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31/05/2023 | FRANCE | N°19/08251

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 2e chambre sociale, 31 mai 2023, 19/08251


Grosse + copie

délivrées le

à















COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



2e chambre sociale



ARRET DU 31 MAI 2023





Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 19/08251 - N° Portalis DBVK-V-B7D-OOKB



ARRÊT n°



Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 DECEMBRE 2019

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER - N° RG F 18/00751











APPELANTE (intimé dans l

e RG joint 20/00043) :



S.A.S CINEOLIA

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 4]



Représentée par Me Laure BENHAFESSA de la SELARL SELARL AVOCAT LAURE TIDJANI BENHAFESSA, avocat au barreau de MONTPELLIER













INTIME (appelant d...

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 31 MAI 2023

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 19/08251 - N° Portalis DBVK-V-B7D-OOKB

ARRÊT n°

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 DECEMBRE 2019

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER - N° RG F 18/00751

APPELANTE (intimé dans le RG joint 20/00043) :

S.A.S CINEOLIA

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Laure BENHAFESSA de la SELARL SELARL AVOCAT LAURE TIDJANI BENHAFESSA, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIME (appelant dans le RG joint 20/00043) :

Monsieur [Z] [N]

né le 08 Novembre 1984 à [Localité 5] (69)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Romain GEOFFROY de la SELARL SELARL ORA, avocat au barreau de MONTPELLIER

Ordonnance de clôture du 14 Mars 2023

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 AVRIL 2023,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Caroline CHICLET, Conseiller, chargée du rapport.

Madame Caroline CHICLET, Conseiller, faisant fonction de président

Madame Isabelle MARTINEZ, Conseiller

Madame Véronique DUCHARNE, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER

ARRET :

- contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Madame Caroline CHICLET, Conseiller, en remplacement du président, empêché et par Madame Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.

*

* *

EXPOSE DU LITIGE :

Le 13 novembre 2007, [Z] [N] a été engagé par la société Codiam en qualité d'agent d'entretien et de maintenance VTC dans le cadre d'un contrat à durée déterminée à temps complet expirant le 9 mai 2008 régi par la convention collective des commerces et services de l'audiovisuel, de l'électronique et de l'équipement ménager du 26 novembre 1992.

Le 6 mai 2008, les parties sont convenues de signer un contrat à durée indéterminée à temps complet sur le même poste.

Le contrat de travail du salarié a été transféré à la société Locatel à compter du 1er août 2011 et, par avenant du 11 avril 2014, [Z] [N] s'est vu confier le poste de technicien commercial, statut agent de maîtrise, échelon 1, niveau 4, sur le site du CHU de [Localité 6].

Le 29 mars 2017, dans le cadre de la reprise du contrat de mise à disposition du service multimédia au sein du CHU de [Localité 6] par la société Cineolia, dont l'activité consiste à mettre en place ce type de services dans les hôpitaux, le contrat de travail de [Z] [N] a été transféré à cette société, employant habituellement au moins onze salariés, par application volontaire des dispositions de l'article L.1224-1 du code du travail.

Un avenant a été signé entre les parties le même jour maintenant les termes et clauses du contrat signé avec l'entreprise sortante.

[Z] [N] a été placé en arrêt de travail entre le 17 juillet 2017 et le 26 septembre 2017 puis de nouveau entre le 4 janvier 2018 et le 11 avril 2018.

Le 8 novembre 2017, l'employeur lui a proposé une modification de son contrat de travail pour motif économique en application de l'article L.1226-6 du code du travail et lui a notifié cette modification par courrier du 20 décembre 2017 en invoquant l'absence de réponse du salarié reçue dans le délai imparti.

L'employeur, invoquant la réception tardive du courrier de refus du salarié du 11 décembre 2017, a convoqué celui-ci, le 26 janvier 2018, à un entretien préalable à son éventuel licenciement économique fixé au 8 février 2018.

L'employeur a informé [Z] [N], par courrier du 19 février 2018, de son intention de procéder à son licenciement pour motif économique à défaut d'acceptation du contrat de sécurisation professionnelle.

[Z] [N] ayant accepté le contrat de sécurisation professionnelle le contrat de travail a pris fin le 15 mars 2018.

Le 20 juillet 2018, [Z] [N] a saisi le conseil des prud'hommes de [Localité 6] pour voir reconnaître l'existence d'un harcèlement moral et d'une exécution déloyale du contrat, contester le licenciement intervenu et obtenir la réparation de ses préjudices ainsi que l'application de ses droits.

