La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/05/2023 | FRANCE | N°22/01137

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 1re chambre civile, 22 mai 2023, 22/01137


N° RG 22/01137 - N° Portalis DBVK-V-B7G-PKRI

ORDONNANCE N°

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



Procédure de réparation à raison d'une détention



ORDONNANCE DU 22 MAI 2023



Nous, Emmanuelle ROUGIE, conseiller désignée par ordonnance du premier président, assistée de Sophie SPINELLA, greffier.



Entre :



D'UNE PART :



Monsieur [S] [V]

[Adresse 1]

[Adresse 10]

[Localité 4]



comparant,



et



D'AUTRE PART :



L'AGENT JUDICI

AIRE DE L'ETAT

Direction des Affaires Juridiques du Ministère de l`Economie

[Adresse 7]

[Localité 5]



Représenté par Maître Catherine GUILLEMAIN, avocat au barreau de MONTPELLIER, substituée par Me Julien...

N° RG 22/01137 - N° Portalis DBVK-V-B7G-PKRI

ORDONNANCE N°

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

Procédure de réparation à raison d'une détention

ORDONNANCE DU 22 MAI 2023

Nous, Emmanuelle ROUGIE, conseiller désignée par ordonnance du premier président, assistée de Sophie SPINELLA, greffier.

Entre :

D'UNE PART :

Monsieur [S] [V]

[Adresse 1]

[Adresse 10]

[Localité 4]

comparant,

et

D'AUTRE PART :

L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

Direction des Affaires Juridiques du Ministère de l`Economie

[Adresse 7]

[Localité 5]

Représenté par Maître Catherine GUILLEMAIN, avocat au barreau de MONTPELLIER, substituée par Me Julien ASTRUC, avocat au barreau de MONTPELLIER

EN PRESENCE DE :

MONSIEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Monsieur Robert BARTOLETTI, substitut général

A l'audience du 16 mars 2023 l'affaire a été mise en délibéré au 11 mai 2023 et prorogée au 22 mai 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

Décision rendue le 22 mai 2023 par mise à disposition au greffe, signée par Emmanuelle ROUGIE, conseiller, et Sophie SPINELLA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * *

Il résulte du dossier de procédure que Monsieur [S] [V] a été placé en détention provisoire du 4 juillet 2003 au 4 septembre 2003 soit 63 jours , dans le cadre d'une procédure d'information suivie au tribunal de grande instance de Perpignan pour des faits de faux, usage de faux et escroquerie , et il a fait l'objet d'une relaxe suivant décision du tribunal correctionnel de Perpignan du 10 février 2021 devenue définitive en ce qui le concerne.

Par requête du 18 février 2022 reçue le 23 février 2022 au secrétariat de la première présidence de la cour d'appel de Montpellier, à laquelle il convient de se référer, Monsieur [S] [V] sollicite l'indemnisation du préjudice subi du fait de la détention provisoire injustifiée, sur le fondement des articles 149 et suivants du code de procédure pénale.

Monsieur [S] [V] sollicite au terme de sa requête du 18 février 2022 les sommes suivantes :

-Au titre du préjudice matériel

-honoraires d'avocat : 2864,06 euros et 9578,80 euros

-salaires perdus durant la période de détention provisoire : 13'315,01 euros

-salaires perdus après la détention provisoire jusqu'au 31 décembre 2003 : 12'319,77 euros

-salaires du 1er janvier 2004 au 2 mai 2004 : 10'666,08 euros

-perte de chance sur salaires pour l'année 2006 :35'519,39 euros

-perte de chance sur salaires pour l'année 2007 : 14'236,65 euros

-perte de chance sur salaires pour l'année 2008 : 23'372,93 euros

-perte de chance sur salaires pour l'année 2009 : 44'150,89 euros

-perte de chance sur retraite CNAV de 2010 à 2021 : 15'726,52 euros

-perte de chance sur retraite ARCCO de 2010 à 2021:15'486,91 euros

-perte de chance sur retraite CNAV depuis le 1er janvier 2022 : 20'686,87 euros

-perte de chance sur retraite ARCCO depuis le 1er janvier 2022 : 20'290,25 euros

-Au titre du préjudice moral

-préjudice moral en détention : 214'311,32 euros

-préjudice moral pour sa fille [U] [V] : 11'973,50 euros

-préjudice moral pour sa fille [J] [V] : 11'973,50 euros

-préjudice moral pour sa compagne [Z] [H] : 4789,40 euros

-préjudice sexuel : 11'973,50 euros

-préjudice moral pour absence de pratique de la moto : 2394,70 euros

-préjudice moral pour absence d'activité au sein de trois associations : 7184,10 euros

