017 entre M. [P] et la SAS Nouvelle vision, representée par son président, M. [X], prévoyant son embauche en qualité d'opticien en contrepartie d'une rémunération mensuelle brute de 2150€ ainsi que des bulletins de paie à compter du mois de mai 2017.

Dès lors, il est justifié de l'existence d'un contrat de travail apparent.

En présence d'un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d'en rapporter la preuve.

La société conteste le statut de salarié de M. [P] au motif qu'il était actionnaire minoritaire de la société ; que les statuts de la société prévoyaient une règle d'unananimité pour la prise de décisions collectives exclusives d'un lien de subordination juridique ; qu'il avait renoncé à percevoir une rémunération pour préserver la trésorerie de la société ; qu'il se présentait comme le dirigeant de la société à l'égard des tiers ; choississait les collections de monture ; achetait les stocks ; définissait la publicité ou encore avait recruté un stagiaire.

La société produit aux débats :

- le contrat de bail commercial signé par les trois associés de la société dont M. [P] ;

- le devis de fabrication de l'enseigne du magasin et une demande d'autorisation préalable d'installation de cette enseigne au ministère, signée par M. [P] ;

- des courriels de M. [P] dans lesquels il annonce à des tiers l'ouverture de la boutique ; propose des plans du magasin aux autres associés ; transmet à l'expert comptable le journal des ventes; informe sur la création d'un site internet et la page facebook de la boutique ;

- une convention de stage signée par M. [P], se présentant comme le directeur de la société, le 29 mai 2017 ;

- une attestation de l'expert comptable de la société, Mme [Y], qui rapporte que lors de la création de la société M. [P] a opté statut d'associé minoritaire afin de bénéficier d'un régime plus protecteur en terme de perte éventuelles d'emploi ; a renoncé a percevoir une rémunération pour une durée équivalente à l'indemnité des congés payés perçue de son ancien employeur afin de ne pas grever la trésorerie de la société ; a été embauché le17 mai 2017 par l'ensemble des associés bien que des recettes aient été enregistrées dans la comptabilité dès le 9 mai 2017 ;

En réplique, M. [P] fait valoir qu'il n'avait reçu aucun mandat social de la société ni délégation ; qu'il n'a pas renoncé à sa rémunération et qu'il travaillait sous la subordination du président de la société, M. [X], qui lui donnait des directives et contrôlait l'exécution de son travail.

Il ressort des éléments versés à la procédure que M. [P] exerçait des fonctions d'opticien, distinctes de ses missions de représentation. De nombreux clients du magasin attestent avoir été conseillés et servis par M. [P] pour le renouvellement de leurs lunettes de mai 2017 à novembre 2018. Par ailleurs, les pièces produites montrent qu'il travaillait sous l'autorité de M. [X] qui lui donnait des directives ( demande de paramétrage des ordinateurs et d'effectuer des sauvegardes en juillet et août 2017) ; contrôlait son travail (notamment les prix pratiqués en annottant ses dossiers clients ainsi que son temps de travail par un relevé des heures effectuées de janvier 2018 à octobre 2018) et lui avait demandé de signer un règlement intérieur le 11 octobre 2018.

Le fait qu'il se soit impliqué dans la création et le fonctionnement de la société (démarches administratives pour la création de l'enseigne du magasin ; propositions de plan du magasins ; création d'un site internet et de la page facebook) et qu'il ait accepté de n'être payé que 1000 € au mois de juillet 2017 tout en faisant part de ses difficultés financières ne démontrent pas qu'il n'était pas salarié de la société.

Il en découle que M. [P] était salarié de la SAS Nouvelle vision et c'est à juste titre que le conseil des prud'hommes s'est déclaré compétent pour statuer sur le litige. Le jugement sera confirmé sur ce point.

II - Sur les demandes au titre de l'exécution du contrat de travail

A - Sur les demandes salariales

1 - Sur le salaire contractuel pour la période du 9 mai 2017 au 31 juillet 2017

C'est à l'employeur, débiteur de l'obligation, de rapporter la preuve du paiement des salaires afférents au travail effectivement accompli.

