Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
3e chambre civile
ARRET DU 16 MARS 2023
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 18/02393 - N° Portalis DBVK-V-B7C-NUZB
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 12 avril 2018
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE NARBONNE
N° RG 16/00242
APPELANTE :
SCI KOWALO IMMO
RCS de Narbonne n°502 292 196, prise en la personne de son représentant légal, M. [V] [A], domicilié ès qualités au siège social
[Adresse 8]
[Localité 1]
Représentée par Me Frédéric SIMON de la SCP SIMON FREDERIC, avocat au barreau de BEZIERS, substitué à l'audience par Me Jacques-Henri AUCHE de la SCP AUCHE HEDOU, AUCHE - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMES :
SNC ALVEA
RCS d'Agen n°324 958 198, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
Service Comptabilité
[Adresse 6]
[Localité 5]
Représentée par Me Fanny LAPORTE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER, substituée à l'audience par Me Yann GARRIGUE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER,
et assistée à l'instance par Me Anne-Laure PRIM-THOMAS de la SCP PGTA de la SELARL PGTA, avocat au barreau de GERS
Maître [F] [C]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 9]
Représenté par Me Gilles LASRY de la SCP D'AVOCATS BRUGUES - LASRY, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué à l'audience par Me Hélène BAUMELOU, avocat au barreau de MONTPELLIER,
et assisté à l'instance par Me Florence COULANGES de la SCP LEX ALLIANCE, avocat au barreau d'AGEN
Ordonnance de clôture du 21 décembre 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 janvier 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
M. Gilles SAINATI, président de chambre
M. Thierry CARLIER, conseiller
M. Fabrice DURAND, conseiller
qui en ont délibéré.
En présence de Mme Stéphanie JEAN-PHILIPPE, avocate stagiaire (PPI)
Greffier lors des débats : Mme Camille MOLINA
ARRET :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par M. Gilles SAINATI, président de chambre, et par Mme Camille MOLINA, Greffière.
*
* *
EXPOSE DU LITIGE
La SARL KDC, co-gérée par M. [V] [A] et Mme [X] [O] épouse [A], exerce une activité de revendeur de produits pétroliers (station-service) située [Adresse 3] à [Localité 7] (66).
Cette société a conclu le 16 octobre 2012 avec la SNC Alvea un contrat d'approvisionnement exclusif en carburants.
Ce contrat d'approvisionnement a été assorti d'un cautionnement accordé par la SCI Kowalo Immo à la SNC Alvea garantissant les dettes de la SARL KDC dans la limite de la somme de 20 000 euros.
Ce cautionnement est lui-même garanti par une hypothèque inscrite sur l'appartement propriété de la SCI Kowalo Immo formant le lot n°197 de l'immeuble en copropriété « [Adresse 8] » cadastré section DM n°[Cadastre 2] sur la commune de [Localité 1] (66).
Ce contrat de cautionnement hypothécaire a été reçu le 22 novembre 2012 en la forme authentique par Me [F] [C], notaire à [Localité 9] (47).
La SCI Kowalo Immo est constituée de cinq associés à égalité de parts (1/5ème chacun) : M. et Mme [A] et leurs trois enfants [W], [D] et [B] [A].
Les cinq associés de la SCI Kowalo Immo ont accepté à l'unanimité la constitution de ce cautionnement hypothécaire lors de l'assemblée générale tenue le 10 novembre 2012 préalablement à la signature de l'acte authentique du 22 novembre 2012.
Par jugement du 22 mars 2016, le tribunal de commerce de Narbonne a prononcé la liquidation judiciaire de la SARL KDC.
Par courrier du 17 juillet 2015, la SNC Alvea a mis en demeure la SCI Kowalo Immo de lui payer le montant de sa créance de 14 262,45 euros en principal, soit 14 279,56 euros en incluant les pénalités de retard.
Par acte d'huissier signifié le 20 janvier 2016, la SCI Kowalo Immo a fait assigner la SNC Alvea aux fins de voir prononcer la nullité de l'acte de cautionnement litigieux et la radiation de l'hypothèque le garantissant.
Par acte signifié le 19 avril 2016, la SNC Alvea a fait assigner en intervention forcée Me [F] [C].
Les deux dossiers ont été joints par ordonnance du juge de la mise en état du 15 juin 2016.
Par jugement contradictoire du 12 avril 2018, le tribunal de grande instance de Narbonne a :
' déclaré la demande irrecevable pour défaut de publication de l'assignation à la conservation des hypothèques ;
' dit n'y avoir lieu à statuer au fond ;
' dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
' condamné la SCI Kowalo Immo aux dépens des procédures jointes.
Par déclaration au greffe du 7 mai 2018, la SCI Kowalo Immo a relevé appel du jugement contre Me [F] [C] et contre la SNC Alvea.