Par jugement du 4 décembre 2019, ce conseil a :

- constaté que [Z] [N] n'a bénéficié que de deux visites médicales et qu'à ce titre l'employeur a manqué à son obligation de sécurité ;

- constaté l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement ;

- constaté l'irrégularité de la procédure de licenciement ;

- condamné la Sasu Cineolia à verser au salarié les sommes suivantes :

$gt; 200 € à titre de dommages-intérêts pour non respect de l'obligation de sécurité,

$gt; 18.200 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

$gt; 1.000 € à titre de dommages-intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement,

$gt; 700 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné à l'employeur de remettre les documents de fin de contrat conformes au jugement sous astreinte de 10 € par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la notification de la décision par le greffe ;

- débouté l'employeur de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné à la société Cineolia de rembourser au Pôle Emploi les indemnités de chômages versées à [Z] [N] à compter de son licenciement et dans la limite d'un mois d'indemnités ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- condamné la société Cineolia aux dépens.

Le 23 décembre 2019, la Sasu Cineolia a relevé appel de tous les chefs de ce jugement.

Vu les conclusions de l'appelante remises au greffe le 15 mars 2020 ;

Vu les conclusions de [Z] [N], appelant à titre incident, remises au greffe le 1er avril 2020 ;

Vu l'ordonnance de clôture du 14 mars 2023 ;

MOTIFS :

I) Sur l'exécution du contrat de travail :

A) Sur le harcèlement moral :

[Z] [N], appelant à titre incident, conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté sa demande indemnitaire de 25.883,30 € pour harcèlement moral et demande à la cour de faire droit à sa prétention.

La société Cineolia conclut à la confirmation du jugement sur ce point.

L'article L. 1152-1 du code du travail énonce : 'Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.'

Aux termes de l'article L.1154-1 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, applicable au litige : « Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L.1152-1 à L.1152-3 et L.1153-1 à L.1153-4 , le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. »

Il résulte des dispositions des articles qui précèdent que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, [Z] [N] invoque en page 11 à 16 de ses écritures :

- la maltraitance professionnelle de sa hiérarchie avec sa mise à l'écart (1)

- le recrutement d'un salarié au sein de son équipe exerçant en partie les mêmes missions que les siennes (2),

- l'absence de fournitures pour exécuter ses tâches malgré ses demandes (3),

- les appels téléphoniques et SMS reçus pendant son arrêt de travail (4),

- la modification unilatérale de ses fonctions dans le seul but de modifier son assiette de salaire, en dépit de son refus écrit du 11 décembre 2017 et le licenciement pour un motif économique fallacieux dans le seul but de 'se débarrasser' de lui (5)

- le retentissement de ces événements sur son état de santé (6).

(1) Au soutien de ses allégations de maltraitance professionnelle (à savoir menaces de sa responsable hiérarchique directe qui lui aurait dit 'C'est toi ou c'est moi qui pars', modifications incessantes de son planning sans motif légitime, ballottage de site en site sans cohérence et au détriment de ses conditions de travail avec plainte auprès de la hiérarchie, ajout de tâches que les sous-traitants refusaient d'accomplir et remarques déplacées sur son niveau de rémunération, mise à l'écart sur le site le plus éloigné et le plus complexe), [Z] [N] se borne à produire une synthèse des agissements reprochés rédigée par ses soins ainsi que ses plannings de juillet et août 2017.

Cette synthèse n'étant corroborée par aucun autre élément probant (courriel, courrier, sms, témoignages, note de service ou autres) et la lecture du planning ne révélant aucune variation de l'emploi du temps du salarié au cours de la période considérée, la matérialité de ces faits n'est pas établie.

(2) Pour prouver l'adjonction, dans son équipe, d'un salarié dont les missions étaient en partie similaires aux siennes, [Z] [N] produit un courriel, dont la date n'est pas visible, d'une manager de la société Hoist Group (précédent employeur) informant des destinataires, dont l'identité n'est pas visible, de l'arrivée de 2 nouveaux conseillers de vente au sein de leur équipe. Cependant, cet unique courriel, qui ne dit rien sur l'équipe d'affectation de ces nouveaux conseillers ni sur leurs missions, ne permet nullement d'établir la matérialité du fait allégué.

