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délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
1re chambre sociale
ARRET DU 18 MAI 2022
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 19/01391 - N° Portalis DBVK-V-B7D-OBHU
Arrêt n° :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 21 JANVIER 2019 du CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER - N° RG F17/00588
APPELANTE :
Madame [E] [D]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Yann GARRIGUE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER (postulant) et par Me Sophie VILELLA, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES (plaidant), substitués par Me RICHAUD, avocat au barreau de Montpellier
INTIMEE :
MUTUALITE FRANCAISE GRAND SUD Prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié es qualité audit siège,
[Adresse 2],
[Adresse 2]
Représentée par Me Philippe GARCIA de la SELARL CAPSTAN - PYTHEAS, avocat au barreau de MONTPELLIER (postulant) et par la SELARL CAPSTAN - PYTHEAS, Me Bruno MALVAUD, avocat au barreau Nîmes, substitué par Me COLOMBO, avocate au barreau de Nîmes (plaidant)
Ordonnance de clôture du 23 Février 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 MARS 2022, en audience publique, Monsieur Georges LEROUX, président de chambre, ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
Monsieur Georges LEROUX, Président de chambre
Madame Florence FERRANET, Conseiller
Madame Caroline CHICLET, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Marie BRUNEL
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Monsieur Georges LEROUX, Président de chambre, et par Mme Marie BRUNEL, Greffière.
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**
EXPOSE DU LITIGE :
[E] [D] a été engagée le 25 mars 2008 par la Mutualité Française de l'Hérault en qualité d'assistante réseau optique, statut technicien, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à temps complet régi par la convention collective Mutualité.
A compter du 1er juin 2012, elle a été promue coordinatrice du réseau optique, catégorie cadre C1, moyennant une rémunération mensuelle de 2.034,38 € bruts sur 13,55 mois et elle a été investie d'une délégation de pouvoirs.
Le 1er janvier 2016, son contrat de travail a été transféré à la Mutualité Française Grand Sud ensuite de la fusion entre les trois mutuelles de l'Hérault, du Gard et des Pyrénées Orientales.
A compter du 4 avril 2016, [E] [D] a été placée en arrêt de travail pour maladie et elle a été déclarée inapte à son poste le 26 septembre 2016.
Le 11 janvier 2017, [E] [D] a été convoquée à un entretien préalable à son éventuel licenciement fixé au 18 janvier 2017.
Elle a été licenciée pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement par une lettre du 6 février 2017.
[E] [D] a saisi le conseil des prud'hommes de Montpellier le 2 juin 2017 pour contester cette décision et obtenir l'annulation de son licenciement, l'application de ses droits ainsi que la réparation de ses préjudices.
Par jugement du 21 janvier 2019, ce conseil a :
- dit que la demande de positionnement à la classification C2 n'est pas fondée ;
- dit que [E] [D] n'a pas subi de discrimination et qu'il n'y a pas eu d'atteinte au principe d'égalité de traitement ;
- dit que [E] [D] n'a pas subi d'agissements de harcèlement moral ;
- dit que le licenciement pour inaptitude n'est pas entaché de nullité et qu'il revêt une cause réelle et sérieuse ;
- débouté [E] [D] de l'ensemble de ses demandes ;
- débouté la défenderesse de ses demandes reconventionnelles ;
- laissé les dépens à la charge de la demanderesse.
Le 25 février 2019, [E] [D] a relevé appel de tous les chefs de ce jugement à l'exception de celui ayant débouté la défenderesse de ses demandes reconventionnelles.
Vu les dernières conclusions de l'appelante remises au greffe le 17 octobre 2019;
Vu les dernières conclusions de la Mutualité Française Grand Sud remises au greffe le 28 janvier 2022 ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 23 février 2022 ;
MOTIFS :
Sur la classification professionnelle :
[E] [D] conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté sa demande visant à se voir reconnaître une classification professionnelle à l'indice C2 et demande à la cour de dire que les fonctions qui lui ont été confiées correspondaient à cet indice et de condamner l'employeur à lui payer la somme de 21.258 € bruts à titre de rappel de salaire depuis 2013 outre celle de 2.125 € bruts au titre des congés payés y afférents.