M. [P] sollicite un rappel de salaire pour non-paiement de salaire sur la période du 9 mai 2017 au 31 juillet 2017.

Il produit aux débats :

- son bulletin de paie du mois de mai 2017 qui fait mention d'une absence non remunérée ;

- ses bulletins de paie de septembre 2017 à avril 2019 qui indiquent qu'il a été rémunéré à hauteur de 2150 € brut à raison de 35 heures par semaine à compter du mois de septembre 2017.

La société soutient que le salarié a renoncé au paiement de son salaire intégral pour la période de mai à juillet 2017 Elle produit l'attestation précitée de l'experte comptable de la société qui indique qu'il a renoncé à percevoir sa rémunération pour une durée équivalente à l'indemnité des congés payés perçue de son ancien employeur afin de ne pas grever la trésorerie de la société.

L'attestation de Mme [Y] ne suffit pas à démontrer une volonté non équivoque du salarié d'éteindre l'obligation de paiement de ses salaires nés du contrat de travail. En effet, le salarié avait fait part à son employeur de ses difficultés financières, par échanges de sms en août 2017, ce à quoi il lui avait été répondu 'c'est toi qui me gave avec tes problèmes de sous et tes découverts toutes les 5 minutes'. Par ailleurs, il avait reclamé des rappels de salaire au titre de la période de mai à juillet 2017 à plusieurs reprises à compter du 29 novembre 2018.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes qui a condamné l'employeur à verser au salarié la somme de 5.805€ au titre des salaires dus sur la période du 9 mai au 31 juillet 2017.

2 - Sur les dommages et intérêts au titre du non paiement du salaire

M. [P] sollicite la somme de 5000€ à titre de dommages et intérêts pour non-paiement des salaires.

M. [P] justifie avoir fait part de ses difficultés financières à son employeur, et notamment d'un découvert bancaire par échange de sms dès le mois d'août 2017 et avoir réclamé le paiement de son salaire à plusieurs reprises à compter du 28 novembre 2018. L'employeur n'a pas régularisé la situation malgré ces demandes.

La cour retient que l'indemnité à même de réparer le préjudice subi par M. [P] du chef de l'exécution fautive de son contrat de travail doit être évaluée à la somme de 500€.

Il y a lieu d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes qui l'a débouté de cette demande.

3-Sur le rappel de salaire à titre d'heures supplémentaires

M. [P] conclut à la réformation du jugement qui l'a débouté de sa demande de rappel de salaire à titre d'heures supplémentaires. Il sollicite la somme de 35.401,91 € à titre de rappel de salaire, outre la somme de 3540,19 € au titre des congés payés afférents.

Il résulte des dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

M. [P] fait valoir qu'il a travaillé, du 9 mai 2017 au 27 novembre 2018, du lundi au samedi, de 9 heures à 19 heures, à raison de 10 heures par jour, soit 60 heures par semaine, pour un total de 1766,27 heures supplémentaires non rémunérées sur la période.

Au soutien de sa demande, il verse aux débats :

- un décompte mensuel du nombre d'heures effectuées sur la période du 9 mai 2017 au 28 novembre 2018 ;

- 26 attestations de clients du magasin qui rapportent avoir été conseillés et servis par M. [P], précisant le jour et l'heure de leur venue au magasin. Certains ont été reçus dès 9 heures du matin, et plusieurs d'entre eux entre 12 heures et 14 heures ;

- ses bulletins de paie du mois de mai 2017 et des mois de septembre 2017 à novembre 2018, faisant mention d'un total de 11 heures supplémentaires rémunérées au taux majoré de 25%.

Ces éléments sont suffisamments précis pour permettre à l'employeur d'y répondre.

Pour sa part l'employeur conteste la réalité des heures supplémentaires que le salarié estime avoir effectuées.

Il produit des relevés d'heures mensuels pour la période de janvier 2018 à octobre 2018, signés par le salarié. Ils font mention d'une durée hebdomadaire de 35 heures chaque semaine du lundi au samedi matin ;  d'horaires variable selon les semaines (heure de prise de poste à 9 heures ou 10 heures selon les jours ; heure de départ à 18 heures ou 19 heures ; entre une heure et trois heures de pause déjeuner selon les jours).

Pour la période de mai 2017 à décembre 2017, l'employeur ne produit aucun élément de contrôle de la durée du travail et de sa répartition. Il échoue donc à contredire les éléments de décompte produits par le salarié.

Pour la période de janvier 2018 à octobre 2018, les relevés d'heures produits par l'employeur, dont les données sont contestées par le salarié, sont contredits par de nombreuses attestations de clients qui rapportent avoir été conseillés par M. [P] dès 9 heures du matin, y compris entre 12 heures et 14 heures. Cependant, le salarié ne démontre pas avoir effectué, comme il le soutient, 10 heures de travail par jour, tous les jours, sans bénéficier de pause déjeuner. L'analyse du journal des ventes montre qu'il n'était pas toujours seul à assurer l'accueil des clients, M. [X] ayant également assuré des ventes sur la période.

Par ailleurs, il résulte des bulletins de paie que 11 heures supplémentaires au taux majoré de 25% ont été payées au salarié en 2018 (en février, avril et juin 2018), pour un total de 194,91€.

Il convient donc de faire droit à la demande du salairé au titre des heures supplémentaires en ramenant la somme demandée à de plus justes proportions. Il convient de déduire les 11 heures supplémentaires qui ont été rémunérées et 25,98 heures mensuelles correspondant à une pause déjeuner d'une heure chaque jour.

En conséquence, il convient d'allouer au salarié la somme de 24.655,86€ brut au salarié au titre des heures supplémentaires effectuées, outre la somme de 2.465,58 € au titre des congés payés afférents.

4 - Sur le maintien de salaire pendant l'arrêt de travail

M. [P] sollicite la somme de 7610,40 € à titre de rappel de salaire au titre du maintien de salaire pendant son arrêt maladie.

Il résulte des bulletins de paie que le salarié, qui comptait un an et six mois d'ancienneté au jour de son arrêt maladie, a bénéficié, pendant les deux premiers mois de son arrêt maladie, du versement d'un complément de salaire par son employeur sur la base de son salaire brut mensuel de 2150 €.

Le moyen selon lequel l'employeur aurait dû calculer l'indemnité complémentaire sur la base de son salaire mensuel moyen de 3672,08€, intégrant les heures supplémentaires effectuées est inopérant.

Il convient de débouter le salarié de sa demande à ce titre.

5 - Sur le travail dissimulé

Le salarié conclut à l'infirmation du jugement qui a rejeté sa demande d'indemnisation au titre du travail dissimulé.

La dissimulation d'emploi salarié prévue à l'article L. 8221-5 du code du travail n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur le bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué.

L'élément matériel du travail dissimulé est caractérisé en ce qu'il a été fait droit aux demandes de rappel de salaire de M. [P] pour la période du 9 mai au 31 juillet 2017, ainsi qu'au titre des heures supplémentaires jusqu'au 28 novembre 2018.

L'élément intentionnel du délit de travail dissimulé est caractérisé compte tenu du volume important d'heures supplémentaires non rémunérées sur une période d'un an et six mois.

Par conséquent, les éléments matériel et intentionnel du délit de travail dissimulé sont caractérisés, de sorte que la société SAS Nouvelle vision devra verser à M. [P] la somme de (6x 2150 €), soit 12.900 €.

Il y a lieu d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes sur ce point.

B - Sur les temps de repos et prise de congés

1 - Sur la contrepartie obligatoire en repos

Le salarié sollicite la somme de 9400,19€ brut au titre du dépassement du contingent annuel d'heures supplémentaires.