(3) L'absence de fournitures suffisantes résulte d'un courriel du 17 mai 2017 adressé à l'employeur dans lequel [Z] [N] procède à l'inventaire du matériel omis dans la liste qui lui avait été communiquée et réclame un certain nombre de fournitures complémentaires nécessaires à son activité.

(4) Pour démontrer la réalité des appels téléphoniques et SMS reçus de l'employeur pendant son arrêt de travail (entre le 17 juillet 2017 et le 26 septembre 2017 puis de nouveau entre le 4 janvier 2018 et le 11 avril 2018), [Z] [N] produit des échanges de SMS des 16 septembre 2017, 25 octobre 2017 et 5 janvier 2018 avec une de ses collègues de travail, [I] [O]. La cour constate, cependant, que ces échanges sont sans rapport avec des appels ou messages reçus de l'employeur. La lecture de l'échange du 25 octobre 2017, qui est seul en lien avec un affaire de téléphone, montre que [Z] [N], qui n'était plus en arrêt de travail à cette date selon les pièces produites, a demandé à sa collègue de communiquer à l'employeur son ancien numéro de téléphone en indiquant avoir pourtant bien précisé à ce dernier qu'il n'avait plus de téléphone, ce qui révèle la volonté de [Z] [N] de ne pas être joint par téléphone par l'employeur, mais ne démontre nullement l'existence d'appels téléphoniques ou de messages reçus de ce dernier pendant son arrêt de travail. La matérialité du fait allégué n'est donc pas établie.

(5) L'employeur a proposé à [Z] [N] le 8 novembre 2017 une modification de son contrat de travail pour motif économique (mutations technologiques ayant rendu nécessaire la réorganisation de l'activité et des services et entraîné une réduction importante des opérations de maintenance) en faisant passer à 80% son activité commerciale jusque-là marginale et en ramenant à 20% son activité technique de maintenance jusque-là prépondérante avec une baisse de sa rémunération de 25% (1.941,91 € bruts au lieu de 2.588,33 € bruts).

Bien que le salarié ait fait connaître, par courrier recommandé du 11 décembre 2017, son refus de consentir à la modification de son contrat de travail fondée par l'employeur sur des nécessités économiques, ce dernier lui a notifié, par courrier du 20 décembre 2017, la mise en oeuvre de cette modification unilatérale avec baisse substantielle de sa rémunération à partir du 1er janvier 2018. Ce n'est que par courrier du 26 janvier 2018 que l'employeur a fini par prendre en compte le courrier de refus et l'a convoqué à un entretien préalable à son éventuel licenciement fixé au 8 février 2018.

Il a été licencié par un courrier du 19 février 2018 pour le même motif économique que celui mis en avant dans la proposition de modification du contrat de travail (attribution du marché de la gestion multiservices pour les patients du CHU de [Localité 6] impliquant une refonte complète des accueils et de la technologie utilisée laquelle ne nécessiterait plus qu'une maintenance d'une journée par semaine rendant inutile le poste de responsable technique à temps plein).

[Z] [N] conclut au caractère fallacieux du motif invoqué.

Et en effet, le motif invoqué par l'employeur selon lequel les mutations technologiques affectant les services du multimédia mis en oeuvre au CHU de [Localité 6] (réseau de télédistribution traditionnel mis à niveau, remplacement des téléviseurs à tube cathodiques par des écrans plats connectés en IP, mise en place d'une solution IPTV afin d'organiser les services au sein d'un portail affiché sur les téléviseurs, outil de facturation remplacé et positionné dans le Cloud, PC de bureau filaires remplacés par des PC portables connectés en wifi etc) induiraient une diminution très importante de la maintenance (1 journée par semaine) ne résulte d'aucun élément objectif ; la légère baisse des attributions techniques de maintenance opérée par le précédent employeur de [Z] [N] en 2014 avec ajout de quelques missions commerciales ne pouvant justifier la réalité du motif économique invoqué. Par ailleurs, l'absence d'agent technique au sein de l'entreprise, mise en exergue par la société Cineolia qui produit son registre unique du personnel, ne permet nullement de démontrer la diminution alléguée des opérations de maintenance, contrairement à ce qu'elle soutient, mais fait plutôt présumer une externalisation de cette maintenance puisque les effectifs de l'entreprise ne comportent plus aucun agent technique susceptible d'y procéder. C'est donc à juste titre que [Z] [N] conclut au caractère fallacieux du motif économique mis en avant dans la proposition de modification de son contrat et dans la lettre de licenciement.