L'intimée conclut à la confirmation du jugement sur ce point.
La classification professionnelle prévue par la convention collective applicable dépend du nombre de points obtenu par les salariés dans chacun des 5 critères suivants : compétence et technicité, autonomie, dimension relationnelle, gestion des moyens et ressources et contribution.
Ainsi, la classification C1 est attribuée au cadre cumulant de 2.590 à 3190 points et la classification C2 à celui cumulant de 3.200 à 3.930 points.
Pour chacun des 5 critères précités, il est prévu une gradation des responsabilités de 1 à 6 correspondant, chacune, à des points pré-définis et identiques pour chaque critère :
- degré 1 : 200 points
- degré 2 : 290 points
- degré 3 : 410 points
- degré 4 : 590 points
- degré 5 : 840 points
- degré 6 : 1200 points
Selon l'employeur, les fonctions exercées par [E] [D] lui conféraient le bénéfice de 2.590 points correspondant au classement C1.
L'employeur ne communique pas le détail des degrés obtenus par la salariée dans chacun des critères à l'exception du critère 'contribution' pour lequel il lui a été attribué le degré 3 équivalant à une 'contribution partielle : incidence limitée sur tout ou partie de l'entreprise, ses résultats, ses performances, son fonctionnement ou son image'.
La fiche de poste annexée à l'avenant du 1er juin 2012 par lequel [E] [D] a été promue coordinatrice du réseau optique la plaçait sous l'autorité du directeur du réseau optique avec lequel elle devait travailler en étroite collaboration et auquel elle devait rendre compte et lui confiait les missions principales suivantes :
- l'administration et la coordination du réseau optique (interface avec RH, comptabilité, communication, contrôle de gestion, production de statistiques et tableaux de bord, secrétariat courant du réseau, optimisation des procédures et de l'organisation du réseau en proposant des améliorations, coordonne les relations entre les opticiens et le directeur du réseau, garante du respect des règles administratives),
- la gestion de la centrale (gérer et valider les achats, organiser, planifier, anticiper l'activité de la centrale afin de garantir l'approvisionnement des magasins, organiser et contrôler le bon fonctionnement logistique des échanges entre magasins et siège, encadrer, manager et contrôler l'équipe de la centrale en définissant les priorités, les besoins en formation et en organisant le temps de travail et évaluant les compétences)
- l'activité commerciale (identifier les nouveaux fournisseurs potentiels, négociation de devis, participation étroite et mise en oeuvre de la politique commerciale et des actions de communications, gestion et validation des commandes de produits dans le cadre des référencements et des volumes validés par le directeur)
- assurer le remplacement du directeur du réseau optique pendant ses absences au moyen d'une délégation de pouvoirs qui a été mise en oeuvre le 4 juin 2012 et qui lui conférait le pouvoir, en l'absence du directeur de :
$gt; engager des dépenses pour la centrale optique (achats) et pour le réseau (frais généraux inscrits au budget de l'année en cours),
$gt; centraliser les besoins en personnel, les analyser et transmettre les propositions d'embauche à la DRH pour validation,
$gt; valider les plannings et heures à rémunérer ainsi que les frais de déplacements,
$gt; administrer les logiciels métier,
$gt; valider les BAT.
La fiche de poste lui confie, en outre, la participation à tout projet transversal du réseau optique/acoustique et le remplacement éventuel du personnel de la centrale rattachée à la filière optique.
