Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
3e chambre civile
ARRET DU 07 JUILLET 2022
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 17/02277 - N° Portalis DBVK-V-B7B-NED5
ARRET N°
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 07 MARS 2017
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MONTPELLIER
N° RG 16/00390
APPELANTE :
CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE - SOFIAP venant aux droits de la SA SOCIETE FINANCIERE POUR L'ACCESSION A LA PROPRIETE (SOFIAP) RCS PARIS sous le N° 391 844 214, agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés ès qualités au siège social
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Me Yves Léopold KOUAHOU, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMEE :
SCP COULOMB DIVISIA CHIARINI
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Gilles LASRY de la SCP D'AVOCATS BRUGUES - LASRY, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 19 Avril 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 MAI 2022,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M.Thierry CARLIER, Conseiller faisant fonction de président de chambre et M. Fabrice DURAND, Conseiller, chargé du rapport.
Ce(s) magistrat(s) a (ont) rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Thierry CARLIER, Conseiller faisant fonction de Président M. Fabrice DURAND, Conseiller
Mme Marie-Claude SIMON, Vice-présidente placée par ordonnance du premier président en date du 20 avril 2022
Greffier lors des débats : Mme Sabine MICHEL
ARRET :
- contradictoire,
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par M. Thierry CARLIER, Conseiller, faisant fonction de Président et par Mme Sabine MICHEL, Greffier.
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EXPOSE DU LITIGE
Par acte authentique du 18 avril 2002, M. et Mme [W] ont contracté un prêt immobilier d'un montant de 54 576 euros auprès de la Société financière pour l'accession à la propriété (ci-après dénommée « SA SOFIAP ») aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la SA Crédit Immobilier de France.
Ce prêt était garanti par une hypothèque conventionnelle sur l'immeuble d'habitation des acquéreurs M. et Mme [W] cadastré A n°[Cadastre 4] sis [Adresse 1].
Les échéances du prêt n'étant plus payées depuis plusieurs mois, la SA SOFIAP a prononcé le 26 novembre 2009 la déchéance du terme du prêt et mis en demeure M. et Mme [W] de lui payer la somme de 46 752,33 euros.
Par courrier daté du 21 mars 2011 reçu le 4 avril 2011, la SA SOFIAP a confié à la SCP d'avocats Coulomb-Divisia-[O] la mission d'engager une procédure de saisie immobilière de l'immeuble hypothéqué en garantie du prêt de M. et Mme [W].
Reprochant à SCP Coulomb-Divisia-[O] une négligence dans le suivi du dossier, la SA SOFIAP a mandaté courant 2013 un nouveau conseil aux fins de mener cette procédure de saisie immobilière.
Après signification le 26 août 2013 à M. et Mme [W] d'un commandement de payer valant saisie immobilière, la SA SOFIAP a fait assigner Mme [W] le 19 novembre 2013 devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nîmes.
Par jugement du 30 janvier 2015, le juge de l'exécution statuant en matière de saisie immobilière a déclaré l'action prescrite depuis le 13 décembre 2011.
Aucun appel n'a été formé contre ce jugement.
Le 6 janvier 2016, la SA SOFIAP a fait assigner la SCP Coulomb-Divisia-Chiarini devant le tribunal de grande instance de Montpellier aux fins de voir engager sa responsabilité professionnelle en raison du préjudice causé par la perte de chance de recouvrer sa créance à l'encontre de M. et Mme [W].
Par jugement du 7 mars 2017, le tribunal de grande instance de Montpellier a :
' dit que Me [J] [O], avocate, avait commis en sa qualité d'associée de la SCP Coulomb-Divisia-[O], une faute dans l'exécution du mandat qui lui avait été confié par la S.A. SOFIAP ;
' jugé cependant qu'aucun préjudice n'avait été causé par cette faute à la société demanderesse ;
' débouté en conséquence la SA SOFIAPde ses entières demandes à l'encontre de la SCP Coulomb-Divisia-Chiarini ;
' débouté cette dernière de sa demande au titre des dispositions de l'article 700
du code de procédure civile ;
' condamné la SA SOFIAP aux entiers dépens de l'instance.
La SA SOFIAP a relevé appel total de ce jugement le 20 avril 2017 à l'encontre de la SCP Coulomb-Divisia-Chiarini.
Vu les dernières conclusions de la SA SOFIAP remises au greffe le 12 avril 2022 ;
Vu les dernières conclusions de la SCP Coulomb-Divisia-Chiarini remises au greffe le 15 avril 2022 ;
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 avril 2022.
MOTIFS DE L'ARRÊT
En application de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 applicable en l'espèce, l'avocat doit accomplir toutes les diligences utiles à la défense de son client et exercer pleinement son devoir de conseil au regard du but poursuivi par son client et conformément au droit positif en vigueur.
La SCP Coulomb-Divisia-Chiarini ne conteste pas avoir commis une faute de négligence dans la prise en charge de la mission qui lui avait été confiée par la SA SOFIAP le 4 avril 2011.
La faute de l'avocat telle qu'elle a été relevée par le jugement déféré est parfaitement caractérisée.
Toutefois, et ainsi que l'a exactement relevé le jugement déféré, il convient de rechercher si cette faute de l'avocat est en relation de causalité directe avec le préjudice allégué par la SA SOFIAP consistant en une perte de chance de voir aboutir sa procédure de saisie immobilière.
A la date de saisine de l'avocat par la SA SOFIAP le 4 avril 2011, l'action du prêteur professionnel à l'égard de l'emprunteur ayant la qualité de consommateur était soumise à l'article L. 137-2 du code de la consommation (devenu article L. 218-2 du même code) prévoyant un délai de prescription de deux ans.
Cette prescription spéciale s'appliquait en lieu et place de la prescription plus longue de droit commun ainsi que l'a rapidement affirmé la première chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt du 28 novembre 2012 (pourvoi n°11-26.508) validant ainsi la doctrine dominante sur cette question ainsi que la réponse ministérielle donnée le 21 avril 2009 dans le même sens.
L'applicabilité de cette prescription biennale était prévisible au regard des termes de la loi et de la doctrine dominante. Cette durée de deux ans est en outre proportionnée et ne porte pas atteinte à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme.
Il en résulte que la SA SOFIAP n'est pas fondée à se prévaloir de la prescription de cinq ans qui n'était pas applicable à l'action qu'elle exerçait en matière de crédit immobilier.
A cette même date du 4 avril 2011, la jurisprudence établie de la Cour de cassation en matière de prêt fixait le point de départ du délai de prescription à la date du premier incident de paiement non régularisé, et non à celle de la déchéance du terme ainsi que l'a inexactement retenu la décision rendue le 30 janvier 2015 par le juge de l'exécution de Nîmes.
Cette jurisprudence est demeurée inchangée jusqu'au 11 février 2016, date à laquelle la Cour de cassation a jugé que l'action en paiement des mensualités impayées se prescrivait à compter de leurs dates d'échéances successives, tandis que celle relative au capital restant dû se prescrivait à compter de la déchéance du terme.
En l'espèce, le délai de prescription a donc couru à compter du 31 janvier 2007, date du premier incident de paiement non régularisé figurant sur le décompte de la créance du 15 juin 2012 adressé le même jour à M. et Mme [W] qui ne l'ont jamais contesté.
A la date d'entrée en vigueur le 19 juin 2008 de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 qui a substitué à l'ancienne prescription décennale un délai de prescription abrégé de deux ans, la prescription n'était donc pas acquise selon l'ancienne règle.
Il résulte de l'article 26-II de la loi du 17 juin 2008 que le nouveau délai biennal s'est substitué à l'ancien délai de sorte qu'en l'espèce la prescription de l'action de la SA SOFIAP contre M. et Mme [W] était acquise au 19 juin 2010.
