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03/05/2023 | FRANCE | N°22/04911

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 2e chambre sociale, 03 mai 2023, 22/04911


Grosse + copie

délivrée le

à







COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 03 MAI 2023



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/04911 - N° Portalis DBVK-V-B7G-PR3M



Décision déférée à la Cour : Décision du 07 SEPTEMBRE 2022

BATONNIER DE L'ORDRE DES AVOCATS DE PERPIGNAN



APPELANT :



Monsieur [Y] [D]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant et assisté par Me Jean-baptiste LLATI de la SCP PARRAT-LLATI, avocat au bar

reau de PYRENEES-ORIENTALES



INTIMEE :



S.E.L.A.S. FIDAL

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentant : Me Marie pierre VEDEL SALLES, avocat au barreau de MONTPELLIER - Représentant : ...

Grosse + copie

délivrée le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 03 MAI 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/04911 - N° Portalis DBVK-V-B7G-PR3M

Décision déférée à la Cour : Décision du 07 SEPTEMBRE 2022

BATONNIER DE L'ORDRE DES AVOCATS DE PERPIGNAN

APPELANT :

Monsieur [Y] [D]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant et assisté par Me Jean-baptiste LLATI de la SCP PARRAT-LLATI, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES

INTIMEE :

S.E.L.A.S. FIDAL

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentant : Me Marie pierre VEDEL SALLES, avocat au barreau de MONTPELLIER - Représentant : Me Juliette MASCART, avocat au barreau de PARIS

En application de l'article 937 du code de procédure civile, les parties ont été convoquées à l'audience.

L'affaire a été communiquée au ministère public.

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 MARS 2023,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Isabelle MARTINEZ, Conseillère, chargé du rapport et par Mme Caroline CHICLET, Conseillère.

Ce(s) magistrat(s) a (ont) rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Isabelle MARTINEZ,, Conseillère, faisant fonction de Présidente en l'absence du Président empêché

Madame Caroline CHICLET, Conseillère

Mme DUCHARNE, Conseillère

Greffier lors des débats : M. Philippe CLUZEL

ARRET :

- contradictoire;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Mme Isabelle MARINEZ, Conseillère, en l'absence du Président empêché et par M. Philippe CLUZEL, Greffier.

*

* *

EXPOSE DU LITIGE :

[Y] [D] a été engagé à compter du 1er avril 1987 par la société d'exercice libéral par action simplifié Fidal (la société Fidal), société d'avocats d'affaires exerçant son activité à travers plusieurs dizaines d'établissements répartis sur l'ensemble du territoire national et employant habituellement au moins onze salariés (2.113 salariés environ en décembre 2020 dont 1.305 avocats/juristes), en qualité de conseil juridique dans le cadre d'un contrat de collaboration salariée à durée indéterminée à temps complet régi par la convention collective nationale des cabinets d'avocats (avocats salariés) du 17 février 1995 (IDCC 1850).

[Y] [D], qui est devenu avocat le 1er janvier 1992, occupait en dernier lieu le poste de directeur associé du bureau de [Localité 8].

Le 11 février 2021, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à son éventuel licenciement pour motif économique fixé au 23 février 2021 avec sept offres de reclassement annexées à la convocation.

Il a été licencié pour motif économique par une lettre du 12 mars 2021.

Par courrier daté du 13 janvier 2022, [Y] [D] a saisi le bâtonnier statuant en matière prud'homale, conformément aux dispositions des articles 142 et suivants du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, pour contester cette décision et obtenir la réparation de ses préjudices ainsi que l'application de ses droits.

Le bâtonnier du barreau des Pyrénées Orientales, après avoir constaté l'absence de conciliation des parties, a, par décision du 7 septembre 2022 :

- condamné la Selas Fidal au titre du rappel de salaire ou au titre du nombre de jours travaillés en 2021 à payer à [Y] [D] la somme de 8.252,62 € ;

- rejeté l'ensemble des autres demandes d'[Y] [D], notamment sur le rappel de salaire ainsi que sur les dommages-intérêts pour contestation du licenciement pour motif économique et son préjudice découlant de son statut d'associé ;

- dit que la présence décision sera notifiée aux parties.

Le 27 septembre 2022, [Y] [D] a relevé appel de cette décision.

