Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
3e chambre civile
ARRET DU 24 NOVEMBRE 2022
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 15/03919 - N° Portalis DBVK-V-B67-MCLR
ARRET N°
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 07 AVRIL 2015
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PERPIGNAN
N° RG 13/02587
APPELANTS :
Monsieur [W] [V], agissant tant en son nom personnel qu'en qualité d'héritier de [I] [V] et de [T] [V], lui-même héritier de [I] [V]
né le [Date naissance 6] 1976 à [Localité 19] (31)
de nationalité Française
[Adresse 7]
[Localité 14]
Représenté par Me Clémence BELLOT de la SCP TRIBILLAC - MAYNARD - BELLOT, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES
Monsieur [I] [V], assisté par l'UDAF de la CHARENTE MARITIME prise en sa qualité de curateur, décédé le [Date décès 5] 2020
né le [Date naissance 3] 1986 à [Localité 15]
de nationalité Française
INTIMEE :
SCP JEAN-PHILIPPE AMIGUES ET [Y] [H]
[Adresse 11]
[Localité 13]
Représentée par Me Raymond ESCALE de la SCP VIAL-PECH DE LACLAUSE-ESCALE- KNOEPFFLER-HUOT-PIRET-
JOUBES, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES substitué par Me Marjorie AGIER, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTERVENANTES :
Madame [E] [V], mineure représentée par sa représentante légale [L] [J] épouse [V], prise en sa qualité d'héritière de [I] [V] décédé le [Date décès 5] et [T] [V] décédé le [Date décès 8], lui-même héritier de [I] [V]
née le [Date naissance 10] 2010 à [Localité 17]
de nationalité Française
[Adresse 9]
[Localité 12]
Représentée par Me Jacques Henri AUCHE de la SCP AUCHE HEDOU, AUCHE - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER substitué par Me Christine AUCHE HEDOU, avocat au barreau de MONTPELLIER
Madame [L] [J] [V] agissant tant en son nom personnel en qualité de conjoint survivant de [T] [V] lui-même héritier de [I] [V], qu'ès qualités de représentante légale de sa fille mineure [E] [V] héritière de [I] [V] et de [T] [V] lui-même héritier de [I] [V].
née le [Date naissance 1] 1982 à [Localité 16] (94)
de nationalité Française
[Adresse 9]
[Localité 12]
Représentée par Me Jacques Henri AUCHE de la SCP AUCHE HEDOU, AUCHE - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER substitué par Me Christine AUCHE HEDOU, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 30 Août 2022 révoquée avant l'ouverture des débats et nouvelle clôture fixée au 20 septembre 2022.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 SEPTEMBRE 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Thierry CARLIER, Conseiller faisant fonction de Président, chargé du rapport et M. Fabrice DURAND, Conseiller.
Ce(s) magistrat(s) a (ont) rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Thierry CARLIER, Conseiller faisant fonction de Président, en remplacement du Président empêché
M. Fabrice DURAND, Conseiller
Mme Emmanuelle WATTRAINT, Conseillère
Greffier lors des débats : Mme Sabine MICHEL
ARRET :
- contradictoire,
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Monsieur Thierry CARLIER, faisant fonction de Président de chambre en remplacement du président empêché, et par Mme Sabine MICHEL, Greffier.
*
* *
EXPOSE DU LITIGE :
Madame [D] [F], épouse [V], est décédée à [Localité 19] le [Date décès 4] 1993 en laissant pour lui succéder son mari, Monsieur [T] [V], et ses deux enfants [W] et [I] [V].
En 2006, alors que la succession n'était toujours pas liquidée, Monsieur [T] [V] a sollicité les services de Maître [Y] [H], notaire, afin de faire valoir ses droits sur la maison qu'il possédait en communauté avec Madame [D] [V], sise « [Adresse 2] ».
Le 26 juillet 2006, le notaire a dressé un projet de notoriété faisant valoir l'absence de dispositions testamentaires émanant de Madame [D] [V].
A cette même date, les enfants ont régularisé un legs verbal, en indiquant que leur mère aurait manifesté son intention de léguer l'usufruit de ses biens meubles et immeubles à Monsieur [T] [V].
C'est ainsi que Monsieur [T] [V] s'est vu attribuer sur la maison les 8/16 ème en pleine propriété et les 8/16 ème en usufruit, ses deux enfants ne bénéficiant chacun que du 4/16 ème en nue-propriété.
