Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
1re chambre sociale
ARRET DU 22 JUIN 2022
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 18/00839 - N° Portalis DBVK-V-B7C-NYPE
ARRET N°
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 20 JUIN 2018
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE CARCASSONNE - N° RG F 17/00089
APPELANTE :
Madame [C] [W]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Maître Olivier COHEN de la SCP LINCETTO- COHEN, avocat plaidant au barreau de PYRENEES-ORIENTALES et Maître Françoise ROBAGLIA de la SCP ERIC NEGRE, MARIE CAMILLE PEPRATX NEGRE, avocat postulant au barreau de MONTPELLIER
INTIMEE :
SAS HECTARE [Localité 6], prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Maître Nolwenn ROBERT de la SELAS PVB AVOCATS, avocat postulant au barreau de MONTPELLIER, substituée par Maître OLUSKI Camille, avocat au barreau de MONTPELLIER et Maître Diane MALLET de la SELARL PVB SOCIETE D'AVOCATS, avocat plaidant au barreau de NIMES
Ordonnance de clôture du 17 Novembre 2021
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 MAI 2022,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Caroline CHICLET, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Caroline CHICLET, Conseiller, faisant fonction de Président,
Monsieur Jacques FOURNIE, Conseiller
Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller
Greffière lors des débats : Madame Isabelle CONSTANT
ARRET :
- Contradictoire.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Madame Caroline CHICLET, Conseiller, et par Madame Isabelle CONSTANT, Greffière.
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EXPOSE DU LITIGE :
[C] [W] a été engagée à compter du 31 décembre 2007 par la société Terrains Sud de France puis, à compter du 1er septembre 2015 par la société Via terre, ces deux sociétés étant des filiales à 100% de la Sas Hectare, en qualité de monteuse d'opérations et responsable des travaux de VRD.
Elle a signé une rupture conventionnelle avec son dernier employeur à effet au 31 août 2016.
Soutenant avoir exercé une activité salariée pour le compte de la maison mère, la Sas Hectare, entre le 16 juin 2016 et le 4 octobre 2016 sans contrat de travail écrit et sans rémunération, elle a saisi le conseil des prud'hommes de Carcassonne le 6 juillet 2017 afin de voir requalifier le CDD en CDI et obtenir la réparation de ses préjudices ainsi que l'application de ses droits.
Dans ses dernières écritures devant le bureau de jugement, la salariée n'invoquait plus l'existence d'un CDD à requalifier en CDI mais demandait aux juges de faire jouer la présomption de CDI à temps plein en l'absence de contrat de travail écrit.
Par jugement du 20 juin 2018, ce conseil a débouté [C] [W] et la Sas Hectare de l'ensemble de leurs demandes et condamné la demanderesse aux dépens et à payer à la Sas Hectare la somme de 700 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
[C] [W] a régulièrement relevé appel de tous les chefs du jugement le 26 juillet 2018.
Par arrêt avant dire droit du 9 février 2022, la cour d'appel de Montpellier a :
- constaté que le conseil des prud'hommes, bien que saisi d'une demande de régularisation de la procédure de conciliation obligatoire après l'abandon par [C] [W] de sa demande de requalification de CDD en CDI, n'y a pas procédé ;
- ordonné une tentative de conciliation entre les parties à l'audience rapporteur du mardi 17 mai 2022 à 14h00 ;
- ordonné à [C] [W] et à la Sas Hectare de comparaître en personne, le présent arrêt valant convocation devant la cour ;
- averti les parties qu'en cas d'échec de la conciliation, les débats se poursuivront sur le fond lors de la même audience ;
- réservé toutes les autres demandes des parties.