La procédure de surendettement de Mme [Z] [X] née [P], clôturée par jugement du tribunal d'instance de Nîmes du 23 octobre 2009 ayant confirmé la décision d'irrecevabilité prise le 29 janvier 2009 par la commission de surendettement du Gard, n'a pas affecté l'écoulement de ce délai de prescription.
De même, le jugement du juge de l'exécution de Nîmes du 30 janvier 2015 ayant retenu une prescription acquise au 13 décembre 2011 n'a acquis aucune autorité de chose jugée au regard de la présente action en responsabilité qui concerne un litige distinct et autonome opposant des parties différentes.
Il se déduit de ces développements qu'à la date du 4 avril 2011 à laquelle la SA SOFIAP a confié son dossier à la SCP Coulomb-Divisia-Chiarini, l'action en recouvrement était prescrite depuis le 19 juin 2010.
La procédure de saisie immobilière envisagée était donc vouée à l'échec de sorte que l'inaction de l'avocat n'a causé à sa cliente aucun préjudice de perte de chance de voir cette procédure de saisie immobilière prospérer.
Bien que l'avocat ait tardé à prendre en charge le dossier et bien qu'il ait omis d'informer son client sur l'obstacle juridique de la prescription, ces fautes n'ont aucunement privé la SA SOFIAP d'une quelconque chance de recouvrer sa créance sur M. et Mme [W].
En conséquence, le jugement déféré, dont les motifs exacts et pertinents sont expressément adoptés par la cour, sera confirmé en ce qu'il a constaté l'absence de préjudice de perte de chance subi par la SA SOFIAP.
Toutefois, ces mêmes fautes sont à l'origine d'un préjudice matériel distinct de la perte de chance subi par la SA SOFIAP dont elle demande réparation à titre subsidiaire dans ses écritures au titre des « frais consécutifs à la constatation de la prescription ».
Ce chef de préjudice matériel, totalement distinct d'un préjudice de perte de chance, est constitué par les frais d'administration du dossier par la banque ainsi que des frais engendrés par la procédure de saisie immobilière de manière totalement inutile, cette procédure étant inéluctablement vouée à l'échec du fait de l'acquisition de la prescription déjà intervenue.
Le lien de causalité directe et certaine entre la faute de l'avocat et ce chef de préjudice matériel est parfaitement établi dans la mesure où la SA SOFIAP n'aurait pas engagé ces frais inutiles si elle avait bénéficié d'une information correcte de la part de son avocat quant à la prescription acquise de l'action envisagée.
Ce préjudice matériel est évalué par la cour d'appel, à défaut d'éléments plus précis versés aux débats par la SA SOFIAP, à hauteur de 3 000 euros incluant sa condamnation aux dépens et à payer une indemnité de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nîmes du 30 janvier 2015.
En conséquence, le jugement sera partiellement infirmé en ce qu'il a retenu l'absence totale de préjudice subi par la SA SOFIAP et la SCP Coulomb-Divisia-[O] sera donc condamnée à payer la somme de 3 000 euros de dommages-intérêts à la SA SOFIAP.
Le jugement déféré sera également infirmé en ses dispositions relatives aux dépens de première instance.
L'intimée, qui succombe partiellement, sera condamnée à supporter les dépens de première instance et d'appel.
L'équité commande en outre de mettre à la charge de la SCP Coulomb-Divisia-Chiarini une indemnité de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement déféré en ses seules dispositions ayant retenu l'existence d'une faute commise par la SCP Coulomb-Divisia-[O] et ayant constaté l'absence de préjudice de perte de chance subi par la SA SOFIAP ;
L'infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau sur les dispositions infirmées,
Condamne la SCP Coulomb-Divisia-[O] à payer à la SA SOFIAP aux droits de laquelle se trouve désormais la SA Crédit Immobilier de France :
' 3 000 euros en réparation du préjudice matériel subi ;
' les entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés par Me Kouahou conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;
' 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en cause d'appel ;
Déboute les parties de leurs plus amples demandes.
Le greffier, Le conseiller faisant fonction de président,