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délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
3e chambre civile
ARRET DU 11 MAI 2023
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 18/01286 - N° Portalis DBVK-V-B7C-NSGY
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 23 JANVIER 2018
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MONTPELLIER
N° RG 16/264
APPELANTE :
Société d'Equipement de la Région Montpelliéraine (SERM), représentée en la personne de son représentant légal domicilié ès qualités au siège social
[F] [H]
[Adresse 5]
[Localité 8]
Représentée par Me Christophe BLONDEAUT de la SELARL BPG AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER substitué sur l'audience par Me Nicolas QUEROL, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMEE :
Madame [L] [M] épouse [R]
née le 11 Août 1963 à [Localité 9]
de nationalité Française
[Adresse 7]
[Localité 3]
Représentée par Me François Régis VERNHET de la SELARL FRANCOIS REGIS VERNHET, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 31 Janvier 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 février 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
M. Gilles SAINATI, président de chambre
M. Fabrice DURAND, conseiller
Mme Emmanuelle WATTRAINT, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Sabine MICHEL
ARRET :
- contradictoire,
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par M. Gilles SAINATI, président de chambre, et par Mme Sabine MICHEL, Greffière.
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EXPOSE DU LITIGE
Par actes notariés des 18 et 22 janvier 2013, la Société d'Equipement de la Région Montpelliéraine (ci-après dénommée « la SERM ») a procédé à un échange de biens immobiliers avec Mme [L] [M] épouse [R].
Mme [R] a ainsi reçu un local en rez-de-chaussée de 60,30 m² et un appartement de 58 m² situé au premier étage (lots n°2, 26, 28 et 30) d'un immeuble en copropriété situé [Adresse 1] et cadastré section HW n°[Cadastre 6] sur la commune de [Localité 8] (34).
En échange, la SERM a reçu un appartement formant le lot n°5 d'un immeuble en copropriété situé [Adresse 2] et cadastré section HV n°[Cadastre 4] sur la commune de [Localité 8] (34).
Le prix du bien immobilier reçu par Mme [R] était fixé à 168 450 euros tandis que l'immeuble qu'elle donnait en échange était évalué à 340 000 euros. La SERM lui payait donc une soulte de 171 550 euros.
Mme [R] a fait établir en septembre 2013 par son architecte conseil Mme [T] [J] un rapport technique faisant état d'anomalies affectant la structure de l'immeuble.
Le local de Mme [R] a été inondé le 4 octobre 2013 et Mme [J] a établi un second rapport le 5 octobre 2013 concernant le sinistre d'inondation.
Ces deux rapports d'architecte ont été communiqués au syndic de copropriété qui les a transmis à tous les copropriétaires.
Par courrier du 18 juin 2014, M. [B] [A], ingénieur-conseil mandaté par le syndic de la copropriété, a confirmé l'existence d'anomalies de structure à réparer.
Réunis en assemblée générale le 18 février 2016, les copropriétaires ont décidé d'engager les travaux de réparation nécessaires qu'ils ont confiés à l'entreprise ABTP au prix de 81 939,28 euros TTC outre 7 800 euros d'honoraires de maîtrise d'oeuvre, 2 970 euros d'honoraires de bureau de contrôle Apave et 2 365 euros d'assurance dommages-ouvrage.
Le syndicat des copropriétaires a par ailleurs reçu une subvention de 44 598 euros de l'ANAH destinée à financer les travaux.
Par acte d'huissier signifié le 22 décembre 2015, Mme [R] a fait assigner la SERM devant le tribunal de grande instance de Montpellier aux fins de la voir condamner à l'indemniser de différents préjudices sur le fondement de la garantie des vices cachés.
Par jugement contradictoire du 23 janvier 2018, le tribunal a :
' rejeté la fin de non-recevoir tenant à la prescription soulevée par la SERM ;
' déclaré recevable l'action de Mme [R] sur le fondement des vices cachés ;
' requalifié en contrat de vente l'acte d'échange établi les 18 et 22 janvier 2013 entre Mme [R] et la SERM portant sur le bien immobilier cadastré section HV n°[Cadastre 4] lot n°5 situé [Adresse 2] et le bien immobilier cadastré section HW n°[Cadastre 6] situé [Adresse 1] ;
' déclaré inopposable à Mme [R] la clause d'exclusion de la garantie des vices cachés ;
' condamné la SERM à payer à Mme [R] la somme de 11 380 euros de dommages-intérêts sur le fondement de la garantie des vices cachés ;
' condamné la SERM à payer à Mme [R] la somme de 27 600 de dommages-intérêts en réparation de sa perte de chance ;
' condamné la SERM à payer à Mme [R] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
' rejeté pour le surplus ;
' ordonné l'exécution provisoire ;
' condamné la SERM aux entiers dépens de l'instance.
Par déclaration au greffe du 8 mars 2018, la SERM a relevé appel de ce jugement à l'encontre de Mme [R].