A l'audience du 17 mai 2022, le conseiller rapporteur a tenté vainement de concilier les parties et tenant l'échec de cette conciliation, les débats se sont poursuivis sur le fond ;
Vu les dernières conclusions de l'appelante remises au greffe le 10 novembre 2021;
Vu les dernières conclusions de la Sas Hectare, appelante à titre incident, remises au greffe le 27 juin 2019 ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 17 novembre 2021 ;
MOTIFS :
Il n'est pas discuté par les parties que la société Viaterre, employeur de [C] [W] jusqu'au 31 août 2016, est une filiale à 100% de la Sas Hectare, chargée d'assurer les études de faisabilité des opérations de promotion immobilière menées par la maison mère.
La fiche de poste paraphée et signée par [C] [W] en sa qualité de responsable des travaux VRD (pièce 5 de l'intimée) lui confie d'ailleurs la mission de 'représenter la société Hectare en tant que maître d'ouvrage sur les chantiers liés à l'aménagement de terrains à bâtir pour les agences définies par la direction développement'.
L'organigramme détaillé du groupe Hectare produit par [C] [W] (pièce 20) montre que les salariés de la filiale Viaterre sont placés sous l'autorité hiérarchique du directeur développement, savoir [I] [D], qui est également directeur général délégué de la maison mère et qui signe tous ses courriels comme 'directeur général délégué/directeur développement' de la société Hectare sans visa de la société Via terre.
C'est sans aucune offre de preuve que l'intimée soutient que le nom commercial de la société Viaterre (aujourd'hui absorbée par la Sas Hectare et radiée du RCS depuis le 5 novembre 2020) était 'Hectare' alors que le Kbis produit en pièce 22 de l'appelante montre que cette société n'avait pas un nom commercial différent de sa dénomination sociale.
A compter du 7 juin 2016, la maison mère, la Sas Hectare, a lancé la phase de travaux d'une opération de promotion immobilière sur la commune de [Adresse 5], et le géomètre expert désigné par le maître d'ouvrage a proposé au directeur développement et à [C] [W], entre autres, une réunion de préparation le lundi 13 juin à 10h00 dans les locaux de la société Hectare.
En vue de cette réunion, [C] [W] a écrit le 9 juin 2016 à son supérieur hiérarchique afin de lui rappeler l'état du dossier et solliciter ses instructions.
[I] [D], par retour de mail, l'a informé de son indisponibilité pour la date retenue et lui a communiqué des indications de prix pour négocier les devis en l'invitant à négocier au mieux les délais de paiement et en lui proposant, le cas échéant, de contacter lui-même les vendeurs.
Il s'évince suffisamment de ces courriels que, contrairement à ce que soutient l'appelante, c'est bien dans le cadre de ses fonctions salariées chez Viaterre qu'elle a suivi le chantier Le Cantaloup jusqu'au 31 août 2016, date de la rupture de son contrat, de sorte que la preuve de l'existence d'un contrat de travail avec la société Hectare n'est pas rapportée pour cette période de juin à août 2016 inclus.
L'appelante demande, à titre subsidiaire, de voir reconnaître une situation de coemploi entre les sociétés Viaterre et Hectare pour la période du 13 juin 2016 au 31 août 2016 inclus.
Il est constant que, hors l'existence d'un lien de subordination, une société faisant partie d'un groupe ne peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre que s'il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière.
Contrairement à ce que soutient à tort l'appelante, le fait que la société Viaterre ait été détenue à 100% par la société mère Hectare, que le directeur développement de la filiale et le directeur général délégué de la société mère soit le même, que le responsable exécutif de diverses filiales soit le même ([I] [D]), que les sociétés aient le même siège social, que la politique du groupe déterminée par la société mère ait une incidence sur la politique de développement ou la stratégie commerciale et sociale de sa filiale et que la gestion administrative et l'évaluation du personnel aient été assurées par la directrice des ressources humaines de la société mère ([G] [Y]) ne peut suffire à caractériser une situation de coemploi des sociétés Viaterre et Hectare à l'égard de [C] [W] qui sera déboutée de sa demande sur cette période et le jugement sera confirmé sur ce point.