-Pour la publication judiciaire de la décision : 1000 €

Il sollicite également l'allocation de la somme de 1000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [S] [V] sollicite au terme de ses dernières conclusions en date du 28 février 2023 reçues à la cour le 6 mars 2023, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé de ses motifs et prétentions, indiquant actualiser ses demandes :

-Au titre du préjudice matériel

-honoraires d'avocat : 2990,47 euros et 10'001,60 euros

-salaires perdus durant la période de détention provisoire : 13'902,72 euros

-salaires perdus après la détention provisoire jusqu'au 31 décembre 2003 : 12'863,55 euros

-salaires du 1er janvier 2004 au 2 mai 2004 : 11'381,40 euros

-perte de chance sur salaires pour l'année 2006 : 39'291,30 euros

-perte de chance sur salaires pour l'année 2007 : 19'097,49 euros

-perte de chance sur salaires pour l'année 2008 : 40'234,92 euros

-perte de chance sur salaires pour l'année 2009 : 46'323,54 euros

-perte de chance sur retraite CNAV de 2010 à 2021 : 23'661,59 euros

-perte de chance sur retraite ARCCO de 2010 à 2021: 23'300,77 euros

-perte de chance sur retraite CNAV depuis le 1er janvier 2022 : 20'181,68 euros

-perte de chance sur retraite ARCCO depuis le 1er janvier 2022 : 18'987,64 euros

-Au titre du préjudice moral

-préjudice moral en détention : 223'770,84 euros

-préjudice moral pour sa fille [U] [V] : 12'502 euros

-préjudice moral pour sa fille [J] [V] 12'502 : euros

-préjudice moral pour sa compagne [Z] [H] et son fils [X] : 5000,80 euros

-préjudice sexuel : 12'502 euros

-préjudice moral pour absence de pratique de la moto : 2500,40 euros

-préjudice moral pour absence d'activité au sein de trois associations : 2500,40 euros pour l'association Union 935, 2487,40 euros pour l'association [Adresse 9] et enfin 2500,40 euros Mare Nostrum

-Pour la publication judiciaire de la décision : 1000 €

Il sollicite également l'allocation de la somme de 1000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il précise fonder ses demandes, s'agissant de sources revendiquées de la réparation, sur les articles 5 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, faisant état de la hiérarchie des normes, sur les articles 4, 5, 1240 et 1241 du Code civil et sur les articles 149 et suivants du code de procédure pénale.

Il fait état de pouvoir actualiser ses demandes au moyen du taux légal judiciaire, et de majorer au final ses demandes au titre des dommages-intérêts, au regard de la notion d'intérêts compensatoires, précisant que la position de l'agent judiciaire de l'État est dépourvue de fondement légal et n'a aucune pertinence. Il fait état de fautes des officiers de police judiciaire.

S'agissant des factures d'honoraires, il cite le code général des impôts, que les factures sont en lien avec la remise en liberté au vu des pièces qu'il communique et des dates de celle-ci, que la preuve est libre, et argue des dispositions des articles 1984 et 1985 du Code civil. Il sollicite les somme de 2990,47 euros et 10'001,60 euros.

S'agissant des salaires perdus en détention provisoire jusqu'au 4 septembre 2003, il sollicite la somme de 13'902,72 euros, indique que les allégations de l'agent judiciaire de l'État sont inexactes et qu'il fait preuve d'un formalisme excessif , conteste sa position concernant l'absence de relevé fourni des indemnités perçues par les [6], et fait référence aux dispositions de l'article L311 -5 , L351 -1, R311-3-3 du code du travail .

Il fait état d'un calcul de salaire net mensuel moyen lissé et de la non prise en compte des congés payés par l'agent judiciaire de l'État.

