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18/05/2022 | FRANCE | N°19/01995

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 2e chambre sociale, 18 mai 2022, 19/01995


Grosse + copie

délivrées le

à







COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 18 MAI 2022



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 19/01995 - N° Portalis DBVK-V-B7D-OCMJ



Décision déférée à la Cour :

Jugement du 27 FEVRIER 2019

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER N° RG 17/00418



APPELANTE :



Madame [M] [F]

[Localité 1]

Représentée par Me Laurent EPAILLY, avocat au barreau de MONTPELL

IER



INTIME :



Monsieur [A] [E]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me THOMAS COMBRES avocat pour Me Laurent ERRERA de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat...

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 18 MAI 2022

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 19/01995 - N° Portalis DBVK-V-B7D-OCMJ

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 27 FEVRIER 2019

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER N° RG 17/00418

APPELANTE :

Madame [M] [F]

[Localité 1]

Représentée par Me Laurent EPAILLY, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIME :

Monsieur [A] [E]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me THOMAS COMBRES avocat pour Me Laurent ERRERA de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER

Ordonnance de clôture du 28 Février 2022

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 MARS 2022,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Jean-Pierre MASIA, Président, chargé du rapport.

Ce(s) magistrat(s) a (ont) rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Jean-Pierre MASIA, Président

Madame Florence FERRANET, Conseiller

Mme Véronique DUCHARNE, Conseillère

Greffier, lors des débats : M. Philippe CLUZEL

ARRET :

- contradictoire.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par M. Jean-Pierre MASIA, Président, et par M. Philippe CLUZEL, Greffier.

*

**

FAITS ET PROCEDURE

Après un premier contrat saisonnier du 26 mai 2014 au 25 novembre 2014 et un deuxième contrat à durée déterminée du 26 novembre 2014 au 25 mai 2015, Madame [M] [F] a été engagée, le 25 mai 2015 par Monsieur [A] [E] en qualité de vendeuse toutes mains par contrat à durée indéterminée à temps partiel (86,60 heures mensuelles).

La convention collective nationale applicable était celle de la restauration rapide.

Le 16 septembre 2016, la salariée a fait l'objet d'un arrêt de travail pour maladie et n'a plus repris le travail à compter de cette date.

Le 19 septembre 2016, l'employeur a notifié à la salariée un avertissement.

Le 16 janvier 2017, la salariée a été déclarée inapte par le médecin du travail.

Le 31 janvier 2017, suite à l'inaptitude de la salariée, l'employeur a convoqué la salariée à un premier entretien préalable au licenciement, fixé au 3 février 2017 et, le 8 février 2017, il l'a convoquée une seconde fois à un entretien préalable fixé au 20 février 2017.

Le 22 février 2017, il l'a licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Sollicitant la nullité de son licenciement, la salariée a saisi, le 12 avril 2017, le conseil de prud'hommes de Montpellier lequel, par jugement du 27 février 2019, a constaté l'absence de harcèlement moral et sexuel et de nullité du licenciement, constaté que Madame [F] ne démontrait pas avoir réalisé des heures supplémentaires, constaté l'absence de préjudice lié à la remise tardive des documents de fin de contrat, constaté la régularité de la procédure, dit le licenciement régulier, dit que Monsieur [E] n'avait pas effectué le licenciement dans les délais du licenciement pour inaptitude, condamné ce dernier à payer à la salariée les sommes suivantes :

- 251,70€ bruts au titre du rappel de salaire résultant du licenciement tardif;

- 25,17€ bruts au titre des congés payés y afférents

-600€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

ordonné la remise d'un bulletin de paye correspondant à ce jugement, dit qu'il n'y a pas lieu à astreinte, débouté Madame [F] du solde de ses demandes, débouté Monsieur [A] [E] de sa demande d'article 700 du code de procédure civile et laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens.