Vu les conclusions de l'appelant déposées au greffe et soutenues oralement à l'audience de plaidoirie du 6 mars 2023 ;

Vu les conclusions de la Selas Fidal, appelante à titre incident, déposées au greffe et soutenues oralement à l'audience de plaidoirie du 6 mars 2023 ;

MOTIFS :

Sur l'exécution du contrat de travail :

1) Sur la demande de rappel de salaire au titre de la part variable de la rémunération:

[Y] [D] conclut à l'infirmation de la décision en ce qu'elle a rejeté sa demande de rappel de salaire au titre de la part variable de sa rémunération et demande à la cour de condamner l'employeur à lui payer la somme de 33.052,80€ bruts outre celle de 3.305,28 € bruts au titre des congés payés y afférents pour les exercices 2019/2020 et 2020/2021 en l'absence d'objectifs fixés contractuellement à compter de 2019. A titre subsidiaire, il demande l'allocation d'une somme de 36.986,08 € à titre de dommages-intérêts pour perte de chance de réaliser les objectifs omis.

La Selas Fidal conclut à la confirmation de la décision sur ce point.

Si le contrat signé le 16 avril 1991 et son avenant du 20 août 2001 ne prévoyaient qu'un intéressement sur honoraires au taux de 27%, il résulte des 'fiches d'objectifs valant avenant aux conditions particulières du contrat de travail' notifiées à [Y] [D] entre 2014 et 2018, et qu'il produit lui-même aux débats, que l'employeur lui a fixé unilatéralement des objectifs à compter de 2014 [objectifs d'honoraires nets annuels hors directeur associé, objectifs d'honoraires nets annuels personnels, objectifs personnels (limitation des créances douteuses) et objectifs managériaux] correspondant à 40% de sa rémunération puisque 60% de sa rémunération était composée d'un fixe de 72.000 €.

Lorsque les objectifs sont fixés par l'employeur en vertu de son pouvoir de direction, comme c'est le cas en l'espèce, ils doivent être non seulement réalistes et réalisables mais également portés à la connaissance du salarié en début d'exercice.

Or, l'employeur ne démontre pas que [Y] [D], qui le conteste, a été informé des objectifs unilatéralement fixés à compter des exercices 2019/2020 et 2020/2021 puisque, notamment, aucune fiche d'objectifs signée par le salarié n'est produite aux débats pour ces deux exercices contrairement aux exercices précédents.

Lorsque le calcul de la rémunération variable dépend d'éléments qui n'ont pas été précisés et fixés par l'employeur, celui-ci ne peut imposer au salarié une diminution de cette rémunération laquelle doit être payée intégralement pour chaque exercice.

Dès lors que la société Fidal ne justifie pas avoir porté à la connaissance d'[Y] [D] les objectifs fixés unilatéralement pour les exercices 2019/2020 et 2020/2021, la part variable de la rémunération de ce salarié ne pouvait être diminuée et aurait dû lui être payée intégralement pour chaque exercice précité comme s'il avait rempli l'intégralité de ses objectifs.

La part variable maximale de la rémunération d'[Y] [D] s'élevant à 48.000€ bruts (40% de 120.000 € bruts), il est en droit d'obtenir cette somme pour l'exercice complet 2019/2020 et la somme de 33.841,09 € bruts au prorata de son temps de présence dans l'entreprise pour l'exercice allant du 1er octobre 2020 au 14 juin 2021.

[Y] [D] ayant déjà perçu au titre de la part variable de sa rémunération les sommes de :

- 19.671 € bruts en 2019/2020, l'employeur reste lui devoir la somme de 28.324 € bruts (19.671 - 48.000) qui sera ramenée à la somme réclamée de 19.348€ bruts et majorée des congés payés y afférents,

- 13.114 € bruts en 2020/2021, l'employeur reste lui devoir la somme de 20.727,09€ bruts (13.114 - 33.841,09) qui sera ramenée à la somme réclamée de 13.704,80 € bruts et majorée des congés payés y afférents.

La décision du bâtonnier sera infirmée de ce chef.