La matérialité de ces faits est établie.

(6) [Z] [N] a été placé en arrêt de travail pour maladie entre le 17 juillet 2017 et le 26 septembre 2017 puis de nouveau entre le 4 janvier 2018 et le 11 avril 2018. Le médecin généraliste certifie, le 26 mars 2019, que l'arrêt de travail du 17 au 21 juillet 2017 inclus a été prescrit pour syndrome dépressif. Le certificat du médecin psychiatre, [D] [P], du 27 mars 2019, fait remonter l'état dépressif à l'année 2016 avec une hospitalisation en post-urgences psychiatriques pour surdosage de benzodiazépines dans un contexte de divorce et de tension au travail (se sentait surveillé par sa supérieure hiérarchique qui serait proche de son ex-femme) et décrit une accentuation des troubles ayant nécessité un arrêt de travail entre janvier 2018 et avril 2018, le patient ayant imputé ses symptômes à un harcèlement au travail. Ce médecin indique que son état de santé nécessite 'une continuité de prise en charge en thérapie cognitive comportementale avec maintien des antidépresseurs'.

Au total, l'insuffisance du matériel et des fournitures remis par l'employeur au salarié afin de lui permettre d'accomplir ses missions, la notification de la modification de son contrat de travail par courrier du 20 décembre 2017 en dépit de son courrier recommandé de refus du 11 décembre 2017, le caractère fallacieux du motif économique invoqué au soutien de la proposition de modification du contrat et du licenciement et le retentissement que ces événements ont eu sur l'état de santé de [Z] [N], placé en arrêt de travail pour syndrome dépressif pendant plusieurs semaines entre juillet et septembre 2017 puis de nouveau à compter de janvier 2018 et jusqu'à la prise d'effet du licenciement sont des faits qui, pris ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Il incombe par conséquent à l'employeur de démontrer que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement.

La société Cineolia n'explique pas les raisons l'ayant conduite à omettre de la liste communiquée au salarié une partie du matériel nécessaire à son activité ni ne démontre avoir remis à ce dernier les fournitures qu'il lui avait réclamées par écrit, elle ne produit pas l'enveloppe revêtue du cachet de la poste dans laquelle se trouvait le courrier de refus du salarié du 11 décembre 2017 pour démontrer la réception tardive alléguée et justifier son courrier de mise en oeuvre de la modification du 20 décembre 2017 et ne justifie pas davantage de la réalité et du sérieux du motif économique invoqué au soutien de cette modification et du licenciement.

Le harcèlement moral est donc démontré.

Compte tenu du retentissement que ces agissements répétés ont eu sur l'état de santé de [Z] [N] puisqu'ils ont accentué un syndrome dépressif apparu à compter de 2016 et que le salarié a, de manière constante, imputé l'origine de ses symptômes, au moins en partie, à ses difficultés ressenties au travail, il lui sera alloué la somme de 10.000€ à titre de dommages-intérêts.

En conséquence le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

B) Sur l'exécution déloyale et l'obligation de sécurité :

La société Cineolia conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à [Z] [N] la somme de 200 € à titre de dommages-intérêts pour non respect de l'obligation de sécurité et demande à la cour de débouter ce dernier de toutes ses prétentions de ce chef.

Formant appel incident sur ce point, [Z] [N] demande à la cour de condamner l'employeur à lui payer la somme de 15.529,98 € à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat et 2.588,33 € à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité.

1) [Z] [N] n'est pas fondé à invoquer une modification unilatérale du contrat de travail prise le 20 décembre 2017 en dépit de son courrier de refus du 11 décembre 2017 dès lors qu'il ne démontre pas, en s'abstenant de produire l'avis de réception de ce recommandé du 11 décembre 2017, que celui-ci est bien parvenu à l'employeur avant l'envoi de la lettre du 20 décembre 2017. Ce grief sera par conséquent écarté.

2) Les entretiens professionnels d'évolution de carrière devant avoir lieu tous les deux ans, il ne peut être reproché à la société Cineolia de ne pas y avoir procédé :

- à compter du 29 mars 2017, dès lors qu'à la date de la rupture le salarié n'avait pas encore deux ans de présence dans ses effectifs,

- antérieurement au 29 mars 2017, dès lors qu'en l'absence de convention passée avec l'employeur précédent (nonobstant l'application volontaire de l'article L.1224-1 du code du travail dans l'avenant de transfert conclu avec le salarié), la société Cineolia n'était pas tenue des obligations qui incombaient à ce dernier ainsi que le prévoit l'article L.1224-2 du code du travail.

