Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
3e chambre civile
ARRET DU 09 JUIN 2022
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 17/04078 - N° Portalis DBVK-V-B7B-NIGQ
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 29 JUIN 2017
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PERPIGNAN
N° RG 15/02858
APPELANTS :
Monsieur [F] [C]
né le 31 Décembre 1971 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 5]
et
Madame [WW] [O]
née le 24 Août 1973 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Bruno FITA de la SCP FITA-BRUZI, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES, substitué à l'audience par Me Julien ROMANO, avocat au barreau de PERPIGNAN
INTIMEE :
Madame [N] [R]-[Y]
née le 13 Juin 1953 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée par Me Raymond ESCALE de la SCP VIAL-PECH DE LACLAUSE-ESCALE- KNOEPFFLER-HUOT-PIRET-
JOUBES, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES, substitué sur l'audience par Me Marjorie AGIER, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 21 Mars 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 AVRIL 2022,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Thierry CARLIER, Conseiller, chargé du rapport.
Ce(s) magistrat(s) a (ont) rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Thierry CARLIER, Conseiller faisant fonction de président de chambre
M. Fabrice DURAND, Conseiller
Mme Marie-Claude SIMON, Vice-présidente placée par ordonnance du premier président du 1er décembre 2021
Greffier, lors des débats : Mme Sabine MICHEL
ARRET :
- contradictoire,
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par M. Thierry CARLIER, Conseiller faisant fonction de président de chambre, et par Mme Sabine MICHEL, Greffier.
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EXPOSE DU LITIGE :
Par acte notarié en date du 30 janvier 2013, Monsieur [F] [C] et Madame [WW] [O] ont cédé à Madame [N] [R]-[Y] une maison à usage d'habitation située [Adresse 4] [Localité 6] figurant au cadastre section AB n°[Cadastre 2] pour une surface de 7 ares 31 centiares moyennant la somme de 425.000 euros.
Madame [N] [R]-[Y] a constaté divers désordres. Le 19 septembre 2013, une réunion d'expertise amiable en présence de Monsieur [C] et Madame [N] [R]-[Y] a été effectuée. Lors de cette réunion, trois désordres ont été retenus, pour un montant total des travaux de 12.697,92 euros :
- un défaut d'étanchéité et de tenue du revêtement de la piscine
- des infiltrations par la fenêtre du toit de la mezzanine
- des infiltrations en pied de mur de la cuisine
Par acte du 20 et 21 juillet 2015, Madame [N] [R]-[Y] a assigné Monsieur [F] [C] et Madame [WW] [O] devant le tribunal de grande instance de Perpignan au visa des articles 1792, 1792-1 et 1382 du code civil aux fins de condamnation solidaire à lui verser :
- 12.697,92 euros au titre de leur responsabilité décennale ;
- 3.000 euros pour résistance abusive ;
- 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec distraction au profit de la SCP Vial-Pech de Laclause-Escale-Knoepffler avec exécution provisoire.
Par décision en date du 29 juin 2017, le tribunal de grande instance de Perpignan a :
- jugé que la réception de l'immeuble à usage d'habitation sis [Adresse 4] [Localité 6] figurant au cadastre section AB n°[Cadastre 2] par Monsieur [F] [C] et Madame [WW] [O] est intervenue tacitement le 1er août 2005 ;
- jugé que l'action de Madame [N] [R]-[Y] en responsabilité sur le fondement de l'article 1792-1 du code civil est recevable pour ne pas être prescrite ;
- condamné solidairement Monsieur [F] [C] et Madame [WW] [O] à payer à Madame [N] [R]-[Y] la somme de 12.697,92 euros au titre de leur responsabilité civile décennale ;
- débouté Madame [N] [R]-[Y] de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
- condamné Monsieur [F] [C] et Madame [WW] [O] in solidum à payer à Madame [N] [R]-[Y] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procèdure civile ;
- condamné Monsieur [F] [C] et Madame [WW] [O] in solidum aux entiers dépens avec distraction au profit de la SCP Vial-Pech de Laclause - Escale - Knoepffler ;
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.
Le 20 juillet 2017, Monsieur [F] [C] et Madame [WW] [O] ont interjeté appel du jugement rendu le 29 juin 2017 par le tribunal de grande instance de Perpignan.
Vu les conclusions de Monsieur [F] [C] et Madame [WW] [O] remises au greffe le 17 janvier 2018 ;
Vu les conclusions de Madame [N] [R]-[Y] remises au greffe le 30 novembre 2017.