Par acte du 20 juin 2012, Monsieur [T] [V] a vendu la maison pour le prix de 185.000 euros dont 138.750 euros lui sont revenus et 46.250 euros ont été partagés entre les enfants.
Par acte d'huissier délivré le 5 juillet 2013, Monsieur [W] [V] et Monsieur [I] [V] ont assigné l'étude notariale, à savoir la SCP Jean-Philippe Amigues et [Y] [H], en responsabilité au visa de l'ancien article 1382 du code civil, reprochant à Maître [H] d'avoir manqué à son obligation de conseil et d'information.
Par jugement contradictoire rendu le 7 avril 2015, le tribunal de grande instance de Perpignan a :
- Constaté la prescription de l'action de M. [W] [V] et M. [I] [V] à la date de l'assignation ;
- En conséquence, débouté les demandeurs ;
- Condamné M. [W] [V] et M. [I] [V] à payer à la SCP Amigues-[H] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Le 26 mai 2015, Monsieur [W] [V] et Monsieur [I] [V] ont interjeté appel de ce jugement à l'encontre de la SCP Amigues-[H].
Par un arrêt avant-dire droit rendu le 5 septembre 2019, la première chambre civile de la cour d'appel de Montpellier a infirmé le jugement déféré en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, a :
- Dit que l'action de Monsieur [W] [V] et Monsieur [I] [V] n'est pas prescrite ;
- Déclaré en conséquence cette action recevable ;
- Dit que Maître [Y] [H] a manqué à son devoir de conseil et d'information à l'égard de Monsieur [W] [V] et Monsieur [I] [V] ;
- Ordonné la réouverture des débats et renvoyé l'affaire à l'audience du 18 février 2020 afin de permettre aux parties de conclure sur le préjudice lié à la perte de chance de Monsieur [W] [V] et Monsieur [I] [V].
Monsieur [I] [V] est décédé le [Date décès 5] 2020.
Le 23 juin 2020, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Montpellier a enjoint les parties à régulariser la procédure à l'égard des héritiers de Monsieur [I] [V] avant le 3 août 2020 soit par reprise d'instance par les héritiers, soit par appel en la cause des héritiers par les intimés.
Monsieur [T] [V], également héritier, est décédé le [Date décès 8] 2021.
L'acte de notoriété relatif à la succession de Monsieur [T] [V] a été signé le 14 février 2022, et l'attestation de dévolution successorale relative à la succession de Monsieur [I] [V] a finalement été établie le 21 avril 2022.
Suivant exploit d'huissier du 29 avril 2022, Monsieur [W] [V] a assigné en intervention forcée Madame [L] [J] épouse [V] en sa qualité d'héritière de Monsieur [T] [V], lui-même héritier de Monsieur [I] [V], et en sa qualité de représentante légale de sa fille mineure [E] [V], elle-même héritière de Monsieur [T] [V] et Monsieur [I] [V].
Vu les conclusions de Monsieur [W] [V], agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'héritier de Messieurs [I] [V] et [T] [V], lui-même héritier de Monsieur [I] [V], remises au greffe le 24 juin 2022 ;
Vu les conclusions de Madame [L] [J] épouse [V] remises au greffe le 21 juin 2022 ;
Vu les conclusions de la SCP Jean-Philippe Amigues et [Y] [H] remises au greffe le 21 juillet 2022 ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 30 août 2022.
Vu l'ordonnance de révocation de clôture et prononçant une nouvelle clôture du 20 septembre 2022 afin d'accueillir les nouvelles conclusions déposées le 19 septembre 2022 et la note en délibéré déposée le 22 septembre 2022 par les conseils de Monsieur [W] [V] et de Madame [L] [J] épouse [V] pour régularisation de la qualité à agir des parties et rectification du prénom de Monsieur [T] [V].
MOTIFS DE L'ARRÊT :
Au préalable, il convient de rappeler que l'affaire revient, après que la cour ait retenu la responsabilité du notaire en jugeant que Maître [H] avait manqué à son devoir de conseil et d'information à l'égard d'[W] et [I] [V], sur la détermination du préjudice résultant de la perte de chance pour ces derniers de ne pas avoir signé l'acte de délivrance du legs verbal du 26 juillet 2006.