Il précise, concernant les salaires perdus jusqu'au 31 décembre 2003, pour lesquelles il demande la somme de 12'863,55 euros, qu'il doit être replacé dans la situation où il se serait trouvé si l'acte dommageable n'avait pas été commis, se fondant sur l'article 1240 du Code civil, d'où une demande de réparation intégrale et fait un autre calcul que l'agent judiciaire de l'État concernant les bases d'indemnisation.Au titre des salaires perdus jusqu'au 2 mai 2004, outre le principe de réparation intégrale, il fait état d'une attestation [6] de l'année 2004, d'où le calcul fait quant à une indemnisation, indique produire les attestations [6] de 2004 et ne pas avoir révélé à son futur employeur son séjour en détention. Il demande à être indemnisé à hauteur de 11'380,40 euros.

Concernant la perte de chance de percevoir des salaires des années 2006 à 2009, il indique que son licenciement en 2006 est exclusivement motivé par la révélation de son passé carcéral, au vu d'une attestation produite, qu'il doit être replacé dans l'état qui était le sien avant la détention, procède à un calcul concernant les sommes dues, et sollicite pour l'année 2006 la somme de 39'291,30 euros.

Il sollicite la somme de 19'097,49 euros pour l'année 2007 concernant la perte de chance de retrouver un emploi à temps complet sur la base des pièces qu'il fournit, et rappelle que son licenciement en 2006 est selon lui exclusivement motivé par la révélation de son passé carcéral et qu'il doit être replacé dans la situation où il se serait trouvé si l'acte dommageable n'était pas commis.

Pour l'année 2008 il fait également état d'une perte de chance de retrouver un emploi sur les mêmes fondements, fait un calcul d'indemnisation au vu des

pièces produites, et sollicite la somme de 40'234,92 euros.

Pour l'année 2009, il sollicite la somme de 46'323,54 euros , au vu des pièces produites et sur les mêmes fondements.

Concernant la perte de chance sur la retraite CNAV des années 2010 à 2022 il indique que l'agent judiciaire de l'État refuse de le replacer dans la situation où il se trouvait avant son incarcération et ne respecte pas le droit alors en vigueur et la jurisprudence, et rappelle qu'il y a un lien de causalité entre la détention et son licenciement. Il sollicite la somme de 23'661,59 euros à ce titre.

Il fait état d'une perte de chance sur la retraite ARRCO pour les années 2010 à 2022, pour un montant de 23'300,77 euros, conteste l'absence de lien de causalité entre ce chef de préjudice et la détention provisoire subie , réexplique que le droit alors en vigueur doit être pris en compte et qu'il doit être replacé dans la situation où il se serait trouvé si l'acte dommageable ne s'était pas produit.

Concernant la perte de chance sur les retraites CNAV et ARRCO à compter du 1er janvier 2023 il indique qu'il doit être tenu compte de l'incidence du fait dommageable au-delà de l'âge de la retraite, qu'il doit être replacé dans la situation où il se trouvait avant son incarcération, faisant toujours état d'un lien de causalité entre la détention et son licenciement. Il rappelle les coefficients de revalorisation de retraite. Il sollicite pour la retraite CNAV la somme de 20'181,68 euros et pour la retraite ARRCO la somme de 18'987,64 euros

Pour l'indemnisation du préjudice moral il fait état de ce que les officiers de police judiciaire aient manipulé et/ou fabriqué les éléments, fait état de calculs, rappelle le principe de la réparation intégrale sur le fondement de l'article 1241 du Code civil.

Il fait référence aux articles D350 du code de procédure pénale, 225 -1, 225-14 , 225 -4-1du code pénal, l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Il fait état de conditions d'incarcération particulièrement dégradées, compte tenu du surpeuplement carcéral, de conditions d'hygiène et de vie très défaillantes, et sollicite la somme de 223'770,84 euros.

Concernant sa fille [U], il fait état d'une souffrance personnelle en lien avec sa fille, que les liens avec celle-ci ont été compliqués de par la détention. Pour sa fille [J] il évoque également une souffrance personnelle, la détérioration des liens familiaux et sollicite la somme de 12'502 €.

Il fait état de son désarroi pour sa compagne et du sentiment de responsabilité pour avoir plongé celle-ci et son fils [X] dans une situation très difficile et sollicite à ce titre la somme de 5000,80 euros.

Il évoque une souffrance liée à un préjudice sexuel temporaire, qu'il doit percevoir une indemnisation pour chacun des sous préjudices moraux, rappelle le principe de la réparation intégrale d'une infraction , et qu'il ait été mis dans l'impossibilité d'entretenir une relation intime avec sa jeune compagne durant la période de détention provisoire. Il sollicite la somme de 12'502 € à ce titre.