Sur la demande relative aux journées travaillées :

La société Fidal, formant appel incident, demande à la cour d'infirmer la décision du bâtonnier en ce qu'elle l'a condamnée à payer à [Y] [D] la somme de 8.221 € bruts et demande à la cour de rejeter cette demande, les JNT n'étant pas d'acquisition successive ni monétisables, et, subsidiairement, de la ramener à la somme de 6.782,33 € bruts.

[Y] [D] conclut à la confirmation de la décision en son principe mais à son infirmation sur le quantum en sollicitant l'allocation d'une somme de 8.112,50 € bruts majorée de 811,25 € bruts au titre des congés payés y afférents soit 8.923,75€ bruts au total.

Par avenant du 20 août 2001, [Y] [D], en sa qualité d'avocat, a été soumis à un forfait annuel de 217 jours d'activité en application de l'article L.212-15-1 du code du travail (devenu l'article L.3111-2 du code du travail) et des avenants n°7 (désormais abrogé et devenu l'avenant n°15 du 25 mai 2012 relatif au forfait en jours) et n°7 bis de la convention collective nationale du 17 février 1995.

La cour observe que l'employeur ne discute pas que [Y] [D] a travaillé 13,5 jours supplémentaires entre le 1er janvier et le 14 juin 2021 (112,5 jours travaillés au total) par rapport au forfait contractuel annuel de 216 jours (et non 218 compte tenu des deux jours de repos supplémentaires annuels acquis par son ancienneté) qui aurait dû le conduire à travailler 99 jours au maximum sur cette période (18 jours par mois x 5,5 mois) mais conteste seulement les caractères cumulable et monétisable de ces jours travaillés supplémentaires.

L'article 6 alinéas 3 et 4 de l'avenant n°15 du 25 mai 2012 relatif au forfait en jours (qui annule et remplace l'avenant n°7 visé au contrat) prévoit que les jours travaillés au-delà du forfait convenu, qui ne peuvent excéder 225 dans l'année civile, doivent être rémunérés avec un taux de majoration de 20%.

Ces jours supplémentaires sont donc monétisables et rien ne s'oppose à leur acquisition successive contrairement à ce qui est soutenu, sans offre de preuve, par la société Fidal.

Dès lors que la cour a fait droit à la demande de rappel de salaire au titre de la rémunération variable dans les motifs qui précèdent, le salaire de référence à prendre en compte pour le calcul de la rémunération des 13,5 jours travaillés supplémentaires en 2021 est de 9.833,33 € bruts.

La société Fidal sera, par conséquent, condamnée à payer à [Y] [D] la somme de 8.112,50 € bruts à titre de rappel de salaire compte tenu de la majoration de 10% sollicitée par le salarié (au lieu des 20% prévus par la convention collective soit 9.833,33 x 13,5/18 x 110%) outre 811,25 € bruts au titre des congés payés y afférents, soit une somme totale de 8.923,75 € bruts pour les 13,5 jours travaillés en 2021.

Le jugement sera infirmé sur le quantum.

Sur la demande au titre de l'indemnité de licenciement :

[Y] [D] conclut à l'infirmation de la décision du bâtonnier en ce qu'elle a rejeté sa demande en paiement d'un complément de 28.369,72 € au titre de l'indemnité de licenciement et demande à la cour de faire droit à sa prétention, le salaire de référence retenu par l'employeur pour le calcul de cette indemnité étant erroné puisqu'il ne prenait pas en compte la part variable de la rémunération due ainsi que le paiement majoré de 10% des jours travaillés supplémentaires en 2021.

La société Fidal conclut à la confirmation de la décision sur ce point en rappelant que les somme dues au titre des 'JNT' correspondent à des journées de repos non prises et doivent suivre le même régime que le paiement des soldes de congés c'est à dire qu'elles ne deviennent exigibles qu'à la rupture du contrat et ne peuvent être prises en compte dans le calcul du salaire de référence. Subsidiairement, elle conteste le mode de calcul appliqué par l'appelant et demande à la cour de limiter le solde dû à 6.544,43 €.

