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12/04/2023 | FRANCE | N°21/00259

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 2e chambre sociale, 12 avril 2023, 21/00259


Grosse + copie

délivrées le

à

















COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



2e chambre sociale



ARRET DU 12 AVRIL 2023





Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/00259 - N° Portalis DBVK-V-B7F-O2RX



ARRÊT n°



Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 DECEMBRE 2020

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER - N° RG F 19/00004









APPELANTE :



S.A.S KRITER BRUT DE BRUT

[Adresse 4]

[Localité 2]



Représentée par Me Yann GARRIGUE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Assistée par Me Cécile CURT de la SCP FRO...

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 12 AVRIL 2023

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/00259 - N° Portalis DBVK-V-B7F-O2RX

ARRÊT n°

Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 DECEMBRE 2020

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER - N° RG F 19/00004

APPELANTE :

S.A.S KRITER BRUT DE BRUT

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Yann GARRIGUE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Assistée par Me Cécile CURT de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant

INTIME :

Monsieur [U] [R]

né le 16 Mars 1962 à [Localité 3] (34)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Elsa VIDAL de la SELARL VIDAL AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER

Ordonnance de clôture du 31 Janvier 2023

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 FEVRIER 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Magali VENET, conseiller et Monsieur Richard BOUGON, Conseiller, faisant fonction de président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Richard BOUGON, Conseiller, en remplacement du président, empêché

Madame Magali VENET, Conseiller

Monsieur Jacques FOURNIE, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER

ARRET :

- contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Richard BOUGON, Conseiller, en remplacement du président, empêché et par Madame Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.

*

* *

EXPOSE DU LITIGE

M. [U] [R] a été embauché le 10 septembre 1997 par la société Kriter Brut de Brut par contrat a durée indéterminée à temps complet en qualité de chef des ventes régional, niveau VIII, échelon A, statut cadre.

La convention collective applicable est celle des vins, cidres, jus de fruits, sirops, spiritueux et liqueurs de France.

Le 1 juillet 2014, M [R] a été promu Directeur régional des ventes.

Au dernier état de la relation contractuelle, M. [R] occupait toujours le poste de directeur régional des ventes, qualification niveau VIII, échelon A statut cadre.

En contrepartie de ses fonctions,il percevait un salaire mensuel brut de base de 4182,49€ pour 151,67h de travail effectif. Il disposait en outre d'un avantage en nature (voiture) évalué à 184 € bruts par mois.

Le 27 septembre 2018, M. [R] a été convoqué a un entretien préalable à son licenciement.

Le 18 octobre 2018, M. [R] a été licencié pour faute grave.

Le 3 janvier 2019 M. [R] a saisi le Conseil de Prud'hommes de Montpellier pour contester son licenciement et formuler diverses demandes au titre de l'exécution de son contrat de travail.

Par jugement en date du 14 décembre 2020, le conseil de prud'hommes a :

- Dit que le licenciement de M. [U] [R] est dénué de cause réelle et sérieuse,

- Dit que le rappel de salaire sur mise a pied conservatoire est dû,

- Dit que le rappel sur primes est dû,

- Débouté M. [U] [R] de sa demande portant sur la clause de non-concurrence

- Débouté M. [U] [R] de sa demande d'indemnité d'occupation de son domicile à des fins professionnelles,

- Condamné la société Kriter à verser à M. [U] [R] les sommes suivantes :

*63897€ de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

*15974,3l € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

*1597,43 € au titre des congés payés y afférents,

*72205,48 € au titre de l'indemnité de licenciement,

*2545,86 € au titre de rappel de salaire sur mise a pied conservatoire,

*254,59 € au titre des congés payés y afférents,

*2831 € brut au titre de rappel sur primes,

*283,10 € brut au titre des congés payés y afférents,

*1000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

-Dit que la société Kriter doit remettre a M. [U] [R] les documents sociaux corrigés sous astreinte de 50 €par jour de retard à compter de la notification de la décision a intervenir,

- Ordonné au titre de l'article L.1235-4 du Code du travail le remboursement par la société Kriter aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées a M. [U] [R], du jour de son licenciement au jour du jugement, dan la limite de trois mois d'indemnités de chômage,

- Débouté M. [U] [R] de ses autres demandes,

- Débouté la société Kriter de ses demandes reconventionnelles,

- Laissé les éventuels entiers dépens à la charge de la société Kriter.

Le 14 janvier 2021, la SAS Kriter Brut de Brut a relevé appel de la décision en ce qu'elle a :

- Dit que le licenciement de M. [U] [R] est dénué de cause réelle et sérieuse,

- Dit que le rappel de salaire sur mise a pied conservatoire est dû,

- Dit que le rappel sur primes est dû,

- Condamné la société Kriter à verser a M. [U] [R] les sommes suivantes :

*63897 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

*15974,3l € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

*1597,43 € au titre des congés payés y afférents,

*72205,48 € au titre de l'indemnité de licenciement,

*2545,86 € au titre de rappel de salaire sur mise a pied conservatoire,

*254,59 € au titre des congés payés y afférents,

*2831 € brut au titre de rappel sur primes,

*283,10 € brut au titre des congés payés y afférents,

*1000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- Dit que la société Kriter doit remettre a M. [U] [R] les documents sociaux corrigés sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir,

- Ordonné au titre de l'article L.1235-4 du Code du travail le remboursement par la société Kriter aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées a M [U] [R], du jour de son licenciement au jour du jugement, dan la limite de trois mois d'indemnités de chômage.

- Débouté M. [U] [R] de ses autres demandes.

- Débouté la société Kriter de ses demandes reconventionnelles.

- Laissé les éventuels entiers dépens à la charge de la société Kriter.

Vu les dernières conclusions de la SAS Kriter Brut de Brut en date du 27 janvier 2023 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions

Vu les dernières conclusions de M. [U] [R] en date du 04 janvier 2023 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions.

L'ordonnance de clôture est en date du 31 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'exécution du contrat de travail :

Sur la clause de non-concurrence

Une clause de non-concurrence n'est licite que si elle est indispensable aux intérêts légitimes de1'entreprise, qu'elle est limitée dans le temps et dans l'espace, qu'elle tient compte des spécificités de l'emploi du salarié et qu'elle comporte l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives.

En l'espèce, la clause de non concurrence prévue au contrat de travail de M. [R] n'est pas assortie de contrepartie financière et l'article 24 de l'annexe I de la convention collective applicable, qui stipule qu'une indemnité n'est due qu'en cas de licenciement économique, ne respecte pas les dispositions générales applicables en la matière. Dès lors, c'est à juste titre que le premier juge a considéré que la clause de non concurrence était nulle et de nul effet.

Par ailleurs, par correspondance du 18 octobre 2018, soit au jour du licenciement, l'employeur a libéré M. [R] de son engagement de non concurrence, de sorte que ce dernier ne justifie d'aucun préjudice lié à l'application de cette clause nulle.

Il n'est pas non plus soutenu ni démontré par Monsieur [R] que par suite de cette clause, il aurait renoncé à exercer son droit de démissionner pendant l'exécution de son contrat ou aurait été entravé dans l'exercice de ce droit.

La décision sera confirmée en ce qu'elle a rejeté sa demande de ce chef.

Sur l'occupation du domicile à des fins professionnelles

M. [R] sollicite une indemnité afin de compenser l'occupation partielle de son domicile à des fins professionnelles. Il fait valoir qu'il avait réservé une pièce spécifique de sa maison pour installer un bureau afin d'accomplir régulièrement un travail administratif pour l'employeur qui ne lui a jamais réglé d'indemnité à ce titre, hormis le matériel informatique et une participation de 15€ sur sa facture internet.

Il est acquis que l'employeur n'a pas mis de bureau à sa disposition alors même que ses fonctions le conduisaient à accomplir régulièrement le matin et le soir des tâches administratives à son domicile, de sorte que M. [R] a nécessairement réservé une partie de son domicile personnel à des fins professionnelles, et qu'une indemnité lui est due à ce titre.

La décision sera infirmée en ce qu'elle a rejeté sa demande, et l'employeur sera condamné à lui verser une indemnité d'un montant de 5190€ de ce chef , tel que le sollicite le salarié, et correspondant à la valeur locative du local mis à disposition à des fins professionnelles sur la période de décembre 2015 à octobre 2018.