L'employeur ne discute pas que les fonctions exercées par [E] [D] correspondaient à sa fiche de poste et à sa délégation de pouvoirs et cette dernière justifie, d'ailleurs, avoir:
- remplacé le directeur du réseau optique non seulement pendant tous ses congés annuels mais aussi pendant son arrêt maladie du 14 avril au 26 mai 2014 (cf plannings signés du directeur en pièce 6) et, avoir, dans ce cadre, validé le recrutement d'un assistant multisites réseau optique en CDD de 7 mois le 19 mai 2014,
- validé en 2014 et 2015 les congés des responsables des magasins du réseau et de leurs collaborateurs,
- représenté son réseau optique lors des sessions d'accueil des nouveaux salariés organisées par la responsable de la communication en 2013, 2014 et 2015 en préparant un discours de présentation de son réseau de 15 minutes,
- validé un audit en octobre 2014 (pièce 12),
- participé au comité directeur élargi du 10 octobre 2014 en remplacement du directeur absent (cf pièce 54),
Les responsabilités confiées à la salariée dans sa fiche de poste ou sa délégation de pouvoirs et les activités justifiées par cette dernière auraient dû conduire l'employeur à lui attribuer :
- le degré 4 du critère 'compétence et technicité' correspondant au 'concepteur : connaissance acquises par l'expérience des fondements théoriques permettant d'établir des cahiers des charges, maîtriser les évolutions techniques. Niveau d'étude III de l'éducation nationale.' soit 590 points (cf fiche de poste et diplôme de gestion niveau bac+2 obtenu par la salariée),
- le degré 4 du critère 'autonomie' correspondant à 'mise en oeuvre : analyse et synthétise des dossiers, imagine la meilleure réponse en proposant une méthode, un plan d'action, des délais; dirige et contrôle la réalisation des actions' soit 590 points (cf fiche de poste),
- le degré 5 du critère 'dimension relationnelle' correspondant à 'négociation: mener des négociations dont les intérêts sont divergents dans le cadre d'enjeux importants. Connaissance des techniques de communication.' soit 840 points (cf ses responsabilités en matière de politique commerciale précitées et ses pouvoirs en cas d'absence du directeur du réseau optique),
- le degré 4 du critère 'gestion des moyens et ressources' correspondant à 'proposition de moyens : rechercher et proposer les moyens à mettre en oeuvre ainsi que les moyens de suivi et de dynamisation' soit 590 points,
- le degré 4 du critère 'contribution' correspondant à 'Globale : contribution fondamentale aux résultats, au fonctionnement, à l'image de l'entreprise à court ou moyen terme' soit 590 points (cf activités de coordination, de gestion et commerciales décrites dans sa fiche de poste et sa fonction de remplacement du directeur) soit 590 points.
Ainsi, [E] [D], qui cumulait 3.200 points, aurait dû bénéficier de la classification C2 dès sa promotion en juin 2012, ainsi qu'elle le soutient justement.
En outre, la salariée aurait dû se voir appliquer les dispositions de l'article 8.3.1 de la convention collective prévoyant d'attribuer au cadre C2, après 5 ans de présence effective dans l'entreprise, 23 points tous les ans de présence effective durant 3 ans, ce qui n'a pas été le cas.
Elle est donc en droit de percevoir la différence entre le traitement brut perçu et le traitement brut qu'elle aurait dû percevoir si elle avait été correctement classée comme cadre C2 et si elle avait bénéficié des 23 points supplémentaires tous les ans de présence effective pendant trois ans entre le 25 mars 2013 (date à laquelle elle justifiait de 5 ans de présence effective dans l'entreprise) et le 25 mars 2016.
L'employeur ne critiquant pas les calculs effectués par l'appelante, il sera condamné à lui payer la somme réclamée de 21.258 € bruts à titre de rappel de salaire outre celle de 2.125 € bruts au titre des congés payés y afférents.
Le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur l'inégalité de traitement :
[E] [D] conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté sa demande indemnitaire de 30.000 € pour discrimination salariale et demande à la cour de faire droit à sa prétention.
L'employeur conclut à la confirmation du jugement sur ce point.
En application de l'article L.1134-1 du code du travail dans sa version alors applicable, lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
En l'espèce, et contrairement à ce que soutient à tort l'appelante, il ne résulte pas du tableau comparatif des rémunérations des salariés de la centrale dont elle assurait la gestion courante qu'elle percevait, en 2012, une rémunération inférieure à celle d'[O] [L] divorcée [X] puisque cette dernière, qui avait une ancienneté dans l'entreprise de près de 23 ans en 2012, bénéficiait d'un salaire brut de 27.439,69 € bruts en 2012 contre 27.765,98 € bruts pour l'appelante dont la promotion n'est intervenue qu'en juin 2012 (pièces 44 et 45).
En outre, leurs situations ne sont pas comparables puisqu'[O] [L] exerçait les fonctions d'agent administratif alors que l'appelante était coordinatrice du réseau optique composé de dix magasins et responsable de la centrale.
Il en va de même des activités exercées par [E] [D] en tant que cadre C1 et de celles exercées par les techniciens optiques qui ne sont pas comparables.
En revanche, et contrairement à ce que soutient à tort l'employeur, les situations des dix responsables de magasin du réseau optique et de la coordinatrice de réseau/responsable de la gestion courante de la centrale sont comparables puisqu'ils possèdent tous un niveau d'études équivalant à un bac +2 (diplôme d'opticien lunetier pour les responsables de magasin et diplôme de gestion pour [E] [D]) et qu'ils sont tous investis d'un pouvoir d'encadrement (encadrement des équipes des magasins pour les responsables de magasin et de l'équipe de la centrale pour [E] [D]) et de missions commerciales ayant des répercussions sur le chiffre d'affaires (cf fiche de poste et délégation de pouvoirs de [E] [D] examinée en détail précédemment).
Le fait que les responsables de magasin se soient vu assigner des objectifs de vente que [E] [D] n'avaient pas ne suffit pas à différencier leurs postes au point de les rendre incomparables et ce moyen sera écarté.
[E] [D] justifie, grâce au tableau comparatif des rémunérations de ces dix responsables de magasin, tous cadres C1 (pièce 44) que sa rémunération brute annuelle était inférieure, en 2013, à celle de [K] [L], embauchée comme opticienne en janvier 2008 (soit moins de trois mois avant l'embauche de [E] [D]) et promue opticienne responsable de magasin, catégorie cadre C1, en juillet 2013 (soit un an après que [E] [D] ait été promue cadre C1 en juin 2012) puisque la première percevait 33.183,27 € en 2013 contre 31.183,56€ pour la seconde.
Elle établit, en outre, contrairement à ce que soutient l'employeur, que les dix cadres C1, diplômés en optique et responsables des magasins du réseau dont elle était la coordinatrice, ont été convoqués à un entretien annuel d'évaluation par le directeur du réseau optique en janvier 2015 (cf mail de convocation du 1er décembre 2014 en pièce 42) alors qu'elle-même n'a bénéficié d'aucun entretien d'évaluation depuis 2013 malgré sa demande du 26 février 2016 (cf pièce 41).
Le fait pour [E] [D] d'avoir perçu, en qualité de cadre C1 chargé de la coordination d'un réseau optique composé de dix magasins et placé sous l'autorité hiérarchique directe du directeur de ce réseau, une rémunération inférieure à celle d'une responsable de magasin ayant une ancienneté comparable à la sienne et promue cadre C1 plus d'un an après sa propre promotion et d'avoir été la seule des cadres C1 de ce réseau à ne pas avoir été convoquée à un entretien individuel d'évaluation en 2015 sont des éléments qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une discrimination salariale qu'il appartient à l'employeur de combattre en prouvant que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Pour justifier cette inégalité de traitement, l'employeur se borne à soutenir que les postes de responsables de magasin et celui de [E] [D] ne sont pas comparables alors que ce moyen vient d'être écarté par la cour.
La discrimination salariale est donc établie.
L'appelante justifie d'un préjudice en lien avec cette discrimination puisqu'elle n'a pas été évaluée ni rémunérée de manière égalitaire par rapport à des salariés occupant un poste comparable au sien et disposant d'une ancienneté similaire.
La cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour lui allouer une somme de 5.000 € à titre de dommages-intérêts.
Cette condamnation ne peut être prononcée en brut, contrairement à ce que réclame l'employeur, puisqu'il ne s'agit pas d'une indemnité fondée sur l'article L.1235-3 du code du travail et exprimée en mois de salaires bruts.
Le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur le harcèlement moral et la demande de nullité du licenciement pour inaptitude :
[E] [D] conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande indemnitaire de 40.000 € pour harcèlement moral et de sa demande de nullité du licenciement pour inaptitude et demande à la cour de faire droit à ses prétentions en faisant valoir que c'est le harcèlement moral subi qui est à l'origine de son inaptitude.
L'employeur conclut à la confirmation du jugement sur ce point.
L'article L. 1152-1 du code du travail énonce : 'Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.'
Aux termes de l'article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, applicable au litige : 'Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.'
Il résulte des dispositions des articles qui précèdent que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
En l'espèce, [E] [D] soutient que, postérieurement à la fusion des trois mutualités du Gard, de l'Hérault et des Pyrénées Orientales et au transfert de son contrat de travail au sein de la mutualité Grand Sud, intervenu en janvier 2016, elle a été dépossédée de ses responsabilités et s'est vu confier des tâches subalternes multiples ayant conduit à son arrêt de travail pour dépression du 4 avril 2016. Elle invoque également un acharnement de l'employeur pendant son arrêt de travail.
Il résulte des termes du courriel de la directrice des biens médicaux de la Mutualité Française Grand Sud du 26 mars 2016 que le nom de [E] [D] a effectivement disparu de la liste des correspondants de la mutualité auprès de l'enseigne Visaudio à compter de février 2016 ce qui a fait perdre à la salariée toute visibilité sur les commandes et achats auprès de ce fournisseur entre février et mars 2016.
Il ressort de ce même courriel que des commandes de produits concernant le secteur de l'Hérault ont été passées hors de la vue de [E] [D] alors que celle-ci était en charge de la centralisation et du contrôle des commandes au niveau du réseau et de la centrale ce à quoi la directrice des biens médicaux s'était engagée à remédier.
Les échanges de courriels correspondants aux pièces 18 bis, 19 et 20 de l'appelante démontrent que des tarifs de certains produits ont été modifiés sans consultation ni l'aval de [E] [D] investie pourtant de la mission de déterminer les prix de vente (courriels du 1er avril et 26 avril 2016) et que les procédures de certification qualité service, dont [E] [D] avait la responsabilité pour le secteur de l'Hérault, lui ont été retirées pour être confiées à l'assistante de direction de la nouvelle structure à compter de mars 2016 ainsi que le soutient justement l'appelante.
L'appelante justifie également de ce que, pendant son arrêt maladie, la directrice générale de la Mutualité Grand Sud l'a sollicitée de manière très insistante et au moyen de trois courriers recommandés au ton suspicieux afin de retrouver des fichiers absents de l'arborescence informatique du serveur.
Enfin, l'appelante produit divers certificats médicaux et arrêts de travail ainsi que son dossier médical de la médecine du travail desquels il ressort qu'elle a été arrêtée en avril 2016 pour dépression avec un traitement à base d'antidépresseur et d'anxiolytiques et qu'elle s'est plainte auprès du médecin du travail lors de la visite du 20 avril 2016 du fait que l'employeur lui avait supprimé des missions, qu'elle avait dû remplacer son chef et ses collaborateurs absents, et qu'aucune nouvelle fiche de fonction n'avait été discutée avec elle.
Le fait pour le nouvel employeur d'avoir fait retirer [E] [D] de la liste des correspondants d'un important fournisseur, ce qui lui a fait perdre de vue tous les actes passés avec cette enseigne entre février et fin mars 2016, d'avoir permis la réalisation de commandes et de modifications tarifaires dans l'Hérault sans l'aval de [E] [D] et de n'avoir pas mis un terme à cette anomalie comme il s'y était pourtant engagé, d'avoir supprimé des attributions de la salariée les procédures de certification qualité dont elle avait la responsabilité pour l'Hérault depuis 2013, agissements dont il est résulté un état dépressif réactionnel à compter d'avril 2016, et de l'avoir sollicitée de manière très insistante pendant son arrêt maladie, au moyen de trois courriers recommandés au ton suspicieux, pour retrouver des fichiers informatiques disparus sont des éléments, qui pris dans leur ensemble, permettre de présumer l'existence d'un harcèlement moral.
L'employeur invoque le caractère fortuit de l'omission de la salariée de la liste des correspondants Visaudio et justifie les modifications des missions mises en oeuvre par l'exercice de son pouvoir de direction. Il conteste enfin l'existence de tout acharnement ou de mise à l'écart et signale l'absence de toute plainte pendant l'exécution du contrat de travail.
Il résulte du courriel de la directrice des biens commerciaux du 26 mars 2016 que l'omission du nom de [E] [D] (et des autres responsables du réseau optique de l'Hérault) de la liste des correspondants de l'enseigne Visaudio procédait d'une erreur fortuite que la responsable s'est empressée de corriger dès qu'elle a été informée du problème. Cette erreur, fortuite, involontaire et temporaire pour laquelle la directrice a présenté ses excuses auprès de la salariée, démontre qu'il s'agit d'un événement qui était étranger à tout harcèlement.
La nécessité d'harmoniser et de centraliser les procédures de certification qualité au sein de la nouvelle entité regroupant trois départements justifie le fait que l'employeur ait dû confier celles-ci à l'assistante de direction de la nouvelle structure ; cette modification des attributions de [E] [D] est donc justifiée par des considérations étrangères à tout harcèlement et ce, d'autant qu'il résulte de la fiche de description de ses missions remises par la salariée à la directrice des biens médicaux début 2016 que la certification qualité représentait une infime partie de ses missions.
En revanche, l'employeur n'explique pas les raisons qui ont conduit des responsables de magasins de l'Hérault à effectuer des commandes sans passer par [E] [D] ni ne justifie avoir remédié à cette anomalie alors qu'il s'y était engagé dans son courriel du 26 mars 2016 et il n'explique pas davantage les raisons qui l'ont conduit à supprimer des missions de la salariée la détermination des produits de vente au niveau du réseau Hérault alors que le pouvoir de direction de l'employeur ne peut justifier la décision de priver un cadre de ses principales responsabilités.
Il n'explique pas non plus le ton suspicieux employé dans les trois courriers recommandés adressés à la salariée pendant son arrêt maladie ni son insistance à lui réclamer une information que [E] [D] avait indiqué ne pas détenir dès après le premier envoi.
Enfin, contrairement à ce que soutient à tort l'employeur et bien que cela ne soit pas une condition exigée pour retenir un harcèlement moral, la cour relève que [E] [D] s'était plainte de ses conditions de travail dès le mardi 8 mars 2016 dans un courriel adressé à la responsable administrative, comptable et financière de la nouvelle structure (pièce 20) qui lui demandait d'effectuer divers tâches en urgence en rappelant à cette dernière son absence pendant deux mois entre le 9 janvier 2016 et début mars 2016, l'absence de personnel dans le réseau optique, la découverte à son retour de très nombreux dossiers restés en suspens et un audit chronophage à préparer pour le lundi suivant.
Le harcèlement moral est donc établi et sera retenu.
Ces agissements répétés de harcèlement moral ont causé un préjudice à [E] [D] puisque celle-ci s'est sentie déconsidérée par son employeur en dépit de son dévouement et de son implication professionnelle qui lui avaient permis d'obtenir un poste à responsabilités seulement 4 ans après son embauche en qualité de technicienne, ainsi qu'elle l'a expliqué dans son courrier à la Directe et que cette situation a généré un état dépressif réactionnel ayant nécessité la prise d'antidépresseur et d'anxyolytique.