Selon l'article 9.2.1 de l'avenant n°21 du 19 octobre 2018 relatif à l'indemnité de licenciement, étendu par arrêté du 25 janvier 2021 'sous réserve du respect de l'article R.1234-4 du code du travail et de la jurisprudence de la Cour de Cassation (Cass. soc. 27 février 1991, n° 88-45.512)' et donc applicable au présent litige :

'L'avocat salarié, qui compte 8 mois d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur et dont le licenciement ne résulte pas d'une faute grave ou lourde, a droit à une indemnité de licenciement qui s'établit comme suit :

' pour la tranche d'ancienneté inférieure ou égale à 10 ans : 1/4 de mois de salaire par année d'ancienneté ;

' pour la tranche d'ancienneté supérieure à 10 ans : 1/3 de mois de salaire par année d'ancienneté.

'La condition de 8 mois d'ancienneté doit être remplie à la date d'envoi de la lettre de licenciement.

'L'indemnité de licenciement se calcule à l'expiration du contrat de travail c'est-à-dire à l'expiration normale du préavis, même s'il y a eu dispense de l'exécuter. Dans le temps d'ancienneté tel que visé ci-dessus, il est tenu compte des fractions d'année.

'Le salaire mensuel retenu comme base de calcul est celui résultant de la moyenne de la rémunération brute cotisable et taxable acquise contractuellement par l'avocat salarié au titre des 12 mois précédant la notification du licenciement ou si cela est plus favorable 1/3 des 3 derniers mois précédant l'expiration du contrat. Dans ce dernier cas toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel versé au salarié pendant cette période n'est prise en compte que dans la limite d'un montant calculé à due proportion.'

Ainsi qu'il a été jugé dans les motifs qui précèdent, les 13,5 jours travaillés excédant (dans la limite de 225 par an) le forfait annuel contractualisé de 216 jours par année civile donnent lieu à une rémunération majorée de 20% (ramenée à la majoration réclamée de 10%) en application de l'article 6 alinéas 3 et 4 de l'avenant n°15 du 25 mai 2012 relatif au forfait en jours.

Cette rémunération du travail accompli, qui ne suit pas le régime du paiement d'un solde de congés, contrairement à ce qui est soutenu à tort par l'employeur, doit être intégrée dans le calcul du salaire de référence de l'indemnité de licenciement dans la limite du montant calculé à due proportion.

Ainsi, le salaire de référence à retenir pour le calcul de l'indemnité de licenciement aurait dû s'élever à 11.455,83 € bruts correspondant à la rémunération moyenne des 3 derniers mois de la relation de travail (la plus avantageuse) en y intégrant la part variable de la rémunération retenue précédemment ainsi que la rémunération due au titre des 13,5 jours travaillés supplémentaires au cours des 5,5 mois travaillés en 2021 et rapportée au mois ([9.833,33 + (8.923,75 x 1/5,5)].

Cependant, ce salaire de référence sera ramené à la somme de 10.901,56 € bruts pour tenir compte du montant revendiqué par l'appelant.

Le contrat de travail d'[Y] [D] ayant pris fin le 14 juin 2021, à l'expiration du préavis de 3 mois (cf lettre de licenciement du 12 mars 2021 et attestation pôle emploi indiquant cette date du 14 juin 2021 comme dernier jour travaillé), le salarié cumulait une ancienneté de 34 ans, 2 mois et 14 jours ouvrant droit à une indemnité de licenciement d'un montant de 115.211,40 € [(10.901,56/4 x 10 ans) + (10.901,53/3 x 24 ans) + (10.901,56/3 x 2/12 mois) + (10.901,56/3 x 14/365 jours)].

[Y] [D] ayant déjà perçu la somme de 87.006 € à titre d'indemnité de licenciement, la société Fidal reste lui devoir un solde de 28.205,40 € au paiement duquel elle sera condamnée.

La décision du bâtonnier sera infirmée de ce chef.

Sur le bien fondé du licenciement :

[Y] [D] conclut à l'infirmation de la décision du bâtonnier en ce qu'elle a rejeté sa demande visant à voir juger le licenciement économique sans cause réelle et sérieuse et demande à la cour de faire droit à sa prétention en invoquant :

- la faute de gestion voire la légèreté blâmable de l'employeur à l'origine de la situation économique négative de la société et des difficultés du cabinet de [Localité 8] que l'employeur avait décidé de fermer depuis longtemps,

- le défaut de pertinence des chiffres avancés tenant leur ancienneté à la date du licenciement,

- l'absence de démonstration d'un lien causal entre les difficultés invoquées et la nécessité de procéder à son licenciement,

- un licenciement verbal,

- le non respect des critères d'ordre des licenciements,

- une proposition de reclassement insuffisante.