Concernant la pratique de la moto, il fait état de pratique régulière, et qu'il a été privé de ce plaisir durant la détention provisoire, qu'il doit être dans la situation dans laquelle il se serait trouvé s'il n'avait pas été incarcéré et sollicite la somme de 2500,40 euros.

Concernant la privation des activités associatives, il indique justifier de la participation à celles-ci, sollicite la somme de 2500,40 euros pour l'association Union 935, la somme de 2487,40 euros pour l'association [Adresse 9] et la somme de 2500,40 euros pour l'association Mare Nostrum.

Il indique qu'il a été radié de ces deux dernières associations du fait de l'incarcération.

Il forme une demande de publication judiciaire à hauteur de 1000 €, car il indique son incarcération a été synonyme de culpabilité avérée, a induit une dévalorisation personnelle et professionnelle jusqu'à ce jour de sorte que la publication judiciaire est un moyen de nature à contredire sa culpabilité.

S'agissant de la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile, à hauteur de 1000€, il précise avoir eu à faire face en lien avec cette procédure à de nombreux frais et déplacements.

L'agent judiciaire de l'État , dans ses dernières conclusions (conclusions en réponse n°2) auxquelles il convient de se référer, par l'intermédiaire de son conseil, sollicite que la requête en indemnisation présentée par Monsieur [V] soit déclarée recevable

-de donner acte à l'agent judiciaire de l'État de ce qu'il offre de régler à Monsieur [V] les sommes suivantes :

-au titre de la perte de salaire pour la période du 5 septembre 2000 3 au 31 décembre 2003, la somme de 3918,58 euros

-au titre de la perte de salaire pour la période du mois de janvier 2004, la somme de 922,68 euros (2433 euros -1510,32 euros), si le justificatif du montant des indemnités [6] est fourni

-au titre du préjudice moral pour la période de détention provisoire de 63 jours du 4 juillet 2003 au 4 septembre 2003, la somme de 8000 €

-de débouter Monsieur [V] de toutes ses demandes, fins et conclusions

-de ramener la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile à de plus justes proportions.

Il expose que le délai de six mois n'a pas couru faute de mention dans la décision de relaxe des dispositions des articles 149 et suivants du code de procédure pénale, de sorte que la requête est recevable.

Sur le fond , l'agent judiciaire de l'État s'oppose à la demande d'actualisation sur le fondement des dispositions des articles 1240 anciennement 1382 du Code civil, de l'article 313-2 du CNS, et plusieurs décisions de jurisprudence étant cités. Il indique que seul peut être indemnisé le préjudice résultant de la détention provisoire à l'exclusion de tout autre préjudice lié en particulier à un mauvais fonctionnement de l'institution judiciaire qui ne peut être indemnisé que dans le cadre d'une procédure intentée sur le fondement de l'article L 141-1 du code de l'organisation judiciaire, le requérant faisant état d'un très long délai de la procédure. Il ajoute que le fait générateur de la demande d'indemnisation est la décision de relaxe et que la décision à intervenir est déclarative de droit.

Concernant le préjudice matériel, il précise que les factures d'avocat produites ne font pas référence aux prestations effectuées en lien avec la demande de mise en liberté et que les attestations produites par sa s'ur et son beau-frère ne peuvent justifier la demande d'indemnisation, et il conclut au rejet de ces demandes.

Il ajoute qu'au vu des pièces produites, le montant du salaire non perçu durant la période de détention provisoire s'élève à la somme de 4562,53 euros, que doivent être déduites les sommes perçues des [6] et que faute de fournir le relevé des indemnités perçues depuis la date de licenciement pour faute grave le 25 juillet 2003, il y a lieu de rejeter la demande concernant les salaires durant la période de détention provisoire.

S'agissant des sommes sollicitées à compter du 5 septembre 2003 jusqu'au 31 décembre 2003, l'agent judiciaire de l'État expose que le requérant fait état d'avoir retrouvé du travail à compter du 1er février 2004, de sorte qu'une indemnisation est dûe, sur la base du salaire net perçu mensuellement, à savoir 2433 € et qu'il convient de déduire de cette somme les allocations [6] perçues pour cette période, de sorte que la perte de salaire s'élève à 3918,58 euros.

