Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
1ère chambre sociale
ARRET DU 18 AVRIL 2023
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 19/06474 - N° Portalis DBVK-V-B7D-OK6H
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 04 SEPTEMBRE 2019
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER - N° RG F17/01181
APPELANT :
Monsieur [F] [L]
né le 13 Juillet 1960 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représenté par Maitre Emilie NOLBERCZAK, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMEES :
SA RENAULT RETAIL GROUP prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié ès-qualité audit siège social
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Maître Elisabeth DURAND-PIROTTE de la SELARL CABINET DURAND-PIROTTE, avocat plaidant au barreau de NIMES et Maître Marie-Pierre VEDEL SALLES, avocat postulant au barreau de MONTPELLIER, substituée par Mître DEROULEZ Jean-Sébastien, avocat au barreau de MONTPELLIER
Syndicat [Adresse 8]
[Adresse 5]
[Localité 2]
Non constitué
Ordonnance de clôture du 07 Février 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 FEVRIER 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre
Madame Véronique DUCHARNE, Conseillère
Monsieur Jacques FOURNIE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Madame Isabelle CONSTANT
ARRET :
- Réputé contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, et par Monsieur Philippe CLUZEL, Greffier.
*
* *
FAITS ET PROCÉDURE
[F] [L] a été embauché à compter du 1er septembre 1979 par la REGIE NATIONALE DES USINES RENAULT , aux droits de laquelle vient la SA RENAULT RETAIL GROUP, selon contrat de travail à durée indéterminée succédant à un contrat d'apprentissage. Il exerçait les fonctions de mécanicien avec un salaire mensuel brut en dernier lieu de 2 239,05€.
Il était délégué syndical et élu au comité d'entreprise depuis 1983.
Il a été licencié pour inaptitude physique liée à une maladie professionnelle le 18 juillet 2019.
Le 26 octobre 2017, s'estimant victime d'une discrimination syndicale, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Montpellier qui, par jugement en date du 4 septembre 2019, l'a débouté de ses demandes.
[F] [L] a interjeté appel. Dans ses dernières conclusions déposées et enregistrées au greffe le 2 février 2023, il conclut à l'infirmation et à l'octroi de :
- la somme de 18 248,39€ à titre de rappel de salaire du mois d'octobre 2014 au mois de juillet 2019, sous astreinte,
- la somme de 1 824,24€ à titre de congés payés sur rappel de salaire, sous astreinte,
- la somme de 89 357,58€ à titre du préjudice financier subi jusqu'au 30 septembre 2014,
- la somme de 50 000€ à titre de préjudice moral,
avec intérêts de droit à compter de la demande et capitalisation des intérêts échus.
Il demande d'ordonner sous astreinte la délivrance de bulletins de paie conformes et de lui allouer la somme de 3 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions déposées et enregistrées au greffe le 16 mars 2020, la SA RENAULT RETAIL GROUP demande de confirmer le jugement et de lui allouer la somme de 3 000,00€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il y a lieu de se reporter au jugement du conseil de prud'hommes et aux conclusions déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'existence de la discrimination syndicale :
Attendu que par application des articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail, il appartient au salarié qui s'estime victime d'une discrimination directe ou indirecte de présenter des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte ; qu'il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ;
Qu'ainsi, pour se prononcer sur l'existence d'une discrimination syndicale, le juge doit d'abord vérifier la matérialité des faits allégués par le salarié qui argue d'une discrimination puis se demander s'ils permettent, pris dans leur ensemble, de présumer ou non l'existence d'une discrimination et, dans l'affirmative, rechercher si l'employeur démontre, par des éléments objectifs, que les faits matériellement établis sont étrangers à toute discrimination, étant précisé que l'existence d'une discrimination n'implique pas nécessairement une comparaison avec la situation d'autres salariés ;
Attendu qu'en l'espèce, [F] [L] invoque une absence d'évolution de carrière, un défaut de formation, la prise en compte de ses mandats syndicaux dans l'appréciation de ses qualités professionnelles, la dégradation de ses conditions de travail à compter de son élection ainsi qu'une discrimination par comparaison avec d'autres salariés placés au départ dans une situation équivalente à la sienne, en dépit d'une volonté constante d'évoluer ;
Attendu qu'il est établi que depuis 2007 et jusqu'à son licenciement, soit pendant douze ans, [F] [L] est demeuré à l'échelon 10 de la classification ;
Qu'il est également justifié de ce qu'entre 2009 et 2015, il n'a pas suivi de formation, en sorte que pendant sept ans, l'employeur n'a pas satisfait à son obligation de formation et d'adaptation et ne l'a pas mis en mesure d'atteindre les 'critères de compétence ou d'attributions spécifiques sur le poste' de la classification supérieure ;
Attendu qu'en revanche, il n'est pas démontré que les 'coups de gueule' décrits dans certains entretiens individuels d'évaluation, au demeurant reconnus par l'intéressé, fassent 'directement référence à son activité syndicale' ;
Attendu que s'il ne produit aucun élément de nature à prouver l'existence 'd'une dégradation de ses conditions de travail à compter de son élection', [F] [L] fournit plusieurs attestations desquelles il résulte qu'il a 'été victime de discrimination syndicale' et n'a 'pas évolué comme il aurait dû à cause de son investissement au syndicat' ;
Attendu qu'enfin, il communique une liste de salariés qui, placés au départ dans une situation équivalente, ont eu une évolution de carrière plus favorable que la sienne ;
Attendu qu'il fait ainsi ressortir à la fois la matérialité des faits qu'il allègue et que, pris dans leur ensemble, ces faits permettent de présumer l'existence d'une discrimination à son encontre ;
Attendu que, pour sa part, la SA RENAULT RETAIL GROUP, à qui il incombe de prouver que les faits matériellement établis sont étrangers à toute discrimination, se borne à produire, à titre de comparaison, un panel de mécaniciens ayant tous, à l'exception d'un seul, une ancienneté largement inférieure à celle de [F] [L] ;
Que pour autant, l'un d'eux, entré dans l'entreprise en 1999, bénéficie déjà de l'échelon 11 ;
Attendu que l'employeur ne produit pas davantage d'élément de comparaison des primes versées aux autres salariés placés dans une situation équivalente ;
Qu'il se limite à exposer que le salarié 'avait le tour des formations nécessaires à son poste' et ne remplissait pas les critères de compétence pour atteindre l'échelon 11 alors, justement, que tel était le but des formations qu'il lui appartenait de mettre en oeuvre ;
Attendu que, de la sorte, la SA RENAULT RETAIL GROUP ne prouve que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ;
Attendu que l'existence d'une discrimination syndicale est dès lors caractérisée ;
Sur les conséquences de la discrimination syndicale :
Attendu que la réparation intégrale d'un dommage oblige à placer celui qui l'a subi dans la situation où il se serait trouvé si le comportement dommageable n'avait pas eu lieu et que le salarié privé d'une possibilité de promotion par suite d'une discrimination peut prétendre, en réparation du préjudice qui en est résulté dans le déroulement de sa carrière, à un reclassement dans le coefficient de rémunération qu'il aurait atteint en l'absence de discrimination ;
Attendu qu'en l'absence de discrimination, compte tenu de ses fonctions, de son ancienneté, des compétences qu'il avait acquises et de celles qu'il aurait dû acquérir par des formations, [F] [L] aurait pu prétendre, dès le mois d'octobre 2014, l'échelon 12 de la convention collective, correspondant à un professionnel expert dans sa technique ;
Qu'il a droit à ce titre à une somme de 18 248,39€ à titre de rappel de salaire, augmentée des congés payés afférents ;
Attendu que le prononcé d'une astreinte assortissant les condamnations qui précèdent ne se justifie pas ;
Attendu, en outre, qu'au vu du préjudice financier subi du fait de la discrimination, notamment celui lié à la perte de ses droits à la retraite, il y a lieu d'allouer au salarié la somme de 50 000€ à titre de dommages et intérêts ;
Attendu qu'au regard du préjudice moral ressenti par rapport à ses collègues de travail, résultant de l'absence injustifiée de promotion pendant plusieurs années, [F] [L] a droit à la somme de 5 000€ à titre de dommages et intérêts ;
* * *
Attendu qu'il convient de condamner sous astreinte la SA RENAULT RETAIL GROUP à reprendre les sommes allouées à titre de rappel de salaire sous forme d'un bulletin de paie ainsi qu'à rectifier, conformément au présent arrêt, la situation de [F] [L] auprès des organismes sociaux compétents ;
Attendu qu'enfin, l'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile devant la cour d'appel ;
Attendu que les condamnations prononcées doivent emporter intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation pour ce qui concerne les sommes à caractère salarial et à compter du présent arrêt pour les autres sommes, avec capitalisation des intérêts échus dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Infirmant le jugement et statuant à nouveau,
Condamne la SA RENAULT RETAIL GROUP à payer à [F] [L] :
- la somme de 18 248,39€ à titre de rappel de salaire ;
- la somme de 1 824,83€ à titre de congés payés sur rappel de salaire ;
- la somme de 50 000€ à titre de dommages et intérêts pour préjudice financier subi ;
- la somme de 5 000€ à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
- la somme de 2 500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit que ces condamnations emportent intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation pour ce qui concerne les sommes à caractère salarial et à compter du présent arrêt pour les autres sommes, avec capitalisation des intérêts échus dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;
Condamne la SA RENAULT RETAIL GROUP à reprendre les sommes allouées à titre de rappel de salaire sous forme d'un bulletin de paie ainsi qu'à rectifier, conformément au présent arrêt, la situation de [F] [L] auprès des organismes sociaux compétents ;
Dit que cette condamnation sera assortie d'une astreinte de 100€ par jour de retard passé le délai de quinze jours à compter de la signification et ce, pendant une durée de trois mois, après quoi il sera à nouveau statué ;
Dit n'y avoir lieu à se réserver le pouvoir de liquider l'astreinte ou d'en prononcer une nouvelle ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne la SA RENAULT RETAIL GROUP aux dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT