Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
3e chambre civile
ARRET DU 24 NOVEMBRE 2022
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 18/01416 - N° Portalis DBVK-V-B7C-NSQB
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 22 février 2018
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MONTPELLIER
N° RG 16/00279
APPELANTS :
M. [K] [U]
né le 10 avril 1965 à [Localité 11] (ESPAGNE)
[Adresse 1]
[Localité 4] (anciennement [Localité 12])
et
Mme [B] [C] épouse [U]
née le 03 novembre 1966 à [Localité 10]
de nationalité française
[Adresse 3]
[Localité 4] (anciennement [Localité 12])
Représentés par Me Cyrille AUCHE de la SCP VERBATEAM MONTPELLIER, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué à l'audience par Me Patrick MELMOUX de la SCP VERBATEAM MONTPELLIER, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMEES :
SA GAN ASSURANCES
RCS de Paris n°542 063 797, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié ès qualités au siège social
[Adresse 9]
[Localité 8]
Représentée par Me Philippe SENMARTIN de la SELARL CHABANNES-SENMARTIN ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER,
et assistée à l'instance par Me Aline BOUDAILLIEZ, avocat au barreau de MONTPELLIER, substituée à l'audience par Me Jérémy ROUSSEL, avocat au barreau de MONTPELLIER
SARL ALTO IMMOBILIER
prise en la personne de son représentant légal en exercice
[Adresse 6]
[Localité 5]
Représentée par Me Sophie MIRALVES-BOUDET de la SELARL CHATEL BRUN MIRALVES CLAMENS, avocat au barreau de MONTPELLIER, substituée à l'audience par Me Pierre CHATEL de la SELARL CHATEL BRUN MIRALVES CLAMENS, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de révocation de clôture et prononçant une nouvelle clôture du 24 octobre 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Fabrice DURAND, conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Gilles SAINATI, président de chambre
M. Thierry CARLIER, conseiller
M. Fabrice DURAND, conseiller
Greffier lors des débats : Mme Camille MOLINA
ARRET :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par M. Gilles SAINATI, président de chambre, et par Mme Camille MOLINA, greffière.
*
* *
EXPOSE DU LITIGE
M. [K] [U] et Mme [B] [C] épouse [U] ont fait édifier une maison d'habitation de 133 m² habitables et 90,53 m² de dépendances sur une parcelle cadastrée section AB n°[Cadastre 7] située [Adresse 2] sur la commune anciennement dénommée [Localité 12] et devenue [Localité 4] (34) depuis le 1er janvier 2019.
M. et Mme [U] ont conclu le 6 juillet 2009 un contrat de maîtrise d''uvre (mission complète) avec la SARL Alto Immobilier pour un montant d'honoraires de 17 940 euros TTC. Un détail estimatif du coût des travaux de 152 625,05 euros TTC était annexé au contrat.
La SARL Belfakih a réalisé le lot " gros 'uvre " incluant la mission d'implantation de l'ouvrage.
Les travaux ont débuté en juillet 2010 et se sont achevés en août 2011.
Les parties sont en désaccord quant à l'existence ou non d'une réception de ces travaux par les maîtres d'ouvrage.
A la demande de la SARL Alto Immobilier, une ordonnance du 7 mai 2012 portant injonction de payer la somme de 2 918,24 euros a été notifiée à M. et Mme [U] représentant le solde demeuré impayé du contrat de maîtrise d''uvre.
M. et Mme [U] ont alors demandé au cabinet ETB de procéder à une expertise amiable des désordres affectant la maison. Un rapport d'expertise établi le 23 octobre 2012 faisait état de 80 désordres affectant la construction parmi lesquels un différentiel altimétrique positif de l'ouvrage compris entre 40cm et 50cm par rapport au projet initial.
Par acte d'huissier du 9 novembre 2012, M. et Mme [U] ont saisi le juge des référés qui a ordonné le 13 décembre 2012 une expertise judiciaire des désordres confiée à M. [G] [V].
M. et Mme [U] n'ont pas versé la consignation complémentaire de 4 000 euros demandée par l'expert le 8 janvier 2014 en faisant valoir qu'ils ne disposaient pas des moyens financiers nécessaires.