Et il sollicite la condamnation de la société Fidal à lui payer les sommes de :

- 196.666,60 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 99.675,75 € à titre de dommages-intérêts pour perte de chance de voir ses actions retrouver un cours plus normal au moment de leur cession.

La société Fidal conclut à la confirmation de la décision sur ce point.

Pour avoir une cause économique, un licenciement doit être consécutif à des difficultés économiques, des mutations technologiques, une réorganisation de l'entreprise, ou une cessation d'activité.

Le motif économique du licenciement devant être réel et sérieux, le juge doit vérifier l'existence d'un lien causal entre la situation économique invoquée (et justifiée) et les mesures qui affectent l'emploi sans pouvoir porter une appréciation sur les choix de gestion de l'employeur qui ressortissent à sa liberté d'entreprise et son pouvoir de direction.

Même si les difficultés économiques invoquées à l'appui du licenciement sont établies, la rupture est dépourvue de cause réelle et sérieuse lorsque ces difficultés sont imputables à un fait fautif, une légèreté blâmable ou une fraude de l'employeur étant précisé que des erreurs dans l'appréciation des risques inhérents à tout choix de gestion ne caractérisent pas, à elles seules, un tel manquement quand bien même elles auraient pu aggraver les difficultés économiques de l'entreprise.

En l'espèce, [Y] [D] a été licencié pour motif économique dans les termes suivants :

'Monsieur,

Nous faisant suite à notre entretien du 23 février dernier et sommes au regret de vous notifier, par le présent courrier, votre licenciement pour motif économique.

Comme cela vous a été indiqué notre décision est motivée par les difficultés économiques rencontrées par notre cabinet depuis deux ans. Ces difficultés économiques, appréciées au niveau du groupe auquel Fidal appartient, nécessitent la mise en place de différentes mesures de nature à redresser la situation dont la fermeture du bureau de [Localité 8] entraînant ainsi la suppression de tous les emplois qui y ont attachés.

Votre poste d'avocat en droit social est donc supprimé en raison de la fermeture à venir du bureau de [Localité 8] justifiée par les difficultés économiques subies par le cabinet.

En effet, Fidal a enregistré une dégradation de son chiffre d'affaires de 12,31% entre 2019 et 2020 (281.288 K€ au 30/09/20), faisant elles-même suite à une précédente contraction de 11,75% (320.805 K€ au 30/09/19 contre 363.538 K€ au 30/09/18) soit une baisse importante de 22,62 % sur deux exercices sociaux consécutifs.

De même, les comptes sociaux de la SELAS Fidal ont fait ressortir un résultat d'exploitation négatif au 30/09/20 s'établissant à - 32 759 K ( et à - 15.955 K au 30/09/19), conséquence, notamment, de la très forte baisse de notre chiffre d'affaires, entraînant par ailleurs des incidences et tensions fortes sur notre trésorerie.

Cette situation qui a fortement fragilisé notre cabinet résulte de plusieurs facteurs.

D'une part, des départs d'équipes en 2019 et 2020 au sein de plusieurs directions régionales qui ont fortement déstabilisé le cabinet en entraînant :

- le départ massif de clients ;

- une perte très significative du chiffre d'affaires ;

- une inadéquation de nos ressources en secrétariat, le départ de nombreux avocats (sans leur secrétaire assistante) ayant entraîné des sureffectifs locaux sur les fonctions de secrétaires et assistantes ;

- le départ du management local.

En outre, le secteur juridique et fiscal a subi deux évolutions notables :

- émergence de nouveaux acteurs depuis ces dernières années (cabinets d'expertise comptable, assureurs, légal tech, cabinets RH intervenant sur le volet juridique) qui ont accru la concurrence sur ce marché ;

- banalisation du savoir juridique standard, tirant les prix de marché vers le bas.

Enfin, l'épidémie de COVID19 et les mesures gouvernementales de confinement total du 17 mars au 11 mai 2020 ont aggravé les difficultés économiques du cabinet.

