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19/12/2019 | FRANCE | N°16/07091

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 1ère chambre a, 19 décembre 2019, 16/07091


AFFAIRE :



SA AMALUX



C/



[T]



















































COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



1ère Chambre A



ARRET DU 19 DECEMBRE 2019



N° RG 16/07091 - N° Portalis DBVK-V-B7A-M2TD



Décisions déférées à la Cour;





Arrêt au fond, origine Cour de Cassation de PARIS, décision attaquée en date du 30

Septembre 2015, enregistrée sous le n° 13-24.812

Arrêt au fond, origine Cour d'Appel d'AIX-EN-PROVENCE, décision attaquée en date du 28 Février 2013, enregistrée sous le n° 2013/125

Jugement au fond, origine Tribunal de Grande Instance de GRASSE, décision attaquée en date du 08 Novembre 2011, enregistrée sous le ...

AFFAIRE :

SA AMALUX

C/

[T]

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

1ère Chambre A

ARRET DU 19 DECEMBRE 2019

N° RG 16/07091 - N° Portalis DBVK-V-B7A-M2TD

Décisions déférées à la Cour;

Arrêt au fond, origine Cour de Cassation de PARIS, décision attaquée en date du 30 Septembre 2015, enregistrée sous le n° 13-24.812

Arrêt au fond, origine Cour d'Appel d'AIX-EN-PROVENCE, décision attaquée en date du 28 Février 2013, enregistrée sous le n° 2013/125

Jugement au fond, origine Tribunal de Grande Instance de GRASSE, décision attaquée en date du 08 Novembre 2011, enregistrée sous le n° 09/02132

Vu l'article 1037-1 du code de procédure civile;

DEMANDERESSE A LA SAISINE:

SA AMALUX Société de droit luxembourgeoise prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège social sis

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Philippe SENMARTIN de la SELARL CHABANNES, SENMARTIN ET ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

assistée de Me Gilles William GOLDNADEL, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

DEFENDEUR A LA SAISINE

Maître [W] [T]

né le [Date naissance 1] 1947 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me Gilles LASRY de la SCP SCP D'AVOCATS BRUGUES - LASRY, avocat au barreau de MONTPELLIER avocat postulant,

assisté de Me Barthélémy LACAN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

ORDONNANCE DE CLOTURE DU 24 SEPTEMBRE 2019

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 OCTOBRE 2019,en audience publique, Thierry CARLIER ayant fait le rapport prescrit par l'article 785 du même code, devant la cour composée de :

Mme Anne-Marie HEBRARD, Présidente

Madame Caroline CHICLET, Conseiller

M. Thierry CARLIER, Conseiller

qui en ont délibéré.

GREFFIER :

Mme Nadine CAGNOLATI, Greffière lors des débats et lors du prononcé

DEBATS :

en audience publique le QUINZE OCTOBRE DEUX MILLE DIX NEUF

L'affaire a été mise en délibéré au 28 novembre 2019

ARRET : contradictoire

- l'affaire mise en délibéré au 28 novembre 2019 a été prorogée au 19 décembre 2019, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour le décembre 2019, par Mme Anne-Marie HEBRARD, Présidente,

Le présent arrêt a été signé par Mme Anne-Marie HEBRARD, Présidente et par Mme Nadine CAGNOLATI, Greffière.

*

* *

EXPOSE DU LITIGE :

La société de droit algérien Khalifa Airways, dont le siège est à [Localité 2], était propriétaire de trois biens immobiliers de prestige à [Localité 3], lotissement Super [Localité 3], la '[Adresse 3]', la '[Adresse 4] ' et la ' [Adresse 5] ' .

Par acte authentique en date du 25 juin 2003 reçu par Maître [T], notaire associé à Paris, la société Khalifa Airways, venderesse, a vendu à la SCI Mac Mahon Lanrezac, acquéreur, ces trois biens immobiliers moyennant le prix de 16 769 392 € .

L'acte précisait que ' l'acquéreur a payé le prix ci-dessus exprimé comptant à l'instant même , ainsi que le vendeur le reconnaît et lui en consent quittance sans réserve ' .

En réalité, seule une somme de 6 488 000 € avait été payée au titre du prix par la comptabilité du notaire et le 1er juillet 2003, Maître [W] [T] établira un acte rectificatif au contradictoire des deux parties , Khalifa Airways et Mac Mahon Lanrezac pour préciser que le prix avait été payé à concurrence de 6 488 000 € par la comptabilité du notaire et à concurrence du surplus en dehors de la comptabilité du notaire, dès avant le 25 juin 2003 .

Une contre- lettre avait été établie et datée du 25 juin 2003 entre la SCI Mac Mahon Lanrezac et la société Khalifa Airways selon laquelle la SCI Mac Mahon Lanrezac reconnaissait devoir à la société Khalifa Airways , malgré le quittancement du prix de l'acte de vente, une somme de 12 422,392 € .

Le jour même de la vente par acte authentique entre la société Khalifa Airways et la SCI Mac Mahon Lanrezac, et immédiatement après, soit le 25 juin 2003, une promesse unilatérale de vente sera reçue par Maître [T], notaire, entre la SCI Mac Mahon Lanrezac, promettante, et la société Amas Investment & Project Services Limited, société de droit des Iles Vierges Britanniques, par laquelle la SCI Mac Mahon Lanrezac promettait à cette société de lui vendre les trois villas de Cannes moyennant le prix de

17 000 000 € .

Ce prix se décomposait en deux fractions, une première de

7 000 000 € et une seconde de 10 000 000 € à payer lorsque l'acquéreur revendrait lui-même pour 30 000 000 € minimum.

Le délai de levée de l'option était fixé au 15 octobre 2003 .

La société Amas Investment& Project Services Ltd, bénéficiaire de la promesse, a versé entre les mains de Maître [T], le jour même de la promesse unilatérale de vente, une somme de 7 000 000 € à titre d'indemnité d'immobilisation . Il était également précisé dans la promesse unilatérale de vente que le bénéficiaire autorisait le notaire à verser cette somme au promettant, avant même la réalisation des conditions suspensives, avec affectation hypothécaire du bien immobilier objet de la promesse en garantie d'une éventuelle créance de restitution .

Par acte extrajudiciaire en date du 8 octobre 2003, la société Amalux, venant aux droits de la société Amas Investment & Project Services a notifié à la société Mac Mahon Lanrezac qu'elle levait l'option .

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 24 octobre 2003, la société Mac Mahon Lanrezac a signifié à la société Amalux qu'elle refusait de régulariser la vente en raison du litige portant sur son droit de propriété .

Il s'avérera que la société Khalifa Airways se trouvait à la date de la vente du 25 juin 2003 en très grandes difficultés financières, et en pleine période suspecte alors que par jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 10 juillet 2003, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Versailles du 29 avril 2004, elle faisait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire . La date de cessation des paiement a été rétroactivement fixée au 31 mai 2003 par jugement définitif du tribunal de commerce de Nanterre du 27 janvier 2005 .

Il sera constaté que la société Khalifa Airways avait acquis ces trois villas de prestige le 12 juillet 2002 au prix de

35 063 273,97 € .

L'annulation de la vente conclue entre la société Khalifa Airways et la société Mac Mahon Lanrezac sera prononcée par arrêt confirmatif de la cour d'appel de Versailles du 11 mai 2006 confirmant un jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 9 juin 2005, et sur le fondement des dispositions de l'article L 621-107 du code de commerce .

Par jugement du 8 novembre 2011, le tribunal de grande instance de Grasse a notamment prononcé la nullité de la promesse de vente intervenue le 25 juin 2003 entre la SCI Mac Mahon Lanrezac et la société Amas Investment Project aux droits de laquelle vient aujourd'hui la société Amalux et portant sur l'ensemble immobilier situé à Cannes composé des ' [Adresse 3] ', 'Villa Matchotte ' et ' [Adresse 5] ' .

