La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/10/2022 | FRANCE | N°19/02051

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 2e chambre sociale, 05 octobre 2022, 19/02051


Grosse + copie

délivrées le

à































COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



2e chambre sociale



ARRET DU 05 OCTOBRE 2022







Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 19/02051 - N° Portalis DBVK-V-B7D-OCPO



ARRET N°



Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 MARS 2019

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE DE BEZIERS - N° RG F 15/00092








APPELANTE :



Madame [O] [S]

née le 28 Décembre 1967 à [Localité 6] ([Localité 6])

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]



Représentée par Me Laurent PORTES substituant Me Xavier LAFON de la SCP LAFON PORTES, avocat au barreau de BEZ...

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 05 OCTOBRE 2022

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 19/02051 - N° Portalis DBVK-V-B7D-OCPO

ARRET N°

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 MARS 2019

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE DE BEZIERS - N° RG F 15/00092

APPELANTE :

Madame [O] [S]

née le 28 Décembre 1967 à [Localité 6] ([Localité 6])

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Laurent PORTES substituant Me Xavier LAFON de la SCP LAFON PORTES, avocat au barreau de BEZIERS

INTIMEE :

SA BASTIDA

[Adresse 7]

[Localité 3]

Représentée par Me Bernard BORIES de la SCP MAGNA BORIES CAUSSE CHABBERT CAMBON AQUILA BARRAL, avocat au barreau de BEZIERS

Ordonnance de clôture du 01 Juin 2022

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 JUIN 2022, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président

Monsieur Jacques FOURNIE, Conseiller

Madame Leïla REMILI, Vice-présidente placée

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Marie-Lydia VIGINIER

ARRET :

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par M. Jean-Pierre MASIA, Président, et par Mme Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.

*

**

EXPOSE DU LITIGE

Madame [O] [S] a été engagée par la SA Bastida, exerçant à l'enseigne Carrefour Market une activité de commerce à prédominance alimentaire à [Adresse 4], selon contrat de travail à durée déterminée de remplacement en qualité d'employée de caisse, puis par contrat à durée indéterminée en qualité de caissière, et, selon avenant au contrat de travail du 30 mars 2009, en qualité d'agent administratif, niveau IV, régi par la convention collective du commerce à prédominance alimentaire.

La salariée faisait parvenir à l'employeur le 14 septembre 2011 un certificat médical d'arrêt de travail pour accident du travail.

Le 14 novembre 2011 la caisse primaire d'assurance-maladie notifiait au parties le refus de prise en charge de Madame [O] [S] au titre de la législation sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

L'arrêt de travail de Madame [S] débuté le 20 août 2011 s'est prolongé jusqu'au 24 novembre 2014.

À l'occasion de la deuxième visite de reprise du 15 décembre 2014 madame [S] était déclarée par le médecin « inapte au poste d'agent administratif et à tous les postes de l'entreprise, capacités restantes : un poste en dehors de l'entreprise ».

Le 7 janvier 2015, l'employeur notifiait à la salariée son impossibilité à la reclasser.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 8 janvier 2015 la salariée était convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement prévu au 20 janvier 2015.

L'employeur notifiait à la salariée son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 23 janvier 2015.

Contestant initialement la validité du licenciement en raison d'un manquement de l'employeur à son obligation de recherche loyale et sérieuse de reclassement, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Béziers par requête du 20 février 2015. Elle invoquait en définitive devant le conseil de prud'hommes la nullité du licenciement en raison d'un harcèlement moral et subsidiairement la condamnation de l'employeur à lui payer différentes sommes au titre d'une rupture abusive de la relation travail.

Par jugement du 7 mars 2019, le conseil de prud'hommes de Béziers a débouté la salariée de l'ensemble de ses demandes.

Celle-ci a relevé appel de la décision du conseil de prud'hommes le 26 mars 2019.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 20 juin 2019, Madame [O] [S] conclut à la réformation du jugement entrepris, à titre principal à la nullité du licenciement en raison d'un harcèlement moral à propos duquel elle demande la condamnation de l'employeur à lui payer une somme de 20 000 € à titre de dommages-intérêts, à titre subsidiaire à l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement en raison d'un manquement de l'employeur à son obligation de recherche loyale et sérieuse des possibilités de reclassement et réclame indifféremment sur chacun de ces fondements la condamnation de l'employeur à lui payer une somme de 15 000 € à titre de dommages intérêts pour licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse ainsi qu'une somme de 2591,02 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 259,10 € au titre des congés payés afférents, et en tout état de cause à la condamnation de la SA Bastida à lui payer une somme de 1800 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à lui remettre un bulletin de paie et une attestation à destination de pôle-emploi rectifiés conformément à l'arrêt à intervenir, sous astreinte de cinquante euros par jour de retard et par document manquant ou erroné passé le délai de quinze jours suivant la signification de l'arrêt.

Dans ses dernières écritures notifiées par RPVA le 16 août 2021, la SA Bastida conclut à la confirmation du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Béziers, au débouté de la salariée de l'ensemble de ses demandes ainsi qu'à sa condamnation à lui payer une somme de 3000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture était rendue le 1er juin 2022.

SUR QUOI :

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L.1154-1 du même code prévoit, dans sa rédaction applicable à l'espèce, qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, madame [S] invoque les faits suivants :

- Madame [Y], chef de bureau et s'ur du président-directeur général Monsieur Bastida adoptait à son égard des méthodes de management constitutives d'un harcèlement moral. Elle lui faisait ainsi d'incessantes remarques désobligeantes visant à dénigrer son travail, lui laissant des petits mots blessants sur des papiers, et n'hésitant pas à la sanctionner arbitrairement lorsqu'elle allait dénoncer ses conditions de travail auprès du président directeur général,

- Madame [Y] ne l'a jamais formée à son poste refusant même catégoriquement de lui expliquer toute action nécessaire à l'accomplissement de sa tâche, lui donnant même parfois des injonctions contradictoires,

- Madame [Y] n'hésitait pas à la rabaisser continuellement, cherchant à l'humilier,

- Le 20 août 2011 vers 11h30 Madame [Y] lui a demandé d'appeler le transporteur Camedi pour confirmer une commande de carburant. Par la suite ce même transporteur lui répondait que la société n'avait effectué aucune commande chez lui. Consécutivement à cet appel, Madame [Y] s'était mise à rire en lui indiquant que la société n'avait pas commandé de carburant chez ce transporteur mais auprès de la société Eugedis et qu'elle n'avait qu'à vérifier les bons de commande.

-Alors qu'elle avait dénoncé à l'employeur ses difficultés relationnelles avec Madame [Y], sa situation ne faisait qu'empirer Madame [Y] lui demandant deux jours après cette dénonciation à reprendre la caisse pendant une matinée en guise de sanction,

-Elle n'a eu d'autre choix que de déposer plainte, et le procès-verbal de synthèse concluant à l'existence de raisons plausibles de présumer que le harcèlement moral avait été commis, le procureur de la république orientait initialement l'affaire vers une médiation pénale avant que Madame [Y] ne fasse en définitive l'objet d'un rappel à la loi,

-Ces agissements ont été à l'origine d'une dégradation de son état de santé dès le 20 août 2012 caractérisé par un stress réactionnel consécutif à ses difficultés professionnelles ayant nécessité un suivi médical et ayant conduit à sa déclaration d'inaptitude par le médecin du travail.

Pour étayer ses affirmations, madame [S] produit notamment :

- L'avenant au contrat de travail du 30 mars 2009 par lequel elle est nommée au poste d'agent administratif, revêtu de sa signature et portant la mention « lu et approuvé et je reconnais que cette transformation est volontaire ».

- Une attestation de Madame [M] [P] déclarant avoir démissionné de la société à cause des sautes d'humeur de Madame [Y].

-Une attestation de Madame [T] [D] indiquant avoir travaillé pendant vingt-huit ans et demi au sein de la société Bastida à [Adresse 4] et y avoir occupé le poste d'agent administratif jusqu'à l'arrivée de Madame [S], avoir vu tout au long de sa carrière Madame [Y] passer sa mauvaise humeur sur les employés avec lesquels il lui arrivait d'avoir des altercations auxquelles elle avait assisté, ajoutant que Madame [Y] « prend plaisir à humilier les employés en abusant de son pouvoir de direction qu'elle dénature par ses postures ». Elle précisait qu'à quelque mois de la retraite elle s'était conduite à son égard de façon odieuse et qu'elle avait terminé sa carrière, pour la première fois en arrêt maladie pour dépression nerveuse jusqu'à son admission à la position de retraite.

-Une attestation de Monsieur [E] [B], boucher au sein de la société Bastida à [Adresse 4], lequel indique avoir travaillé dans l'entreprise jusqu'à 2010 et avoir assisté à une scène où Madame [Y] avait mis Madame [S] plus bas que terre en déclarant « qu'elle s'occupe de son cul, qu'elle n'avait pas à toucher à l'ordinateur » alors qu'il avait demandé à celle-ci les horaires de travail des salariés du rayon, demande, à laquelle elle avait accédé. Il ajoute qu'elle l'humiliait fréquemment et qu'il l'avait vue plusieurs fois pleurer.

-La procédure consécutive à son dépôt de plainte pour harcèlement moral,

-le procès-verbal d'audition de Madame [H] [R] faisant état de l'obstruction qu'avait mise Madame [Y] à transmettre ses arrêts maladie, et que ne supportant plus l'ambiance créée par celle-ci, elle avait obtenu de Monsieur Bastida qu'il la licencie.

-Le procès-verbal d'audition de Madame [Y], laquelle sur la question posée par les enquêteurs relatives aux remontrances qu'elle pouvait lui faire avait expliqué : « à plusieurs reprises, elle s'est loupée et notamment un jour sur une commande de carburant' je suis un peu brusque et sèche quand je m'adresse aux employées mais pour moi rien à voir avec du harcèlement. Je pense que je dois me faire respecter en tant que chef d'entreprise' par contre si je peux me permettre de vous donner des coordonnées d'employés qui ont travaillé dans le bureau avec moi qui ne sont plus chez Carrefour, elles pourraient donner leur version des faits' les noms de ces dames sont [F] [W] et Madame [AK] [L]' »

-Le procès-verbal d'audition du 28 juillet 2012, aux termes duquel Madame [W] [F] déclarait : « Il y a quelque temps, j'ai reçu un coup de téléphone de Madame [Y] m'informant que j'allais très certainement être convoquée par vos services car elle avait été mise en cause par Madame [S] ' elle a dû penser que j'allais témoigner en sa faveur mais je n'y travaille plus car en réalité j'ai démissionné car c'était me rendre au travail avec une appréhension certaine... tout cela en relation avec Madame [Y] qui fait vraiment ses règles et ses lois dans l'entreprise' je tiens aussi à dire que lorsque Madame [S] m'avait informée qu'elle allait déposer plainte, elle n'a pas donné mon nom pour dire ce que j'en pensais car je travaillais encore à Carrefour et elle ne voulait pas me mettre dans une situation qui pour moi aurait été terrible. Comme Madame [Y] et [O] ne travaillaient ensemble que le vendredi et le samedi, souvent [O] retrouvait des mots sur son bureau et c'était des mots de réprimande' Il m'est arrivé de voir [O] partir en sanglot et même une fois elle a tapé dans un mur tellement Madame [Y] l'avait poussée à bout' »

-une attestation de Madame [L] [I], laquelle indique n'avoir jamais assisté à des paroles blessantes envers Madame [S] de la part de Madame [Y] et précise « ceci dit, il lui arrivait de lui faire quelques remarques mais c'est quand même la directrice donc je pense que cela est son rôle également. D'ailleurs elle en faisait à certains personnels lorsqu'ils se loupaient.' »

-La décision d'orientation en médiation pénale du procureur de la république et le certificat du Docteur [U] [C], psychiatre, indiquant que l'état de santé de madame [S] « ne lui permet pas d'assister à une confrontation dans le cadre d'une médiation avec sa supérieure hiérarchique sans risque d'aggraver sa santé ».

-L'avis de classement sans suite du procureur de la République précisant que le rappel à la loi a été suffisant pour faire cesser le trouble.

-Le certificat médical établi le 8 janvier 2013 par le Docteur [U] [C], psychiatre, au terme duquel il est indiqué à propos de Madame [S] « Cette personne, sans antécédent psychiatrique personnel ou familial, a décompensé sur un mode anxio-dépressif après un trouble cardiaque survenu brutalement au décours d'une dispute avec son chef de bureau. Depuis cet état psychique reste fragile et mal stabilisé malgré les différents traitements instaurés. Son état actuel et ses arrêts travail qui en découlent sont à l'origine, à mon sens en relation directe, avec cet accident du travail ».

- le bulletin de situation du centre hospitalier de [Localité 3] relatif à son admission aux urgences pour consultation le 20 août 2011 à 15h15 pour sensations douloureuses latéro-thoraciques gauches accompagnées de céphalées et de vertiges, le cardiologue de garde concluant à une lésion sous endocardique,

-le certificat d'arrêt travail du 21 août 2011 pour douleurs thoraciques et les certificats médicaux de prolongation d'arrêt travail,

-le certificat médical de situation établi le 22 août 2011 par le Docteur [A], cardiologue mentionnant que Madame [S] « est professionnellement stressée depuis quelques mois et a déjà eu des douleurs un peu atypiques à la marche. Durant la surveillance à la clinique du [5] les douleurs ne sont pas reproduites. Les troponines sont restées négatives. La coronographie rassurante' on peut donc éliminer formellement une évolutivité coronaire. On l'a rassurée du mieux possible' »

-la fiche établie par le médecin du travail à l'occasion de la deuxième visite de reprise du 15 décembre 2014 aux termes de laquelle, elle était déclarée par le médecin « inapte au poste d'agent administratif et à tous les postes de l'entreprise, capacités restantes : un poste en dehors de l'entreprise ».

-Un extrait du rapport d'enquête de la caisse primaire d'assurance-maladie aux termes duquel Monsieur Bastida indique que sa s'ur a fait des remarques à Madame [S] qu'il estimait justifiées, ajoutant qu'elle se montrait incompétente dans ses fonctions administratives alors qu'elle avait donné satisfaction dans son précédent poste et qu'elle avait été formée pour les fonctions nouvellement occupées qu'elle avait acceptées. Il déclarait également que Madame [S] était venue le voir afin d'évoquer les problèmes relationnels avec Madame [Y] mais qu'il n'avait pas parlé à celle-ci.

$gt;

Madame [S] établit avoir passé un appel téléphonique inutile à la société Camedi le 20 août 2011 à la suite duquel le transporteur lui indiquait qu'aucune commande de transport de carburant n'avait été faite à sa société. Elle explique avoir ressenti comme une humiliation l'attitude ironique de Madame [Y] dans cette situation, Madame [Y] elle-même concédant qu'elle pouvait être brusque et sèche et indiquant que la salariée s'était « loupée » notamment à cette occasion. Elle produit par ailleurs de nombreux documents médicaux, dont en particulier le certificat médical établi le 22 août 2011 par le cardiologue de la clinique du [5] évoquant l'incidence du stress professionnel de la salariée, doublé du certificat médical de la psychiatre traitante mentionnant l'absence d'antécédent psychiatrique personnel ou familial et l'existence d'une décompensation de Madame [S] sur un mode anxio-dépressif après un trouble cardiaque survenu brutalement au décours d'une dispute avec son chef de bureau ainsi que l'avis d'inaptitude établi par le médecin du travail précisant au titre des capacités restantes que Madame [S] serait apte « à un poste en dehors de l'entreprise ». Elle justifie aussi d'attestations de collègues de travail dont notamment monsieur [B] citant des propos injurieux tenus par Madame [Y] à l'égard de Madame [S] tandis que d'autres mettent en avant la récurrence d'attitudes humiliantes de madame [Y] à l'égard des salariés. Madame [W] [F], bien que désignée comme témoin susceptible de lui être favorable auprès des enquêteurs par Madame [Y] dans le cadre de l'enquête pénale faisait cependant état de nombreuse réprimandes dont madame [S] faisait l'objet de la part de madame [Y], et ajoutait que cela occasionnait parfois chez elle des sanglots. Enfin le président-directeur général lui même reconnaît dans le cadre de l'enquête diligentée par la caisse primaire d'assurance-maladie que Madame [S] était venue le voir afin d'évoquer les problèmes relationnels avec Madame [Y] mais qu'il n'avait pas parlé à celle-ci. Madame [S] établit ainsi l'existence matérielle de faits précis et concordants, qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

En défense, la SA Bastida fait valoir :

- que l'employeur n'a jamais été informé d'un problème de harcèlement moral qu'aurait subi la salariée et n'a jamais été destinataire d'une quelconque lettre, que dans le cas contraire il aurait pu prendre toute mesure utile si ces agissements avaient été avérés,

- que plusieurs témoins attestent que Madame [Y] n'a jamais eu de propos déplacés à l'égard de Madame [S], et qu'ils n'avaient jamais eux-mêmes subi de propos déplacés ou été harcelés par Madame [Y],

- que Madame [Y] avait été formée à son poste et qu'en tout cas ce poste correspondait à ses diplômes,

- que s'il est indiqué qu'en 2009 il aurait été demandé à Madame [S] de faire des bons d'achat ensuite de quoi Madame [Y] lui aurait dit de ne pas les faire et qu'elle aurait pu l'appeler avant, aucune pièce ne vient corroborer ses dires et que l'on voit mal même si ces faits étaient avérés et non prescrits en quoi ils constitueraient un harcèlement moral,

- que les attestations produites par la salariée ne présentent aucun caractère crédible, soit parce que les attestants ne pouvaient être témoins de ce qu'il relatent, soit parce qu'ils étaient en litige avec l'employeur,

A l'appui de ses moyens, la SA Bastida produit :

- une attestation de Madame [K] [G] laquelle indique que Madame [Y] n'a jamais eu de mots déplacés à l'encontre de membres du personnel, que si elle avait assisté à des remarques faites à Madame [S], celles-ci étaient justifiées par son manque de professionnalisme sans que cela ne relève d'insultes,

- une attestation de Madame [W] [F] en date du 23 janvier 2017 aux termes de laquelle celle-ci indique avoir travaillé dans l'entreprise au poste d'agent administratif de 2009 à 2012 dans le même bureau que Madame [S] et n'avoir jamais assisté à des insultes ou à une attitude pouvant laisser penser à du harcèlement moral de la part de Madame [Y]. Elle expliquait avoir réintégré la SA Bastida en janvier 2015 et travailler à nouveau en qualité d'agent administratif en collaboration étroite avec Madame [Y] sans aucun problème relationnel,

- une attestation de Madame [N] [MX] indiquant n'avoir jamais eu de problème relationnel avec Madame [Y] n'avoir jamais été témoin d'un comportement inapproprié de sa part alors qu'elle travaille dans l'entreprise depuis 2009,

- une attestation de Madame [L] [AK] laquelle indique avoir également travaillé dans le même service de 1999 à 2009 et n'avoir jamais été témoin d'insultes ou d'agressions verbales ou physiques de la part de Madame [Y] à l'égard de Madame [S],

-une attestation de Madame [Z] [X] indiquant n'avoir jamais été harcelée par Madame [Y] et n'avoir, contrairement à monsieur [B], jamais remarqué que Madame [S] ait pu pleurer alors qu'elle prenait son service à 8h30 comme cette dernière,

-une attestation de Madame [KM] [V] indiquant avoir été salariée de l'entreprise de 2007 à 2014 et avoir toujours entretenu de très bonnes relations professionnelles avec Madame [Y],

-une attestation de Madame [J] indiquant avoir passé dix ans dans l'entreprise sans être victime d'aucun harcèlement et n'avoir jamais été témoin d'un quelconque harcèlement vis-à-vis de Madame [S],

-une lettre de démission de Madame [M] [P] établie le 27 juin 2008 faisant valoir que sa demande était liée à un refus de demande de récupération pour une matinée du 30 juin 2008,

-un courrier aux termes duquel Madame [R] sollicite une rupture conventionnelle le 25 mai 2011 en raison de problèmes personnels et la lettre de licenciement pour faute grave du 11 juillet 2011 en raison d'une absence injustifiée depuis le 1er juin 2011,

-une lettre de licenciement pour faute grave de Monsieur [B] le 4 novembre 2010 en raison d'une absence de justification d'absence depuis le 14 septembre 2010.

Si l'employeur établit qu'il a été en litige avec deux des attestants au profit de Madame [Y], les licenciements pour faute grave de madame [R] et de monsieur [B], sont consécutifs à des absences non suivies de reprise pour l'un et à une demande de rupture conventionnelle non acceptée suivie d'une absence sans reprise pour la seconde, qui ne suffisent pas à établir que la situation décrite par ces salariés dans l'entreprise aient été infondée alors que Madame [Y] a elle-même reconnu devant les services d'enquête pouvoir être brusque et sèche lorsqu'elle s'adressait aux employés et qu'une salariée ayant travaillé pendant de très nombreuses années avec elle corrobore la situation de tension qu'elle pouvait créer dans l'entreprise. Or, tandis que les propos ainsi tenus, notamment le 20 août 2011, à l'égard de Madame [S] ont pu être perçus comme vexatoires par celle-ci, le revirement de Madame [F] dans ses dernières déclarations consécutives à sa réintégration dans l'entreprise aux côtés de Madame [Y], dont elle avait indiqué par ailleurs appréhender les réactions, ne permettent pas de donner davantage de crédit à sa dernière attestation qui ne suffit pas à exclure l'existence des situations qui avaient décrites aux policiers peu de temps après les faits. De plus, tandis que madame [S] a indiqué n'avoir pas été formée à son nouveau poste et justifie de précautions inhabituelles dans la rédaction des mentions de son avenant, l'employeur, qui affirme qu'elle était incompétente dans ses fonctions administratives, ne produit pas d'éléments relatifs à la mise en 'uvre de l'accompagnement éventuel de Madame [S] dans le cadre de l'adaptation à ses nouvelles fonctions. Madame [S] justifie par la production d'un extrait du rapport d'enquête de la caisse primaire d'assurance-maladie qu'elle avait en réalité dénoncé les faits à l'employeur en évoquant les problèmes relationnels qu'elle rencontrait avec Madame [Y] puisque celui-ci l'affirmait à l'enquêteur de la CPAM et déclarait également n'avoir pas parlé à Madame [Y]. Or, informé de la situation de la salariée, l'employeur ne justifie d'aucune investigation qu'il aurait pu entreprendre et il ne justifie non plus d'aucune mesure propre à faire cesser les agissements dénoncés ou à prévenir leur renouvellement. C'est pourquoi, alors que la salariée démontre par ailleurs, au travers de la juxtaposition des éléments médicaux émanant tant du cardiologue, que de la psychiatre ou du médecin du travail, l'existence d'une dégradation de son état de santé en lien direct avec les faits dénoncés et les méthodes de management mises en oeuvre au sein du service dirigé par madame [Y], la cour, à l'examen des pièces produites et des moyens débattus, retient que la SA Bastida échoue à démontrer que les faits matériellement établis par madame [S] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le harcèlement moral est par conséquent établi.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a débouté madame [S] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral, et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne la SA Bastida à payer à madame [S] la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral.

En application de l'article L.1152-3 du code du travail, le lien de causalité entre le harcèlement moral et l'inaptitude étant établi, le licenciement intervenu dans ce contexte est nul.

Compte tenu des circonstances telles qu'elles ressortent des pièces et des explications fournies et notamment de l'ancienneté de cinq ans et dix mois de la salariée dans l'entreprise ainsi que d'un salaire mensuel moyen des six derniers mois précédant la rupture non spécialement discuté de 1295,51 €, le préjudice résultant pour la salariée d'un licenciement nul peut être fixé à la somme de 7774 € correspondant à six mois de salaire dans la mesure où aucun élément n'est produit sur sa situation postérieurement à la rupture du contrat de travail.

La rupture du contrat de travail du fait de l'employeur ouvre également droit pour la salariée dont le licenciement a été annulé au bénéfice d'une indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 2591,02 €, correspondant à deux mois de salaire, outre 259,10 € au titre des congés payés afférents.

La remise d'un bulletin de paie et d'une attestation à destination de pôle-emploi rectifiés conformément au présent arrêt étant de droit, il convient de l'ordonner, sans pour autant qu'il y ait lieu au prononcé d'une astreinte.

Compte tenu de la solution apportée au litige, la SA Bastida supportera la charge des dépens ainsi que de ses propres frais irrépétibles et elle sera également condamnée à payer à Madame [S] qui a dû exposer des frais pour faire valoir ses droits la somme de 1500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement par arrêt réputé contradictoire mis à disposition greffe,

Infirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Béziers le 7 mars 2019 ;

Et statuant à nouveau,

Condamne la SA Bastida à payer à Madame [O] [S] les sommes suivantes :

'10 000 € à titre de dommages intérêts pour harcèlement moral,

'7774 € à titre d'indemnité pour licenciement nul,

'2591,02 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 259,10 € au titre des congés payés afférents,

Ordonne la remise par l'employeur à la salariée d'un bulletin de paie et d'une attestation à destination de pôle-emploi rectifiés conformément au présent arrêt;

Condamne la SA Bastida à payer à Madame [O] [S] une somme de 1500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Condamne la SA Bastida aux dépens ;

LA GREFFIÈRELE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 2e chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19/02051
Date de la décision : 05/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-05;19.02051 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award