Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
3e chambre civile
ARRET DU 24 NOVEMBRE 2022
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 17/04983 - N° Portalis DBVK-V-B7B-NKIA
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 17 juillet 2017
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE NARBONNE
N° RG 12/00230
APPELANT :
M. [U] [L], en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL VINS DES VIGNOBLES
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représenté par Me Marie-Camille PEPRATX NEGRE de la SCP ERIC NEGRE, MARIE CAMILLE PEPRATX NEGRE, avocat au barreau de MONTPELLIER, substituée à l'audience par Me Eric NEGRE de la SCP ERIC NEGRE, MARIE CAMILLE PEPRATX NEGRE, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMES :
SA MMA IARD, venant aux droits de la société COVEA RISKS
RCS du Mans n° 440 048 882, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié ès qualités au siège social
[Adresse 2]
[Localité 6]
et
Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, venant aux droits de la société COVEA RISKS
RCS du Mans n° 775 652 126, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié ès qualités au siège social
[Adresse 2]
[Localité 6]
Toutes deux représentées par Me Gilles LASRY de la SCP SCP D'AVOCATS BRUGUES - LASRY, avocat au barreau de MONTPELLIER
et assistées à l'instance par Me Arnaud PERICARD de la SELARL ARMA, avocat au barreau de PARIS, substitué à l'audience par Me Pauline LUSSEY, avocat au barreau de PARIS
M. [H] [N]
né le [Date naissance 3] 1944 à [Localité 7] (11)
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représenté par Me Gilles LASRY de la SCP SCP D'AVOCATS BRUGUES - LASRY, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué à l'audience par Me Maxime DELHOMME de la SCP Société Civile Professionnelle d'Avocats DELHOMME, avocat au barreau de PARIS
Ordonnance de clôture du 31 août 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 SEPTEMBRE 2022, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
M. Gilles SAINATI, Président de chambre
M. Thierry CARLIER, Conseiller
Mme Emmanuelle WATTRAINT, Conseillère
qui en ont délibéré.
En présence de Mme Fleur DUBOIS LAMBERT, juriste assistante
Greffier lors des débats : Mme Charlotte MONMOUSSEAU
ARRET :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par M. Gilles SAINATI, Président de chambre, et par Mme Camille MOLINA, Greffière.
*
* *
EXPOSE DU LITIGE
La SARL Vins des Vignobles du Sud développe une activité de " négoce en gros de vins " et commercialise la production des caves adhérentes au groupement.
Par jugement du 10 novembre 2006, le tribunal correctionnel de Narbonne a reconnu la SARL Vins des Vignobles du Sud (anciennement SARL Rieux) coupable, ainsi que certains dirigeants de l'entreprise, de faits de fraude et tromperie sur la qualité des vins vendus.
Par décision du 6 février 2007, le tribunal de commerce de Narbonne a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la SARL Vins des Vignobles du Sud et a désigné M. [U] [L] en qualité de mandataire et administrateur judiciaire.
Par jugement du tribunal correctionnel du 15 janvier 2010, M. [H] [N], commissaire aux comptes de la SARL Vins des Vignobles du Sud, a été déclaré coupable des faits de complicité d'escroquerie, du délit de banqueroute et de complicité de banqueroute par augmentation frauduleuse de passif par minoration des dettes et surévaluation du stock sans aucune vérification comptable.
Aux termes de la procédure d'appel à l'initiative de M. [H] [N], le jugement du tribunal correctionnel a été confirmé en toutes ses dispositions pénales et les parties ont été renvoyées devant la cour d'appel de Montpellier sur l'action civile.
Par un arrêt du 4 avril 2016, la cour d'appel de Montpellier, statuant sur intérêts civils, a condamné solidairement MM. [X] (gérant), [R] (directeur financier), [O] (expert comptable) et [N] à payer à M. [U] [L] ès qualités de mandataire liquidateur la somme de 400 000 euros en réparation du préjudice financier subi.