Sur la rupture du contrat de travail :

La faute grave est définie comme la faute qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

En l'espèce, concernant les motifs du licenciement, il est ici renvoyé à la lecture de lettre de licenciement adressée par la SAS Kriter Brut de Brut à M. [U] [R] le 18 octobre 2018 laquelle est trop longue pour être reprise intégralement dans l'arrêt. Elle mentionne que le licenciement de M. [R] pour faute grave est justifié en raison des griefs suivants :

' 1. Sur votre management des équipes inadapté et contraire à la politique de notre enseigne :

- La Direction Nationale de Ventes (DNV) a, lors des vérifications des notes de frais, relevé sur votre région des incohérences ainsi que quelques « libertés» prises par certains de vos chefs de secteur avec les règles afférentes aux frais de vie.

Ainsi [T] [S] et [V] [K] qui n'ont déclaré aucun kilomètre personnel sur l'ensemble des mois de juillet et août 2018.

Ou bien encore Mme [K], qui, le 31 août a pris un repas sur la zone de son domicile ([Localité 5]), et le 4 septembre a acheté un poulet rôti complet a emporter, donc non consommable lors de son déplacement.

En outre, l'une de vos chefs de secteur nous a expressément indiqué n'avoir jamais été informée de l'existence de certaines règles, comme, par exemple, celle relative à l'interdiction de manger à 1'extérieur lorsqu'ils sont à proximité de leur domicile, ce qui est totalement inconcevable.

Cela a été , par ailleurs, confirmé par l'ensemble de vos équipes lors de la réunion régionale du 8 octobre dernier.

Force est de constater que vous n'avez volontairement pas effectué les contrôles requis sur les notes de frais de vos chefs de secteur, alors qu'il s'agit d'une tâche qui vous incombe .

Ces négligences fautives sont d'autant plus inacceptables dans la mesure où nous avons, quelque semaines plus tôt, expressément demandé à l'ensemble des Directeurs Régionaux des Ventes, y compris vous, de faire preuve de rigueur et d'une vigilance accrue sur le traitement et la gestion des notes de frais.

En agissant ainsi , vous avez démontré votre mépris à l'égard des règles internes et des consignes de votre hiérarchie mais aussi votre volonté à perdurer dans votre attitude fautive.

- S'ajoute à cela, des bilans d'activités de vos chefs de secteurs qui ne répondent pas à nos exigences internes car beaucoup trop partiels et superficiels , alors qu'il s'agit d'une tâche inhérente a votre fonction et dont vous aviez parfaitement conscience.

En effet, la DNV a aussi déploré que les journées de l'une de vos Chefs de secteurs étaient anormalement courtes et récurrentes. Manifestement, vous ne les aviez pas identifiées ou, si elles l'ont été, votre absence totale de réaction caractérise nécessairement une négligence fautive totalement incompatible avec notre fonction.

Dans le même registre, la DNV a également pu mettre en évidence que certains relevés de linéaires effectués par vos chefs de secteurs manquaient singulièrement de cohérence, sans que cela ne vous ait, la aussi, interpellé et occasionné un quelconque recadrage de votre part ; ce qui est inconcevable au regard de votre fonction et de votre niveau de responsabilité.

- En outre, nous avons constaté que l'accompagnement des chefs de secteurs n'était pas du tout adapté et conforme à notre politique interne. En effet, vous vous êtes contenté de les accompagner qu'une demi-journée, alors qu'une journée entière est indispensable, ce que vous ne pouviez, là- encore, ignorer.

2. Sur vos fausses déclarations en violation des règles et procédures internes :

Dans ce cadre, il vous est reproché d'avoir, à plusieurs reprises et de manière délibérée, effectué de fausses déclarations consistant notamment à indiquer dans notre outil de gestion et de suivi de l'activité commerciale 'DYNAMICS' des informations mensongères.

A titre d'exemple, et de manière non exhaustive, vous avez déclaré avoir été en accompagnement de l'un de vos chefs de secteurs durant toute la journée, alors qu'en réalité vous ne 1'aviez accompagné sur le terrain qu'une demi-journée, ce qui est intolérable : ainsi le 6 septembre avec Mme [W] [I], les 7 et 18 septembre avec M. [C] [F] , le 13 septembre avec Mme [K] ainsi que le 25 septembre avec Mme [P] [D].

Il n'existe aucun doute sur le caractère frauduleux de vos agissements étant donné que cet outil permet justement de planifier et renseigner votre agenda avec précision, comme vous l'aviez, par exemple, fait le 28 février 2018, le 27 juin 2018 ou encore le 3 août dernier.