Par courrier du 20 novembre 2014, le conseil de M. et Mme [U] a demandé à M. [V] de limiter l'expertise au désordre altimétrique concernant la SARL Alto Immobilier et la SARL Belfakih ainsi que leurs assureurs.
L'expert judiciaire a déposé son rapport le 30 novembre 2015.
Par acte d'huissier du 27 avril 2016, M. et Mme [U] ont fait assigner la SARL Alto Immobilier et la SA Gan Assurances IARD aux fins d'obtenir leur condamnation in solidum à leur payer le coût de la démolition et de la reconstruction de la maison et à indemniser leur préjudice de jouissance.
Par jugement du 22 février 2018, le tribunal de grande instance de Montpellier a :
- débouté M. et Mme [U] de l'ensemble de leurs demandes ;
- condamné M. et Mme [U] à payer à la SARL Alto Immobilier et à la SA Gan Assurances IARD la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, soit 2 000 euros chacune ;
- condamné M. et Mme [U] aux dépens en ce compris les frais d'expertise.
Par déclaration au greffe du 15 mars 2018, M. et Mme [U] ont relevé appel de ce jugement contre la SARL Alto Immobilier et la SA Gan Assurances IARD.
Vu les dernières conclusions de M. et Mme [U] remises au greffe le 10 octobre 2022 ;
Vu les dernières conclusions de la SARL Alto Immobilier remises au greffe le 16 août 2018 ;
Vu les dernières conclusions de la SA Gan Assurances IARD remises au greffe le 30 septembre 2022 ;
L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 octobre 2022.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Sur la réception des ouvrages,
L'article 1792-6 du code civil dispose :
" La réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement. "
Sur la réception expresse,
La SARL Alto Immobilier verse aux débats un document dénommé " réception travaux - chantier M. et Mme [U] - adresse [Localité 12] " signé par le maître d''uvre et le maître de l'ouvrage le 19 septembre 2011 assorti d'une liste de réserves.
Il n'est pas contesté par les parties que les entreprises titulaires des différents marchés n'ont pas signé ce document, qu'elles n'étaient pas présentes lors de la réunion du 19 septembre 2011 et qu'elles n'avaient pas été régulièrement convoquées à y participer.
Ainsi que le relève pertinemment l'expert judiciaire (page 34), ce document " semble plutôt correspondre à des opérations préalables à la réception puisque seul le maître d''uvre est intervenu sur le site pour recenser les points à retenir comme étant des réserves ".
Il s'en déduit qu'à défaut d'être contradictoire, la réception expresse de l'ouvrage n'a pas pu avoir lieu le 19 septembre 2011.
Sur la réception tacite,
Contrairement à la position soutenue par M. et Mme [U] dans leurs écritures, l'assureur décennal d'un constructeur a qualité et intérêt à agir pour faire constater la réception tacite d'un ouvrage, à la différence de l'action en demande de réception judiciaire qui n'appartient qu'aux parties au contrat de construction.
En effet, et en dépit du fait que leurs effets juridiques sont identiques, l'existence d'une réception tacite est seulement constatée par la juridiction à la demande de toute partie intéressée, tandis que la réception judiciaire est prononcée par la juridiction saisie par une partie au contrat à l'exclusion des tiers à ce contrat.
De même, le fait que la SARL Alto Immobilier soit chargée d'une mission d'assistance du maître d'ouvrage pour les opérations de réception est sans effet sur la recevabilité de la demande formée par son assureur.
La demande formée par la SA Gan Assurances IARD aux fins de voir constater la réception tacite de l'ouvrage par M. et Mme [U] est donc recevable.
L'article H du contrat de maîtrise d''uvre invoqué par M. et Mme [U] rappelle les modalités habituelles de réception des ouvrages mais ne contient aucune stipulation excluant la possibilité d'une réception tacite de ces ouvrages permise par l'article 1792-6 du code civil tel que l'applique une jurisprudence ancienne et constante de la Cour de cassation.
Il ressort des pièces versées aux débats et du rapport d'expertise judiciaire que M. et Mme [U] ont pris possession de l'ouvrage le 19 septembre 2011 et qu'ils ont payé la totalité du prix des marchés de toutes les entreprises intervenues dans la construction de leur maison.
M. et Mme [U] n'ont jamais fait état d'un quelconque désordre ou manquement des constructeurs après la prise de possession de l'ouvrage.
Ce n'est qu'ultérieurement, lorsque la SARL Alto Immobilier a engagé l'action en paiement du solde de son marché de maîtrise d''uvre, que M. et Mme [U] ont commencé à invoquer l'existence de désordres et à solliciter une expertise judiciaire auprès du juge des référés.
Par ailleurs, M. et Mme [U] ont eux-mêmes reconnu lors de l'audience du 29 novembre 2012 devant le juge des référés que l'ouvrage litigieux avait fait l'objet d'une réception en soutenant que " les réserves émises lors de la réception de l'ouvrage n'ont toujours pas été levées à ce jour ".
Durant les opérations d'expertise amiable par la cabinet ETB, puis durant les opérations d'expertise judiciaire, M. et Mme [U] n'ont jamais contesté l'existence de la réception de l'ouvrage, sauf à faire valoir l'existence de réserves émises lors de cette réception dont aucune ne concerne l'altimétrie de l'ouvrage.
En réponse aux conclusions de M. et Mme [U] invoquant l'arrêt n°19-24176 de la Cour de cassation du 29 juin 2022, il convient de relever qu'en l'espèce, après l'achèvement des travaux, aucune des entreprises titulaires de marchés n'a demandé aux maîtres d'ouvrage de procéder à la réception des travaux et qu'aucune d'entre elles n'est partie à la présente instance.
Il en résulte que la demande de constatation de la réception tacite de l'ouvrage formée par l'assureur de la SARL Alto Immobilier ne vise pas à contourner l'exigence du respect du contradictoire requis par l'article 1792-6 du code civil et n'entraîne aucune conséquence préjudiciable pour les différentes entreprises intervenues dans la construction de l'ouvrage.
Les conditions sont donc réunies en l'espèce permettant de présumer l'existence d'une réception tacite sans réserve de l'ouvrage à la date du 19 septembre 2011.
Sur l'erreur d'implantation altimétrique,
La réception a pour effet de purger tous les désordres apparents et non réservés affectant l'ouvrage, que ce soit les vices ou les défauts de conformités. Les maîtres d'ouvrage ne peuvent alors plus s'en prévaloir et sont réputés avoir accepté l'ouvrage tel qu'ils l'ont réceptionné.
En l'espèce, les opérations d'expertise ont établi que la maison avait été mal implantée en altimétrie par rapport aux côtes figurant sur le plan :
- altitude carrelage rez-de-chaussée de 57,68 m au lieu de 57,14 m;
- altitude carrelage 1er étage de 60,77 m au lieu de 60,04 m ;
- altitude terrasse devant entrée salon de 57,38 m au lieu de 56,97 m.
Les parties au procès ne contestent pas ces conclusions de l'expert judiciaire selon lesquelles la maison a été implantée à une hauteur plus élevée de 41 cm au niveau de la terrasse et de 54 cm au niveau du rez-de-chaussée.
Ce défaut de conformité étant établie, il convient alors de déterminer si ce désordre avait ou non un caractère apparent pour les maîtres d'ouvrage lors de la réception tacite du 19 septembre 2011.
Le projet de construction confié par M. et Mme [U] à la SARL Alto Immobilier prévoyait deux marches entre le garage et le hall d'entrée et trois marches sur l'escalier d'accès au porche d'entrée. La présence de ces marches est parfaitement visible sur le plan de la maison versé aux débats.
L'erreur d'altimétrie commise par les constructeurs a entraîné l'ajout de deux marches entre le garage et le hall d'entrée (quatre marches au lieu de deux prévues sur le plan du projet) et d'une marche sur l'escalier d'accès au porche d'entrée (quatre marches au lieu de trois prévues sur le plan).
Ces ajouts de marches était parfaitement apparents lors de la réception de l'ouvrage par M. et Mme [U] et mettaient clairement en évidence que l'immeuble construit présentait une hauteur supérieure à celle du projet figuré sur le plan.
Les maîtres d'ouvrage profanes étaient parfaitement capables de constater la présence de ces marches supplémentaires lors de la prise de possession de l'ouvrage et ce sans qu'aucune investigation technique ne soient nécessaire pour mettre en évidence ce défaut de conformité.