Par arrêt du 28 février 2013, la cour d'appel d'Aix en Provence a confirmé ce jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la SCP Becheret Thierry Senechal Gorrias ( BTSG ) de sa demande tendant à dire que le coût de la mainlevée des hypothèques sera à la charge de la SA Amalux .

Par un nouvel arrêt du 24 septembre 2015, la cour d'appel d'Aix en Provence a notamment infirmé le jugement du 8 novembre 2011 et dit que la promesse unilatérale de vente du 25 juin 2003 n'était pas nulle mais atteinte de caducité .

Le 3 avril 2006, la société Amalux SA a fait assigner Maître [T] devant le tribunal de grande instance de Grasse aux fins de voir retenir sa responsabilité professionnelle en sa qualité de rédacteur d'acte, dans le cadre de la signature interessant la société Mac Mahon Lanrezac et la société Khalifa Airways .

Par jugement contradictoire du 8 novembre 2011, le tribunal de grande instance de Grasse a dit que la SA Amalux n'établit pas la faute de Maître [T] et débouté la SA Amalux de l'intégralité de ses demandes en paiement diligentées à l'encontre de Maître [T] .

Le 22 décembre 2011, la SA Amalux a relevé appel de ce jugement .

Par arrêt du 28 février 2013, la cour d'appel d'Aix en Provence a :

Dit n'y avoir lieu à jonction,

Infirmé le jugement rendu le 8 novembre 2011 par le tribunal de grande instance de Grasse,

Statuant à nouveau,

Condamné Maître [T], notaire, sur le fondement de l'article 1382 du code civil , à payer à la société Amalux la somme de 50 000 € à titre de dommages et intérêts ,

Condamné Maître [T], notaire, sur le fondement de l'article 1382 du code civil , à payer à la société Amalux la somme de 15 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles de première instance et d'appel ,

Condamné Maître [T], notaire, aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile .

La société Amalux a formé un pourvoi contre cette décision .

Par arrêt du 30 septembre 2015, la Cour de cassation a cassé et annulé , dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 février 2013 par la cour d'appel d'Aix en Provence et a renvoyé les parties devant la cour d'appel de Montpellier .

Vu les conclusions de la SA Amalux remises au greffe le 23/09/2019,

Vu les conclusions de Maître [W] [T] remises au greffe le 11/05/2018,

Vu l'ordonnance de clôture du 24 septembre 2019 .

SUR CE :

Sur les limites de la saisine de la cour après cassation :

La Cour de cassation a cassé l'arrêt aux motifs suivants :

' Vu les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;

Attendu que l'arrêt condamne M. [T] à verser à la société Amalux, sur le fondement de l'article 1382 du code civil, la somme de 50 000 € à titre de dommages-intérêts , en réparation de la perte de chance de récupérer facilement la somme de 7 000 000 € versée directement au promettant ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la société Amalux sollicitait la condamnation de M.[T] à lui payer la somme de 7 000 000 € en principal, outre les frais et les intérêts stipulés à la promesse de vente, à titre de garantie, dans l'hypothèse où le promettant viendrait à défaillir dans la restitution de cette somme, ainsi que 5 000 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant du défaut de réalisation de la promesse de vente dont le notaire connaissait la possibilité du fait des mentions erronées figurant dans les actes qu'il avait rédigés, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé les textes susvisés ' .

La cour est donc saisie de l'intégralité du litige .

Sur la demande de la SA Amalux tendant à déclarer commun à Maître [T] l'arrêt rendu le 24 septembre 2015 par la cour d'appel d'Aix en Provence dans l'instance opposant la société Amalux à la SCI Mac-Mahon et à la SCP BTSG :

En l'espèce, la société Amalux justifie d'un intérêt certain à voir déclarer commun à Maître [T] l'arrêt rendu le 24 septembre 2015 par la cour d'appel d'Aix en Provence ayant dit que la promesse de vente du 25 juin 2003 entre la SCI Mac Mahon Lanrezac et la société Amas, aux droits de laquelle vient la société Amalux, était atteinte de caducité et fixé la créance de cette dernière contre la SCI Mac Mahon à la somme de sept million d'euros.

En effet, les demandes présentées dans le cadre de la présente procédure par la société Amalux ont pour objet de faire garantir par le notaire l'indemnisation du préjudice subi du fait de l'attitude de la SCI Mac Mahon Lanrezac , étant relevé d'une part qu'il résulte du jugement définitif rendu par le Tribunal correctionnel de Nanterre le 7 octobre 2014 que Maître [T] a prêté son concours de manière positive, et notamment en sa qualité

de rédacteur d'acte notarié, à une opération de banqueroute par détournement d'actif , ayant été condamné, avec le gérant de la SCI Mac Mahon Lanrezac , Monsieur [G], pour complicité de banqueroute par détournement d'actif au préjudice de la société Khalifa Airways .

Par ailleurs, la SCI Mac Mahon Lanrezac étant en liquidation judiciaire et la clôture pour insuffisance d'actifs ayant été prononcée par jugement du tribunal de grande instance de Paris du 5 juillet 2018, la société Amalux, de surcroît créancier non privilégié, sera dans l'incapacité de récupérer la somme de sept millions d'euros et justifie là encore d'un intérêt à solliciter la garantie du notaire et à rendre commun à ce dernier l'arrêt du 24 septembre 2015 .

Par conséquent, l'arrêt rendu le 24 septembre 2015 par la 1er chambre B de la cour d'appel d'Aix en Provence sera déclaré commun à Maître [T] , le jugement étant infirmé de ce chef.

Sur la responsabilité de Maître [T] :

La SA Amalux soutient principalement que le notaire a violé ses devoirs d'authentification et de conseil aux termes de l'acte de vente du 25 juin 2003 en déclarant faussement que le prix de vente a été payé ' au comptant et 'à l'instant même ' et en indiquant de ce fait avoir reçu l'intégralité du prix de l'acquisition du bien de la société Khalifa par la société Mac Mahon Lanrezac , en réitérant cette affirmation dans une attestation notariée et en omettant de donner l'ensemble de ces informations à la société Amalux lors de la rédaction de la promesse de vente du 25 juin 2003, soit le même jour que l'attestation notariée .

La SA Amalux fait valoir que la libération immédiate et sans sequestre par elle de l'indemnité d'immobilisation de 7 000 000 € entre les mains de la SCI Mac Mahon Lanrezac est la conséquence directe des mentions fallacieuses contenues dans l'acte de vente du 25 juin 2003.

Maître [T] réplique que le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Nanterre le 7 octobre 2014 ne caractérise aucune tromperie envers la société Amalux .

Il conteste par ailleurs avoir eu connaissance du caractère fictif du paiement de la totalité du prix, relevant que l'acte énonce seulement que le prix a été payé comptant et en totalité au temps de la vente mais n'est assorti d'aucune énonciation de ce que le notaire aurait personnellement vérifié ce fait .

Il fait valoir que l'acte rectificatif du 1er juillet 2003 avait pour effet de préciser comment le prix était payé ( une partie par la comptabilité du notaire, une partie hors comptabilité ) et ne portait pas sur la mesure du paiement du prix .

Enfin, il fait valoir qu'il n'était pas tenu d'un devoir de conseil envers la société Amalux qui n'était pas partie à la promesse de vente qui a été consentie à la seule société Amas .

Il est constant que le notaire a à la fois un rôle d'authentification des actes qu'il rédige et un devoir de conseil .

En l'espèce, Maître [T] a établi à la fois et le même jour, soit le 25 juin 2003, l'acte de vente par la société Khalifa Airways à la SCI Mac Mahon Lanrezac des trois villas sises à Cannes pour un montant de 16 769 932 €, puis la promesse de vente de ces trois villas par la SCI Mac Mahon Lanrezac à la société Amas Investment & Project Services, à laquelle s'est substituée la société Amalux , pour un montant de 17 000 000 € .