C'est le jugement dont Madame [F] a régulièrement interjeté appel.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions de Madame [M] [F] régulièrement notifiées et déposées au RPVA le 21 juin 2019 dans lesquelles il est demandé à la cour de : - constater le harcèlement moral et sexuel;

- dire que son licenciement pour inaptitude est nul;

- dire que la procédure a été violée;

- dire que l'employeur est redevable d'un arriéré de salaire;

- condamner l'employeur à lui payer les sommes suivantes :

*837€ au titre de la violation de la procédure de licenciement ;

*251,10€ brut outre l'indemnité de congés payés correspondante pour 25,11€ brut au titre du manquement au délai du licenciement pour inaptitude;

*10044€ d'indemnité pour licenciement nul (1 an de salaire);

*7000€ d'indemnité pour le préjudice moral lié au harcèlement;

*1674€ brut d'indemnité compensatrice de préavis (2 mois);

*167,40€ brut de congés payés sur préavis;

*1000€ pour défaut de remise des documents sociaux et solde de tout compte dans des délais raisonnables;

*9576€ brut au titre des rappels de salaire, outre 957,60€ brut pour l'indemnité de congés payés correspondante, pour les heures complémentaires courant sur toute la période d'emploi;

*381,81€ brut de rappel de salaire sur la période allant jusqu'au 16 octobre 2016;

*38,18€ brut de congés payés sur salaires ;

*325,95€ brut, outre 32,59€ brut pour l'indemnité compensatrice de préavis correspondante, pour la période allant du 16 octobre 2016 au 23 décembre 2016;

- condamner l'employeur à lui remettre une attestation pôle emploi rectifiée sous astreinte de 15€ par jour de retard passé le 8ème jour après notification du jugement;

- le condamner à lui payer la somme de 1200€ au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions de Monsieur [A] [E] régulièrement notifiées et déposées au RPVA le 20 septembre 2019 dans lesquelles il est demandé à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, débouter la salariée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamner la salariée à payer la somme de 2600€ au titre de ce même article.

Pour l'exposé des prétentions des parties et leurs moyens, il est renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, à leurs conclusions ci-dessus mentionnées et datées.

Vu l'ordonnance de clôture du 28 février 2022.

SUR CE

Sur les rappels de salaires

* Sur les heures supplémentaires

En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, qu'elles soient supplémentaires ou complémentaires, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures complémentaires ou supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, la salariée soutient avoir effectué 8 heures complémentaires par semaine depuis son embauche en contrat à durée indéterminée ainsi que 8 heures par jour sur une période de 12 jours pendant les congés de son employeur, soit un total de 984 heures supplémentaires non payées.

Elle produit un décompte-type applicable à chaque semaine de travail lequel fait apparaître les heures complémentaires suivantes : 1 heure le lundi, 1 heure le mardi matin, 2,5 heures le mardi soir, 1 heure le vendredi matin et 2,5 heures le vendredi soir.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à Monsieur [E] d'y répondre.

Ce dernier fait valoir, de façon générale, que seules les heures effectuées à la demande de l'employeur pour les nécessités du service peuvent être qualifiées d'heures supplémentaires mais il ne soutient pas pour autant que les tâches de Madame [F] n'impliquaient pas la réalisation d'heures supplémentaires. La cour rappelle, en tout état de cause, que les heures supplémentaires n'ont pas nécessairement à être demandées par l'employeur mais peuvent résulter d'un accord implicite de ce dernier ou être rendues nécessaires par les tâches confiées au salarié.

L'employeur, qui se borne à déclarer avoir toujours payé les heures de travail effectuées et à critiquer le décompte produit par la salariée, qu'il dit établi pour les besoins de la cause, ne produit aucun élément de contrôle du temps de travail ni aucun planning.

Au vu des décomptes produits, et une fois déduites les périodes de congés payés, que la salariée ne conteste pas avoir pris, et d'arrêt de travail, il sera fait droit à la demande en paiement d'heures complémentaires à hauteur de 4788,90€ bruts et 478,89€ à titre d'indemnité de congés payés afférents. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la salariée.

* Sur le complément de salaire pendant la maladie

La salariée sollicite l'allocation d'une indemnité complémentaire à l'allocation journalière pour les périodes du 23 septembre au 15 octobre 2016 et du 16 octobre au 23 décembre 2016.

L'employeur ne conclut pas sur ce point.

L'employeur ne contestant pas que la salariée remplissait les conditions d'attribution de l'indemnité complémentaire aux indemnités de sécurité sociale, il sera alloué à la salariée, après déduction des indemnités versées par les caisses, la somme de 478,89€ à titre d'indemnité complémentaire, étant précisé que le dispositif conventionnel plus favorable ne pouvait lui être appliqué du fait de son ancienneté inférieure à trois ans.

La cour rappelle que ce complément de salaire n'entre pas dans l'assiette de calcul de l'indemnité de congés payés.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la salariée.

* Sur le rappel de salaire à l'issue du délai d'un mois postérieur à l'avis d'inaptitude

Le licenciement de Madame [F] n'étant pas intervenu à l'issue du délai d'un mois, fixé par l'article L1226-4 du code du travail, à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, la salariée avait droit à la reprise de son salaire jusqu'à la date de son licenciement.

Monsieur [E] ne conteste pas devoir un rappel de salaire à ce titre mais soutient l'avoir déjà réglé à l'issue de sa condamnation en première instance.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur à payer à Madame [F] les sommes de 251,70€ à titre de rappel de salaire à ce titre et 25,17€ au titre des congés payés afférents.

Sur la procédure de licenciement

La salariée ne peut soutenir avoir été convoquée de façon précipitée, sans que l'employeur ait respecté le délai de 5 jours entre la convocation et l'entretien préalable, dans la mesure où la cour constate qu'après une première convocation irrégulière, l'employeur avait convoqué une nouvelle fois la salariée, le 8 février 2017, de sorte que l'entretien préalable s'était tenu le 20 février 2017 dans le respect du délai légal.

La salariée sera donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts de ce chef.

Sur le harcèlement

La salariée soutient que Monsieur [E] l'avait harcelée sexuellement, en lui envoyant de nombreux messages explicites, ainsi que moralement puisqu'il l'avait dénigrée et exploitée et lui avait notifié un avertissement infondé.

L'employeur réplique qu'une partie des échanges numériques étaient antérieurs à l'embauche de la salariée, que le ton des échanges était son mode de communication habituel et que la salariée ne l'avait jamais bloqué ni n'avait porté plainte contre lui pour attouchements.

* Sur le harcèlement sexuel

En application de l'article L1153-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des faits:

1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;

2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.

En application de l'article L1153-2, aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une formation en entreprise ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel tels que définis à l'article L1153-1, y compris, dans le cas mentionné au 1° du même article, si les propos ou comportements n'ont pas été répétés.

En l'espèce, au soutien de ce grief, l'appelante produit aux débats :

- son arrêt de travail du 16 septembre 2016 et sa prolongation signés par le Dr [P] ;

- le certificat médical du 27 septembre 2016 du Dr [P] par laquelle ce praticien rapporte avoir vu la salariée à deux reprises pour des syndromes anxio-dépressifs à l'origine de l'arrêt ;

- deux prescriptions médicales de septembre et octobre 2016 d'anxiolytiques ou antidépresseurs;

- le dépôt de plainte du 23 septembre 2016 de la salariée dans laquelle la salariée rapporte être rabaissée constamment par son employeur, être incitée à travailler plus par ce dernier et avoir reçu des messages tendancieux de sa part ;

- une attestation de Monsieur [O], ancien compagnon de l'appelante, dans laquelle ce denier rapporte que son ancienne compagne était stressée et que leurs filles l'appelaient régulièrement pour se plaindre des remarques obscènes de Monsieur [E] à l'encontre de leur mère ;

- une attestation de Madame [O], fille de l'appelante, dans laquelle cette dernière rapporte avoir vu sa mère surchargée de travail, à bout de nerfs et déprimée, avoir vu les messages de harcèlement que lui envoyait son employeur et avoir entendu une rumeur répandue par ce dernier selon laquelle sa mère serait battue par ses filles ;

- des captures d'écran de divers sms, certains non datés et certains datés de février 2015 ou mars 2015, envoyés par un contact intitulé 'wiwi' à la salariée. Ces sms consistent en des manifestations d'affection ainsi que des propos déplacés et grivois à l'endroit de la salariée ;

- des captures d'écran de conversations non datées ou datées de juin 2014 de messagerie instantanée entre la salariée et un compte intitulé '[J] [R]'. Ces échanges consistent en des émoticônes amoureuses et des manifestations d'affection ainsi que, pour un message, en une proposition intime.

Contrairement à ce que les premiers juges ont considéré, les éléments ci-dessus pris dans leur ensemble laissent bien présumer une situation de harcèlement sexuel à l'encontre de Madame [F].

Il incombe donc à l'employeur de prouver que les agissements ci-dessus ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L'employeur, qui critique les éléments versés aux débats par Madame [F] et conteste formellement les accusations portées contre lui, produit, au soutien de sa défense, les pièces suivantes :

- une attestation de Monsieur [R], beau-fils de l'intimé, lequel rapporte, en annexant à son attestation des photographies, que l'appelante était une amie de Monsieur [E] et de la femme de celui-ci ;

- une attestation de Monsieur [C] lequel rapporte avoir participé, avec Monsieur [E], au déménagement de Madame [F] ;

- une attestation de Monsieur [K] lequel rapporte avoir apporté son concours au déménagement de Madame [F] grâce à Monsieur [E].

Si les éléments produits par l'employeur établissent que les parties avaient entretenu, au moins pour un temps, des relations amicales, pour autant ces éléments ne sont pas de nature à démontrer que les faits dénoncés par Madame [F] n'avaient jamais eu lieu et que les accusations portées par elle seraient nécessairement inexactes et donc mensongères.

Il résulte au contraire des sms produits par la salariée, lesquels ne sont pas contestés par Monsieur [E], que ce dernier lui avait tenu de manière répétée des propos déplacés et insistants, parfois à connotation sexuelle ('j'ai rêvé de toi cette nuit on faisait l'amour gros bisous ma beauté ''''''''), et l'avait affublée de divers surnoms inappropriés à la relation de travail ('ma beauté' ; 'ma poupée' ; 'ma belle bombe' ; 'ma douce'), sans que la salariée ait jamais répondu sur le même registre. Ces échanges dépassaient de loin le cadre habituel et normal des relations professionnelles et l'employeur ne peut se défendre en faisant valoir qu'il s'agissait de son mode habituel de communication.

Outre ces sms, c'est sur le même ton que Monsieur [E] s'était également adressé à sa salariée par le biais d'une messagerie instantanée et lui avait notamment écrit 'on se voit se soir pour un caprice tous les deux' ou encore 'coucou ma beauté fatale (...) Gros bisous partout'. Contrairement à ce que l'intimé soutient, ces messages de juin et juillet 2014, non contestés, n'étaient pas antérieurs à l'embauche de la salariée mais avaient été envoyés pendant la relation de travail dans la mesure où la salariée avait été engagée par Monsieur [E] dès le 26 mai 2014 par contrat saisonnier.

Il résulte de ce qui précède que la réitération des propos à connotation sexuelle tenus par Monsieur [E] à l'encontre de sa salariée caractérise un harcèlement sexuel, étant précisé que l'existence d'une relation intime ou sentimentale entre les parties, qui aurait éventuellement pu expliquer la liberté de ton de l'employeur, n'est invoquée par aucune des parties.

Il s'en suit que le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté l'existence d'un harcèlement sexuel.

* Sur le harcèlement moral

En application de l'article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l'article L1152-2 du code du travail, aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

En l'espèce, l'appelante produit aux débats, outre les éléments déjà produits au soutien du grief de harcèlement sexuel :

- l'avertissement du 19 septembre 2016 qui lui avait notifié son employeur pour mauvais comportement ;

- son courrier de contestation du 25 septembre 2016 et le courrier en réponse de l'employeur du 28 septembre 2016 par lequel ce dernier décrivait le comportement sanctionné (défaut de port de charlotte ; plaintes de la clientèle quant au service ; manque de dialogue avec le personnel);

- son décompte d'heures complémentaires ;

- une attestation de Madame [U], cliente de l'enseigne, laquelle rapporte avoir été témoin à plusieurs reprises de réflexions humiliantes et harcelantes des employeurs à l'encontre de la salariée.

La cour écarte l'attestation de Monsieur [D], ancien salarié de l'entreprise, dans la mesure où le témoin relate des propos antérieurs à l'embauche de la salariée.

Contrairement à ce que les premiers juges ont considéré, les éléments ci-dessus pris dans leur ensemble laissent bien présumer une situation de harcèlement moral, distincte de la situation de harcèlement sexuel déjà reconnue par la cour, à l'encontre de Madame [F]. Il est particulièrement relevé que la salariée, outre qu'elle avait effectué de nombreuses heures complémentaires non payées tout au long de la relation de travail, avait vu sa relation avec son employeur se dégrader subitement, par la notification d'un avertissement, juste après avoir été placée en arrêt de travail.

L'employeur ne produit pas d'autres éléments que ceux déjà versés en défense des accusations de harcèlement sexuel et ne fournit notamment pas les éléments l'ayant conduit à notifier un avertissement à la salariée.

Il s'en suit que le jugement sera également infirmé en ce qu'il a rejeté l'existence d'un harcèlement moral.

Les faits de harcèlement moral et sexuel constituent autant de manquements commis par l'employeur à ses obligations lesquels justifient qu'il soit alloué à la salariée la somme de 4000€ de dommages et intérêts à ce titre.

L'employeur ne pouvant justifier objectivement ni le harcèlement moral ni le harcèlement sexuel, le licenciement pour inaptitude de Madame [F] est en outre susceptible d'être annulé.