Ces facteurs ont particulièrement dégradé la situation du bureau de [Localité 8] dans un contexte national pour le cabinet déjà dégradé (cf ci-dessus).

En effet, le bureau de [Localité 8] a subi une vague de départs entre septembre et décembre 2018: au total cinq avocats dont le manager du bureau ont quitté le cabinet ainsi que trois assistantes. Les tentatives de recrutement ultérieures n'ont malheureusement pas abouti, les résultats du bureau se trouvant des lors fortement impactés, le résultat d'exploitation au 30/09/20 se situant à - 309 K€.

Pour éviter ce licenciement, nous vous avons proposé, par courrier du 11 février 2021, les 7 postes disponibles d'avocat/juriste en droit social au sein des bureaux du cabinet pour votre reclassement, que vous avez refusés le 8 mars 2021.

Nous n'avons donc malheureusement pas d'autre alternative aujourd'hui ,pour les raisons et motifs évoqués ci-dessus et leurs conséquences sur votre emploi ,que celle de vous notifier votre licenciement pour motif économique.

Votre contrat de travail prendra fin à l'expiration de votre période de préavis d'une durée de trois mois court à compter de la première présentation de cette lettre.'

La société intimée, qui invoque l'existence d'un groupe dans la lettre de licenciement sans produire d'organigramme ni d'extrait Kbis, se décrit dans ses écritures comme la principale filiale de la société Fidal et Associés, société en participation de profession libérale.

Les parties ne discutent pas que les caractères réel et sérieux du motif économique du licenciement doivent s'apprécier, au sein du groupe, dans le secteur d'activité des avocats d'affaires (droit des sociétés, droit fiscal et droit social).

Il résulte des bilans et comptes de résultats des exercices 2018/2019 et 2019/2020 que la société Fidal affichait un résultat d'exploitation net de - 32.759 K€ au 30 septembre 2020, soit une baisse de 12% par rapport à l'exercice précédent qui connaissait déjà lui-même un résultat net en baisse de plus de 11% par rapport à 2018. Ce mauvais résultat est expliqué, dans une annexe au bilan, par le départ massif et soudain, au cours du premier quadrimestre 2019, de 140 avocats et juristes parisiens affectant particulièrement les équipes fiscales, ce dont il est résulté une diminution importante de la facturation.

Par ailleurs, les comptes de gestion certifiés conformes aux originaux par le directeur administratif et financier de la société montrent que le cabinet de [Localité 8] affichait un résultat d'exploitation net de - 308.378,83 € en septembre 2020 et de - 412.102,41 € en septembre 2019 correspondant à une baisse de 64,59% par rapport à l'exercice précédent.

Les mesures de licenciement économiques décidées par la société Fidal ont conduit, au plan national, à la suppression de 8 emplois dont 6 au sein du cabinet de [Localité 8] (2 avocats et 4 assistantes administratives soit la totalité des effectifs) et 2 au sein du cabinet de [Localité 5] (2 assistantes administratives).

Contrairement à ce que soutient l'appelant, la décision de la société d'installer son siège social [Adresse 4] (avant de le déménager à [Localité 6]) et de modifier son logo, même si elles ont entraîné des dépenses importantes, ne sont pas constitutives d'une faute de gestion ou d'une légèreté blâmable puisqu'il n'est pas établi qu'elles ont été prises de manière inconsidérée et à une époque où sa situation financière était déjà compromise.

Et si le président du directoire, lors des réunions du CSE des 5 et 28 janvier 2021, a clairement imputé la situation déficitaire du cabinet de [Localité 8] à 'une mauvaise gestion des ressources humaines' notamment au niveau de la direction régionale Méditerranée, ces propos ne peuvent s'analyser comme constituant la reconnaissance explicite d'une faute de gestion ou d'une légèreté blâmable, contrairement à ce qui est soutenu.

En outre, la société justifie des efforts menés à compter de 2019 pour pourvoir au remplacement partiel, sur [Localité 8], des 4 avocats salariés démissionnaires, partis rejoindre avec leurs 3 assistantes, entre janvier et septembre 2018, un cabinet concurrent sur [Localité 8] (motivation concurrente connue d'[Y] [D] qui en faisait lui-même état dans son courriel du 21 septembre 2018 adressé à sa hiérarchie) puisqu'elle a décidé de procéder au recrutement de deux avocats en droit des sociétés et droit fiscal.