Concernant le paiement du prix, l'acte authentique de vente mentionne ' L'acquéreur a payé le prix ci-dessus exprimé comptant à l'instant même . Ainsi que le vendeur le reconnaît et lui consent quittance sans réserve ' .

Il résulte donc de la rédaction relative au paiement du prix que ce dernier a été payé le jour de la vente, soit le 25 juin 2003 et devant le notaire ' à l'instant même ' et comptant , ce qui induit que le prix de 16 769 932 € a été payé intégralement .

Or, il résulte des actes postérieurs à la vente authentique que contrairement aux indications mentionnées par le notaire , le prix n'a pas été payé en son intégralité le 25 juin 2003.

Il résulte en effet d'une reconnaissance de dette rédigée le 25 juin 2003 que la gérante de la SCI Mac Mahon Lanrezac, Madame [F] [C], reconnaissait devoir à la société Khalifa Airways la somme de 12 422 392 € au titre de l'acquisition des trois villas de Cannes et ce ' malgré le quittancement de la totalité du prix de vente de ladite propriété soit 16 769 932 €, selon les termes de l'acte reçu par Maître [W] [T], notaire à Paris, le 25 juin 2003 ' .

Si Maître [T] conteste avoir eu connaissance de ce document, il convient de relever que ce dernier a été rédigé le jour même de la signature de la vente et de la promesse de vente litigieuse, étant également observé qu'il résulte du jugement du

tribunal correctionnel de Nanterre que Madame [C] avait signé le même jour une attestation selon laquelle ' Maître [T] lui a recommandé de ne pas verser hors sa comptabilité la somme de

10 281 392 € ' , le tribunal relevant que la précision de cette recommandation ne laissait aucun doute sur la connaissance par Maître [T] du paiement d'une partie du prix hors sa comptabilité .

Par ailleurs, il convient de rappeler que Maître [T] a établi le 1er juillet 2003 un acte rectificatif au contradictoire de la société Khalifa Airways et de la société Mac Mahon Lanrezac pour préciser que le prix avait été payé à concurrence de 6 488 000 € par la comptabilité du notaire et à concurrence du surplus en dehors de la comptabilité du notaire , dès avant le 25 juin 2003 .

Cet acte rectificatif est par conséquent en contradiction avec les mentions figurant dans l'acte de vente, le prix n'ayant pas été payé dans son intégralité le 25 juin 2003 , mais ayant été payé pour partie avant cette date et hors la comptabilité du notaire , Maître [T] reconnaissant implicitement par cette attestation avoir mentionné faussement dans l'acte de vente que le prix de

16 769 932 € avait été payé comptant le jour même de la vente ' à l'instant même ' , et que le vendeur le reconnaissait et en donnait quittance à l'acquéreur .

Si Maître [T] soutient que l'affirmation du paiement comptant et en totalité du prix est le fait des parties et que l'acte de vente dressé par lui n'énonce aucun fait qu'il aurait personnellement constaté, il convient de relever que la rédaction de l'acte par Maître [T] et la mention ' à l'instant même ' laisse clairement entendre que l'acquéreur a payé immédiatement le prix et que le vendeur lui en a donné quittance sans réserve en présence du notaire .

Par conséquent, Maître [T] a incontestablement commis une faute dans la rédaction de l'acte authentique de vente en affirmant faussement que l'acquéreur a payé intégralement le prix de vente le jour même de la vente alors qu'il résulte d'une reconnaissance de dette rédigée le jour même de l'acte par la gérante de l'acquéreur et d'un acte rectificatif rédigé par le notaire lui-même que le prix n'a pas été payé intégralement le 25 juin 2003

Immédiatement après la signature de l'acte de vente , Maître [T] a rédigé la promesse unilatérale de vente entre la SCI Mac Mahon Lanrezac et la société Amas Investment & Project Services

Maître [T], qui fait valoir qu'il n'a pas personnellement constaté le paiement comptant et en totalité du prix et qui savait qu'une partie de ce dernier avait été payé hors sa comptabilité aurait dû, à minima, et au titre de son devoir de conseil, attirer l'attention du bénéficiaire de la promesse sur le fait qu'il n'avait pas personnellement été témoin du versement de l'intégralité du prix .

Or, comme le souligne le tribunal correctionnel, Maître [T], de son propre aveu, n'a pas jugé utile d'informer la société Amas du paiement d'une partie du prix hors sa comptabilité, alors qu'il s'agissait à l'évidence d'une information essentielle pour cette société , nul notaire

ne pouvant ignorer les risques spécifiques des paiements hors la vue ' .

C'est dans ces conditions que Maître [T] a rédigé la promesse unilatérale de vente qui disposait, page 10 ' Le bénéficiaire autorise d'ores et déjà le notaire soussigné à remettre ladite somme de sept millions au promettant , et ce, préalablement à la réalisation des conditions suspensives ci-dessous relatées ' .

Maître [T] , qui savait que le prix d'acquisition par la société promettante n'avait pas été payé par sa comptabilité, a par conséquent permis à la SCI Mac Mahon Lanrezac de recevoir sans autre formalité et immédiatement la somme de 7 millions d'euros alors même que les conditions suspensives et l'option n'étaient même pas levées et a donc incontestablement manqué à son devoir le plus élémentaire de prudence .

Il a également manqué à son devoir de conseil en ne conseillant pas au bénéficiaire de la promesse de conserver cette indemnité d'immobilisation d'un montant considérable sous sequestre , conduisant la société Amas , substitué aujourd'hui par la société Amalux, à libérer directement et immédiatement entre les mains de la SCI Mac Mahon Lanrezac la somme de sept millions d'euros .

Il est donc établi que Maître [T] a manqué à ses devoirs d'authentification , de prudence et de conseil et engage à ce titre sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du code civil .

Le jugement du tribunal de grande instance de Grasse du 8 novembre 2011 sera donc infirmé.

Sur le préjudice et le lien de causalité :

La société Amalux expose que son préjudice résulte dans le fait qu'elle a accepté, sur la base d'une mention fallacieuse du notaire qui lui a fait croire que son vendeur avait pleinement payé les biens objets de la promesse, de libérer immédiatement et sans séquestre entre les mains de ce dernier le montant de l'indemnité d'immobilisation d'un montant de sept millions d'euros.

Maître [T] réplique que la société Amalux avait connaissance de toutes les difficultés concernant le titre de la SCI Mac Mahon et qu'elle s'est engagée en toute connaissance de cause

le 8 octobre 2003 lorsqu'elle est entrée dans les liens de la promesse de vente par l'effet de la substitution .

En l'espèce, il n'est pas contestable qu'à la date de la substitution, soit le 8 octobre 2003, la liquidation judiciaire de la société Khalifa Airways avait été ouverte par jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 10 juillet 2003 .

Il n'est pas non plus contestable que la SA Amalux a également eu connaissance des difficultés portant sur le titre de la SCI Mac Mahon Lanrezac par la procédure de référé engagée à l'encontre de la société Amas ayant donné lieu à une ordonnance de référé du 6 octobre 2003, puis par un courrier du 20 octobre 2003 dans lequel la SCI Mac Mahon Lanrezac indiquait qu'en l'état, le promettant était dans l'incapacité de justifier d'un droit de propriété régulier et trentenaire .

Cependant, il convient de relever qu'à la date de la substitution, soit le 8 octobre 2003, la société AMALUX était dans l'incapacité de prévoir que le tribunal de commerce allait décider, par jugement du 27 janvier 2005, de faire rétroagir la période suspecte à la date du 31 mai 2003, soit avant l'acte de vente du 25 juin 2003 et que cette vente allait par la suite être annulée par jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 9 juin 2005 confirmé par arrêt de la cour d'appel de Versailles le 11 mai 2006 .

