Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
3e chambre civile
ARRET DU 25 MAI 2023
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 17/01813 - N° Portalis DBVK-V-B7B-NDCQ
ARRET N°
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 16 FEVRIER 2017
TRIBUNAL D'INSTANCE DE PERPIGNAN
N° RG 11-13-000978
APPELANTE :
SARL LE GRENIER DE VAUBAN, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Jean CODOGNES de la SCP CODOGNES, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES - non plaidant
INTIME :
Monsieur [C] [D]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Béatrice MICHEL, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 07 Janvier 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 juin 2022,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marie-Claude SIMON, Vice-présidente placée, chargée du rapport.
Ce(s) magistrat(s) a (ont) rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Thierry CARLIER, Conseiller faisant fonction de Président
M. Fabrice DURAND, Conseiller
Mme Marie-Claude SIMON, Vice-présidente placée par ordonnance du premier président en date du 20 avril 2022
Greffier lors des débats : Mme Sabine MICHEL
ARRET :
- contradictoire,
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, fixée au 22 septembre 2022 et prorogée au 1er décembre 2022, au 09 février 2023, au 11 mai 2023, puis au 25 mai 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par M. Thierry CARLIER, Conseiller, faisant fonction de Président et par Mme Sabine MICHEL, Greffier.
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EXPOSE DU LITIGE
La SARL Le Grenier de Vauban exploite un fonds de commerce d'antiquités brocante.
M. [C] [D] exerce la profession d'expert conseil en antiquités et à ce titre, il est intervenu à la demande des organisateurs, au Salon des antiquaires de [Localité 5] du 31 octobre au 4 novembre 2012.
Par exploit du 31 mai 2013, la SARL Le Grenier de Vauban a assigné M. [C] [D] sur le fondement de la responsabilité délictuelle à lui régler 850 euros en remboursement des frais d'emplacement et de location, 3 000 euros en réparation du préjudice commercial, 6 000 euros pour atteinte à la réputation et l'honorabilité et 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance.
Par jugement du 28 février 2014, le tribunal d'instance de Perpignan a ordonné une expertise de deux bénitiers et désigné Mme [A] [X] [Y], expert près la cour d'appel de Montpellier.
Par jugement du 18 septembre 2015, le tribunal d'instance de Perpignan a ordonné une nouvelle expertise des deux bénitiers et a désigné M. [K] [T], expert près la cour d'appel de Lyon. Ce dernier a déposé son rapport le 20 juin 2016.
Par jugement du 16 février 2017, le tribunal d'instance de Perpignan a :
-débouté la société Le Grenier Vauban de l'intégralité de ses prétentions ;
-condamné la société Le Grenier Vauban à payer à Monsieur [D] les sommes de :
-3 500 euros à titre de dommage et intérêts
-2 500 euros au titre des frais irrépétibles
-ordonné l'exécution provisoire du présent jugement ;
-condamné la société Le Grenier Vauban aux entiers dépens en ce compris les frais des deux expertises.
Le 28 mars 2017, la SARL Le Grenier de Vauban a interjeté appel du jugement du tribunal d'instance de Perpignan du 16 février 2017.
Vu les conclusions de la SARL Le Grenier de Vauban remises au greffe le 20 juin 2017 ;
Vu les conclusions de M. [C] [D] remises au greffe le 03 août 2017.
MOTIF DE L'ARRÊT
La SARL Le Grenier de Vauban sollicite l'infirmation du jugement en date du 16 février 2017. Elle demande de déclarer M. [C] [D] responsable de la faute commise et de le condamner à lui régler une somme de 820 euros en réparation de son préjudice matériel, 3 000 euros au titre du préjudice de perte de chance et 6 000 euros en réparation de son préjudice commercial et 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à sa réputation et à son honorabilité. Elle conclut que M. [C] [D] en qualité d'expert, a commis une faute en contestant l'authenticité de deux bénitiers, qu'elle exposait, obligeant à leur retrait et lui a occasionné un préjudice, alors que les deux experts judiciaires concluent à leur authenticité.