Concernant la demande d'indemnisation pour les salaires jusqu'au 2 mai 2004, l'agent judiciaire de l'État précise que le requérant ne peut que solliciter l'indemnisation d'une perte de salaire pour le mois de janvier 2004 puisqu'il évoque avoir conclu un contrat de travail à durée déterminée de trois mois à compter du 1er février 2004 et que faute de justifier des allocations [6] perçues, ne produisant pas les pièces dont il fait état, sa demande ne peut qu'être rejetée.

S'agissant de la perte de chance alléguée sur les salaires de 2006 à 2009, l'agent judiciaire de l'État précise que le requérant ne prouve pas que la société [8] l'a licencié pour faute grave, qu'il ne rapporte pas la preuve d'un lien de causalité entre le licenciement dont il a fait l'objet le 25 janvier 2006 et la période de détention provisoire subie. Il conclut ainsi au rejet de cette demande.

Concernant la perte de chance sur les droits à la retraite, il indique qu'au regard de la durée de la détention provisoire, qui est inférieur à 50 jours, Monsieur [V] ne peut prétendre à aucune indemnisation, au regard des dispositions des articles L351-3,R351-12 du code de la sécurité sociale.

S'agissant de la perte de chance sur les droits à la retraite, il précise qu'en l'espèce le requérant ne prouve pas le lien de causalité entre la période de détention provisoire de deux mois et l'incidence d'une perte de droit à la retraite, d'autant qu'il a perçu l'allocation équivalente retraite à compter du 1er juillet 2008 et qu'il a perçu sa retraite à compter du 1er janvier 2010. Il conclut dès lors au rejet de la demande.

Pour le préjudice moral il indique la demande est manifestement excessive , propose la somme de 8000 € , et indique que le requérant ne saurait contester la position de l'agent judiciaire de l'État en faisait état de fautes commises dans le cadre de la procédure pénale, qui ne sauraient servir de fondement à une indemnisation au titre de de l'article 149 du code de procédure pénale.

Concernant le préjudice moral de ses filles [U] et [J], et de sa compagne, l'agent judiciaire de l'État précise que seul le préjudice personnel directement lié à la prévention de liberté est susceptible d'être réparé, et non celui de membres de sa famille.

S'agissant du préjudice moral en lien avec un préjudice sexuel temporaire, l'agent judiciaire de l'État indique que la réparation de ce type de préjudice est compris nécessairement dans le préjudice moral et ne peut faire l'objet d'une indemnisation autonome, ajoute concernant le préjudice moral lié à la pratique de la moto que cette demande est injustifiée et qu'il y a lieu de la rejeter.

Concernant l'activité associative, l'agent judiciaire de l'État indique que le lien de causalité n'est pas démontré avec la détention provisoire, qui a été effectué durant la période estivale de surcroît.

Concernant la demande de publication judiciaire et de remboursement de frais, il indique l'article 149 du code de procédure pénale est d'interprétation stricte de sorte qu'il y a lieu de rejeter cette demande.

Sur la demande faite au titre de l'article 700 du code de procédure civile il sollicite que celle-ci soit ramenée à de plus justes proportions.

Le représentant du Ministère Public dans ses conclusions en date du 16 novembre 2022, reçues au secrétariat de la première présidence le 18 novembre 2022, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé de ses motifs et prétentions, demande que la requête soit déclarée recevable, fait siennes les observations de l'agent judiciaire de l'État concernant le préjudice matériel concluant à la seule indemnisation liée à la perte de salaire pour les mois de septembre à décembre 2003 à la somme de 3918,58 euros, observe que l'indemnisation doit réparer une détention de deux mois dans un établissement surpeuplé de façon récurrente subie par un homme qui était alors âgé de 52 ans, lequel n'avait jamais été incarcéré auparavant et qui est père de deux filles. Il ajoute que cette indemnisation englobe toutes les activités dont le requérant a été privé du fait de la détention comme le préjudice sexuel , l'impossibilité de pratiquer un sport ou des loisirs notamment dans un cadre associatif , de sorte qu'il ne peut être fait droit aux demandes spécifiques faites de ces chefs. Il sollicite une indemnisation à hauteur de 8000 euros, ainsi qu'une somme de 200 euros au titre des frais irrépétibles tout en observant que le requérant n'a pas constitué avocat et n'a pas d'activité professionnelle.

L'affaire a été appelée à l'audience du 16 mars 2023, au cours de laquelle chacune des parties a maintenu ses demandes et conclusions et l'affaire a été mise en délibéré à la date du 11 mai 2023 , prorogé au 22 mai 2023 .