En application de l'article L. 3121-30 du code du travail, des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d'un contingent annuel. Les heures effectuées au delà de ce contingent annuel ouvrent droit à une contrepartie obligatoire sous forme de repos.

En vertu de l'article D. 3121-23 du code du travail, le salarié dont le contrat de travail prend fin avant qu'il ait pu bénéficier de la contrepartie obligatoire en repos à laquelle il a droit reçoit une indemnité en espèces dont le montant correspond à ses droits acquis.

L'article L. 3121-38 du code du travail prévoit qu'à défaut d'accord, la contrepartie obligatoire sous forme de repos est fixée à 50% des heures supplémentaires accomplies au delà du contingent annuel pour les entreprises de vingt salariés au plus.

Il résulte des décomptes d'heures supplémentaires, produits par le salarié, rectifiés à justes proportions compte tenu des temps de pauses non inclus, que, le salarié a réalisé :

- 538,8 heures supplémentaires en 2017 ;

- 733, 85 heures supplémentaires en 2018 ;

Il s'ensuit que le droit à contrepartie obligatoire en repos du salarié s'élève à :

- 338,8 heures (538,8 - 220) pour 2017 ;

- 513,85 heures (733,85 - 220) pour 2018.

Il est donc dû à M. [P], au titre de la contrepartie obligatoire en repos, une indemnisation égale à 50% de la rémunération horaire de 852,65 heures, soit 6043,37€ brut.

2 - Sur les repos hebdomadaire

Pour contester le jugement qui l'a debouté de sa demande de dommages et intérêts pour non respect du repos hebdomadaire, le salarié fait valoir qu'il n'a pas toujours bénéficié, comme le prévoit l'article 23 alinéa 1 de la convention collective applicable, de deux jours de repos hebdomadaire consécutifs. Il sollicite la somme de 9497,58€ de dommages et intérêts pour non respect du repos hebdomadaire.

Il produit aux débats le journal des ventes qui indique qu'il travaillait régulièrement le samedi et les lundis suivants.

L'article 23 alinéa 1 de la convention collective de l'optique-lunetterie de détail du 2 juin 1986, étendue par arrêté du 15 octobre 1986, dispose que 'l'horaire de travail est réparti sur cinq jours, le second jour de repos étant accolé au dimanche'.

En l'espèce, il résulte du journal des ventes, des attestations de clients, ainsi que des relevés d'heures produits par l'employeur, que M. [P] travaillait régulièrement les samedis et les lundis suivants sur la période de mai 2017 à novembre 2018, en violation des dispositions conventionnelles susvisées.

La privation du repos hebdomadaire de deux jours consécutifs par l'employeur a causé à M. [P] un préjudice qu'il convient de réparer par l'allocation de la somme de 3000€.

3 - Sur l'indemnité compensatrice de congés payés

M. [P] sollicite la somme de 3555,64 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés. Il fait valoir qu'il n'a pris que 7 jours de congés payés sur la période du 9 mai 2017 au 28 novembre 2018 sur 50 jours de congés payés acquis au titre des 20 mois travaillés. Il sollicite, en conséquence, une indemnité correspondant à 43 jours de congés payés non pris.

Le bulletin de paie du mois de décembre 2018 mentionne :

- un solde de 11 jours de congés payés non pris au titre de la période de référence N-1 du 1er juin 2017 au 31 mai 2018 ;

- un solde de 16,13 jours de congés payés non pris au titre de la période de référence N du 1er juin 2018 au 28 novembre 2018, premier jour de son arrêt de travail, soit un total de 27,13 jours de congés non pris.

Or, il résulte du bulletin de paie du mois d'avril 2019 que ce dernier a perçu, par chèque, le 30 avril 2019, une indemnité compensatrice de congés payés d'un montant de 2315,29€ brut correspond à ces jours de congés payés non pris.

Il y a donc lieu de débouter le salarié de sa demande à ce titre.

III - Sur les demandes au titre de la rupture du contrat

1 - Sur la prise d'acte

M. [P] conclut à l'infirmation du jugement qui l'a débouté de sa demande de résiliation judiciaire au lieu de statuer sur sa prise d'acte intervenue postérieurement à sa demande de résiliation judiciaire du contrat. Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison des faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifient, soit dans le cas contraire d'une démission.

Les faits invoqués par le salarié doivent non seulement être établis mais constituer des manquements suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite de la relation contractuelle.

C'est au salarié qu'il incombe d'établir les faits allégués à l'encontre de l'employeur. S'il subsiste un doute sur la réalité des faits invoqués à l'appui de la prise d'acte, celle-ci doit produire les effets d'une démission.

En l'espèce, le salarié a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 30 avril 2019 en ces termes :

' Monsieur le Président,

Alors que j'ai commencé à travailler pour la société Nouvelle Vision le 9 mai 2017, avec un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, signée le 17 mai 2017, je n'ai, à ce jour, toujours pas reçu de salaire pour mon travail effectué les mois de mai, juin et juillet 2017, d'une part.

D'autre part, j'ai effectué de très nombreuses heures supplémentaires entre mai 2017 et novembre 2018, qui ne m'ont jamais été réglées, aucune suite n'ayant été donnée aux nombreuses demandes que j'ai formulées en ce sens, suivant courrier qui vous a été adressé par mon avocat le 29 novembre 2018 et suivant deux courriers officiels adressés à votre avocat par le mien les 1er février 2019 et 21 février 2019.

Enfin, n'ont jamais été respectés par la société Nouvelle Vision mes droits à repos compensateur et mon droit à avoir deux jours de congés hebdomadaires.

Aucun règlement ou offre de règlement, n'est pas plus intervenu après saisine par mes soins du Conseil de Prud'hommes, suivant requête déposée au Greffe du conseil de prud'hommes le 4 mars 2019, ni lors du bureau de conciliation du 18 avril 2019.

L'ensemble de ces faits, dont la responsabilité incombe entièrement à la société Nouvelle vision, me contraignent à vous notifier par la présente prise d'acte de rupture de mon contrat de travail.

Cette rupture est entièrement imputable à la société Nouvelle vision puisque les faits précités constituent un grave manquement aux obligations contractuelles et légales de la société Nouvelle Vision.

Cette rupture prendra effet à la date de première présentation du présent recommandé, avec demande d'avis de réception.

L'effet de la rupture sera immédiat et sera suivi d'une saisine du Conseil de prud'hommes de Narbonne afin d'obtenir le respect de mes droits et la réparation financière du préjudice subi.

Je vous remercie de me faire tenir les documents légaux en la matière, ainsi que le règlement de l'ensemble des sommes qui me sont dues'.

En l'espèce, les griefs invoqués par le salarié au soutien de sa prise d'acte sont les suivants:

- le non-paiement du salaire du 9 mai au 31 juillet 2017 ;

- le non-paiement des heures supplémentaires accomplies entre le 9 mai 2017 et le 28 novembre 2018 pour un total de 1766,27 heures supplémentaires non rémunérées sur la période.

- le non-respect de la contrepartie obligatoire en repos et du droit au repos hebdomadaire.

L'ensemble de ces griefs sont fondés. Or, le non paiement de l'intégralité de la rémunération du salarié est à lui seul un manquement suffisamment grave pour justifier de l'impossibilité de la poursuite de la relation de travail, de sorte que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse au 30 avril 2019.

Il y a lieu de réformer le jugement du conseil de prud'hommes sur ce point.

2 - Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Au jour de la rupture, M. [P] était âgé de 32 ans, avait une ancienneté de 1 an et 11 mois et percevait un salaire brut mensuel de référence de 3672,08€ (après intégration des heures supplémentaires non rémunérées). Il ne justifie pas de sa situation professionnelle après la rupture du contrat.

Il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, une somme de 3672,08 € de dommages et intérêts, correspondant à un mois de salaire brut.