Et les entretiens annuels d'évaluation étant facultatifs, en l'absence de dispositions conventionnelles ou d'usages contraires invoqués par [Z] [N], il ne peut être reproché à la société Cineolia de ne pas y avoir procédé pendant la durée de la relation de travail.

Ces griefs seront par conséquent écartés.

3) Ainsi qu'il vient d'être dit dans les motifs sus-énoncés, la société Cineolia ne peut être tenue pour responsable des manquements de l'employeur précédent. Il est donc vain, de la part de [Z] [N], de lui faire grief de l'absence de visite médicale organisée par ses prédécesseurs avant le 29 mars 2017.

Par ailleurs, la médecine du travail ayant délivré au salarié un avis d'aptitude sans réserve le 10 juin 2016, la société Cineolia n'était pas tenue de soumettre [Z] [N] à un nouvel examen avant juin 2021 en application de l'article R.4624-15 du code du travail dans sa rédaction issue du décret 2016-1908 du 27 décembre 2016 puisqu'il occupait un poste identique au précédent, que le professionnel de santé était en possession de l'avis d'aptitude de juin 2016 et qu'aucune mesure d'aménagement du poste ou du temps de travail n'avait été sollicitée au cours des 5 dernières années.

En toute hypothèse, [Z] [N] ayant bénéficié d'une visite de reprise le 25 octobre 2017 (avec visite de contrôle prévue pour le 25 avril 2018, soit postérieurement à la prise d'effet du licenciement), il ne justifie d'aucun préjudice en lien avec l'absence de visite d'information et de prévention lors de son transfert en mars 2017.

Ces griefs seront par conséquent écartés.

Au total, en l'absence de preuve d'un manquement de l'employeur à ses obligations d'exécution loyale du contrat et de sécurité, [Z] [N] sera débouté de l'intégralité de ses prétentions et le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Cineolia à lui payer une indemnité de 200 € de ce chef.

II) Sur la rupture du contrat de travail :

La société Cineolia conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et demande à la cour de débouter [Z] [N] de toutes ses prétentions de ce chef.

Formant appel incident, [Z] [N] demande à la cour de dire, à titre principal, que le licenciement est nul, et à titre subsidiaire, de le dire sans cause réelle et sérieuse et de condamner l'employeur à lui payer les sommes suivantes :

$gt; 25.883,30 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse,

$gt; 5.176,66 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement irrégulier,

$gt; 15.539,98 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire.

1) Sur la validité ou le bien fondé du licenciement :

Il a été vu dans les motifs qui précèdent que le motif économique du licenciement n'était ni réel ni sérieux, l'importante diminution de la maintenance qui serait induite par les nouvelles technologies mises en oeuvre ne ressortant d'aucun des éléments produits, et que cette décision abusive est l'un des éléments constitutifs du harcèlement moral subi par [Z] [N].

Le licenciement prononcé est donc nul.

S'agissant du préjudice résultant de la perte de l'emploi, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée (2.588,33 € bruts), de l'âge de l'intéressé (34 ans), de son ancienneté dans l'entreprise (10 ans, 3 mois et 7 jours), de sa capacité à retrouver un emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard tel que cela résulte des pièces communiquées et des explications fournies à la cour (allocations de retour à l'emploi et quelques revenus salariés perçus en 2019 selon l'avis d'imposition sur les revenus de 2019 avec une pension alimentaire de 100€ par mois versée pour l'entretien et l'éducation de son fils, ramenée à 50€ par mois à compter de septembre 2019, contrat de travail comme téléconseiller à compter du 22 janvier 2020 avec une rémunération brute mensuelle de 1.539,45 €), la société Cineolia sera condamnée à lui verser la somme de 25.883,30 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

Lorsque la nullité du licenciement est prononcée en violation de l'article L.1152-3 du code du travail, comme c'est le cas en l'espèce, la juridiction ordonne d'office, même en l'absence de Pôle emploi à l'audience et sur le fondement des dispositions de l'article L.1235-4 du même code, dans sa version issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, le remboursement par l'employeur de toute ou partie des indemnités de chômage payées au salarié par les organismes concernés, du jour du licenciement au jour du jugement, et ce dans la limite de six mois. En l'espèce au vu des circonstances de la cause il convient de condamner l'employeur à rembourser les indemnités à concurrence de 6 mois.