M. [C] [D] demande la confirmation du jugement. Il fait valoir que la décision de retrait des bénitiers du stand appartient à la commission d'étude et des candidatures et de règlement des litiges, que les experts relèvent que le façonnage des bénitiers a pu faire l'objet d'un façonnage avec un outil manuel à force pneumatique incompatible avec les datations du XVIII ème ou XIX ème siècle et qu'il s'agit de bénitiers de création contemporaine, ce que confirme d'autres experts d'antiquités. Il considère ne pas avoir commis d'erreur d'appréciation mais avoir fait preuve de prudence. Il conclut à l'absence de lien de causalité entre les préjudices réclamés et la faute reprochée. A titre incident, il réclame la condamnation de la société Le Grenier de Vauban à lui régler la somme de 6 000 euros pour procédure abusive.
I/ Sur la responsabilité de M. [C] [D]
Il ressort de l'examen des pièces communiquées, que le 10 mai 2012, la société Le Grenier de Vauban sollicite son inscription au salon des Antiquaires de [Localité 5] organisé par l'association des Commerçants et Artisans de [Localité 5] au terme d'une demande d'admission sur laquelle il est mentionné ' je déclare me conformer au règlement général du salon que j'ai accepté et signé et dont je vous retourne ci-joint, l'exemplaire vous revenant', pour l'exposition de 'tableaux et oeuvres d'art (sculptures, céramique, orfèvrerie, verrerie) du XVIII au XIXème siècle.
Le même jour, M. [N] et M.[J] ses représentants, signent un acte d'engagement conformément au règlement général de 'ne pas exposer d'objets neufs ou copies neuves d'ancien, ainsi que des imitations ou reproductions d'ancien fabriquées en vieux bois ou toute autre matière de récupération, se soumettre à tout contrôle de marchandises qui pourront être effectuées sur son stand, retirer meubles ou objets qui seraient désignés par la ou les personnes chargées des contrôles, accepter son exclusion de la manifestation, celles à venir et renoncer à tout recours contre les décisions du comité d'organisation'.
Le règlement intérieur de l'exposition mentionne 'l'organisateur aura tous pouvoirs pour faire enlever la marchandise du contrevenant aux frais de ce dernier, en se réservant dés à présent le droit d'engager toute action judiciaire en dommages et intérêts. En aucun cas le contrevenant ne pourra prétendre au remboursement de tout ou partie de sa participation, ni à quelconque dédommagement. La commission de contrôle interviendra avant et pendant la manifestation afin de contrôler la qualité de la marchandise..'.
L'association des Commerçants et Artisans de [Localité 5] facture le 30 octobre 2012 à M. [P] [J] un emplacement au XIXe Automne des Antiquaires pour un prix de 820 euros.
Selon le procès-verbal de réunion du 1 novembre 2012 la commission de règlement des litiges, à laquelle siégeait M. [C] [D], décide de demander à l'unanimité, à M. [P] [J] de retirer deux bénitiers de son stand d'exposition aux motifs que ' plusieurs marchands ont signalé à M. [D] et à [G] [R], la présence sur le stand de M. [J] et M. [N], de deux bénitiers dont ils mettent en doute l'authenticité. (Pièces annoncées XVIIIème). L'expert indique aux personnes présentes que ces deux pièces apparaissent comme récentes et indique qu'elles ne semblent pas correspondre à la qualité requise pour le salon. M. [L], expert abonde dans son sens'.
Au terme du constat établi le 2 novembre 2012, à la demande de la société Le Grenier de Vauban, M. [C] [D] indique à l'huissier avoir demandé le retrait de deux bénitiers parce qu'ils étaient neufs.
Dans son rapport d'expertise, l'expert [A] [X] identifie les bénitiers comme ' des bénitiers anciens, ni récents, ni neufs, ni contemporains comme l'affirment les deux antiquaires M. [D] et M. [L]'. En réponse aux dires, elle précise 'l'examen de ces bénitiers, avec le recul, avec des loupes, avec des experts antiquaires de salles de vente, nous permet d'affirmer qu'ils sont bien d'époque XVIII '.
L'expert [K] [T] conclut également au caractère ancien des bénitiers. Il précise que le travail de sculpture sur le marbre est dû à des outils mécaniques utilisés manuellement, mais en réponse aux dires, précise que l'utilisation des outils à force pneumatique qui a été utilisé, peut être située autour de 1950, en se référant par ailleurs à un article de Wikipédia qui les fait remonter au début du XXe siècle.
Au terme d'une attestation établie dans les formes prescrites par l'article 202 du code de procédure civile, M. [W] [L] atteste que les bénitiers étaient de fabrication actuelle car ne présentant aucune trace de mortier ancien et n'ayant jamais été fixés à un mur, position partagée par d'autres exposants et antiquaires.
Comme l'a retenu le tribunal, la responsabilité délictuelle d'un expert, tenu d'une obligation de moyen, ne peut être recherchée que s'il a commis une négligence dans son examen de l'objet et la société Le Grenier de Vauban ne rapporte pas la preuve dont elle a la charge de ces manquements.
Si il résulte des divergences entre l'analyse des deux experts judiciaires, sur la caractère ancien de ces bénitiers, l'un considérant qu'ils sont de 1 700, sans plus de références et le second du XVIIIe ou XIXe siècle, qu'il décrivent comme polis, avec l'analyse de M. [D], confirmée par celle de M. [L], qui ne leur attribuent pas cette époque, ces expertises ne permettent pas de constater ou qualifier une faute commise par M. [C] [D], qui intervenait pour le compte des organisateurs et le respect du règlement intérieur pour garantir la qualité des antiquités présentées au public et alors que la société Le Grenier de Vauban s'était expressément engagée à 'retirer meubles ou objets qui seraient désignés par la ou les personnes chargées des contrôles'.
C'est à juste titre que le jugement relève, que pour le cas où une faute ou une négligence aurait été commise, l'absence de preuve du lien de causalité imputable au demandeur avec la réalité du préjudice dont il est demandé réparation, la décision de retrait des bénitiers du stand émanant de la seule commission de règlement des litiges de l'organisation du salon, qui a appliqué le règlement intérieur prévoyant la possibilité qui lui était octroyée de faire retirer une marchandise, sur laquelle elle pouvait avoir un doute, sans recours possible, ce qui avait été accepté expressément par l'exposant et ne résultait pas de la seule analyse et volonté de M. [C] [D], même si ce dernier faisait partie des cinq membres de cette commission et a procédé à l'exécution de sa décision en demandant le retrait.
Le préjudice, s'il existe, résulte de la seule décision de retrait prise par la commission d'organisation et de règlement des litiges, prévue au règlement expressément accepté par les représentants de la société Le Grenier de Vauban, qui s'est fondé sur différentes alertes d'autres exposants et avis de M. [D] mais également de M. [L].
Le premier juge a fait une juste analyse des éléments de fait et de droit et il n'est produit en cause d'appel aucun élément nouveau de nature à remettre en cause l'appréciation faite par le jugement.
En conséquence le jugement sera confirmé de ce chef
II/ Sur la procédure abusive
L'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'est pas en soi constitutive d'une faute et l'exercice d'une action en justice ne dégénère en abus que lorsqu'elle révèle une faute ou une erreur grave dont la commission a entraîné un préjudice pour le défendeur
En l'espèce, il résulte de l'examen des pièces, que la société Le Grenier de Vauban avait connaissance du règlement intérieur, qu'elle avait signé et qui autorisait les organisateurs à faire retirer toute marchandise et excluait tout recours
Alors qu'elle s'était expressément engagée à retirer les marchandises désignées par la personne chargée du contrôle et à renoncer à tout recours, elle a délibérément, engagé la responsabilité de M. [C] [D], de façon abusive, ce dernier n'internant que pour le compte de l'association.
Cette action ne constitue pas une appréciation inexacte de ses droits par la société Le Grenier de Vauban, mais une action délibérée destinée à se soustraire à ses propres engagements.
Il s'ensuit que c'est à juste titre que le jugement, considérant les tracas causés par cette procédure à M.[C] [D], dans laquelle ont dues être suivies deux expertises, a retenu le préjudice spécifique qu'il a subi du fait de cette procédure.
A l'appui de sa demande de réparation de ce préjudice à hauteur de 6 000 euros, M.[C] [D] ne produit aucune pièce justificative.
En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement qui a fixé à 3 500 euros le préjudice spécifique résultant de cette procédure abusive et de débouter M.[C] [D] de sa demande en réparation complémentaire.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement ;
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Déboute la société Le Grenier de Vauban de ses demandes ;
Déboute M.[C] [D] de ses autres demandes ;
Condamne la société Le Grenier de Vauban aux entiers dépens et à payer à M.[C] [D] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais engagés à hauteur d'appel.
Le greffier, Le conseiller faisant fonction de président,