Vu les dernières conclusions de la SERM remises au greffe le 9 janvier 2023 ;
Vu les dernières conclusions de Mme [R] remises au greffe le 30 août 2018 ;
La clôture de la procédure a été prononcée le 31 janvier 2023.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur l'action en garantie des vices cachés exercée par Mme [R] contre la SERM,
En application de l'article 1707 du code civil, la garantie des vices cachés du contrat de vente est également applicable à un contrat d'échange.
L'article 1648 du code civil dispose que l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.
Mme [R] fonde son action sur l'existence de deux vices cachés distincts affectant la structure de l'immeuble litigieux d'une part et le réseau d'évacuation des eaux pluviales d'autre part.
Sur le vice caché afférent à la structure de l'immeuble,
Par courriels reçus notamment les 8 et 23 janvier 2013, Mme [R] a été informée par son architecte-conseil Mme [T] [J] de l'existence de fissures importantes affectant la structure de l'immeuble, outre divers autres désordres.
Ces deux courriels de l'architecte évoquaient notamment la nécessité d'étayer en urgence le linteau de la porte-fenêtre au premier étage et de sécuriser le plancher du premier étage dont le chevron de rive était sectionné à plusieurs endroits.
Dans son courrier adressé le 25 juillet 2013 à la SERM, Mme [R] faisait état en ces termes de la découverte de nombreux problèmes affectant l'immeuble et retardant énormément les travaux :
« La SERM très longtemps copropriétaire semble ne pas avoir rempli certaines obligations de sa mission (structure, réseau, sécurité...) Aucune étude de viabilité de cet immeuble ne semble avoir été réalisée... Les conséquences sont aujourd'hui désastreuses avec l'impossibilité de jouir de ses locaux aux dates prévues au vu des travaux à réaliser dans les parties communes. Le montant des travaux de copropriété vont être bien plus importants que prévu. »
Dans son rapport de septembre 2013 adressé au syndic de la copropriété, Mme [T] [J], architecte conseil de Mme [R], a décrit la présence d'importantes fissures sur les linteaux des portes-fenêtres du premier étage, d'une fissure sur un appui de poutre porteuse et d'espaces vides dans la structure en maçonnerie.
L'architecte faisait alors état de la nécessité d'étayer et de réparer les linteaux par l'intérieur et par l'extérieur.
Elle mettait également en exergue une anomalie majeure de la structure de l'immeuble : « Le mur est posé sur une poutre en bois qui elle-même est posée sur un mur au rez-de-chaussée. »
Les éléments de ce rapport ont ainsi confirmé en septembre 2013 l'existence des désordres affectant la structure de l'immeuble dans toute leur ampleur et toutes leurs conséquences.
Le rapport établi par M. [B] [A] le 18 juin 2014 n'a apporté aucun élément nouveau concernant ces vices de la structure de l'immeuble, sauf à confirmer la gravité des désordres déjà décrits par l'architecte Mme [J] en septembre 2013.
C'est donc par une appréciation inexacte des pièces versées aux débats que le jugement déféré a retenu que ces désordres n'avaient été révélés à Mme [R] que courant 2014.
En effet, dans son courrier du 25 juillet 2013, Mme [R] évoquait déjà la gravité de ces désordres et leur impact sur son projet de rénovation, qualifiant elle-même la situation de « désastreuse ».
Mme [R] a alors confié une expertise à Mme [J] précisément parce qu'elle avait pleinement conscience de la gravité des vices cachés constatés dès son entrée dans les lieux. Les investigations de Mme [J] ont parfaitement décrit la gravité des désordres affectant la structure de l'immeuble.
L'intervention de M. [A] a seulement confirmé les constats déjà faits par Mme [J] en septembre 2013 tout en préconisant des investigations techniques complémentaires aux fins de préparer au mieux les futurs travaux de réparation à réaliser dans l'immeuble.
Il ressort donc des pièces versées aux débats, et notamment du courrier adressé à la SERM par Mme [R] le 25 juillet 2013 et des conclusions du rapport de Mme [J] de septembre 2013 qu'à cette dernière date au plus tard, Mme [R] était parfaitement informée de l'existence de graves désordres affectant la structure de l'immeuble, de ce que ces désordres mettaient en cause la solidité de l'immeuble et qu'ils devaient impérativement être réparés.
Sur le vice caché afférent au réseau d'évacuation,
Mme [R] a été immédiatement informée de la survenue le 4 octobre 2013 d'une importante inondation dans son local à usage d'atelier situé en rez-de-chaussée de l'immeuble.
Dans son second rapport établi le 5 octobre 2013 suite à cette inondation, l'architecte Mme [J] a notamment conclu que :
« L'origine de ces infiltrations est difficile à identifier de manière absolue. Il se pourrait que cette eau s'infiltre par défaut d'évacuation des pluviales des deux descentes sur la façade et l'absence de dauphins coudés au pied des pluviales. »
Il résulte de la survenue de l'inondation du 4 octobre 2013 et des constatations de l'expert Mme [J] du 5 octobre 2013 que Mme [R] était parfaitement informée à cette date d'un vice caché affectant le réseau d'évacuation de l'immeuble.