C'est dans ces conditions qu'elle a embauché une avocate en droit des sociétés en janvier 2019 (responsable de mission) et qu'elle a diffusé en mars, mai, juillet, août et octobre 2019 et encore en janvier 2020 une offre d'emploi en CDI d'avocat en droit fiscal pour le cabinet de [Localité 8].

Ces annonces, diffusées pendant 10 mois, ont toutes été vues plus d'un millier de fois (entre 1243 et 2519 vues) mais n'ont débouché que sur quatre candidatures et aucune embauche ce qui témoigne de la grande difficulté rencontrée par la société pour recruter un avocat fiscaliste à [Localité 8], ainsi que le reconnaissait [Y] [D] lui-même dans ses courriels du 21 septembre 2018 et du 10 juin 2020, ce qui a contraint la société à déléguer temporairement sur place deux avocats du cabinet de [Localité 7] en droit des sociétés et en droit fiscal.

Si le mode de gestion des ressources humaines de la direction Méditerranée dénoncé par [Y] [D] dans ses courriels adressés à l'employeur entre septembre 2018 et juin 2020, a pu être à l'origine, pour partie, du nombre important de départs du cabinet en deux ans et demi (8 départs volontaires en 2018 puis encore 2 départs volontaires en août 2020), ainsi que l'a admis le président du directoire devant le CSE, l'effectif du cabinet étant passé de 19 salariés en décembre 2017 à 6 salariés en août 2020 (effectif composé de 2 avocats dont 1 en droit des sociétés et 1 en droit social et 4 assistantes dont 1 cadre), la société démontre cependant avoir tenté, vainement, de redresser la situation en palliant partiellement ces départs par des recrutements directs et des délégations d'avocats montpelliérains.

C'est donc à tort que l'appelant soutient que l'attitude de la société à l'égard du cabinet de [Localité 8] témoigne d'une volonté ancienne, planifiée et cynique de le fermer purement et simplement.

En revanche, c'est à bon droit que l'appelant fait valoir que rien ne permet d'affirmer que les difficultés économiques existantes à la date du 30 septembre 2020 étaient toujours d'actualité à la date de notification de son licenciement, en mars 2021.

En effet, alors que les mauvais résultats des exercices 2018/2019 et 2019/2020 apparaissaient comme conjoncturels et étaient imputables, en grande partie, au départ massif de 140 avocats et juristes parisiens affectant principalement les équipes de fiscalistes (cf annexe précitée du bilan 2018/2019) et au nombre très important de départs volontaires au sein de la direction Méditerranée et plus particulièrement au sein du cabinet de [Localité 8] entre janvier 2018 et août 2020 et que les quelques données chiffrées présentées par le président du directoire au CSE, lors de la réunion du 25 mars 2021 (pièce 19 de l'appelant), montraient, au 28 février 2021, une nette progression des honoraires au plan national (puisque toutes les directions, à l'exception de celles du Centre, du Grand Est et du siège, avaient amélioré leurs résultats au regard de l'exercice précédent) ainsi que des comptes de trésorerie créditeurs de 58.529 K€, la société Fidal n'a pas cru devoir produire des éléments comptables arrêtés au 12 mars 2021 permettant à la cour de vérifier la persistance, à la date de notification du licenciement, des difficultés économiques constatées à la date du 30 septembre 2020.

Le licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse ainsi que le fait justement valoir l'appelant et la décision du bâtonnier sera infirmée de ce chef.

S'agissant du préjudice résultant de la perte de l'emploi, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée (9.833,33 € bruts), de l'âge de l'intéressé (61 ans), de son ancienneté dans l'entreprise (34 ans, 2 mois et 14 jours), de sa capacité à retrouver un emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard tel que cela résulte des pièces communiquées et des explications fournies à la cour (allocation de retour à l'emploi de 153,89 € par jour entre le 1er août 2021 et le 30 juin 2022 puis de 158,35 € entre juillet et novembre 2022 avec un enfant à charge né en 2004), la société Fidal sera condamnée à lui verser la somme de 196.666,60€ à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa version issue de la loi du 29 mars 2018 (20 mois).