En revanche, il résulte de l'échange de courriels entre [C] [W] et [I] [D] en date du 13 juin 2016 (pièce 7 de l'appelante) que ce dernier a accepté que la salariée assure le suivi des travaux VRD du lotissement Le Cantaloup après la fin de son contrat (suivi consistant, selon les explications écrites de la salariée, en sa participation à deux réunions en septembre avec le dépôt de la DAACT et demande de constat d'huissier) et perçoive notamment, en contrepartie, les primes de suivi de chantier correspondantes par anticipation sur son salaire d'août.
C'est dans ces conditions que [C] [W] a été destinataire, avec [I] [D], des courriels contenant les comptes-rendus de réunion de chantier de septembre 2016, qu'elle a réclamé des pièces en vue 'de préparer la DAACT au plus tôt' et qu'elle a envisagé de relancer les acquéreurs afin d'assurer la terminaison du chantier au 30 septembre 2016 comme prévu dans le planning (cf son courriel du 26 septembre 2016 en réponse à celui du géomètre).
Dans son courriel du 4 octobre 2016, adressé à la société Hectare, [C] [W] rend compte des derniers événements, en transmettant le mail reçu le jour-même pour la prochaine réception des travaux VRD du lotissement Le Cantaloup et informe l'employeur qu'elle ne pourra pas s'y rendre, puisqu'elle ne détient pas de pouvoir pour y procéder, en lui précisant que les enrobés ont dû être réalisés et la DAACT déposée et que sa mission est terminée.
Contrairement à ce que fait plaider la société Hectare, ces échanges démontrent l'existence d'une relation de travail salariée entre la société Hectare et l'appelante postérieurement au 1er septembre 2016 puisque [I] [D], en sa qualité de 'directeur général délégué/directeur développement' de la société Hectare, a donné son accord à [C] [W] (cf la réponse de [I] [D] : 'Ok pour tout') pour que celle-ci effectue, après la fin de son contrat de travail avec la société Viaterre, une prestation rémunérée (ses primes de suivi de chantier de septembre devant lui être payées par anticipation) consistant à suivre les travaux VRD du lotissement Le Cantaloup sous son autorité puisqu'il lui a donné comme instruction de 'rester ferme sur les devis' et que [C] [W] s'est exécutée en rendant compte de ce suivi à la société Hectare le 4 octobre 2016.
Le jugement sera par conséquent infirmé sur ce point.
En l'absence de contrat de travail formalisé par écrit, la relation est présumée avoir été à durée indéterminée et à temps plein sauf à l'employeur à rapporter la preuve de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue et à démontrer que le salarié n'était pas placé dans l'impossibilité de connaître à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à sa disposition, ce que la société Hectare ne fait pas en l'espèce puisqu'elle se borne à contester l'existence de toute relation de travail salariée après le 1er septembre 2016.
[C] [W] ayant poursuivi, à compter du 1er septembre 2016, pour le compte de la société Hectare, l'activité salariée qu'elle exerçait auparavant pour le compte de sa filiale, elle a droit à un rappel de salaire sur la base de la rémunération de 2.200 € bruts perçue avant le 1er septembre 2016, soit la somme de 2.483,87 € bruts pour la période du 1er septembre au 4 octobre 2016 outre celle de 248,38 € bruts au titre des congés payés y afférents.
[C] [W] ne justifiant pas du préjudice allégué relatif au retard de paiement des salaires (puisqu'elle a perçu des allocations de retour à l'emploi à compter du 31 août 2016), elle sera déboutée de sa demande indemnitaire de ce chef.
En ayant confié à [C] [W], à compter du 1er septembre 2016, la mission d'assurer le suivi des travaux VRD du lotissement [Adresse 5] sous l'autorité de son directeur général délégué et moyennant le versement d'une rémunération, la société Hectare devait payer à sa salariée les heures de travail accomplies, lui remettre les bulletins de paie correspondants et procéder au paiement des cotisations sociales obligatoires, ce qu'elle n'a pas fait.
L'intention de dissimuler l'emploi est donc caractérisée et justifie l'allocation de l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L.8223-1 du code du travail d'un montant de 13.200 € (2.200 x 6).
Pour contester le fait que la rupture, intervenue le 4 octobre 2016, puisse produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'employeur se borne à invoquer l'inexistence d'un contrat de travail.
Or, la cour a déjà retenu, dans les motifs qui précèdent, l'existence d'une relation salariée entre [C] [W] et la société Hectare entre le 1er septembre 2016 et le 4 octobre 2016 de sorte que ce moyen est en voie de rejet.
La rupture du contrat à durée indéterminée doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que le soutient l'appelante.
L'article 15 de la convention collective nationale de la promotion immobilière du 18 mai 1988, dont la société Hectare ne discute pas l'application à la relation de travail précitée, prévoit une indemnité de préavis de 3 mois pour les cadres en cas de rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur sauf faute grave ou lourde.
Il n'est pas discuté que l'emploi occupé par [C] [W] à compter du 1er septembre 2016 était un poste de cadre de sorte qu'il lui est dû une indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 6.600 € bruts outre celle de 660 € bruts au titre des congés payés y afférents.
S'agissant du préjudice résultant de la perte de l'emploi, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée (2.200 € bruts), de l'âge de l'intéressée (36 ans), de son ancienneté dans l'entreprise (4 mois et 4 jours en incluant le préavis), de l'effectif de l'entreprise (moins de onze salariés), de sa capacité à retrouver un emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard tel que cela résulte des pièces communiquées et des explications fournies à la cour (allocation de retour à l'emploi entre le 31 août 2016 et le 31 mai 2017 et entre le 1er mars 2018 et le 12 septembre 2018, création d'entreprises de promotion immobilière dont les résultats ne sont pas communiqués), la Sas Hectare sera condamnée à lui verser la somme de 4.400 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Compte tenu des effectifs de l'entreprise et de l'ancienneté de la salariée, cette dernière peut solliciter, en sus de l'indemnisation de son préjudice pour perte d'emploi, une indemnité pour irrégularité du licenciement.
En l'espèce, tenant l'absence de respect par l'employeur de la procédure de licenciement (pas de convocation à un entretien préalable ni de possibilité d'être assistée), la cour décide d'allouer à l'appelante une indemnité de 500 € à titre de dommages-intérêts.
Les prétentions de l'appelante étant accueillies en tout ou partie en cause d'appel, la société Hectare sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel et à payer une somme de 2.500 € à [C] [W] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Hectare sera correlativement déboutée de sa demande indemnitaire pour procédure abusive ainsi que de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement ;
Vu l'arrêt avant dire droit du 9 février 2022 ;
Vu l'échec de la tentative de conciliation du 17 mai 2022 ;
Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a dit que [C] [W] ne démontre pas l'existence d'un contrat de travail avec la Sas Hectare antérieurement au 1er septembre 2016 et en ce qu'il l'a déboutée de toutes ses prétentions concernant cette période ainsi que de sa demande de dommages-intérêts pour retard dans le versement des salaires ;
Statuant à nouveau sur les seuls chefs infirmés ;
Constate l'existence d'un contrat de travail à durée indéterminée et à temps plein entre [C] [W] et la Sas Hectare à compter du 1er septembre 2016;
Dit que la rupture, intervenue le 4 octobre 2016, doit s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne en conséquence la Sas Hectare à payer à [C] [W] les sommes suivantes :
$gt; 2.483,87 € bruts à titre de rappel de salaire,
$gt; 248,38 € bruts au titre des congés payés y afférents,
$gt; 13.200 € à titre d'indemnité pour travail dissimulé,
$gt; 6.600 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
$gt; 660 € bruts au titre des congés payés y afférents,
$gt; 4.400 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
$gt; 500 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement irrégulier,
$gt; 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute [C] [W] du surplus de ses prétentions;
Condamne la Sas Hectare aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés, pour ceux d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Déboute la Sas Hectare de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
la greffière, le conseiller,