MOTIFS DE L'ARRÊT :
Monsieur [C] et Madame [O] font valoir que l'engagement de leur responsabilité décennale se heurte à l'expiration de la période de garantie dès lors que la réception tacite est intervenue le 28 mars 2005, selon l'attestation de fin de travaux délivrée par l'entreprise et non le 1er août 2005, date de la déclaration d'achèvement des travaux, comme soutenue par l'intimée.
Ils exposent qu'à la date du 28 mars 2005, ils avaient pris possession de la maison et payé le prix, ce qui démontre leur volonté non équivoque de recevoir l'ouvrage à cette date, leur prise de possession étant en outre démontrée par des attestations de personnes les ayant aidé à déménager ou ayant assisté à leur crémaillère ainsi que par des courriers émanant de différents organismes (Trésor Public, CPAM) ou de leur assurance.
A défaut de réception expresse, la réception tacite suppose la démonstration de la volonté non équivoque du maître d'ouvrage de recevoir l'ouvrage.
Il est constant que la prise de possession des lieux doublée du paiement complet du prix peut suffire à caractériser cette volonté, même si les travaux ne sont pas achevés.
En l'espèce, les appelants font tout d'abord état d'une attestation de fin de travaux émanant de Monsieur [H] [G], maçon carreleur ayant réalisé les travaux mentionnant l'achèvement le 28 mars 2005 de la construction d'une villa de plein pied d'une superficie de 169 m² sis [Adresse 4] à [Localité 6].
Cette attestation précise la nature des travaux : implantation, élévation et couverture d'une villa de plein pied d'une superficie de 169 m².
Madame [R]-[Y] soutient notamment que ce document n'aurait aucune valeur probante, n'étant pas signé par Monsieur [G] ni par les appelants et mentionnant que Monsieur [G] interviendrait comme maître d'ouvrage.
Il convient de relever que s'agissant d'une attestation établie par l'entrepreneur, le document n'avait pas à être signé par les maîtres de l'ouvrage, rien ne permettant par ailleurs de remettre en cause l'authenticité du tampon figurant sur cette attestation.
D'autre part, il n'est nullement mentionné sur cette attestation que Monsieur [G] interviendrait comme maître de l'ouvrage comme le soutient l'intimé.
Si le tribunal fait valoir que l'attestation de fin de travaux du 28 mars 2005 ne concerne que les travaux de gros oeuvre, il convient de rappeler que la réception tacite peut intervenir même si les travaux ne sont pas achevés, le jugement relevant en tout état de cause que cette attestation justifiait du caractère habitable de l'immeuble à compter du 28 mars 2005, même si elle ne préjugeait pas de son habitation réelle par les maîtres de l'ouvrage à cette date ni de leur acceptation de l'ouvrage.
Or, s'agissant de la prise de possession des lieux par Monsieur [C] et Madame [O] et de leur acceptation non équivoque de l'ouvrage, si le rapport d'inspection consuel du 3 mars 2005, le rapport de contrôle d'une installation intérieure gaz domestique du 16 mars 2005 ou l'attestation de conformité de l'installation électrique du 14 février 2005, tous antérieurs à la date de fin de travaux attestée par Monsieur [G], ne permettaient pas d'établir, de façon univoque, une prise de possession de l'ouvrage et une volonté de recevoir ce dernier, Monsieur [C] et Madame [O] produisent en revanche devant la cour un certain nombre de pièces venant confirmer leur prise de possession de l'immeuble à la date du 28 mars 2005 et notamment les attestations suivantes :
* Madame [S] [X] et Monsieur [A] [L] attestent avoir aidé les consorts [C]/[O] à déménager en mars 2005 ;
* Monsieur [D] [J], Madame [U] [P], Monsieur [B] [BG], Monsieur [Z] [E] et Madame [WW] [KI] attestent que Monsieur [C] et Madame [O] résidaient bien au [Adresse 4] en mars 2005, Madame [KI] précisant qu'ils résidaient en face de chez elle, ce qui tend à conforter l'authenticité de ce témoignage ;
* Madame [W] [K], Madame [V] [M], Madame [T] [I] attestent pour leur part avoir participé à la crémaillère en mars 2005 ;
Si Madame [R]-[Y] conteste la crédibilité de ces attestations, rien ne permet de remettre en cause leur authenticité, étant en outre relevé que ces témoignages sont confortés par ceux du maire de la commune confirmant que Madame [O] était bien domiciliée au 30 mars 2005 au [Adresse 4] à [Localité 6] et par le directeur des services techniques de la communauté de communes Sud Roussillon qui certifie la livraison de poubelles ordures ménagères et collecte sélective chez Madame [O] à cette adresse au mois de mars 2005, ces deux témoignages, émanant de personnes totalement étrangères aux appelants, étant peu suspectes de partialité.
