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20/10/2022 | FRANCE | N°18/01459

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 2e chambre de la famille, 20 octobre 2022, 18/01459


Grosse + copie

délivrées le

à













COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



2e chambre de la famille



ARRET DU 20 OCTOBRE 2022



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 18/01459 - N° Portalis DBVK-V-B7C-NSUM



ARRET N°



Décision déférée à la Cour :

Jugement du 08 FEVRIER 2018

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE NARBONNE

N° RG 15/01720



APPELANTS :



Monsieur [L] [E]

[Adresse 2]

[Loc

alité 13]

Représenté par Me RICHAUD loco Me Yann GARRIGUE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et par Me Delphine DUMOULIN avocat au barreau de GRENOBLE avocat plaidant



Monsieur [F] [P]

né le 03 Décembre 1940 à [Local...

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre de la famille

ARRET DU 20 OCTOBRE 2022

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 18/01459 - N° Portalis DBVK-V-B7C-NSUM

ARRET N°

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 08 FEVRIER 2018

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE NARBONNE

N° RG 15/01720

APPELANTS :

Monsieur [L] [E]

[Adresse 2]

[Localité 13]

Représenté par Me RICHAUD loco Me Yann GARRIGUE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et par Me Delphine DUMOULIN avocat au barreau de GRENOBLE avocat plaidant

Monsieur [F] [P]

né le 03 Décembre 1940 à [Localité 14]

de nationalité Française

décédé le 26 octobre 2018

INTIMES :

Monsieur [W] [P]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représenté par Me Muriel TEXIER, avocat au barreau de MONTPELLIER

FONDATION D'AUTEUIL

[Adresse 8]

[Localité 11]

Représentée par Me Paola BELLOTTI avocat au barreau de NARBONNE avocat postulant et par Me Valérie COURTOIS avocat au barreau de PARIS avocat plaidant

SOCIETE DE SAINT VINCENT DE PAUL

[Adresse 3]

[Localité 10]

Représentée par Me Paola BELLOTTI, avocat au barreau de NARBONNE avocat postulant et par Me Valérie COURTOIS avocat au barreau de PARIS avocat plaidant

INTERVENANTES :

Madame [Y] [O] [I] [P] épouse [C],

en sa qualité d'héritière de M. [P] [F]

née le 27 Juillet 1963 à [Localité 12]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 9]

Représentée par Me SELMO loco Me Bruno BLANQUER, avocat au barreau de NARBONNE

Madame [R] [I] [M] [P] divorcée [S],

en sa qualité d'héritière de M. [P] [F]

née le 28 Novembre 1964 à DAKAR (SENEGAL)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me SELMO loco Me Bruno BLANQUER avocat au barreau de NARBONNE

Ordonnance de clôture du 17 Août 2022

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 SEPTEMBRE 2022,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant la Conseillère chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme S. DODIVERS, Présidente de chambre

Mme K. ANCELY, Conseillère

Mr Y. BLANC-SYLVESTRE, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Greffier lors des débats : Mme D. IVARA

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Mme K. ANCELY en remplacement de Mme S. DODIVERS, Présidente de chambre empêchée en application de l'article 456 du Code de Procédure Civile et par Mme D. IVARA, Greffière.

*

**

EXPOSÉ DU LITIGE

Par testament olographe du 16 février 2010, Madame [A] [J], propriétaire d'un appartement sis à [Localité 13], de divers comptes et placements bancaires à la Poste et à la Société Générale, et d'un contrat AFER a disposé de ses biens dans les termes suivants :

L'appartement et les comptes bancaires aux associations Les orphelins apprentis d'Auteuil et L'union des 'uvres françaises de Saint Vincent de Paul,

Le contrat AFER':

70% à M. [F] [P],

10% à M. [W] [P],

20% à M. [L] [E].

Par acte reçu par Maître [N], notaire, le 29 décembre 2010, Mme [J] a vendu cet appartement moyennant le prix de 190 000 € net vendeur s'appliquant au bien immobilier à concurrence de 180 000 € et aux meubles meublant à concurrence de 10 000 €.