Pis encore, il s'est avéré que vous n'avez pas hésité à solliciter directement vos chefs de secteurs afin qu'ils mentionnent dans le logiciel 'DYNAMIC'S' que vous étiez bien en accompagnement avec eux toute la journée, alors qu'ils avaient initialement indiqué qu'une demi-journée, ce qui est, encore une fois, inacceptable.

- Aussi, vous avez communiqué de fausses informations auprès de la DNV afin de bénéficier, de manière abusive, d'une augmentation de votre prime.

Par exemple, le 17 septembre dernier vous avez contacté votre chef de secteur, engagé récemment par contrat de travail à durée déterminée , pour lui demander

expressément de renvoyer la photo de la mise en avant effectuée le 31 août 2018 au magasin Auchan Perols.

Alors que dans le mail du 9 septembre de votre chef de secteur, il était indiqué que cette photo avait été prise le 31 août, vous avez volontairement modifié cette information en indiquant que cette photo aurait été 'soi-disant' prise le 3 septembre, avant de la communiquer a la Direction Nationale des ventes.

De la même façon, à l'occasion des relevés de linéaires, plusieurs de vos chefs de secteurs nous ont indiqués que vous les incitiez à renseigner des références comme étant en rupture, alors qu'elles n'étaient tout simplement pas présentes à l'assortiment des ventes. Comme l'atteste notamment l'analyse réalisée sur une référence arrêtée ' BIB LISTEL 200 cl' , laquelle apparaît toujours plusieurs

mois après.

Dans ce cadre, il ressort clairement que ces manoeuvres frauduleuses avaient pour unique but d'augmenter le montant de votre prime. Là encore, vous avez sciemment effectué de fausses déclarations afin de servir vos propres intérêts en totale violation de vos obligations contractuelles. . .. »

En votre qualité de Directeur Régional des Ventes, statut Cadre, il va de soi que vous êtes soumis à une obligation de loyauté et de probité renforcée , tout comme à un devoir d'exemplarité sans failles vis-à-vis de vos équipes et de votre hiérarchie.

Or, vous avez manifestement abusé de votre position pour détourner délibérément à votre profit l'utilisation de ce logiciel ainsi que les procédures internes et ce alors même que vous étiez en charge de les faire appliquer au sein de la société, ce qui est en tout point inadmissible.

En effet vos agissements sont totalement antinomiques avec les missions et responsabilités d'un Directeur Régional des Ventes qui se doit d'adopter un comportement exemplaire et ce, en toutes circonstances.

L'ensemble de ces faits, qui constituent des manquements graves et répété à vos obligations contractuelles, est constitutif de fautes de nature à nuire au bon fonctionnement et à l'image de notre société.....'

L'employeur fait ainsi grief à M. [R] d'avoir exercé un management inadapté et contraire à la politique de l'enseigne et d'avoir effectué de fausses déclarations en violation des règles et procédures internes.

Concernant le management inadapté :

- L'employeur reproche à M. [R] de n'avoir effectué aucun contrôle sur les frais de ses collaborateurs alors que ce contrôle relevait de ses attributions.

Elle verse aux débats le powerpoint de trois réunions en date des 19 mars 2018, 29 et 30 mai 2018 et 19 et 20 septembre 2018 à l'occasion desquelles la société a rappelé aux directeurs régionaux, au titre de leurs objectifs, le contrôle systématique, chaque fin de semaine et chaque début de semaine, des plannings, des blocs notes et des frais (sur demande de Mme [M] [L], Assistante Direction Nationale des Ventes, qui mettait à disposition les justificatifs 'notes de frais'.)

Il ressort cependant des nombreuses attestations produites aux débats, de la documentation utilisateur 'la saisie de la note de frais', ce qui n'est pas contesté par l'employeur, que les Directeurs Régionaux ne pouvaient pas directement accéder aux notes de frais de leurs collaborateurs. En effet, l'ensemble des données étaient directement adressées à la comptabilité et ne transitaient pas par les Directeurs Régionaux qui n'accédaient qu'à leurs propres notes de frais.

Il ressort en outre des témoignages de M. [G] [H], de Mme [A] [Y] et de Mme [V] [K], que les Directeurs Régionaux n'intervenaient sur les problématiques de frais que lorsqu'une incohérence ou des anomalies leur étaient relevées par le siège.