3 - Sur l'indemnité compensatrice de préavis

En application de l'article L 1234-1 du code du travail, le salariée ayant un an d'ancienneté a droit à une indemnité compensatrice de préavis équivalente à un mois de salaire soit la somme de 3672,08 € outre la somme de 367,20 € pour les congés payés y afférents.

4 - Sur l'indemnité de licenciement

En application des articles L 1234-9 et R 1234-4 du code du travail , le salarié, qui comptait 1 an et 6 mois d'ancienneté (déduction faite de la période d'arrêt maladie non professionnelle) à droit à une indemnité de licenciement d'un montant de 1377 €.

5 - Sur les dommages et intérêts pour circonstances vexatoires de la rupture,

M. [P] sollicite la somme de 25.000€ au titre du caractère vexatoire de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur.

Au soutien de sa demande, il invoque, outre les griefs précédemment cités, son déménagement à [Localité 3] pour chercher un autre emploi ; les humiliations de son employeur à son égard et son arrêt de travail pour burn-out.

Le préjudice résultant du non-paiement de l'intégralité de la rémunération et de la perte injustifiée de l'emploi ont déjà été indemnisés.

Par ailleurs, les échanges de sms produits par le salarié, qui sont antérieurs de plusieurs mois à sa prise d'acte et son arrêt de travail intervenu pour maladie non professionnelle ne permettent pas d'établir que la rupture du contrat s'est déroulée dans des circonstances vexatoires.

Il y a lieu de débouter le salarié de sa demande et de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes sur ce point.

IV - Sur les autres demandes,

Il sera statué sur la délivrance des bulletins de paie, l'article 700 du code de procédure civile, les intérêts légaux et les dépens comme dit au dispositif.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Confirme le jugement rendu le 17 septembre 2020 par le conseil de prud'hommes de Narbonne en ce qu'il a :

- reconnu l'existence d'un contrat de travail liant Monsieur [R] [P] à la SAS Nouvelle vision ;

- condamné la société à lui verser la somme de 5.805€ à titre de rappel de salaire pour la période de mai à juillet 2017 ;

- débouté le salarié de ses demandes au titre du maintien de salaire pendant son arrêt maladie, de l'indemnité compensatrice de congés payés et des circonstances vexatoires de la rupture.

Réforme le jugement pour le surplus et statuant à nouveau,

Condamne la SAS Nouvelle vision à verser à Monsieur [R] [P] les sommes suivantes :

- 500 € à titre de dommages et intérêts pour non-paiement du salaire ;

- 24.655,86 € de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, outre la somme de 2.465,58 € au titre des congés payés afférents ;

- 6043,37 € au titre de l'indemnisation de la contrepartie obligatoire en repos ;

- 3000 € de dommages et intérêts pour non respect des dispositions conventionnelles en matière de temps de repos hebdomadaire ;

- 12.900 € au titre du travail dissimulé ;

Prononce la prise d'acte de la rupture du contrat aux torts de la SAS Nouvelle vision au 30 avril 2019 et la condamne à verser à Monsieur [P] les sommes suivantes :

- 3672,08 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 3672,08 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 367,20€ de congés payés y afférents ;

- 1377 € au titre de l'indemnité de licenciement ;

Ordonne la remise à Monsieur [R] [P] de ses bulletins de salaire des mois de mai 2017 à avril 2019, conformes à l'arrêt, sans qu'il n'y ait lieu au prononcé d'une astreinte ;

Condamne la SAS Nouvelle vision à verser à Monsieur [P] la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d'appel;

Dit que les intérêts sur les sommes allouées sont dûs à compter de la réception par le débiteur de la première demande en justice pour les sommes de nature salariale et à compter de l'arrêt pour les sommes de nature indemnitaire,

Condamne la SAS Nouvelle vision aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Le Greffier P/Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 2e chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/03911
Date de la décision : 31/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-31;20.03911 ?
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