SUR CE

Sur la recevabilité de la requête

La décision de relaxe , en date du 3 février 2021 , est définitive au vu du certificat de non appel produit, et la requête en indemnisation de détention provisoire a été enregistrée au secrétariat de la première présidence de la cour d'appel de Montpellier le 23 février 2022 , soit au-delà du délai de six mois visé à l'article 149 -2 du code de procédure pénale.

Pour autant l'article R 26 de ce même code précise que le délai de six mois prévu à l'article 149-2 ne court à compter de la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive que si, lors de la notification de cette décision, la personne a été avisée de son droit de demander une réparation, ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3 premier alinéa.

En l'espèce, la décision de relaxe du tribunal correctionnel du 10 février 2021 ne mentionne pas le principe de la réparation liée à la détention provisoire injustifiée sur le fondement des articles précités de sorte que le délai de six mois n'est pas opposable au requérant.

En conséquence la requête est recevable et fondée en son principe.

Sur les différents chefs de préjudice sollicités

Au visa de l'article 149 du code de procédure pénale , une indemnité est accordée à sa demande à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire, au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenu définitive, et en application de ce texte, seuls les préjudices personnels, matériels et moraux directement liés à la privation de liberté peuvent faire l'objet d'une indemnisation.

Au visa de l'article 149 du code de procédure pénale précité, seul le préjudice subi par le demandeur en lien direct exclusif avec la détention doit être réparé, et échappe aux prévisions de cet article la réparation du préjudice qui résulterait du déroulement de la procédure judiciaire, telle qu'alléguée par le requérant, lequel évoque une très longue durée de procédure pénale et des dysfonctionnements des acteurs de celle-ci, alors que ce type de dommages ne peut être indemnisé qu'à l'occasion d'une procédure diligentée sur le fondement de l'article L 141-1 du code de l'organisation judiciaire.

Il sera rappelé en outre que l'indemnisation est liée expressément et est circonscrite aux dispositions de l'article 149 du code de procédure pénale, lequel prévoit réparation du préjudice moral et matériel lié à la détention provisoire, ce qui permet en conséquence de prendre en compte l'entier préjudice lié à la détention provisoire subie, et que le principe de la réparation du préjudice au titre d'une détention injustement subie est par conséquent conforme aux articles de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales cités par le requérant.

Par ailleurs, les demandes indemnitaires prennent leur fondement dans la décision de relaxe, laquelle en l'espèce est en date du 3 février 2021, sans que les griefs évoqués s'agissant de la longueur de la procédure ne puissent être indemnisés dans le cadre de la présente procédure, et enfin sera rappelé que des demandes nouvelles ne peuvent être prises en compte s'agissant des dernières conclusions du requérant.

Par conséquent, au regard de l'ensemble de ces éléments, ne pourront être examinées que les demandes indemnitaires au titre du préjudice matériel et moral, directement en lien avec la période de détention provisoire subie.

Sur l'irrecevabilité des écritures du Parquet Général

Le Parquet Général a conclu le 16 novembre 2022, lesquels conclusions ont été déposés au secrétariat de la première présidence le 18 novembre 2022, soit postérieurement au délai de deux mois suite au dépôt des conclusions de l'agent judiciaire de l'État, qui ont été déposées le 29 juin 2022 au secrétariat de la première présidence.

Pour autant les articles 149 et suivants du code de procédure pénale, ainsi que les articles R 26 et suivants du même code ne prévoient aucunement que les écritures du parquet général soient irrecevables en cas de non-respect de ce délai, de sorte qu'il n'y a pas lieu de faire droit à cette demande.

Sur le préjudice matériel

En application de l'article 149 du code de procédure pénale, seuls les préjudices matériels personnels dûment justifiés par les pièces produites aux débats et directement liés à la privation de liberté peuvent faire l'objet d'une indemnisation.

Concernant les demandes pour les honoraires d'avocat

Concernant les deux factures d'honoraires mises en compte il y a lieu de rappeler que le remboursement des frais engagés au titre de la défense ne peut concerner que les prestations directement liées à la prévention de liberté, en application de l'article 149 du code de procédure pénale précité.

Les factures produites ne détaillent pas les démarches liées à la détention et les diligences faites pour la faire cesser, et font uniquement état d'une provision sur honoraires, sans autre indication sur la nature des prestations effectuées, et aucune facture postérieure n'est produite répertoriant le cas échéant les différentes prestations effectuées dans le cadre de l'instruction pénale, ce qui aurait permis de vérifier quels étaient les montants sollicités par les conseils du requérant s'agissant de la privation de la liberté.

Seule la notion de provision étant indiquée dans les factures produites, et en l'état d'une mesure d'information pénale suivie à l'encontre de Monsieur [V] , il n'est pas possible d'évaluer si celles-ci ont été faites uniquement dans le cadre des demandes de remise en liberté.

Par conséquent Monsieur [V] sera débouté de sa demande faite à ce titre.

-Sur les demandes indemnitaires afférentes aux pertes de salaire

Le requérant produit son bulletin de salaire du mois de décembre 2002 qui mentionne un cumul de rémunération nette imposable de 29'200,51 euros, soit la somme de 2433 € par mois.

Il a été licencié par son employeur , [11] , et la lettre de licenciement produite du 25 juillet 2003 précise que la période non travaillée du 9 juillet 2003 à la date de présentation de cette lettre ne sera pas rémunérée et qu'il trouvera ci-joint un chèque de 803,85 euros, soit la somme qui lui reste due au titre de salaire jusqu'au 8 juillet 2003.

Par conséquent, au regard de ces éléments, les salaires non perçus entre le 9 juillet 2003 et la date de fin de détention provisoire, soit le 4 septembre 2003 ouvrent droit à indemnisation mais faute d'avoir transmis le relevé des indemnités perçues par les [6] depuis son licenciement le 25 juillet 2003, alors qu'il était en mesure de le faire après être sorti de détention, et ne justifiant pas de démarche faite à ce titre, il y a lieu de constater qu'il n'est pas possible d'évaluer précisément le préjudice subi, de sorte qu'il y a lieu de rejeter sa demande faite à ce titre.

Concernant les demandes indemnitaires au titre de salaires non perçus du 5 septembre 2003 au 31 décembre 2003, il est avéré que Monsieur [V] n'a pas travaillé avant le 1er février 2004, et qu'il a perçu la somme de 5407,92 euros de la part des [6].

Pour le mois de septembre 2003, il doit être indemnisé à hauteur de 2027,50 euros, ce qui correspond au salaire non perçu de 2433 € x 25 jours/30 jours.

N'ayant pas perçu le salaire de 2433 € pour les mois d'octobre, novembre et décembre 2003, au total il aurait dû percevoir la somme de 9326,50 euros au titre des salaires.

Monsieur [V] ayant perçu la somme de 5407,92 euros au titre des allocations [6], il ouvre droit pour ce chef de préjudice à l'allocation de la somme de 3918,58 euros (9326,50 euros -5407,92 euros).

Concernant les demandes indemnitaires du 1er janvier 2004 au 2 mai 2004, le requérant a fait état d'avoir conclu un contrat de travail à compter du 1er février 2004 de sorte qu'il ne peut revendiquer que l'indemnisation d'une perte de salaire pour le mois de janvier 2004. Il produit dans ses dernières conclusions ce qui lui a été versé par les [6], de sorte qu'il peut prétendre à la somme de 922,68 euros à ce titre.

-Sur les demandes indemnitaires liées à une perte de chance concernant les salaires de 2006 à 2009

En premier lieu, il sera rappelé que Monsieur [V] a retrouvé du travail quelques mois après la fin de la détention provisoire, puisqu'il est sorti de détention le 4 septembre 2003 et a retrouvé du travail, d'après ce qu'il indique lui-même, à compter du 1er février 2004, soit relativement rapidement.

Le requérant produit un courrier de la société [8] du 25 janvier 2006 qui indique procéder à son licenciement pour faute grave en faisant état de griefs précis liés au travail effectué pour cette société.

Monsieur [V] produit une attestation d'un tiers qui précise que ce licenciement est en lien avec la détention provisoire, mais il s'agit purement d'allégations, faute de production de pièces permettant d'établir qu'il ait contesté les motifs de ce licenciement et qu'il ait eu gain de cause à cet égard.

Par conséquent, le lien de causalité entre la détention provisoire subie et la perte de chance alléguée concernant les salaires de 2006 à 2009 n'est pas établie, car son licenciement intervenu en 2006 n'a pas de lien avec la détention provisoire subie et il n'établit pas que les difficultés postérieures à retrouver du travail soient en lien avec celle-ci au vu des pièces produites.