Maître [H] soutient d'une part que c'est en pleine connaissance de cause que les enfants ont souhaité que leur père bénéficie de cette délivrance de legs verbal qui leur avait été pleinement expliqué, d'autre part que la mise en oeuvre d'un simple droit d'usage et d'habitation n'aurait en réalité rien changé à la situation financière des enfants [V] qui n'auraient pu, dans un cas comme dans un autre, obliger leur père à vendre cet immeuble et donc à en tirer un quelconque profit.
En l'espèce, il convient en premier lieu de rappeler que la cour a déjà jugé qu'aucune mention dans les actes litigieux ne permettait d'établir que le notaire aurait attiré l'attention des enfants [V] sur les conséquences du legs verbal par rapport au simple droit d'usage et d'habitation, la cour soulignant sur ce point que le devoir de conseil et d'information du notaire était en outre renforcé par l'état de fragilité psychologique des deux enfants au moment de la signature de l'acte du 26 juillet 2006.
Par conséquent, Maître [H], qui ne conteste plus sa faute, ne peut continuer à soutenir que c'est en pleine connaissance de cause que les enfants ont souhaité que leur père bénéficie de la délivrance d'un legs verbal.
Par ailleurs, la circonstance que les enfants [V] ne pouvaient obliger leur père à vendre l'immeuble, que ce dernier bénéficie d'un simple droit d'usage et d'habitation ou d'un usufruit, est exact mais totalement indifférente, le préjudice des appelants résultant en l'espèce de la perte de chance de ne pas avoir bénéficié d'une information complète quant aux conséquences du legs verbal consenti à leur père sur les droits de chacun des héritiers.
En effet, comme le reconnaît le notaire lui-même, le souhait des enfants était de permettre à leur père de pouvoir continuer à vivre dans sa maison mais non d'accorder à ce dernier un avantage supplémentaire dans le cadre de la vente de l'immeuble.
Si les enfants [V] avaient été informés par le notaire des conséquences de la délivrance du legs verbal tel que prévu dans l'acte du 26 juillet 2006 par rapport à la simple application des dispositions de l'article 764 du code civil, ils n'auraient certainement pas consenti à cet acte alors même que leur père pouvait bénéficier, conformément à leurs souhaits, d'un droit d'usage et d'habitation sans que cela ne diminue leurs propres droits et en particulier leur part d'usufruit.
Dans ces conditions, la probabilité que les enfants [V] aient refusé de consentir au legs verbal est quasi-certaine, la perte de chance de ne pas consentir ce legs résultant du défaut d'information du notaire pouvant en conséquence être évaluée à 75 %.
Monsieur [T] [V], compte tenu du legs verbal, a vu sa part d'usufruit portée à la somme de 46 250 euros alors qu'il n'aurait pu prétendre, en l'absence d'un tel legs, qu'au quart de l'usufruit, soit à une somme de 11 572,50 euros.
La perte d'usufruit des enfants [V] s'élève donc à la somme de 34 687,50 euros.
Compte tenu de la perte de chance retenue à hauteur de 75 %, leur préjudice peut être évalué à la somme de 26 015,62 euros , soit 13 007,81 euros correspondant au préjudice de Monsieur [W] [V] et 13 007,81 euros correspondant au préjudice de la succession de Monsieur [I] [V] que la SCP Jean-Philippe Amigues et Maître [Y] [H] seront condamnés à leur payer.
Ces sommes seront assorties des intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 2013, date de l'assignation délivrée au notaire.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Condamne la SCP Jean-Philippe Amigues et Maître [Y] [H] à payer :
- la somme de 13 007,81 euros à Monsieur [W] [V],
- la somme de 13 007,81 euros aux héritiers et ayant-droits composant la succession de Monsieur [I] [V], décédé à [Localité 18] (17) le [Date décès 5] 2020 ,
Dit que ces sommes seront assorties des intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 2013 ;
Condamne la SCP Jean-Philippe Amigues et Maître [Y] [H] aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec autorisation de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile;
Condamne la SCP Jean-Philippe Amigues et Maître [Y] [H] à payer au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour leurs frais engagés en première instance et en appel :
- 3000 euros à Monsieur [W] [V] ,
- 3000 euros aux héritiers et ayant-droits composant la succession de Monsieur [I] [V], décédé à [Localité 18] (17) le [Date décès 5] 2020.
Le greffier, Le conseiller faisant fonction de président,