Sur le licenciement

Le licenciement pour inaptitude est nul lorsque l'inaptitude du salarié trouve son origine dans le harcèlement moral ou sexuel de son employeur.

En l'espèce, la lettre de licenciement est ainsi rédigée : ' (...) à la suite de notre entretien du 20 février 2017, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier en raison de votre inaptitude constatée par le médecin du travail et à la suite de laquelle votre reclassement dans l'entreprise s'est révélé impossible à la suite des deux avis d'inaptitude émis le 22 décembre 2016 et le 16 janvier 2017.

Nous vous précisons que votre contrat de travail prendra fin à la date d'envoi de cette lettre. De ce fait vous n'effectuez pas de préavis.

Votre indemnité de licenciement et les sommes vous restant dues vous seront adressées par courrier ainsi que les documents obligatoires (certificat de travail, solde de tout compte, attestation pôle emploi) (...)'.

Bien que les avis d'inaptitude du médecin du travail ne soient pas produits, il n'est pas contesté que l'inaptitude de la salariée avait été médicalement et définitivement constatée le 16 janvier 2017.

Il est établi que la salariée avait été en arrêt maladie à compter du 16 septembre 2016 et qu'elle n'avait pas repris le travail jusqu'au prononcé de son inaptitude.

Il ressort des éléments produits, et tout particulièrement du certificat du Dr [P] et de l'attestation de Madame [O], fille de la salariée, que l'inaptitude de Madame [F] s'inscrivait dans le contexte du harcèlement moral et sexuel imputable à l'employeur. Il en résulte sans aucun doute possible que les syndromes anxio-dépressifs subis par Madame [F], ayant justifié son arrêt de travail et dont l'inaptitude a directement suivi cet arrêt de travail, sans reprise du travail entre-temps, sont en lien direct avec les faits délictueux de harcèlement moral et sexuel.

Il s'ensuit qu'il y a lieu d'annuler le licenciement pour inaptitude de Madame [F] et, par suite, d'infirmer le jugement sur ce point.

Au vu de la nullité du licenciement, il sera alloué à Madame [F], dans les limites de la demande, la somme de 1674€ à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 167,40€ au titre des congés payés afférents.

S'agissant du préjudice résultant de la perte de l'emploi, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant non contesté de la rémunération versée (845,22€), de l'âge de l'intéressé (née en 1969), de son ancienneté dans l'entreprise (engagée en mai 2014) et du fait qu'elle ne justifie pas de sa situation ultérieure au licenciement, Monsieur [E] sera condamné à lui verser la somme de 6000€ à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul.

Sur la délivrance des documents de fin de contrat

La salariée qui ne justifie pas du préjudice que lui aurait causé la délivrance des documents sociaux et du chèque du solde de tout compte un mois après la rupture sera déboutée de sa demande d'indemnité pour délivrance tardive de ces documents.

Sur les autres demandes

Il y a lieu d'ordonner à Monsieur [E] de délivrer l'attestation pôle emploi rectifiée conformément au présent arrêt et dans les deux mois de la signification de ce dernier, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette délivrance d'une astreinte.

L'équité commande d'allouer à Madame [F] la somme de 500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement qui a rejeté les demandes de Madame [M] [F] de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier et pour délivrance tardive des documents de fin de contrat et qui a condamné Monsieur [A] [E] à lui payer les sommes de 251,70€ bruts au titre du rappel de salaire résultant du licenciement tardif, 25,17€ bruts au titre des congés payés afférents et 600€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Le réforme pour le surplus ;

Dit le licenciement nul ;

Condamne Monsieur [A] [E] à payer à Madame [M] [F] les sommes de :

- 4788,90€ à titre de rappel de salaire pour heures complémentaires;

- 478,89€ à titre d'indemnité de congés payés afférents ;

- 478,89€ à titre d'indemnité complémentaire à l'allocation journalière de sécurité sociale ;

- 4000€ à titre de dommages et intérêts pour harcèlement sexuel et moral ;

- 6000€ à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;

- 1674€ à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 167,40€ à titre d'indemnité de congés payés afférents ;

- 500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne Monsieur [A] [E] à remettre à Madame [M] [F], dans les deux mois de la signification de l'arrêt, une attestation pôle emploi conforme au présent arrêt.

Condamne Monsieur [A] [E] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 2e chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19/01995
Date de la décision : 18/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-18;19.01995 ?
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