-Sur les demandes indemnitaires au titre de la perte des points de retraite et de la perte de chance sur les droits à la retraite

En l'espèce compte tenu de la durée de détention provisoire il n'a perdu aucun droit à indemnisation relatif à la période d'assurance du régime de base, au visa des articles L351-3, R351-3, R351-5 et R3 151-12 du code de la sécurité sociale, de sorte que ses demandes seront rejetées concernant la perte des points de retraite.

S'agissant des demandes faites au titre d'une perte de chance sur les droits à la retraite, l'intéressé ne justifie pas au vu des pièces produites une perte de chance de percevoir une retraite supérieure à celle qu'il a perçue à compter du 1er janvier 2010, étant rappelé qu'il a subi une détention provisoire de deux mois au cours de l'été 2003 soit de nombreuses années auparavant.

Sur le préjudice moral de Monsieur [V]

Le préjudice moral, au sens de l'article 149 du code de procédure pénale, résulte du choc carcéral ressenti, au regard des éléments relatifs à sa personnalité et à son mode de vie, par une personne brutalement et injustement privée de liberté. Ce préjudice peut en outre être aggravé, en particulier, par une séparation familiale et des conditions d'incarcération particulièrement difficiles. Elle peut au contraire être minorée par l'existence de périodes d'incarcération déjà effectuées en exécution de condamnations antérieures.

En l'espèce Monsieur [V] avait 52 ans quand il a été incarcéré, ne l'avait jamais été auparavant, et il était père de deux filles, dont il a été privé, et avait une compagne.

Le choc carcéral est en l'état par conséquent établi.

La souffrance liée à la privation de lien avec ses proches doit être prise en compte quant à la détermination du préjudice moral.

Il est avéré par ailleurs que les conditions de détention ne pouvaient être que difficiles, en l'état de la surpopulation carcérale de son lieu de détention, et de mauvaises conditions d'incarcération.

S'agissant de privations dont il fait état liées à la détention provisoire, s'agissant d'un préjudice sexuel temporaire, de n'avoir pu pratiquer la moto et participer à ses activités associatives, il y a lieu de constater que ces éléments sont pris en considération dans le cadre de l'évaluation d'un préjudice moral résultant de la détention et ne donnent pas lieu à une indemnisation distincte, le préjudice moral comprenant, outre la souffrance liée à la détention, en raison de la privation de liberté, celle de ne pouvoir se livrer à ses activités habituelles.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, la somme de 8400 € sera allouée à Monsieur [V] au titre du préjudice moral personnellement subi.

Sur le préjudice moral évoqué concernant les deux filles du requérant et sa compagne

Seul le préjudice personnel directement subi par la personne détenue peut être indemnisé, de sorte que le préjudice allégué concernant les proches n'ouvre pas droit à réparation sur le fondement de l'article 149 du code de procédure pénale.

Le requérant fait des demandes indemnitaires en précisant qu'il sollicite réparation du préjudice dont il a personnellement souffert à cet égard, mais il convient de rappeler, comme indiqué plus haut, que cette souffrance a déjà été prise en compte quant à la détermination du préjudice moral dont il doit être indemnisé, de sorte qu'il sera débouté de ses demandes faites à ce titre.

Sur la demande de publication judiciaire et la demande de remboursement de frais

Au visa de l'article 149 du code de procédure pénale précité, sur le fondement de ce texte, seules des demandes indemnitaires peuvent être sollicitées, au titre du préjudice matériel et moral.

La présente procédure étant faite au titre de ce texte, suite à la détention provisoire subie en l'espèce du 4 juillet 2003 au 4 septembre 2003, et ce chef de demande n'étant aucunement prévu par ce texte, cette demande ne peut être accueillie favorablement et sera donc rejetée.

Sur les frais irrépétibles

L'équité commande d'allouer au requérant la somme de 300 € à ce titre.

Sur les dépens

Les dépens seront laissés à la charge du Trésor Public.

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement et en premier ressort

Déclarons la requête recevable,

En conséquence,

Allouons à Monsieur [S] [V]

- la somme de 4841,26 € en réparation de son préjudice matériel,

- la somme de 8400 € en réparation de son préjudice moral,

-la somme de 300 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Le déboutons de ses autres demandes,

Laissons les dépens à la charge du Trésor Public.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 1re chambre civile
Numéro d'arrêt : 22/01137
Date de la décision : 22/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-22;22.01137 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award