Dès lors, il ne peut être fait grief à M. [R] de ne pas avoir systématiquement contrôlé les notes de frais de ses collaborateurs.

- L'employeur reproche à M. [R] l'absence de déclaration par des salariés des kilomètres effectués pour leurs besoins personnels avec leur véhicule de fonction.

Il lui est ainsi fait grief de ce que deux salariés, M. [T] [S] et Mme [J] [Z], n'avaient déclaré aucun kilomètre effectué en juillet et août à des fins personnelles avec leur véhicule de fonction.

Rien n'obligeait cependant les salariés à utiliser leur véhicule de fonction à des fins personnelles d'autant plus que ces véhicules ne comprenaient qu'un maximum de quatre places et n'étaient pas adaptés à des déplacements familiaux. Les salariés étaient ainsi libres d'utiliser un véhicule personnel pour leurs déplacements privés.

Il en découle qu'aucune faute à ce titre ne peut être retenu de ce chef.

- L'employeur reproche au salarié de ne pas avoir fait respecter les nouvelles procédures de frais professionnels, Madame [K] ayant pris un repas sur la zone de son domicile le 31 août 2018 et ayant acheté un poulet rôti le 04 septembre 2018, non consommable sur place.

Il ressort cependant des éléments précédemment détaillés que les directeurs régionaux n'avaient pas accès aux notes de frais de leurs collaborateurs.Par ailleurs, la procédure de frais de vie de la Société Kriter Brut de Brut en 2017 mentionnait uniquement que 'les dépenses engagées doivent être justifiées par le plan de tournée du collaborateur et correspondre à un repas pris à l'extérieur'.

Cette procédure n'a été mise à jour, alors que M. [R] était encore en vacances, qu'à la fin du mois d'août 2018, pour préciser en ces termes que : 'la réglementation n'autorise la prise en charge de restauration ou hébergement à l'extérieur que lorsque la distance au domicile ne permet pas de déjeuner ou dîner chez soi, ce qui exclut de fait le remboursement de repas pris à proximité du lieu d'habitation : il s'agit de défrayer le collaborateur d'une dépense contrainte liée à sa mission'.

Dès lors, il ne peut être reproché à M. [R] l'absence de respect de la réglementation par l'une de ses collaboratrice, dans la période coïncidant tout juste avec le rappel par la société des strictes règles applicables en la matière qu'il n'avait pas été en mesure de transmettre dans un si bref délai à ses collaborateurs.

- L'employeur reproche à M. [R] des manquements dans la réalisation des bilans d'activité de ses chefs de secteur.Il lui est fait grief que les bilans d'activité de Mme [V] [K] de mars et avril 2018 ne répondaient pas aux exigences internes.

La société fait état d'un mail adressé à Monsieur [R] par son supérieur hiérarchique M. [S], Directeur National des ventes et supérieur hiérarchique le 02 mai 2018 dans lequel il constatait, en analysant le planning d'activité de Mme [Z], que ses horaires de travail effectués sur certaines journées étaient anormalement courts.

Dans ce mail, M. [S] s'adressant à M. [R] énonce 'je souhaite que tu reviennes vers moi à ce sujet avec des explications rationnelles sur ces journées'. Il n'est fait état d'aucune sanction, rappel à l'ordre ou nouvel échange sur ce point, ce dont il se déduit que les explications données par M. [R] avaient été à l'époque jugées suffisantes pour répondre aux interrogations de son supérieur hiérarchique.

- L'employeur reproche également à M. [R] des journées anormalement courtes et récurrentes de certains chefs de secteurs.Sur ce point, la société produit un courrier adressé à Mme [I] le 04 octobre 2018 lui reprochant des temps de visite très courts ou très longs et un manque de fiabilité des informations transmises. Ce courrier faisait suite à un entretien organisé le 24 septembre 2018 en présence de M. [S], M. [R] et Mme [W] [I].

Cette dernière a répondu par courrier du 1er octobre 2018 apportant ainsi toutes les explications nécessaires pour démontrer que les reproches formulés n'étaient pas fondés en mettant notamment l'accent sur les nombreuses difficultés d'utilisation du logiciel de l'entreprise auxquelles étaient confrontés tant les Directeurs Régionaux que les chefs de secteur.