Par acte du 23 février 2012, M. [U] [L] a assigné M. [H] [N] aux fins de voir constater les fautes commises par lui et en conséquence le voir condamner à payer la somme de 6 752 957 euros. La société Covea Risks, assureur responsabilité civile de M. [H] [N], devenue par la suite MMA, a été mise en cause par acte du 28 septembre 2015.
Par jugement contradictoire rendu le 17 juillet 2017 le tribunal de grande instance de Narbonne a :
- déclaré irrecevable l'action de M. [U] [L], ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL Vins des Vignobles du Sud ;
- débouté M. [U] [L], ès qualités, de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [U] [L] à verser à M. [H] [N] d'une part et à la MMA IARD (venant aux droits de la société Covea Risks) d'autre part la somme de 1 000 euros chacun en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit les dépens frais privilégiés de la procédure de liquidation judiciaire de la SARL Vins des Vignobles du Sud dont distraction au profit de Me Micheline Davanne conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le 19 septembre 2017, M. [U] [L], ès qualités a interjeté appel de ce jugement.
Par ses conclusions enregistrées au greffe le 29 novembre 2021, il sollicite l'infirmation du jugement et demande à la cour de :
- rejeter la fin de non recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée,
- rejeter la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action,
- dire et juger que M. [H] [N] a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité professionnelle,
- dire et juger que ces fautes ont engendré un préjudice d'un montant de 6 752 957 euros.
Subsidiairement, il demande à la cour d'ordonner une expertise afin de déterminer le montant de l'aggravation de la perte engendrée par les manquements et négligences de M. [H] [N].
En tout état de cause, il demande à la cour de :
- condamner M. [H] [N] à lui payer en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Vins et Vignobles du Sud la somme de 6 752 957 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, et capitalisation des intérêts,
- condamner M. [H] [N] au paiement de la somme de 22 000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC, avec application de l'article 699 du CPC,
- condamner conjointement et solidairement, si ce n'est in solidum, les MMA des condamnations prononcées à l'encontre de M. [H] [N] en principal, frais, intérêts, accessoires et dépens, si ce n'est à dire que les MMA relèveront et garantiront leur assuré de toutes ses condamnations.
Par ses conclusions enregistrées au greffe le 9 mars 2018, M. [H] [N] sollicite la confirmation du jugement. A défaut, il demande à la cour de :
- déclarer irrecevable pour cause de prescription l'action en responsabilité introduite par M. [U] [L], l'irrecevabilité de l'action en responsabilité introduite par M. [U] [L] pour cause de prescription,
- débouter M. [U] [L] de ses moyens demandes et conclusions,
- condamner M. [U] [L] à lui payer la somme de 15 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du CPC, avec application de l'article 699 du CPC.
Par leurs conclusions enregistrées au greffe le 29 août 2022, les sociétés MMA IARD et la MMA Mutuelles du Mans Assurances demandent à la cour la confirmation du jugement. Subsidiairement, elles sollicitent de voir débouter M. [U] [L] de ses demandes, fins et prétentions à leur encontre. Infiniment subsidiairement, elle demandent à la cour de dire que la MMA ne garantira les condamnations prononcées que dans la limite du plafond de garantie. Elles sollicitent en outre la condamnation de M. [U] [L] à payer à la MMA la somme de 20 000 euros au titre des frais irrépétibles, et aux dépens de l'instance avec application de l'article 699 du CPC.
La clôture de la procédure a été ordonnée le 31 août 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère au jugement ainsi qu'aux conclusions écrites susvisées.
MOTIFS
Sur la fin de non recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée,
Le tribunal, au visa de l'article 122 du code de procédure civile, a accueilli cette fin de non recevoir en retenant :
- une identité de parties, les demandes de M. [U] [L] ayant été formées dans le cadre de la procédure sur intérêts civils contre M. [H] [N], comme dans la présente procédure,
- une identité de cause, M. [U] [L] invoquant dans la procédure pénale les mêmes faits que dans le cadre de la présente instance, à savoir le comportement fautif de M. [H] [N] dans l'exercice de sa mission de commissaire aux comptes,
- une identité d'objet, les demandes indemnitaires concernant les préjudices consécutifs aux manquements professionnels de M. [H] [N] ayant permis aux dirigeants de la société de poursuivre leur activité déficitaire jusqu'à l'ouverture de la procédure collective, demandes englobées dans celles présentées sur intérêts civils.
M. [U] [L] soutient au contraire que la chose demandée n'est pas la même et n'est pas fondée sur la même cause puisque l'action sur intérêts civils visait à la réparation de dommages découlant de faits délictueux et infractions pénales (complicité délit banqueroute, complicité du délit d'escroquerie et diffusion d'informations mensongères sur la situation d'une personne morale par commissaire aux comptes), alors que l'action en responsabilité civile contre le commissaire aux comptes a pour effet d'obtenir réparation des préjudices directs et certains en lien de causalité avec des fautes, manquements et négligences de nature purement civile de ce professionnel. Il ajoute que la demande ne concerne pas les mêmes parties, puisque l'action sur intérêts civils était dirigée contre quatre protagonistes et que la présente action n'est dirigée que contre un commissaire aux comptes et son assureur.
M. [H] [N] et son assureur prétendent qu'il existe une identité de parties d'objet et de cause, ainsi que retenu par le tribunal. Selon MMA, les faits litigieux sont identiques à ceux débattus devant le juge pénal et consistent dans les anomalies présentées depuis 2002 sur les comptes de la société Rieux devenue Vin et vignoble du Sud, anomalies ayant permis de masquer d'importants déficits et d'obtenir le maintien des concours accordés par les banques. Elle souligne que dans le cadre de l'instance pénale, M. [U] [L] demandait notamment la condamnation de M. [H] [N] l'aggravation du passif, ce qui est le cas dans la présente procédure.
S'agissant de l'identité des parties, la présente procédure oppose M. [U] [L] à M. [H] [N] tout comme la procédure sur intérêts civils, la présence d'autres parties à l'instance sur intérêts civils n'affectant pas cet état de fait.
S'agissant de l'identité de cause, entendue comme l'ensemble des faits sur lesquels la demande est fondée sans considération de qualification juridique, la cour relève que sur intérêts civils, les demandes de M. [U] [L] reposaient sur la certification, par le commissaire aux comptes, de documents comptables et bilans qu'il savait inexacts de 2003 à 2006 et, par la même, à la contribution de M. [H] [N] à l'aggravation du passif de la société. Or, ces faits, manifestement constitutifs de manquements professionnels (passivité, carence, négligence et abstention fautive), sont les mêmes que ceux évoqués dans le cadre de la présente instance.
S'agissant enfin de l'identité d'objet, dans le cadre de l'instance sur intérêts civils, M. [U] [L] demandait la réparation intégrale des préjudices nés des infractions, elles mêmes résultant de la dissimulation des pertes afin de reconstituer l'actif détourné et apurer le passif. Si les demandes indemnitaires dans le cadre de la présente instance sont présentées comme consécutives aux manquements professionnels de M. [H] [N] et revêtant sur un fondement juridique différent, elles reposent en réalité exactement sur les mêmes faits, à savoir l'attitude du commissaire aux comptes ayant contribué à la perte de chance de faire cesser une exploitation déficitaire et à l'aggravation de la situation financière de la société.
Dans ces conditions, le tribunal a fait une parfaite appréciation des faits de la cause et le jugement sera confirmé.
Sur les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,
M. [U] [L], ès qualités, succombant en ses prétentions, le jugement sera confirmé.
En cause d'appel, M. [U] [L], ès qualités, sera condamné à payer à M. [H] [N] d'une part et à MMA IARD d'autre part la somme de 2 000 euros chacun en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Il sera également condamné aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Gilles Lasry, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne M. [U] [L], ès qualités, à payer à M. [H] [N] d'une part et à MMA IARD d'autre part la somme de 2 000 euros chacun en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [U] [L], ès qualités, aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Gilles Lasry, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffier, Le président,