Vu les dernières conclusions de la SCI Kowalo Immo remises au greffe le 15 mai 2019 ;
Vu les dernières conclusions de Me [F] [C] remises au greffe le 30 juillet 2019 ;
Vu les dernières conclusions de la SNC Alvea remises au greffe le 11 octobre 2018 ;
La clôture de la procédure a été prononcée le 21 décembre 2022.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur la recevabilité de l'action exercée par la SCI Kowalo Immo,
L'article 30-5° du décret n°55-22 du 4 janvier 1955 dispose :
« Les demandes tendant à faire prononcer la résolution, la révocation, l'annulation ou la rescision de droits résultant d'actes soumis à publicité ne sont recevables devant les tribunaux que si elles ont été elles-mêmes publiées conformément aux dispositions de l'article 28-4°, c, et s'il est justifié de cette publication par un certificat du service chargé de la publicité foncière ou la production d'une copie de la demande revêtue de la mention de publicité. »
L'article 28 du décret précité dispose :
« Sont obligatoirement publiés au service chargé de la publicité foncière de la situation des immeubles :
1° Tous actes, même assortis d'une condition suspensive, et toutes décisions judiciaires, portant ou constatant entre vifs :
a) Mutation ou constitution de droits réels immobiliers, y compris les obligations réelles définies à l'article L. 132-3 du code de l'environnement, autres que les privilèges et hypothèques, qui sont conservés suivant les modalités prévues au code civil ;
b) Bail pour une durée de plus de douze années, et, même pour un bail de moindre durée, quittance ou cession d'une somme équivalente à trois années de loyers ou fermages non échus ;
c) Titre d'occupation du domaine public de l'Etat ou d'un de ses établissements publics constitutif d'un droit réel immobilier délivré en application des articles L. 34-1 à L. 34-9 du code du domaine de l'Etat et de l'article 3 de la loi n° 94-631 du 25 juillet 1994 ainsi que cession, transmission ou retrait de ce titre.
(...)
4° Les actes et décisions judiciaires, énumérés ci-après, lorsqu'ils portent sur des droits soumis à publicité en vertu du 1° :
a) Les actes confirmatifs de conventions entachées de causes de nullité ou rescision ;
b) Les actes constatant l'accomplissement d'une condition suspensive ;
c) Les demandes en justice tendant à obtenir, et les actes et décisions constatant, la résolution, la révocation, l'annulation ou la rescision d'une convention ou d'une disposition à cause de mort ».
L'article 28-1°(a) exclut donc expressément de son champ d'application « les privilèges et hypothèques ».
Il se déduit de l'application combinée des articles 28 et 30 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955, ainsi que le soutient à bon droit la SCI Kowalo Immo, que cette dernière n'était pas tenue de publier l'assignation introductive d'instance au service de la publicité foncière pour que son action soit recevable.
De surcroît, la SCI Kowalo Immo justifie en cause d'appel avoir fait publier ses conclusions d'appelante du 16 juillet 2018 au service de la publicité foncière de Narbonne le 28 novembre 2018.
En conséquence, le jugement déféré doit être infirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action exercée par la SCI Kowalo Immo contre la SNC Alvea.
Sur la demande formée par la SCI Kowalo Immo,
L'article 1849 du code civil dispose que « Dans les rapports avec les tiers, le gérant engage la société par les actes entrant dans l'objet social » et l'article 1852 du même code ajoute que « Les décisions qui excèdent les pouvoirs reconnus aux gérants sont prises selon les dispositions statutaires ou, en l'absence de telles dispositions, à l'unanimité des associés. »
La sûreté donnée par une société qui n'entre pas dans son objet social doit, pour être valable, non seulement résulter du consentement unanime des associés, mais également être conforme à son intérêt social.
En l'espèce, il ressort du procès-verbal de l'assemblée générale de la SCI Kowalo Immo du 10 novembre 2012 que les cinq associés ont tous consenti au cautionnement litigieux.
Ce cautionnement des dettes de la SARL KDC est strictement limité à la somme de 20 000 euros, nettement inférieure au prix de 46 000 euros d'acquisition du bien immobilier le 28 avril 2008 par la SCI Kowalo Immo, prix de l'époque lui-même inférieur à la valeur vénale actuelle de l'immeuble dont la SCI Kowalo Immo ne justifie cependant pas dans ses écritures et pièces versées aux débats.
La société appelante ne verse aux débats que la réponse à sa demande de renseignement sommaire urgent n°2015H15635 du 18 novembre 2015 afférente aux formalités publiées entre le 1er janvier 1965 et le 19 juillet 2015 concernant la seule parcelle cadastrée section DM n°[Cadastre 2] sur la commune de [Localité 1].
La SCI Kowalo Immo n'apporte pas la preuve de ce que ce bien hypothéqué est l'unique immeuble dont elle est propriétaire.
Il en résulte qu'au regard du caractère limité de la dette maximale garantie de 20 000 euros et des possibilités de refinancement offertes sur le marché du crédit en regard de la valeur vénale actuelle de l'immeuble et des éventuels autres actifs mobiliers ou immobiliers figurant à son bilan et dont elle ne justifie pas, il n'est établi par la SCI Kowalo Immo :
' ni que l'immeuble donné en garantie était son unique actif immobilier ;
' ni que cette caution hypothécaire grevait lourdement son patrimoine ;
' ni que cette caution l'exposait à une disparition totale de son patrimoine immobilier au risque de mettre en danger son existence même.