Le 7 janvier 2011, la SCP notariale en charge de la vente de l'appartement a procédé au virement de 189 850 euros sur le compte ouvert à la Banque Postale au nom de Mme [J].

Par ordonnance du 8 mars 2011, le juge des tutelles du tribunal d'instance de Grenoble a placé Mme [J] sous le régime de la sauvegarde de justice et désigné M. [F] [P] mandataire spécial.

Le 23 mars 2011 un chèque de 180 000 €, signé par M. [F] [P], a été émis au profit du compte AFER de Mme [J] et tiré sur son compte bancaire.

Mme [J] est décédée le 7 avril 2011.

A la suite d'assignations délivrées par la Fondation d'Auteuil et la Société Saint Vincent de Paul à l'encontre de MM. [P] et M. [E] aux fins de voir annuler ce transfert d'argent, le juge du tribunal de grande instance de Narbonne par décision en date du 8 février 2018, a :

- constaté le caractère abusif de l'opération ayant consisté à émettre un chèque de 180000 euros à l'ordre de AFER le 23 mars 2011 et annulé l'opération,

- condamné M. [F] [P] à régler à la Fondation Apprentis d'Auteuil et à la Société de Saint-Vincent-de-Paul la somme de 126 000 €,

- condamné M. [W] [P] à régler à la Fondation Apprentis d'Auteuil et à la Société de Saint-Vincent-de-Paul la somme de 18 000 €,

- condamné M. [L] [E] à régler à la Fondation Apprentis d'Auteuil et à la Société de Saint-Vincent-de-Paul la somme de 36 000 €,

avec intérêts au taux légal

- condamné MM. [P] et M. [E] à régler chacun une somme de 1000 € au profit de chacune des 'uvres,

- ordonné l'exécution provisoire

- condamné MM. [P] et M. [E] aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Bellotti en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Par déclaration au greffe en date du 19 mars 2018, M. [F] [P] a interjeté appel limité de cette décision en ce qu'elle a :

- constaté le caractère abusif de l'opération ayant consisté à émettre un chèque de 180 000 euros à l'ordre de AFER le 23 mars 2011 et annulé l'opération,

- condamné M. [F] [P] à régler à la Fondation Apprentis d'Auteuil et à la Société de Saint-Vincent-de-Paul la somme de 126 000 €,

- condamné MM. [P] et M. [E] à régler chacun une somme de 1 000 € au profit de chacune des 'uvres,

- condamné MM. [P] et M. [E] aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Bellotti en application de l'article 699 du code de procédure civile.

M. [E] a également interjeté appel de la décision. Les deux procédures enregistrées sous les numéros 18/1459 et 18/1738 ont fait l'objet d'une jonction sous le premier numéro.

M. [F] [P] est décédé en cours de procédure le 24 octobre 2018. Il laisse pour lui succéder ses filles Mmes [R] et [Y] [P], intervenant volontairement à la procédure.

Dans leurs dernières conclusions en date du 4 juillet 2022, elles demandent à la cour de :

- donner acte à Mmes [P] de leur intervention volontaire en qualité d'héritières acceptant la succession de leur père,

A titre principal,

- déclarer Mmes [P] recevables et fondées en leur appel,

- juger que le légataire à titre particulier d'un bien ne peut recevoir la chose léguée que dans l'état dans lequel où elle se trouve au jour du décès du donateur,

- juger que la Fondation d'Auteuil et la Société Saint Vincent de Paul n'ont pas qualité pour agir en annulation de l'opération ayant consisté à émettre un chèque de 180.000 € à l'ordre de l'AFER le 23 mars 2011, soit antérieurement au décès de Mme [J],

- juger La fondation d'Auteuil et la Société Saint Vincent de Paul irrecevables en leurs demandes et les en débouter,

- réformer le jugement du 8 février 2018 qui a fait droit à la demande de la Fondation d'Auteuil et la Société Saint Vincent de Paul en annulation des opérations bancaire du 23 mars 2011 et qui a condamné M. [F] [P] au paiement de la somme de 1000 € au titre de l'article 700 et aux dépens,

- débouter la Fondation d'Auteuil et la Société Saint Vincent de Paul de leur demande de confirmation du jugement en toutes ses dispositions et de condamnation solidaire de Mmes [P] au paiement de la somme de 126 000€ avec les intérêts au taux légal à compter du jugement entrepris,