Par conséquent, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal et à ce que soutient le notaire, la SA Amalux, au moment de la substitution, n'était pas parfaitement informée de tous les obstacles à la réalisation de la vente .

Le préjudice de la société Amalux ayant pour origine les manquements de Maître [T] à ses devoirs d'authentification, de prudence et de conseil résulte dans l'impossibilité totale de récupérer les sept millions directement libérés entre les mains de la SCI Mac Mahon Lanrezac tenant :

* à l'absence de convention de séquestre ;

* au fait que les sept millions ne sont manifestement jamais passés par la comptabilité du notaire et qu'en tout état de cause, rien ne permet de savoir ce que cette somme est devenue ;

* à la liquidation judiciaire dont la clôture a été prononcée pour insuffisance d'actifs ;

Par conséquent, Maître [T] sera condamné à payer à la SA Amalux la somme de 7 millions d'euros, augmentée des frais à hauteur de 10 %, soit la somme de 7 700 000 € assortie d'un taux d'intérêt de 5 % l'an, conformément aux dispositions de la promesse de vente du 25 juin 2003 ( page 10 ) , avec capitalisation des intérêts, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil .

La SA Amalux réclame également, à titre de réparation, la somme de 5 000 000 € contractuellement prévu dans la promesse de vente et correspondant à l'estimation contractuelle du préjudice causé au bénéficiaire de la promesse de vente ( la SA Amalux ) par le promettant ( la SCI Mac Mahon Lanrezac ) du fait du défaut de réalisation de ladite promesse .

En l'espèce, il convient de constater que le manquement de Maître [T] à son devoir d'authentification, et notamment la mention erronée figurant dans l'acte de vente stipulant que ' le prix a été payé comptant à l'instant même ' , qui laissait croire au bénéficiaire de la promesse, qui comportait une condition suspensive relative à la justification de la propriété, que son vendeur avait pleinement payé le prix et était bien propriétaire des trois villas, est en lien direct avec la caducité de la promesse de vente prononcée par l'arrêt de la cour d'appel d'Aix en Provence le 24 septembre 2015, cette caducité résultant directement de l'annulation de la vente entre la société Khalifa Airways/SCI Mac Mahon Lanrezac qui a entraîné l'impossibilité d'exécuter la promesse unilatérale de vente .

Par conséquent, Maître [T] sera condamné à payer à la SA Amalux la somme de 5 millions d'euros en réparation de son préjudice financier .

Enfin, la SA Amalux, qui se borne à faire état des affres de la procédure pour solliciter une somme de 150 000 € à titre de dommages et intérêts, sera déboutée de sa demande .

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Grasse du 8 novembre 2011 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Déclare commun à Maître [W] [T] l'arrêt rendu le 24 septembre 2015 par la 1er chambre B de la cour d'appel d'Aix en Provence ,

Dit que Maître [T] a manqué à ses devoirs d'authentification , de prudence et de conseil et engage à ce titre sa responsabilité sur le fondemenr de l'article 1382 du code civil ,

Condamne en conséquence Maître [W] [T] à payer à la SA Amalux la somme de 7 millions d'euros, augmentée des frais à hauteur de 10 %, soit la somme de 7 700 000 € assortie d'un taux d'intérêt de 5 % l'an, conformément aux dispositions de la promesse de vente du 25 juin 2003 , avec capitalisation des intérêts, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ,

Condamne Maître [W] [T] à payer à la SA Amalux la somme de 5 millions d'euros en réparation de son préjudice financier ,

Déboute la SA Amalux de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,

Condamne Maître [T] aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec autorisation de recouvrement direct au profit de la SELARLChabannes-Senmartin ,

Condamne Maître [W] [T] à payer à la SA Amalux la somme de 6000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour ses frais engagés en première instance et en appel.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 1ère chambre a
Numéro d'arrêt : 16/07091
Date de la décision : 19/12/2019

Références :

Cour d'appel de Montpellier A1, arrêt n°16/07091 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-12-19;16.07091 ?
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