Le jugement sera infirmé de ces chefs.

2) Sur la régularité de la procédure de licenciement :

Le principe de la réparation intégrale du préjudice impose que l'irrégularité de la procédure de licenciement, en cas de licenciement nul, soit réparée par le juge, soit par une indemnité distincte soit par une somme comprise dans l'évaluation globale du préjudice résultant de la nullité du licenciement.

C'est donc à tort que la société Cineolia conclut à l'impossible cumul de ces indemnités dans le cas présent.

En l'espèce, si la lettre de convocation à l'entretien préalable ne précise pas les adresses des services où le salarié pouvait prendre connaissance de la liste des personnes susceptibles de l'assister, aucun préjudice résultant de cette omission n'est établi puisque [Z] [N] a pu se faire assister utilement lors de cet entretien par [W] [S], ce qu'il ne discute pas. Ce grief sera par conséquent écarté.

Par ailleurs, si le contrat de sécurisation professionnelle n'a pas été remis au salarié lors de l'entretien préalable, en violation des prescriptions de l'article L.1233-66 du code du travail, [Z] [N] ne démontre pas le préjudice qui en est résulté puisque ce contrat lui est parvenu par courrier dans les jours qui ont suivi cet entretien et qu'il a été en mesure d'y souscrire ainsi qu'en témoigne le contrat signé produit aux débats.

A défaut de démontrer le préjudice causé par les irrégularités dénoncées, [Z] [N] sera débouté de sa prétention indemnitaire et le jugement sera infirmé sur ce point.

3) Sur la demande indemnitaire pour licenciement brutal et vexatoire :

[Z] [N] qui disposait de 10 années d'ancienneté dans son emploi s'est vu proposer, soudainement, en novembre 2017 une modification unilatérale de son contrat de travail fondée sur un motif économique fallacieux et réduisant sa rémunération de 25% avant d'être licencié rapidement pour ce même motif, tenant son refus légitime de souscrire à la modification proposée.

Cette attitude de l'employeur, consistant à proposer au salarié une modification de son contrat de travail incluant une baisse de sa rémunération de 25% qu'il ne pouvait accepter afin de le licencier est vexatoire et justifie l'allocation d'une somme de 3.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur les autres demandes :

Les créances de nature salariale produisent des intérêts au taux légal à compter du jour où l'employeur a eu connaissance de la demande (soit à compter de la date de réception de sa convocation devant le bureau de conciliation), et les sommes à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt.

Il sera fait droit à la demande de remise des documents sociaux, sans que l'astreinte soit nécessaire.

La société Cineolia qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à [Z] [N] la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement ;

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté [Z] [N] de sa demande indemnitaire pour exécution déloyale du contrat et condamné la société Cineolia aux dépens et à payer à [Z] [N] une somme de 700 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau sur les seuls chefs infirmés ;

Dit que le motif économique invoqué au soutien de la proposition de modification du contrat de travail et du licenciement est fallacieux ;

Dit que la société Cineolia a engagé sa responsabilité envers [Z] [N] pour harcèlement moral ;

Dit que le licenciement étant l'un des éléments constitutifs du harcèlement moral, il doit être annulé ;

Condamne la société Cineolia à payer à [Z] [N] les sommes suivantes :

$gt; 10.000 € à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

$gt; 25.883,30 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

$gt; 3.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire,

Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter du jour où l'employeur a eu connaissance de leur demande, et les sommes à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt ;

Dit que la société Cineolia devra transmettre à [Z] [N] dans le délai de deux mois suivant la signification de la présente décision un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformes ainsi qu'un bulletin de salaire récapitulatif ;

Ordonne le remboursement par la société Cineolia au Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à [Z] [N] du jour de son licenciement à ce jour, à concurrence de 6 mois ;

Dit que le greffe adressera à la direction générale de Pôle Emploi une copie certifiée conforme de l'arrêt, en application de l'article R.1235-2 du code du travail ;

Déboute [Z] [N] de sa demande d'astreinte, de sa demande pour manquement à l'obligation de sécurité, de sa demande pour irrégularité de la procédure et du surplus de ses prétentions ;

Condamne la société Cineolia aux dépens d'appel et à payer à [Z] [N] la somme de 2.000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 2e chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19/08251
Date de la décision : 31/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-31;19.08251 ?
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