Il était tout aussi aisé pour les maîtres d'ouvrage de constater que la hauteur minimale du vide-sanitaire était de 60 cm alors qu'elle était de 20 cm sur le plan de leur projet de construction.
M. et Mme [U] n'ont émis aucune réserve quant à ce défaut de conformité lors de la réception tacite de l'ouvrage au moment de la prise de possession de l'ouvrage.
Après plusieurs mois d'occupation de la maison, et alors même qu'ils avaient pu prendre connaissance de façon approfondie de tous les éventuels désordres l'affectant, M. et Mme [U] n'ont jamais fait valoir de défaut de conformité auprès des différents intervenants à l'acte de construire.
Cette acceptation de l'erreur d'implantation altimétrique ne résulte donc pas d'une étourderie ou d'une négligence de la part de M. et Mme [U] mais de leur choix réfléchi et rationnel d'accepter une maison valorisée par une meilleure vue et par un choix constructif limitant fortement le risque d'inondation ainsi que l'a relevé dans son rapport l'expert judiciaire.
L'absence de réserve formée à la réception concernant le défaut de conformité apparent du défaut d'implantation altimétrique implique une acceptation de l'ouvrage qui s'oppose donc à toute réclamation par M. et Mme [U] contre les constructeurs tant sur le fondement contractuel que sur les articles 1792 et suivants du code civil.
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté M. et Mme [U] de leur demande visant à la démolition et à la reconstruction de l'ouvrage conformément à leur projet initial et de leur demande subsidiaire d'indemnisation pour le préjudice subi.
Sur le dépassement de l'enveloppe financière du projet,
La demande de paiement de la somme de 27 724,17 euros TTC correspondant au surcoût des travaux a déjà été formée devant le tribunal et ne constitue donc pas une demande nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile.
En conséquence, la fin de non recevoir soulevée par la SA Gan Assurances IARD de ce chef ne peut qu'être rejetée.
M. et Mme [U] versent aux débats un document à l'en-tête de la SARL Alto Immobilier intitulé " construction de M. et Mme [U] " comportant la liste des quatorze postes de travaux assortis du nom de l'entreprise et du montant HT correspondant à chaque lot.
Le document mentionne en bas de page le montant total TTC de 152 625,05 euros.
Ce document n'est ni daté, ni signé par les parties. Il ne comporte aucune mention précisant son objet précis ni les conditions de son élaboration dans le cadre du projet de construction de M. et Mme [U].
Contrairement à la position qu'ils soutiennent dans leurs écritures, M. et Mme [U] n'apportent pas la preuve de ce que ce document constituerait l'enveloppe financière préalablement définie et acceptée par les maîtres d'ouvrage, enveloppe que le maître d''uvre était tenu de respecter dans la limite des imprévus et des aléas.
Le fait que ce coût de 152 625 euros TTC n'englobe pas la fourniture des matériaux de construction confirme qu'il ne s'agissait pas de l'enveloppe financière du projet mais d'une simplement estimation approximative sans caractère contractuel.
Par des motifs pertinents adoptés par la cour, le jugement déféré a exactement retenu pour rejeter la demande de M. et Mme [U] que le document précité et le montant de 152 625 euros TTC n'avait aucun caractère contractuel, que les maîtres d'ouvrage avaient systématiquement payé les factures et qu'ils n'avaient jamais formulé de protestation quant au dépassement d'une quelconque enveloppe financière.
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
Sur les demandes accessoires,
Le jugement déféré est intégralement confirmé de sorte que ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile le seront également.
M. et Mme [U] succombent intégralement en appel et devront donc supporter la charge des entiers dépens d'appel.
L'équité commande en outre de les condamner à payer une indemnité de 4 000 euros chacune à la SARL Alto Immobilier et à la SA Gan Assurances IARD sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Constate la réception tacite de l'ouvrage à la date du 19 septembre 2011 ;
Condamne in solidum M. [K] [U] et Mme [B] [C] épouse [U] à supporter les entiers dépens d'appel ;
Condamne in solidum M. [K] [U] et Mme [B] [C] épouse [U] à payer à la SARL Alto Immobilier et à la SA Gan Assurances IARD la somme de 8 000 euros (soit 4 000 euros à chacune) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de leurs plus amples demandes.
La greffière, Le président,