A titre subsidiaire,

- juger que la Fondation d'Auteuil et la Société Saint Vincent de Paul ne rapportent pas la preuve d'une fraude ni d'une faute de gestion de la part de M. [F] [P] dans l'exécution de son mandat spécial,

- juger que l'opération bancaire réalisée par M. [F] [P] le 23 mars 2011 participait d'une bonne gestion des affaires de Mme [J], n'est pas constitutive d'une fraude et est conforme à son mandat spécial,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a annulé le versement réalisé le 23 mars 2011 en vertu du principe «'fraud omnia corrumpit'» en l'absence de fraude de M. [F] [P], et l'a condamné au paiement de la somme de 126 000 € ainsi que 1000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,

- débouter la Fondation d'Auteuil et la Société Saint Vincent de Paul de leur demande de confirmation du jugement en toutes ses dispositions et de condamnation solidaire de Mmes [P] au paiement de la somme de 126 000 € avec les intérêts au taux légal à compter du jugement entrepris,

En tout état de cause,

- condamner la Fondation d'Auteuil et la Société Saint Vincent de Paul au paiement de la somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

- débouter M. [W] [P] de sa demande de condamnation solidaire de Mmes [P] au paiement de la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'appelant M. [L] [E], dans ses dernières conclusions en date du 26 juillet 2022, demande à la cour de :

- dire et juger recevable et bien fondé l'appel interjeté par M. [E],

- réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- juger que la Fondation d'Auteuil et la Société Saint Vincent de Paul n'ont aucune qualité pour agir en justice en raison de la caducité du legs de l'appartement et de l'absence de volonté de Mme [J] de les voir bénéficier du produit de la vente,

En conséquence,

- déclarer l'action intentée par la Fondation d'Auteuil et la Société Saint Vincent de Paul irrecevable,

A titre subsidiaire,

- juger que le legs consenti par Mme [J] à la Fondation d'Auteuil et la Société Saint Vincent de Paul est caduc,

- juger que la Fondation d'Auteuil et la Société Saint Vincent de Paul n'ont aucun droit sur la contre-valeur en argent du legs,

En conséquence,

- rejeter l'action intentée par la Fondation d'Auteuil et la Société Saint Vincent de Paul,

- dire et juger que la fraude n'est pas prouvée,

En conséquence,

- rejeter l'action intentée par la Fondation d'Auteuil et la Société Saint Vincent de Paul,

- juger que le principe «'pas de nullité sans texte'» fait obstacle à ce qu'une nullité soit prononcée,

En conséquence,

- dire que l'annulation de l'acte réalisé le 23 mars 2011 ne pouvait pas être prononcée,

-juger que M. [E] était un tiers de bonne foi à l'opération réalisée le 23 mars 2011,

- juger que la complicité de M. [E] à la supposée opération de fraude n'est pas prouvée,

-juger qu'une nullité absolue ne pouvait être encourue et en conséquence que l'annulation ne pouvait rejaillir sur M. [E],

- juger que si M. [F] [P] a commis une faute seule sa responsabilité est engagée,

-juger que l'annulation de l'acte du 23 mars 2011 ne pouvait être prononcée,

A titre infiniment subsidiaire,

- donner acte à la Fondation d'Auteuil et la Société Saint Vincent de Paul qu'elles reconnaissent que M. [E] ne devrait s'acquitter que de la somme de 17 445 €,

En conséquence,

- dire et juger que la condamnation à prononcer envers M. [E] sera ramenée à la somme de 17 445 € eu égard à l'imposition prélevée sur la somme de 36 000 €,

- réformer la décision en ce qu'elle a condamné M. [E] à verser à la Fondation d'Auteuil et la Société Saint Vincent de Paul la somme de 1000 € à chacune en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance,

En tout état de cause,

- condamner la Fondation d'Auteuil et la Société Saint Vincent de Paul à payer à M. [E] la somme de 2500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Lexavoue, avocat.

L'intimé M. [W] [P], dans ses conclusions récapitulatives en date du 1er février 2022, demande à la cour de :

- prononcer la mise hors de cause de M. [W] [P],

A titre subsidiaire,

- débouter la Fondation d'Auteuil et la Société Saint Vincent de Paul, M. [E] et Mmes [P] de l'intégralité de leurs prétentions à son encontre,

- condamner M. [E] et Mmes [P] solidairement à verser à M. [W] [P] la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Les intimées la Fondation d'Auteuil et la Société Saint Vincent de Paul, dans leurs conclusions récapitulatives en date du 4 juillet 2022, demandent à la cour de :

- déclarer irrecevables et mal fondés M. [E] et M. [F] [P] aux droits duquel viennent aujourd'hui Mmes [P] en leur appel,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 8 février 2018,

- débouter M. [W] [P] de sa demande tendant à être mis hors de cause,

Y ajoutant,

- condamner solidairement Mmes [P] à régler à la Fondation d'Auteuil et la Société Saint Vincent de Paul la somme de 126.000 € avec les intérêts au taux légal à compter du jugement du 8 février 2018,

- condamner solidairement Mmes [P] à régler à chacune des 'uvres la somme de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner solidairement avec M. [E] aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de Maître Bellotti, avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile,

- les débouter de l'ensemble de leurs demandes,

- débouter M. [E] de l'ensemble de ses demandes.

Pour un plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 17 août 2022.

SUR QUOI LA COUR

Il sera rappelé de manière liminaire que les décisions de donner acte sont dépourvues de caractère juridictionnel. Elles ne formulent aucune constatation et ne confèrent aucun droit à la partie qui les a requis et obtenus. Il n'y a donc pas lieu de statuer sur la demande de donner acte telle que formulée par Mmes [P].

Sur les fins de non recevoir soulevées par Mmes [P]

Selon l'article 1018 du code civil, la chose léguée sera délivrée avec les accessoires nécessaires et dans l'état où elle se trouvera au jour du décès du donateur.

Se fondant sur cet article ainsi que sur l'article 122 du code de procédure civile, Mmes [P] soutiennent que la Fondation d'Auteuil et l'association Société Saint Vincent de Paul n'ont pas qualité pour agir en annulation de l'opération bancaire réalisée du compte courant vers le contrat d'assurance vie, considérant que la modification du solde du compte courant s'impose à elles puisque réalisée antérieurement au décès de la légatrice.

Par ailleurs, Mmes [P] soutiennent que la Fondation d'Auteuil et l'association Société Saint Vincent de Paul n'ont pas qualité pour agir dans la mesure où seule Mme [J], et après son décès ses héritiers, pouvait engager une action en nullité d'acte commis par le mandataire.

Mais, la Fondation d'Auteuil et l'association Société Saint Vincent de Paul ont un intérêt certain à agir dès lors qu'elles font valoir au soutien de leur demande que le solde du compte dont elles sont héritières, a été modifié de manière frauduleuse du vivant de Mme [J].

En conséquence, Mmes [P] doivent être déboutées de leurs fins de non recevoir.

Sur les fins de non recevoir soulevées par M. [L] [E]

M. [L] [E] soutient au visa des articles 1014, 1038 et 1042 du code civil que les intimées ne justifieraient pas d'un droit antérieur ou concomitant à l'acte frauduleux et que le legs portant sur l'appartement qui était la propriété de Mme [J], serait caduc au jour de la vente de l'appartement, l'objet du legs ayant péri pendant la vie du testateur. Il considère que la testatrice n'a entendu léguer que l'appartement désigné et non sa contre valeur en argent.

Mais, la qualité et l'intérêt à agir des intimées résultent de leur désignation dans le testament de Mme [J] comme bénéficiaires de l'appartement mais également des comptes bancaires. Les dispositions testamentaires ne souffrent aucune ambiguïté sur ce point et la vente de l'appartement antérieurement au décès et à la mise sous tutelle de Mme [J] est sans incidence sur la qualité à agir de la Fondation d'Auteuil et l'association Société Saint Vincent de Paul en tant que bénéficiaires des comptes bancaires.

Si l'appartement a été vendu le 29 décembre 2010, le produit de la vente a quant à lui été versé sur le compte bancaire de Mme [J] et le chèque litigieux a été émis par M. [P].

Considérant que l'émission de ce chèque est frauduleuse, les intimées ont parfaitement qualité et intérêt à agir au sens de l'article 31 précité.

En conséquence, les appelants sont déboutés des fins de non recevoir soulevées et la décision du 8 février 2018 confirmée s'agissant de la recevabilité de l'action intentée par la Fondation d'Auteuil et l'association Société Saint Vincent de Paul venant aux droits de l'Union des 'uvres françaises de Saint Vincent de Paul.

Sur la demande de mise hors de cause de M. [W] [P]

M. [W] [P] sollicite en cause d'appel sa mise hors de cause exposant avoir réglé la condamnation mise à sa charge par le premier juge sous le bénéficie de l'exécution provisoire, à savoir 18 000 euros.

Mais, M. [W] [P] ne peut être mise hors de cause en cause d'appel, quand bien même il a exécuté la première décision expliquant avoir encaissé le bénéfice du contrat d'assurance vie exposant sa bonne foi et l'ignorance de l'origine des fonds.

Cette demande de mise hors de cause doit être rejetée.

Sur la demande principale en annulation du chèque

La Fondation d'Auteuil et l'association Société Saint Vincent de Paul agissent sur le fondement de la fraude et font valoir l'adage «'fraud omnia corrumpit'».

Mmes [P] répliquent qu'il n'existe aucune preuve d'une fraude, que M. [F] [P] ignorait être l'un des bénéficiaires du contrat d'assurance-vie AFER, qu'il agissait conformément aux instructions reçues de Mme [J], qu'il ne pouvait savoir que l'état de santé de cette dernière se dégraderait aussi rapidement, que le versement du fruit de la vente de l'appartement était profitable à Mme [J] et lui permettait de financer la maison de retraite. Elles ajoutent que leur père n'a fait sortir aucune somme du patrimoine.

M. [L] [E] critique quant à lui le jugement dont appel en ce qu'il n'a pas caractérisé la fraude ajoutant qu'elle ne se présume pas.

Il convient toutefois de reprendre les éléments chronologiques suivants':

- le 29 décembre 2010, Mme [J] vend l'appartement désigné dans son testament

- le 7 janvier 2011, le produit de la vente soit 189 850 euros est viré sur le compte ouvert à la Banque Postale au nom de Mme [J]

- le 8 mars 2011, le juge des tutelles du tribunal d'instance de Grenoble ordonne le placement de Mme [J] sous le régime de la sauvegarde de justice et désigne M. [F] [P] mandataire spécial

- le 23 mars 2011, un chèque de 180 000 € signé par M. [F] [P] est émis du compte bancaire de Mme [J] placée sous sauvegarde vers le compte AFER de Mme [J]

- Mme [J] est décédée le 7 avril 2011, soit quinze jours après l'émission du chèque litigieux.

Il s'avère, malgré les affirmations de M. [F] [P] indiquées dans son courrier du 23 janvier 2015 (pièce 12 intimées) qu'il a agi sans avoir été mandaté par la justice.

Ainsi, le juge des tutelles a confirmé, par courrier du 13 avril 2015, n'avoir donné aucune autorisation d'acte de disposition et n'avoir nullement autorisé M. [F] [P] à transférer la somme de 180 000 euros du compte de la majeure protégée vers un contrat d'assurance-vie.

En transférant les fonds sans autorisation judiciaire préalable, M. [F] [P] a outrepassé les pouvoirs qui lui avaient été conférés par le juge des tutelles figurant dans sa mission de mandataire spécial.

En outre, contrairement à ce qu'il prétendait, M. [P] ne peut avoir agi en suivant les recommandations de Mme [J]. En effet, le dossier de tutelles produit aux débats, suite à une ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance du 3 novembre 2016, met en évidence l'inaptitude de Mme [J] à cette date. Le certificat médical du 12 janvier 2011 du Dr [X] indique que Mme [J] suite à une AVC survenu le 28 décembre 2010 a gardé un discret déficit hémi-corporel droit et des troubles du langage sévère altérant son expression et sa compréhension.

Il était également précisé que Mme [J] n'était pas en état d'exprimer sa volonté et que son droit de vote ne devrait pas être maintenu. A la lecture de ce certificat médical, le juge des tutelles a dispensé Mme [J] d'audition au motif qu'elle était hors d'état d'exprimer sa volonté.

Il apparaît ainsi, contrairement à ce que soutient M. [L] [E] dans son courrier du 20 janvier 2015, que Mme [J] ne peut avoir donné comme consigne à M. [P] de placer le produit de la vente de son appartement sur son contrat d'assurance-vie en vue de faire face au coût d'une maison de retraite ou de «'bien vivre'» et que seul, M. [P] a pris cette initiative, sans l'autorisation du juge des tutelles, en outrepassant son mandat spécial, et ce au préjudice des intimées et dans l'intérêt des seuls bénéficiaires du contrat d'assurance vie dont il fait partie.

En procédant de la sorte, M. [P] a agi frauduleusement.

Dès lors, en application de l'adage suivant lequel la fraude corrompt tout, l'opération bancaire est inopposable aux intimées, de sorte que M. [L] [E] ne peut faire valoir son absence d'implication personnelle dans l'opération frauduleuse pour s'opposer à toute restitution.

En conséquence, la décision du 8 février 2018 doit être confirmée sauf à condamner solidairement Mmes [R] et [Y] [P], venant aux droits de leur père.

Sur les sommes dues par M. [L] [E]

M. [E] fait valoir avoir perçu la somme de 17 445 euros au lieu de 36 000 euros en sa qualité de bénéficiaire du compte AFER, en raison de l'imposition à la source d'une valeur de 18 554,58 euros. Il estime dès n'avoir à rembourser aux intimées que la somme par lui perçue.

Mais, son imposition ne peut être opposée aux associations. Il doit restituer aux intimées la somme de 36 000 euros et il lui appartiendra de faire valoir le remboursement auquel il estime avoir droit auprès des services de l'État.

En conséquence, la décision critiquée l'ayant condamné à rembourser aux intimées la somme de 36 000 euros sera confirmée.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Messieurs [P] et [E] ont été condamnés en première instance à payer 1000 euros à chacun des 'uvres. La décision du 8 février 2018 sera également confirmée sur ce point.

Mmes [R] et [Y] [P], venant aux droits de M. [F] [P], et M. [L] [E], qui succombent, seront condamnés in solidum aux dépens d'appel dont distraction au profit de Maître Bellotti, avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Mmes [R] et [Y] [P], venant aux droits de M. [F] [P] seront également condamnées in solidum à payer la somme de 1800 euros à la Fondation d'Auteuil et la même somme à l'Union des 'uvres Françaises de Saint Vincent de Paul aujourd'hui Société de Saint Vincent de Paul.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, et après en avoir délibéré conformément à la loi, et en dernier ressort,

Déclare recevables la Fondation d'Auteuil et l'Union des 'uvres Françaises de Saint Vincent de Paul aujourd'hui Société de Saint Vincent de Paul';

Rejette la demande de mise hors de cause présentée par M. [L] [P]';

Confirme la décision prononcée le 8 février 2018 en toutes ses dispositions critiquées';

Y ajoutant

Condamne solidairement Mmes [R] et [Y] [P] venant aux droits de M. [F] [P], à régler à la Fondation d'Auteuil et la Société Saint Vincent de Paul la somme de 126 000 € avec les intérêts au taux légal à compter du jugement du 8 février 2018';

Condamne in solidum Mmes [R] et [Y] [P], venant aux droits de M. [F] [P], et M. [L] [E] aux dépens d'appel dont distraction au profit de Maître Bellotti, avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile';

Condamne in solidum Mmes [R] et [Y] [P], venant aux droits de M. [F] [P] à payer la somme de 1800 euros à la Fondation d'Auteuil et la même somme à l'Union des 'uvres Françaises de Saint Vincent de Paul aujourd'hui Société de Saint Vincent de Paul.

La greffièreP/ la présidente empêchée

D. IVARAK. ANCELY


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 2e chambre de la famille
Numéro d'arrêt : 18/01459
Date de la décision : 20/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-20;18.01459 ?
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