Lorsque le licenciement est indemnisé en application de l'article L.1235-3 du code du travail, comme c'est le cas en l'espèce, la juridiction ordonne d'office, même en l'absence de Pôle emploi à l'audience et sur le fondement des dispositions de l'article L.1235-4 du même code, le remboursement par l'employeur de toute ou partie des indemnités de chômage payées au salarié par les organismes concernés, du jour du licenciement au jour du jugement, et ce dans la limite de six mois.

En l'espèce au vu des circonstances de la cause il convient de condamner l'employeur à rembourser les indemnités à concurrence de 6 mois.

Le licenciement sans cause réelle et sérieuse a, de plus, fait perdre une chance à [Y] [D], qui détenait 548 actions de la société, de négocier celles-ci à une valeur unitaire supérieure à la valeur de rachat de158,97 € du 29 septembre 2021.

En effet, il est établi, d'une part, que la valeur de l'action est restée constamment au-dessus de 300€ entre 2011 et 2018 et qu'elle restait encore de 296,79 € en 2019, ce qui démontre qu'elle était à son taux le plus bas depuis 10 ans à l'époque de la vente induite par la rupture du contrat de travail et, d'autre part, qu'il aurait pu conserver ses actions et attendre que leur valeur reparte à la hausse s'il n'avait pas été licencié injustement.

La cour décide, sur la base d'une probabilité de vendre ses actions au prix de 165€ de lui allouer la somme de 3.304,44 € à titre de dommages-intérêts pour perte de chance (différence entre la probabilité d'obtenir un gain de 90.420 € (165 x 548) et le prix effectivement obtenu de 87.115,56 €).

Sur les autres demandes :

Les créances de nature salariale produisent des intérêts au taux légal à compter du jour où l'employeur a eu connaissance de la demande (soit à compter de la date de réception de sa convocation en conciliation par le bâtonnier), et les sommes à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt.

Il sera fait droit à la demande de remise des documents sociaux, sans que l'astreinte soit nécessaire.

La société Fidal qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel et à payer à [Y] [D] la somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais exposés en première instance et en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement ;

Infirme la décision du bâtonnier du barreau des Pyrénées Orientales en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau ;

Dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour motif économique prononcé à l'encontre d'[Y] [D] le 12 mars 2021;

Condamne la Selas Fidal à payer à [Y] [D] les sommes suivantes :

$gt; 19.348€ bruts au titre de la part variable de la rémunération due en 2019/2020,

$gt; 1.934,80 € bruts au titre des congés payés y afférents,

$gt; 13.704,80 € bruts au titre de la part variable de la rémunération due en 2020/2021 et arrêtée au 14 juin 2021,

$gt; 1.370,48 € bruts au titre des congés payés y afférents,

$gt; 8.112,50 € bruts à titre de rappel de salaire au titre des 13,5 jours travaillés supplémentaires en 2021,

$gt; 811,25 € bruts au titre des congés payés y afférents,

$gt; 28.205,40 € à titre de solde d'indemnité de licenciement,

$gt; 196,666,60 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

$gt; 3.304,44 € à titre de dommages-intérêts pour perte de chance d'avoir pu négocier ses actions à un taux plus avantageux,

Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter du jour où l'employeur a eu connaissance de leur demande, et les sommes à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt ;

Dit que la Selas Fidal devra transmettre à [Y] [D] dans le délai de deux mois suivant la signification de la présente décision un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformes ainsi qu'un bulletin de salaire récapitulatif ;

Ordonne le remboursement par la Selas Fidal au Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à [Y] [D] du jour de son licenciement à ce jour, à concurrence de 6 mois ;

Dit que le greffe adressera à la direction générale de Pôle Emploi une copie certifiée conforme de l'arrêt, en application de l'article R.1235-2 du code du travail;

Déboute [Y] [D] de sa demande d'astreinte et du surplus de ses prétentions;

Condamne la Selas Fidal aux entiers dépens de première instance et d'appel, et à payer à [Y] [D] la somme de 2.500 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel.

LE GREFFIER P/LE PRESIDENT, LA CONSEILLERE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 2e chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/04911
Date de la décision : 03/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-03;22.04911 ?
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