Par ailleurs, s'agissant de l'appréciation de l'atteinte à l'intérêt social alléguée par la société appelante, la cour relève que la SARL KDC et la SCI Kowalo Immo appartiennent au même groupe familial.
La SCI Kowalo Immo ne verse aucune pièce décrivant l'usage qu'elle fait de cet immeuble ou justifiant du statut locatif de cet appartement, et ce alors que ces éléments sont nécessaires à la démonstration qu'elle prétend faire de la non conformité du cautionnement litigieux avec l'intérêt social.
Toutefois, la SNC Alvea ne conteste pas l'affirmation de la SCI Kowalo Immo dans ses écritures (page 7) selon laquelle l'appartement grevé d'hypothèque constitue le logement familial.
Par ailleurs, le cautionnement accordé par la SCI Kowalo Immo était nécessaire à la signature du contrat d'approvisionnement exclusif en carburant indispensable à l'exercice par la SARL KDC de son activité commerciale.
Il ne ressort aucunement de ces éléments contractuels ni des autres pièces versés aux débats que « la société Alvea a profité de sa domination économique pour imposer des garanties illégales à la famille [A] qui ne pouvait pas faire autrement que de les accepter eu égard à sa faiblesse économique dans la négociation qu'elle pouvait avoir avec la société Alvéa » ainsi que l'affirme la SCI Kowalo Immo dans ses écritures.
Il ressort au contraire de la limitation en son montant à 20 000 euros et dans le temps jusqu'au 31 octobre 2018 que la SNC Alvea n'a exercé aucun abus et qu'elle a accepté une sûreté proportionnée à la situation de la SARL KDC et conforme à la pratique des affaires que connaissent parfaitement M. et Mme [A] en leur qualité de commerçants.
Cet acte de cautionnement a donc directement profité à la SARL KDC, mais aussi à l'autre société du groupe, la SCI Kowalo Immo, qui a indirectement profité des revenus et des contreparties économiques de l'opération, et ce indépendamment du fait que les associés des deux sociétés ne soient pas strictement identiques, que la SCI Kowalo Immo ait été constituée bien antérieurement en décembre 2007 ou que les deux sociétés du groupe familial ne soit pas liées contractuellement.
Contrairement à la position soutenue dans ses écritures, la SCI Kowalo Immo ne démontre pas « qu'elle n'avait donc pas besoin de ce contrat pour exister, rappelant qu'elle a été constituée pour le logement familial ».
En effet, à défaut de démonstration contraire et à défaut de pièces versées au dossier éclairant la cour sur la situation patrimoniale exacte de la SCI Kowalo Immo et sur le statut locatif de cet appartement, le financement de l'immeuble acheté le 28 avril 2008 n'a pu se faire qu'au moyen des apports des associés ou du paiement par ces associés des échéances d'un crédit immobilier ayant financé l'acquisition.
Au sein de ce groupe de sociétés à caractère familial, le cautionnement hypothécaire contesté s'est inscrit dans une opération permettant à la SARL KDC et à ses associés de bénéficier de revenus commerciaux et de dividendes, et par conséquent de solvabiliser et de sauvegarder le patrimoine de la SCI Kowalo Immo.
Ce cautionnement a donc permis à la SCI Kowalo Immo, qui ne démontre pas l'existence d'autres sources de financement, de bénéficier des apports financiers issus de l'activité commerciale de M. et Mme [A] indispensables pour payer les dépenses d'acquisition et de conservation d'un immeuble utilisé comme habitation principale par ses cinq associés.
Il se déduit de ces développements et de l'existence de cette communauté d'intérêts à caractère familial que le cautionnement contesté n'était pas dépourvu de toute contrepartie pour la SCI Kowalo Immo et qu'en conséquence il ne peut pas être regardé comme étant contraire à l'intérêt social de cette société.
Cet acte de cautionnement est donc conforme à l'intérêt social de la SCI Kowalo Immo dont la demande d'annulation de cet acte doit dont être rejetée.
Sur les demandes accessoires,
En l'état de son débouté intégral et de l'absence de faute démontrée contre la SNC Alvea, la demande indemnitaire formée contre cette dernière à hauteur de 5 000 euros par la SCI Kowalo Immo ne peut qu'être rejetée.
La SCI Kowalo Immo succombe intégralement en appel et sera donc tenue de supporter les entiers dépens de première instance et d'appel.
Me [C] ne forme aucune demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile contre la SNC Alvea qui succombe contre lui.
L'équité commande donc de condamner la SCI Kowalo Immo à payer 3 000 euros à la SNC Alvea et 1 000 euros à Me [C] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare recevable l'action en nullité exercée par SCI Kowalo Immo contre le contrat de cautionnement et l'inscription d'hypothèque reçus le 22 novembre 2012 par Me [F] [C] ;
Déboute sur le fond la SCI Kowalo Immo de toutes ses demandes ;
Dit que la SCI Kowalo Immo doit supporter les entiers dépens de première instance et d'appel ;
Condamne la SCI Kowalo Immo à payer sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile les sommes de :
' 3 000 euros à la SNC Alvea ;
' 1 000 euros à Me [F] [C] ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
La greffière, Le président,