Aucune réponse n'avait été apporté à ce courrier par la société, ce dont il se déduit qu'elle avait estimé suffisantes les explications apportées .

- Concernant les fausses déclarations en violation des règles et procédures internes :

- L'employeur fait grief à M. [R] de ne pas avoir correctement accompagné ses chefs de secteur, en ne les accompagnant qu'une demi journée au lieu d'une journée complète , et de ne pas avoir correctement renseigné l'outil de gestion et de suivi de l'activité commerciale 'DYNAMICS'.

Les éléments versés aux débats par la société (contrôle sur la journée de salariés, horaire de péage de M. [R], ticket carte bancaire, capture d'écran agenda) n'apportent aucun élément probant sur ce point. En revanche, Mme [A] [Y], Mme [W] [I], M. [G] [H], énoncent que M. [R] les accompagnait sur la journée entière et qu'il ne leur avait jamais demandé de retranscrire des informations qui ne reflétaient pas la réalité, M. [R] étant décrit comme rigoureux, soigné, appliqué et honnête.

Les chefs de secteurs attestent également de l'importance que mettait M. [R] à ce que les informations enregistrées soient correctes et que les règles commerciales de l'entreprise soient respectées.

Par ailleurs, les témoignages produits établissent que les modalités d'organisation des accompagnements des chefs de secteur par M. [R] correspondaient à celles des autres Directeurs Régionaux.

Tout en critiquant les explications du salarié concernant l'organisation de ses journées des 6, 7, 13 18 et 25 septembre marquées par un volume horaire important, la société ne fait état d'aucun d'aucun élément propre à justifier des heures de travail effectivement réalisées par le salarié au cours de ces journées.

Concernant l'erreur de date relative au traitement d'une photographie, M. [R] précise avoir demandé à M. [C] [F] de repasser le 3 ou 4 septembre pour reprendre une photo qui ne convenait pas . Il reconnaît avoir commis une erreur lors de l'envoi des photos le 14 septembre 2018, sans que l'employeur n'établisse que cette erreur avait entraîné un préjudice pour la société, ni qu'elle avait été commise volontairement dans le but d'obtenir des primes supplémentaires.

La société reproche à M. [R] d'avoir incité les chefs de secteurs à renseigner des références comme étant en rupture alors qu'elles n'étaient pas présentes à l'assortiment des ventes et ce afin d'augmenter le montant de sa prime.

Elle n'apporte cependant aucune contradiction aux écritures de M. [R] selon lesquelles :

- les produits en question étaient effectivement arrêtés depuis mai 2018 mais figuraient encore en stock de certains magasins qui n'avaient pas encore terminé de les épuiser, raison pour laquelle ces produits figuraient encore sur certains relevés des commerciaux.

- ces produits n'étaient pas pris en compte pour le calcul de sa prime et de celle des chefs de secteurs puis qu 'aucun objectif n'était fixé sur ces derniers en sorte que le fait de mentionner qu'ils étaient en rupture n'avait aucune incidence pour M. [R] et son équipe en terme de primes.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que l'employeur n'établit pas l'existence d'une faute grave commise par le salarié de nature à rendre impossible le maintien du contrat de travail. La décision du conseil de prud'hommes sera confirmée en ce qu'elle a dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Sur les dommages et intérêts

En application de l'article L.1235-3 du code du travail, 'Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau ci dessous' soit entre 3 et 16 mois pour une ancienneté de 21 ans.

En l'espèce, M. [R] a été embauché le 10 septembre 1997 et il a été licencié le 18 octobre 2018, totalisant ainsi une ancienneté de plus de 21 ans.

Il percevait lors de son licenciement, un salaire moyen de 5324,77€.

Il était âgé de 56 ans lors de son licenciement et n'a pas retrouvé d'emploi malgré ses recherches dont il a justifié auprès de pôle emploi. Il a créé sa société en mars 2021 qui ne lui a encore procuré aucun revenu, tel qu'en atteste son expert comptable. Ses droits à chômage ont cessé depuis le 22 novembre 2021.

Lors de son licenciement, il assumait la charge de 4 enfants et remboursait un crédit immobilier à hauteur de 525,17€ par mois. Il assume toujours la charge de deux enfants.

Il ne perçoit actuellement qu'une indemnité de dirigeant d'association d'un montant de 1259,21€ bruts par mois .

N'ayant jamais bénéficié d'arrêt maladie pendant ses années de travail au sein de l'entreprise Kriter Brut de Brut, il a développé postérieurement à son licenciement un état anxio-dépressif réactionnel dès le mois d'octobre 2018 nécessitant un traitement médical et un suivi psychologique pendant plusieurs mois. Il a également développé diverses pathologies.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, il convient de confirmer la décision du conseil des prud'hommes qui lui a accordé la somme de 63897,24€ de ce chef.

Sur l'indemnité de licenciement

En application de l'article 30 de l'Annexe I des Cadres de la convention collective des vins, cidres et jus de fruits, il convient au regard de l'âge, soit 56 ans au moment du licenciement, et de l'ancienneté de M. [R], soit 21 ans et 4 mois, de confirmer la décision du premier juge en ce qu'il a condamné la SAS Kriter Brut de Brut à lui verser la somme de 72 205,48 euros à titre d'indemnité de licenciement.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis

En application de l'article 29 de l'Annexe I des Cadres de la convention collective des vins, cidres et jus de fruits, les salariés cadres bénéficient d'un préavis de trois mois.

Le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SAS Kriter Brut de Brut à lui verser la somme de 15974, 31€ bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 1597,43€ bruts au titre des congés payés y afférents.

Sur le rappel de salaire sur mise à pied conservatoire

Monsieur [R] a été mis à pied à titre conservatoire du 29 septembre au 18 octobre 2018, le rappel de salaire doit être calculé sur la base de 20 jours, dans la limite de la sommes demandée par le salarié, soit un montant de 2788,33€, outre 278,83€ au titre des congés payés afférents.

La décision du conseil des prud'hommes qui ne lui a accordé que la somme de 2545,86€ à ce titre, outre 254,58€ au titre de congés payés y afférents sera infirmée en son quantum.

Sur le rappel sur primes

M. [R] sollicite le solde des primes afférentes à l'année 2018 alors que le versement réalisé lors de la rupture du contrat de travail en date du 18 octobre 2018 s'est effectué au prorata temporis.

La condition de présence à laquelle l'octroi d'une prime est soumise est répute accomplie lorsque c'est l'employeur qui en a

empêché l'accomplissement. Dès lors, la prime est due au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse et qui n'a pas été en mesure d'accomplir son préavis du fait de l'employeur.

En l'espèce, par mail du 19 octobre 2018, M. [X] [B] a indiqué à M. [R] que ses primes lui seront versées 'sur la base de l'obtention des primes à 100% réglée au prorata temporis puisque pas de vision des résultats au 31/12".

Le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, M. [R] a droit à l'intégralité des primes dues au titre de l'année 2018, soit un rappel d'un montant de 2831€ bruts outre 283,10€ bruts au titre des congés payés, la décision sera confirmée sur ce point.

Sur les autres chefs de demandes

Les autres dispositions de la décision dont il a été relevé appel sans qu'elles ne soient critiquées dans les écritures des parties seront en conséquences confirmées.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens:

Il convient de condamner la SAS Kriter Brut de Brut à verser à M. [R] la somme de 1500€ en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, par décision contradictoire et en dernier ressort

Infirme le jugement rendu rendu par le conseil de prud'hommes de Montpellier le 14 décembre 2020 en ce qu'il a condamné la SAS Kriter Brut de Brut à verser à M. [U] [R] la somme de 2545,86€ au titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire outre 254,58€ au titre des congés payés afférents et qu'il l'a débouté de sa demande d'indemnités au titre de l'occupation de son domicile personnel à des fins professionnelles.

Statuant à nouveau,

Condamne la SAS Kriter Brut de Brut à verser à M. [R] les sommes suivantes :

- 2788,33€ au titre de appel de salaire sur mise à pied conservatoire

- 278,83€ au titre des congés payés afférents.

- 5190€ à titre d'indemnité d'occupation du domicile personnel.

Confirme la décision en ses autres dispositions critiquées.

Condamne la SAS Kriter Brut de Brut à verse à M. [U] [R] la somme de 1500€ en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la SAS Kriter Brut de Brut aux dépens de l'appel.

LE GREFFIER LE CONSEILLER

Pour le président empêché

R. BOUGON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 2e chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00259
Date de la décision : 12/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-12;21.00259 ?
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