La prise de possession de l'ouvrage par les consorts [C]/[O] est encore confirmée par :
* le contrat d'assurance habitation AGF adressé le 25 mars 2005 à Madame [O] au [Adresse 4] [Localité 6] et l'appel de cotisation pour la période du 25 mars 2005 au 24 mai 2005;
*une facture Maaf du 18 avril 2005 adressée à Monsieur ou Madame [O] à cette même adresse ;
* l'accompte provisionnel 2005 de l'Impôt sur le Revenu (date limite de paiement : 16 mai 2005) adressé à cette même adresse ;
* le relevé de remboursement CPAM pour la période du 4 mars 2005 au 7 avril 2005 adressé à cette même adresse ;
Enfin, la prise de possession de l'ouvrage au 28 mars 2005 s'est accompagnée du paiement intégal du prix tel que cela résulte de la facture de Monsieur [G] en date du 22 mars 2005.
Par conséquent, la prise de possession des lieux doublée du paiement complet du prix caractérise la volonté non équivoque des consorts [C]/[O] de recevoir l'ouvrage au 28 mars 2005, même si les travaux n'étaient pas achevés.
Madame [R]-[Y] fait valoir que Monsieur [C] aurait reconnu sa responsabilité dans le cadre des opérations d'expertise amiable le 19 septembre 2013 et que cette reconnaissance de responsabilité aurait pour effet, aux termes des dispositions de l'article 2240 du code civil, d'interrompre la prescription ou de suspendre cette dernière à compter du jour où les parties conviennent de recourir à une mesure de médiation ou de conciliation, conformément à l'article 2238 du code civil.
Selon l'article 1792-4-3 du code civil , en dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilités dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux.
Aux termes de l'article 2220 du même code, les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par le présent titre et aux termes de l'article 2240, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrit interrompt le délai de prescription.
En alignant, quant à la durée et au point de départ du délai, le régime de responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs sur celui de la garantie décennale, dont le délai est un délai d'épreuve, le législateur a entendu harmoniser les deux régimes de responsabilité.
Il en résulte que le délai de dix ans pour agir contre les constructeurs sur le fondement de l'article 1792-4-3 du code civil est un délai de forclusion qui n'est pas, sauf dispositions contraires, régi par les dispositions concernant la prescription, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrit n'interrompant ou ne suspendant pas le délai de forclusion.
Par conséquent, la circonstance que Monsieur [C] aurait reconnu sa responsabilité dans le cadre des opérations d'expertise amiable n'est pas de nature à interrompre ou à suspendre le délai de la garantie décennale qui est un délai de forclusion et non de prescription.
La réception tacite de l'ouvrage par les consorts [C]/[O] est intervenue le 28 mars 2005, le délai de forclusion de dix ans à compter de cette date n'ayant pas été interrompu ni suspendu.
Il a donc expiré le 28 mars 2015.
Madame [R]-[Y] a assigné les consorts [C]/[O] devant le tribunal de grande instance de Perpignan par acte délivré les 20 et 21 juillet 2015, soit postérieurement à l'expiration du délai de dix ans.
Ses demandes seront donc déclarées irrecevables pour cause de forclusion.
Le jugement sera donc infirmé en toutes ses dispositions ;
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions;
Statuant à nouveau,
Fixe la réception tacite de l'immeuble à usage d'habitation sis [Adresse 4] [Localité 6] par Monsieur [F] [C] et Madame [WW] [O] au 28 mars 2005 ;
Dit le délai de la garantie décennale n'a pas été interrompu ni suspendu ;
Dit que le délai de forclusion a expiré le 28 mars 2015, soit antérieurement à l'assignation délivrée par Madame [N] [R]-[Y] aux consorts [C]/[O] les 20 et 21 juillet 2015 ;
Déclare en conséquence les demandes présentées par Madame [N] [R]-[Y] irrecevables pour cause de forclusion;
Condamne Madame [N] [R]-[Y] aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
Condamne Madame [N] [R]-[Y] à payer à Monsieur [F] [C] et à Madame [WW] [O] la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour leurs frais engagés en première instance et en appel.
Le greffier, Le conseiller faisant fonction de président,