Ce préjudice réel sera réparé par l'allocation d'une indemnité de 10.000 €.
Même si le médecin du travail n'a pas imputé l'inaptitude de [E] [D] à une cause professionnelle, les éléments médicaux produits aux débats permettent d'affirmer que cette inaptitude fait suite à un état dépressif réactionnel aux agissements répétés de harcèlement moral de l'employeur qui sont survenus tant avant que pendant l'arrêt maladie de la salariée et dont celle-ci s'est plainte auprès du médecin du travail lors de la visite du 26 avril 2016 après avoir dénoncé ses conditions de travail auprès de son employeur par mail du 8 mars 2016.
L'avis d'inaptitude préconise d'ailleurs pour la salariée un éloignement physique de l'entreprise puisqu'il propose un reclassement sur un poste de type administratif à domicile et en télétravail ou sur un autre site, ce qui achève de démontrer que c'est bien l'ambiance de travail dans ce site qui était à l'origine de l'inaptitude.
Le harcèlement moral étant à l'origine de l'inaptitude de [E] [D], le licenciement prononcé le 6 février 2017 est nul.
[E] [D] qui ne demande pas sa réintégration, a droit à une indemnité compensatrice de préavis de trois mois compte tenu de son ancienneté et de son statut de cadre.
Il lui sera alloué la somme de 8.904 € bruts de ce chef sur la base de la rémunération due pour un cadre de catégorie C2 outre celle de 890,40 € bruts au titre des congés payés y afférents.
S'agissant du préjudice résultant de la perte de l'emploi, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée (2.968 € bruts sur la base de la catégorie C2), de l'âge de l'intéressée (55 ans), de son ancienneté dans l'entreprise (9 ans, 1 mois et 11 jours en incluant les trois mois de préavis), de sa capacité à retrouver un emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard tel que cela résulte des pièces communiquées et des explications fournies à la cour (nombreux courriers de refus de proposition d'emploi de 2017 et 2018 en pièces 49 et 50 et perception de l'allocation de retour à l'emploi encore en 2018 à raison de 1.100 € à 1341 € par mois), la Mutualité Française Grand Sud sera condamnée à lui verser la somme de 25.000 € à titre d'indemnité pour licenciement nul.
Le jugement sera infirmé sur tous ces points.
Sur les autres demandes :
Les créances de nature salariale produisent des intérêts au taux légal à compter du jour où l'employeur a eu connaissance de la demande (soit à compter de la date de réception de sa convocation devant le bureau de conciliation), et les sommes à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt.
La Mutualité Française Grand Sud qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel et à payer à [E] [D] la somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais exposés en première instance et en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement et contradictoirement :
Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau ;
Dit que la classification professionnelle de [E] [D] est cadre de catégorie C2 depuis 2013 ;
Dit que la Mutualité Française Grand Sud a engagé sa responsabilité envers [E] [D] pour des faits de discrimination salariale et de harcèlement moral;
Dit que le harcèlement moral est à l'origine de l'inaptitude professionnelle de [E] [D] ;
Dit par conséquent que le licenciement prononcé le 6 février 2017 est nul ;
Condamne la Mutualité Française Grand Sud à payer à [E] [D] les sommes suivantes :
$gt; 21.258 € bruts à titre de rappel de salaire depuis 2013,
$gt; 2.125 € bruts au titre des congés payés y afférents,
$gt; 5.000 € à titre de dommages-intérêts pour discrimination salariale,
$gt; 10.000 € à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,
$gt; 8.904 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
$gt; 890,40 € bruts au titre des congés payés y afférents,
$gt; 25.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,
Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter du jour où l'employeur a eu connaissance de leur demande, et les sommes à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt ;
Condamne la Mutualité Française Grand Sud aux entiers dépens de première instance et d'appel et à payer à [E] [D] la somme de 2.500 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT