Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
1re chambre sociale
ARRET DU 26 AVRIL 2023
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 19/07961 - N° Portalis DBVK-V-B7D-ONX7
ARRÊT n°
Décision déférée à la Cour : Décision du 20 NOVEMBRE 2019
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER - N° RG F 18/00778
APPELANTE :
Madame [J] [L]
née le 23 Février 1971 à [Localité 4] (ALGÉRIE)
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Adresse 3],
[Localité 2]
Représentée par Me Charles SALIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué par Me Emilie BRUM, avocat au barreau de MONTPELLIER
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/000977 du 05/02/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de MONTPELLIER)
INTIMEE :
Société d'Economie Mixte TRANSPORTS DE L'AGGLOMERATION DE [Localité 2] (TAM)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Philippe GARCIA de la SELARL CAPSTAN - PYTHEAS, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 28 Février 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 MARS 2023,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Caroline CHICLET, Conseiller, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre
Madame Caroline CHICLET, Conseiller
Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER
ARRET :
- réputé contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, et par Mme Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.
*
* *
EXPOSE DU LITIGE :
[J] [L] a été engagée le 19 août 2013 par la Saem TAM, employant habituellement au moins onze salariés, en qualité de conducteur receveur dans le cadre d'un contrat de professionnalisation à durée déterminée à temps complet.
A compter du 19 février 2014, [J] [L] a été embauchée dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée régi par la convention collective nationale des réseaux de transports publics urbains de voyageurs et pour lequel elle percevait, en dernier lieu, une rémunération mensuelle brute de 2011, 98 €.
La salariée a été placée en arrêt maladie à divers reprises entre janvier 2014 et août 2015.
Le 20 août 2015, [J] [L], après un accident du travail, a été placée en arrêt de travail jusqu'au 14 février 2016.
Cet arrêt a été prolongé pour maladie ordinaire sans discontinuer à partir du 15 février 2016.
Le 6 février 2017, [J] [L] a été convoquée à un entretien préalable à son éventuel licenciement fixé au 16 février 2017.
Elle a été licenciée pour absences répétées et prolongées perturbant le bon fonctionnement de l'entreprise et rendant nécessaire son remplacement définitif par lettre du 20 février 2017.
Reprochant à l'employeur l'absence de preuve de la désorganisation alléguée, [J] [L] a saisi le conseil des prud'hommes de Montpellier le 26 juillet 2018 pour voir annuler cette décision et obtenir la réparation de ses préjudices ainsi que l'application de ses droits.
Par un jugement du 20 novembre 2019, ce conseil a :
- dit que le licenciement de [J] [L] repose sur une cause réelle et sérieuse ;
- débouté [J] [L] de l'intégralité de ses demandes ;
- débouté les parties de leurs demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- mis les dépens de l'instance à la charge de [J] [L].
Le 11 décembre 2019, [J] [L] a relevé appel de tous les chefs de ce jugement.
Vu les conclusions n°2 de [J] [L], remises au greffe le 24 octobre 2022 ;
Vu les conclusions de la société TAM, remises au greffe le 26 mai 2020 ;
Vu l'ordonnance de clôture du 28 février 2023 ;
MOTIFS :
Sur le bien fondé du licenciement :
[J] [L] conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il a dit le licenciement bien fondé et rejeté sa demande de dommages-intérêts et demande à la cour de dire que le licenciement est nul et de condamner la société TAM à lui payer la somme de 15.000 € en réparation de son préjudice. Subsidiairement, elle demande à la cour de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et la condamnation de la société TAM au paiement d'une indemnité de 10.000 €.
La société TAM conclut à la confirmation du jugement.
Si l'article L. 1132-1 du code du travail, dans sa version antérieure à la loi 2017-256 du 28 février 2017, fait interdiction de licencier un salarié, notamment en raison de son état de santé ou de son handicap, ce texte ne s'oppose pas au licenciement motivé, non par l'état de santé du salarié, mais par la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée ou les absences répétées du salarié entraînant la nécessité pour l'employeur de procéder à son remplacement définitif.
En l'espèce, la société TAM a licencié la salariée en ces termes :
'Madame,
Nous avons engagé une procédure de licenciement à votre encontre et vous avions convoquée à un entretien préalable, fixé au 16 février 2017, auquel vous ne vous êtes pas présentée.
Votre absence n'empêchant pas la poursuite de la procédure, nous vous notifions votre licenciement pour cause réelle et sérieuse, pour les motifs que nous souhaitions vous exposer lors de l'entretien du 16 février dernier, à savoir :
Vos absences fréquentes et répétées depuis le mois de janvier 2014 ainsi que votre long arrêt maladie en cours depuis le 15 février 2016, pour un total de près de 14 mois d'absences cumulées sur les trois dernières années, perturbent fortement le bon fonctionnement de l'entreprise, particulièrement notre délégation de service public et rendent nécessaire votre remplacement définitif.
Il ne nous est pas possible, au vu des fonctions de conducteur receveur que vous exercez, de procéder à votre emplacement temporaire dans des conditions qui permettraient de garantir un fonctionnement satisfaisant du service. En effet, compte tenu de la durée des périodes de recrutement et de formation pour un poste aussi spécifique, il nous est impossible de pallier votre remplacement par le recours à un CDD ou un contrat intérimaire.
Nous ne pouvons pas reporter votre charge de travail en interne sur une aussi longue durée compte tenu des conséquences sur le temps de travail, les roulements et la gestion des droits à repos et congés des autres conducteurs receveurs.
Par ailleurs, vos absences conduisent parfois à des annulations totales ou partielles de service, ce qui ne nous permet pas d'honorer efficacement la délégation de service public qui nous a été confiée, avec toutes les conséquences sur les pénalités financières prévues au contrat, outre le mécontentement des usagers en pareilles circonstances ...
Dans ces conditions, nous nous voyons contraints de procéder à votre remplacement définitif par le recrutement d'un conducteur receveur en contrat à durée indéterminée.
Votre préavis de deux mois débutera à la date de première présentation de cette lettre. (...)'
Il n'est pas discuté par les parties que l'organisation interne à la société TAM prévoit des conducteurs receveurs 'classés', c'est à dire affectés à un roulement mensuels avec un planning au mois, 'en voir tableau', c'est à dire affectés au remplacement des conducteurs absents avec un service connu la veille à midi ou 'disponibles', c'est à dire affectés au dépôt en attendant de pourvoir au remplacement inopiné d'un agent (cf page 6 des conclusions de l'appelante).
Si la salariée a omis à cinq reprises, le 12 mars 2015, le 13 avril 2015, le 5 mai 2015, le 3 août 2015 et le 2 mars 2017 de prévenir et/ou de justifier son absence auprès de l'employeur (pièces 11 et 12 de l'intimée), ce qui a entraîné des désorganisations ponctuelles sur sa ligne et justifié la notification d'un blâme le 19 août 2015 qu'elle n'a pas contesté (pièce 15), il résulte des autres pièces produites par l'employeur (pièces 13 et 14) que [J] [L] a toujours, lors de ses autres arrêts de travail, averti son employeur de son absence avant l'heure théorique de sa prise de poste, ce qui a permis à ce dernier d'assurer son remplacement et sa délégation de service public selon le mode d'organisation interne précité, contrairement à ce qui est prétendu.
Les tableaux produits par la société TAM concernant les heures supplémentaires payées aux salariés remplaçants et les refus de congés opposés à certains salariés pour maintenir la couverture des services entre novembre 2016 à février 2017 ne démontrent pas, contrairement à ce que soutient l'intimée, que ces heures et refus de repos ont été rendus nécessaires sur cette période par l'absence de [J] [L] et ce, d'autant que son absence a été continue entre le 20 août 2015 et la date de son licenciement ce qui, compte tenu de l'effectif de plus de 1.100 salariés et les modalités d'organisation interne sus-énoncées, a permis à l'employeur de s'organiser pour pourvoir à son remplacement sans nécessité démontrée d'utiliser des crédits d'heures supplémentaires ou de refuser des congés.
Il n'est pas davantage démontré que les 6 incidents survenus entre le 19 janvier 2014 et le 19 août 2015 ayant conduit la salariée à quitter soudainement son service (appel de l'hôpital l'informant que son père est au plus mal, douleurs cervicales, malaise, problème de santé ayant nécessité qu'elle soit conduite à l'hôpital par un agent de maîtrise, permutation avec une collègue en raison de sa méconnaissance de la ligne qui lui avait été affectée) et généré de simples désorganisations ponctuelles de service, ont perturbé le fonctionnement général de l'entreprise.
Par ailleurs, c'est en vain que la société TAM affirme que le remplacement d'un conducteur receveur titulaire d'un permis D par un intérimaire n'est pas envisageable.
En effet, d'une part, aucune pièce n'établit le prétendu faible nombre de demandeurs d'emploi détenteur d'un permis D et d'autre part, l'unique témoignage du 'responsable emploi formation' de la société TAM selon lequel une formation de 7 à 9 semaines est requise pour former un conducteur receveur à la conduite d'un tramway et d'un bus est insuffisant, en l'absence d'autres éléments concordants, pour faire la preuve de la durée effective minimale de ces formations internes.
La société TAM ne rapportant pas la preuve, qui lui incombe, que les absences répétées de [J] [L] ont perturbé le fonctionnement de l'entreprise au point de nécessiter son remplacement définitif, le licenciement prononcé le 20 février 2017 est sans cause réelle et sérieuse (et non nul comme le prétend l'appelante puisqu'il est intervenu pendant une période de suspension du contrat de travail pour maladie ordinaire).
Le jugement sera infirmé de ce chef.
S'agissant du préjudice résultant de la perte de l'emploi, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée (1.931,84 € bruts), de l'âge de l'intéressée (46 ans), de son ancienneté dans l'entreprise (3 ans et 8 mois en incluant le préavis de deux mois), de sa capacité à retrouver un emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard tel que cela résulte des pièces communiquées et des explications fournies à la cour (veuve depuis le 18 septembre 2015 avec un enfant à charge né en avril 2005 et allocations de retour à l'emploi à compter de mars 2018), la société TAM sera condamnée à lui verser la somme de 10.000€ à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa version antérieure à l'ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Lorsque le licenciement est indemnisé en application de l'article L.1235-3 du code du travail, comme c'est le cas en l'espèce, la juridiction ordonne d'office, même en l'absence de Pôle emploi à l'audience et sur le fondement des dispositions de l'article L.1235-4 du même code, le remboursement par l'employeur de toute ou partie des indemnités de chômage payées au salarié par les organismes concernés, du jour du licenciement au jour du jugement, et ce dans la limite de six mois. En l'espèce au vu des circonstances de la cause il convient de condamner l'employeur à rembourser les indemnités à concurrence de 6 mois.
Sur les autres demandes :
La société TAM qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel et à payer à [J] [L] la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais exposés en première instance et en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement ;
Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la société TAM de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau sur les seuls chefs infirmés ;
Dit que le licenciement prononcé le 20 février 2017 à l'encontre de [J] [L] est sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société TAM à payer à [J] [L] la somme de 10.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Ordonne le remboursement par la société TAM au Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à [J] [L] du jour de son licenciement à ce jour, à concurrence de 6 mois ;
Dit que le greffe adressera à la direction générale de Pôle Emploi une copie certifiée conforme de l'arrêt, en application de l'article R.1235-2 du code du travail ;
Condamne la société TAM aux entiers dépens de première instance et d'appel, et à payer à [J] [L] la somme de 2.000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT