Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
1re chambre de la famille
ARRET DU 1er JUILLET 2022
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 22/00327 - N° Portalis DBVK-V-B7G-PJAX
ARRET N°
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 16 DECEMBRE 2021
JUGE AUX AFFAIRES FAMILIALES DE CARCASSONNE
N° RG 19/00392
APPELANT :
Monsieur [G] [F]
né le 05 Juillet 1953 à [Localité 9] (MAROC)
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représenté par Me Françoise ROBAGLIA de la SCP ERIC NEGRE, MARIE-CAMILLE PEPRATX-NEGRE, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMEE :
Madame [H] [Y] divorcée [F]
née le 02 Octobre 1963 à [Localité 4]
de nationalité Française
Chez M. et Mme [Y] [P]
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me SOLERE-RIUS de la SELARL SOLERE-RIUS-COLOMBO, avocat au barreau de CARCASSONNE
Ordonnance de clôture du 10 Mai 2022 révoquée par une nouvelle ordonnance de clôture prononcée le 17 mai 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 MAI 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Magali VENET, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine KONSTANTINOVITCH, Présidente de chambre
Madame Magali VENET, Conseillère
Madame Nathalie LECLERC-PETIT, Conseillère
Greffier lors des débats : Madame Séverine ROUGY
ARRET :
- Contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Madame Catherine KONSTANTINOVITCH, Présidente de chambre, et par Madame Séverine ROUGY, greffière.
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EXPOSE DU LITIGE
Madame [H] [Y] et Monsieur [G] [F] ont contracté mariage le 12 janvier1989 à [Localité 8] (Algérie), sans contrat de mariage préalable. Ce mariage a été transcrit au Consulat Général de France à [Localité 8] le 22 avril 1989.
Trois enfants sont issus de cette union :
- [C], née le 10 février 1990 à [Localité 10] (Haute-Garonne),
- [D], né le 24 février 1991 à [Localité 7] (Tarn et Garonne),
- [U], [B], né le 28 décembre 1992 à [Localité 3] (Tarn).
Le divorce des époux [F]/[Y] a été prononcé le 15 octobre 2015 par le juge aux affaires familiales près le tribunal de grande instance de Carcassonne.
Par acte d'huissier en date du 14 mars 2019, Madame [H] [Y] fait assigner Monsieur [G] [F] devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Carcassonne afin de solliciter, au visa des dispositions de l'article 815 du code civil, de :
- constater l'échec de la tentative de partage amiable entre les Consorts [F]-[Y]
Par conséquent,
- ordonner les opérations de comptes, liquidation et partage du régime matrimonial ayant existé entre les ex époux,
- désigner tel Notaire qu'il plaira à la Juridiction de Céans pour procéder aux dites opérations,
- commettre un Juge chargé de surveiller les opérations,
- condamner Monsieur [F] à payer à Madame [Y] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- réserver les dépens.
Par ordonnance en date du 19 septembre 2019, le juge de la mise en état a ordonné une mesure de médiation civile, laquelle n'a pas abouti.
Par jugement en date du 16 décembre 2021, le juge aux affaires familiales a :
- Débouté Monsieur [G] [F] de sa demande tendant à voir dire et juger que les époux se sont mariés sous le régime du droit local algérien, à savoir la séparation de biens
- Ordonné la liquidation et le partage du régime matrimonial ayant existé entre Madame [H] [Y] et Monsieur [G] [F]
- Ordonné la réouverture des débats, la révocation de l'ordonnance de clôture et le renvoi de l'affaire a l'audience de mise en état dématérialisée du 03 février 2022 à 9 heures 30
- Demandé aux parties de conclure en droit et de produire les pièces justificatives nécessaires au succès de leurs prétentions, notamment s'agissant de la désignation d'un notaire sous la surveillance d'un juge commis, ainsi que pour chacune deux attestations de valeur actualisée concernant chacun des immeubles à partager
-Sursit à statuer dans l'attente sur les autres demandes.
Par déclaration en date du 18 janvier 2022, M. [F] a relevé appel de la décision en ce qu'elle l'a débouté de sa demande tendant à voir dire et juger que les époux sont mariés sous le régime du droit local algérien, à savoir la séparation de biens.
Dans ses dernières conclusions en date du 06 mai 2022 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, M. [G] [F] demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [F] de sa demande tendant à voir dire et juger que le époux sont mariés sous le régime du droit local algérien, à savoir la séparation de biens
- juger que le droit applicable à la liquidation et au partage des intérêts patrimoniaux des époux sera soumis au droit local algérien, à savoir la séparation de biens
- condamner Mme [H] [Y] à payer à M. [G] [F] une somme de 3000€ pour les frais par lui exposés dans la présente procédure et de la condamner aux entiers dépens dont distraction sur son affirmation de droit.
Dans ses dernières conclusions en date du 10 mai 2022 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, Mme [H] [Y] demande à la cour de :
- confirmer le jugement querellé par M. [F] en ce qu'il a débouté M. [F] de sa demande tendant à voir dire et juger que les époux étaient mariés sous le régime du droit local algérien à savoir la séparation de biens
- condamner M. [F] à payer à Mme [Y] la somme de 3000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est en date du 17 mai 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION:
Le mariage de M. [G] [F] et de Mme [H] [Y] a été célébré avant le 1er septembre 1992. Les règles françaises de conflit de loi donnent la primauté au principe de l'autonomie de la volonté pour déterminer leur régime matrimonial.
La loi applicable au régime matrimonial est la loi que les époux choisissent explicitement par contrat de mariage, et à défaut de contrat, la jurisprudence présume que leur volonté implicite est de choisir la loi interne de l'État dans lequel ils fixent leur premier domicile conjugal d'une manière stable et durable.
Cette présomption peut cependant être renversée s'il est établi que les époux ont eu la volonté, au moment du mariage, de se soumettre à une autre loi.
Au cas d'espèce, les époux n'ont pas choisi explicitement de régime matrimonial par contrat de mariage.
M. [F] fait valoir que les époux se sont mariés le 12 janvier 1989 à [Localité 8] en Algérie, qu'ils y ont vécu pendant quatre ans avec leurs trois enfants, qu'il s'agit de leur première résidence stable et durable et que la volonté des époux était de soumettre leur régime matrimonial au droit coutumier algérien, soit le régime de la séparation de biens.
Il précise avoir exercé sa profession de médecin dans un cabinet médical à [Localité 8] de 1984 à octobre 1993 et que suite à l'union, son épouse, qui était inscrite en qualité d'avocate au barreau d'Oran, vivait avec lui et travaillait au sein du cabinet de son père de 1987 à 1992.
Il mentionne que la famille souhaitait demeurer en Algérie mais qu'elle a été contrainte de quitter le pays en urgence à la fin de l'année 1993 sous la pression du terrorisme. Il précise que ce départ n'était pas préparé, et qu'il n'a pas retrouvé un poste de médecin en adéquation avec ses qualifications faute de validation professionnelle suffisante en France, qu'il a occupé des postes précaires, qu'il a dû s'inscrire à l'ANPE en qualité de demandeur d'emploi.
Il mentionne qu'il disposait dès sa naissance et lors du mariage, de la double nationalité algérienne et française, qui lui a par la suite été retirée car son père n'avait pas fait d'acte récognitif de nationalité française après l'indépendance, et qu'il n'est redevenu français qu'en 2009 par déclaration d'acquisition.
Il indique en outre que les époux disposaient de deux passeports, français et algérien, afin de voyager sans visa et que les trois enfants du couple sont nés en France pour des raisons liées à la sécurité sociale.
Il mentionne enfin que s'il a reconnu dans ses conclusions, lors du divorce, que les époux étaient mariés sous le régime de la communauté légale, il s'agissait d'une simple affirmation dépourvue de toute offre de preuve.
Mme [Y] fait valoir que la première résidence stable et durable des époux était située en France et que la loi française doit s'appliquer à leur régime matrimonial. Elle précise que si pour des raisons administratives M. [F] a temporairement perdu la nationalité française dont il disposait tout comme elle à sa naissance, ce dernier, après en avoir été informé, a entrepris des démarches auprès des autorités françaises afin d'en disposer à nouveau. Elle conteste que la famille a quitté l'Algérie pour fuir le terrorisme.
Elle indique que dès l'union, le couple avait pour projet de vivre durablement en France où elle a régulièrement séjourné entre 1989 et 1992 pour y préparer l'installation de la famille et donner naissance à leurs trois enfants afin qu'ils bénéficient de liens plus étroits avec la France. Elle mentionne que pendant ces périodes, le couple déclarait vivre à des adresses situées en France et qu'il ne disposait pas d'une adresse stable en Algérie, mais était hébergé à titre temporaire par les parents de l'un ou l'autre des époux.
Elle énonce qu'inscrite au barreau d'Oran avant son mariage, elle a cessé son activité professionnelle dès sa première grossesse et fait valoir que son époux, qui avait fait une partie de ses études en France, a passé un examen d'équivalence pour exercer en France où s'est déroulée la majeure partie de sa carrière.
Elle mentionne enfin que l'ensemble des intérêts pécuniaires des époux se situent en France, que leurs trois enfants y sont nés, qu'ils y ont toujours résidé et poursuivi leurs études.
Elle indique enfin que lors du divorce, M. [F] a reconnu être soumis au régime légal français et qu'il s'opposait même au versement d'une prestation compensatoire au motif qu'elle percevrait une somme conséquente suite à la liquidation de la communauté.
Réponse de la cour :
M. [F] verse aux débats diverses attestations mentionnant qu'il travaillait en qualité de médecin à [Localité 8] entre 1989 et 1994, certaines indiquant qu'il a quitté l'Algérie en raison du terrorisme, les témoignages ne faisant cependant allusion à aucune menace précise et personnelle qui l'aurait obligé à fuir précipitamment en France, Mme [Y] produisant des témoignages en sens contraire sur ce point.
S'il est justifié que son cabinet médical se situait à [Localité 8], aucun élément ne précise que la famille disposait suite au mariage d'un logement stable en Algérie, et l'une de ses attestations mentionne que son épouse séjournait occasionnellement en France, notamment lors de ses grossesses.
Il ressort en outre de son curriculum vitae qu'après avoir obtenu son diplôme de Docteur en médecine à [Localité 8], il a effectué sa spécialisation en France et obtenu avec succès l'équivalence du doctorat de médecine français en 1994. Il n'est fait état d'aucune période de chômage ou de précarité lors de son arrivée en France où il a exercé en qualité d'assistant de spécialité dans un service de médecine interne-diabétologie dès janvier 1994 avant de devenir attaché aux urgences dans un service de psychiatrie à [Localité 6] à compter d'août 1994, puis attaché à plein temps associé dans un service de gérontologie à compter de décembre 1994. Il apparaît ainsi qu'il travaillait déjà lorsqu'il s'est inscrit à l'ANPE en juillet 1994 et qu'il a démissionné d'un emploi pour en exercer un autre.
Il ressort de ces éléments que si M. [F] justifie qu'il a travaillé à [Localité 8] suite au mariage jusqu'à la fin de l'année 1993, il ne démontre pas que la famille y a fixé son premier domicile de façon stable et durable jusqu'à son départ en France en 1994 ni qu'il a dû quitter l'Algérie de façon précipitée à la fin de l'année 1993.
Mme [Y] démontre avoir effectué des séjours prolongés en France suite à l'union, notamment pendant plusieurs mois lors des périodes entourant la naissance des enfants communs, soit dans les quatre années qui ont suivi le mariage, sachant qu'il est justifié par l'attestation de son père qu'elle n'a plus exercé sa profession d'avocate en Algérie dès sa première grossesse, soit peu de temps après le mariage.
Elle démontre également que lors de la naissance de chacun des enfants, soit dès 1990, les époux déclaraient dans les actes de naissance, vivre à des adresses situées en France, sans aucune mention d'une autre adresse stable et durable en Algérie. Elle verse aux débats de nombreuses attestations mentionnant que dès l'union, le couple avait pour projet de s'installer durablement en France, que notamment son mari l'avait rejointe alors qu'elle séjournait en France à la fin de l'année 1992 pour préparer son équivalence professionnelle qu'il a obtenue en 1994.
Il apparaît également que les trois enfants du couple, nés en France alors que leur père travaillait encore en Algérie, ont effectué toute leur scolarité et leurs études supérieures en France, même s'ils ont séjourné régulièrement en Algérie pendant leur petite enfance. Par ailleurs, les époux disposent tous deux de la nationalité française sachant que M. [F] a entrepris des démarches pour l'acquérir à nouveau lorsqu'il a appris l'avoir perdue pour des raisons administratives.
Enfin, tous les biens et intérêts pécuniaires des époux sont situés en France, sachant que même si les déclarations de M. [F] lors du divorce selon lesquelles il reconnaissait être soumis au régime légal français ne constituait qu'une simple affirmation dépourvue d'offre de preuve, il n'en demeure pas moins que ce dernier a fondé son argumentation tendant à ce qu'aucune prestation compensatoire ne soit accordée à son épouse sur la possibilité pour cette dernière de disposer d'une somme conséquente suite au partage par moitié du patrimoine des époux qu'il désignait comme un patrimoine commun.
Il ressort de l'ensemble de ces éléments que dès l'union, les époux, qui ne disposaient pas d'un domicile personnel stable et durable en Algérie, avaient la volonté de s'installer durablement en France où ils ont déclaré vivre lors de la naissance de leurs enfants dont la première est survenue en 1990, qu'ils y ont fixé tous leurs intérêts pécuniaires et personnels, élevé leurs enfants et exercé, en ce qui concerne M. [F], la plus grande partie de sa carrière professionnelle.
Il en découle que c'est à juste titre que le premier juge a considéré que les époux ont entendu au moment du mariage, soumettre leur régime matrimonial à la loi française, la décision sera confirmée sur ce point.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens:
Il convient de condamner M. [G] [F], qui succombe en ses demandes, à verser à Mme [H] [Y] la somme de 3000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, contradictoirement,
Confirme la décision en ses dispositions critiquées.
Condamne M. [G] [F] à verser à Mme [H] [Y] la somme de 3000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne M. [G] [F] aux entiers dépens de l'appel.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,
SR/MV