L'intervention de l'entreprise Somes le 19 février 2015 a seulement précisé la nature des désordres dont la gravité était connue de tous les occupants de l'immeuble et de Mme [R] depuis le 5 octobre 2013.
C'est donc par une appréciation inexacte des pièces versées aux débats que le jugement déféré a retenu que ces désordres affectant le réseau d'évacuation d'eau n'avaient été révélés à Mme [R] que courant 2015 après l'intervention de l'entreprise Somes.
En effet, la gravité de ce vice caché était déjà connue le 5 octobre 2013 par Mme [R] puisqu'elle avait pu elle-même constater que ce vice l'exposait à des risques importants d'inondation de son atelier en rez-de-chaussée, ainsi que le sinistre du 4 octobre 2013 l'avait démontré.
Sur la recevabilité de l'action en garantie des vices cachés,
Il résulte des précédents développements que Mme [R] a été parfaitement informée au plus tard le 5 octobre 2013 de l'existence de deux vices cachés importants affectant d'une part la structure de l'immeuble et d'autre part son réseau d'évacuation d'eau.
L'acte introductif d'instance a été signifié par Mme [R] à la SERM le 22 décembre 2015, date à laquelle le délai biennal de forclusion institué par l'article 1648 du code civil était écoulé depuis le 5 octobre 2015 au plus tard.
En conséquence, l'action engagée par Mme [R] contre la SERM sur le fondement d'un vice caché n'est pas recevable.
Sur la demande fondée sur l'obligation d'information et de conseil,
A titre subsidiaire, Mme [R] fonde ses demandes indemnitaires sur les articles 1134 et 1147 du code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.
La cour constate que les actes d'échange des 18 et 22 janvier 2013 comportent toutes les annexes et diagnostics exigés par la loi pour la protection de l'acquéreur.
La SERM a loyalement communiqué à Mme [R] l'intégralité des informations dont elle disposait sur l'immeuble qu'elle lui vendait.
Le simple fait que la SERM soit propriétaire de biens immobiliers et intervienne depuis plusieurs années dans le quartier Gambetta-Figuerolles ne lui permet pas pour autant de détecter les éventuels désordres non visibles affectant les immeubles qu'elle achète ou qu'elle vend dans ce quartier.
Aux termes de son acte d'acquisition de l'immeuble, Mme [R] s'est engagée à « exécuter à ses frais et risques exclusifs les travaux de réhabilitation sur les biens vendus ».
La vente d'un immeuble ancien n'est soumise par la loi à aucune obligation d'expertise technique préalable de la structure du bâtiment ou de l'intégrité des réseaux à la charge du vendeur, y compris lorsqu'il s'agit d'une société d'économie mixte oeuvrant dans le domaine de la rénovation urbaine et de la lutte contre la dégradation du bâti.
La SERM est un acteur public dont la mission consiste à promouvoir la rénovation urbaine dans les quartiers en difficulté et à lutter contre la dégradation du patrimoine immobilier notamment en requalifiant les immeubles dégradés.
La SERM n'est pas un maître d'oeuvre ni un bureau d'études techniques redevable envers son client d'un devoir de conseil spécifique concernant les conditions de mise en oeuvre d'un projet de rénovation d'un appartement à usage d'habitation vendu à bas prix dans un mauvais état manifeste en vue d'une rénovation lourde des parties privatives et communes de l'immeuble.
L'aquéreur Mme [R] n'ignorait pas le mauvais état de cet immeuble, les risques qu'elle prenait en faisant l'acquisition d'un tel bien à réhabiliter et son engagement d'exécuter d'importants travaux sur les parties communes et privatives, étant précisé que ce risque était compensé par le très bas prix de son acquisition (environ 1 380 euros/m² habitable) par rapport aux prix du marché immobilier, outre la possibilité de bénéficier de subventions sur deniers publics pour financer ces travaux.
Il résulte de ces développements que Mme [R] n'apporte pas la preuve d'un manquement à son devoir d'information et de conseil par la SERM.
Les demandes qu'elle forme subsidiairement sur ce fondement seront donc intégralement rejetées.
Sur les demandes accessoires,
Le jugement sera également infirmé en ses dispositions ayant statué sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [R] succombe intégralement en appel et devra donc supporter les entiers dépens.
L'équité commande en outre de mettre à sa charge une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare irrecevable l'action en garantie des vices cachés engagée par Mme [L] [M] épouse [R] contre la Société d'Equipement de la Région Montpelliéraine (SERM) ;
Déboute Mme [L] [M] épouse [R] de ses demandes contre la Société d'Equipement de la Région Montpelliéraine (SERM) subsidiairement fondées sur un manquement au devoir d'information et de conseil ;
Met les dépens de première instance et d'appel à la charge de Mme [L] [M] épouse [R] ;
Condamne Mme [L] [M] épouse [R] à payer à la Société d'Equipement de la Région Montpelliéraine (SERM) une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Le greffier, Le président,