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délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
1ère Chambre A
ARRÊT DU 07 NOVEMBRE 2019
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 15/05437 - N° Portalis DBVK-V-B67-MFFE
Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 MARS 2015
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE CARCASSONNE
N° RG 13/01273
APPELANT :
Monsieur [U] [Y]
né le [Date naissance 2] 1958 à [Localité 3]
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représenté par Me Yann GARRIGUE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et assisté de Me Jean GROBOST, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant
INTIMES :
Monsieur [C] [Y]
né le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 3]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Christophe GRAU, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES, avocat postulant et plaidant
Maître Michel BESANCENOT
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Adresse 3]
[Localité 3]
Représenté par Me Gilles LASRY de la SCP D'AVOCATS BRUGUES - LASRY, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et plaidant
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 03 SEPTEMBRE 2019
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 SEPTEMBRE 2019, en audience publique, M. Thierry CARLIER ayant fait le rapport prescrit par l'article 785 du même code, devant la cour composée de :
Mme Anne-Marie HEBRARD, Présidente
Mme Brigitte DEVILLE, Conseillère
M. Thierry CARLIER, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Camille MOLINA
ARRÊT :
- Contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ;
- signé par Mme Anne-Marie HEBRARD, Présidente, et par Mme Camille MOLINA, Greffier.
*
**
EXPOSE DU LITIGE :
[U] [Y] a été associé avec son père [D] [Y] et son frère, [C] [Y], au sein de plusieurs sociétés :
* la société Fozza ( pose de menuiseries aluminium et PVC ), dont les parts étaient détenues à 5 % par [U] [Y], à 5 % par [C] [Y] et à 90 % par [D] [Y],
* la société Isoplast ( fabrication de menuiseries aluminium et PVC ), dont les parts étaient détenues à 30 % par [U] [Y], à 51 % par [C] [Y] et à 19 % par [D] [Y],
* la Sarl Primalu ( fabrication de menuiseries aluminium ) dont les parts étaient détenues à 40 % par [U] [Y], à 40 % par [C] [Y] et à 20 % par la Sarl Fozza,
* la Sci Moulin Saint Bernard dont les parts étaient détenues à 31 % par [U] [Y] et à 69 % par [D] [Y] .
Des difficultés économiques ainsi que des conflits entre associés ont justifié la désignation de Maître [P] en qualité de mandataire ad hoc, par le président du tribunal de commerce de Carcassonne par ordonnance du 7 septembre 2010 .
Le mandataire a proposé l'ouverture d'une procédure de sauvegarde pour la Sarl Fozza ainsi qu'une redistribution du capital social des diverses sociétés .
Sur la base de ces recommandations, un protocole d'accord a été signé le 13 décembre 2010 entre les trois associés, contresigné par Maître [P] :
Ce protocole prévoyait :
- la cession à l'€ symbolique au profit de [C] [Y] des parts détenues par [U] [Y] et [D] [Y] dans le capital de Isoplast, de telle sorte que [C] [Y] détienne 100 % du capital social,
- des cessions à l'€ symbolique des actions détenues par [D] [Y] dans le capital de la Sci Le Moulin de Saint Bernard de telle sorte qu'[D] [Y] détienne 38 % du capital et [C] et [U] [Y] 31 % chacun,
- que la société Primalu soit cogérée par [C] et [U] [Y] .
Il était en outre convenu entre les parties que ce protocole prendrait effet à la date d'homologation du plan de sauvegarde de la Sarl Fozza .
Par jugement du 7 mars 2011, la sauvegarde de la Sarl Fozza a été ouverte .
Par actes du 22 juillet 2011 reçus par Maître [O] ont été régularisées :
* une donation de parts sociales d'Isoplast 11 détenues par [U] [Y] au profit de [C] [Y] ,
* une donation de la nue-propriété de 15 parts sociales de la Sci Le Moulin de Saint Bernard détenues par [D] [Y] au profit de [U] [Y],
* une donation des parts sociales de la Sci Le Moulin de Saint Bernard détenues par [D] [Y] au profit de [C] [Y] .
Le 4 juin 2012, le Tribunal de commerce de Carcassonne a converti la procédure de sauvegarde de la Sarl Fozza en procédure de redressement judiciaire, puis en liquidation judiciaire le 2 juillet 2012 .
Par acte délivré le 17 juillet 2013, Monsieur [U] [Y] a assigné son frère et ancien associé, Monsieur [C] [Y] et Maître [O] devant le tribunal de grande instance de Carcassonne aux fins d'obtenir à titre principal la caducité de l'acte de donation du 22 juillet 2011 portant sur les 450 parts sociales de la Sarl Isoplast 11 et subsidiairement , la condamnation du notaire à lui verser une somme de 120 000 € en réparation de son préjudice .
Par jugement du 24 mars 2015, le tribunal de grande instance de Carcassonne a :
- débouté Monsieur [U] [Y] de sa demande tendant à la caducité de l'acte du 22 juillet 2011 portant donation des 450 parts sociales de la société Isoplast 11,
- condamné Maître [E] [O] à payer à Monsieur [U] [Y] la somme de 36 000 € à titre de dommages et intérêts ,
- condamné Maître [E] [O] à payer à Monsieur [U] [Y] la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ,
- débouté les parties de l'intégralité de leurs plus amples demandes,
- ordonné l'exécution provisoire ,
- condamné Maître [O] aux dépens qui pourront être recouvrés directement par les avocats de la cause sur leur affirmation de droit.
Le 17 juillet 2015, Monsieur [U] [Y] a interjeté appel de cette décision .
Vu les conclusions de Monsieur [U] [Y] remises au greffe le 11/07/2017,
Vu les conclusions de Monsieur [C] [Y] remises au greffe le 07/12/2015,
Vu les conclusions de Maître Michel Besancenot remises au greffe le 04/12/2015,
Vu l'ordonnance de clôture du 3 septembre 2019 .
SUR CE :
Monsieur [U] [Y] reproche au notaire d'avoir omis dans le cadre de la rédaction des actes de donation de mentionner la condition suspensive liée à l'adoption d'un plan de sauvegarde de la Sarl Fozza prévue dans le protocole d'accord du 13 décembre 2010 , cette omission transformant ainsi une donation conditionnée à l'homologation de la procédure de sauvegarde en un acte définitif et irrévocable .
Il expose que Monsieur [C] [Y] a ainsi récupéré la pleine propriété de la majorité absolue des parts de la société Isoplast et a provoqué l'état de cessation des paiement de la Sarl Fozza, la privant ainsi de la possibilité de présenter un plan de sauvegarde .
Il soutient que la donation du 22 juillet doit être déclarée nulle pour défaut de cause , faute d'homologation du plan de sauvegarde , le respect de la condition suspensive constituant pour lui le motif déterminant de son obligation .
La donation doit également être annulée selon lui sur le fondement de l'erreur, Monsieur [U] [Y] , en l'absence d'information par le notaire de l'absence de la condition suspensive, n'ayant pas pris l'exacte mesure de son engagement .
Enfin, il indique qu'aucun état estimatif n'a été annexé à la donation, contrairement aux dispositions de l'article 948 du code civil .
Il fait valoir que le notaire devait assurer l'efficacité de l'exécution du protocole et intégrer une condition suspensive dans ses actes et qu'en omettant cette condition sans l'avertir, il a trompé le consentement du donateur et a manqué à son obligation d'information et de conseil.
Il sollicite en conséquence la condamnation du notaire à la somme de 205 236 € à titre de dommages et intérêts correspondant à la valeur réelle des parts de la société Isoplast .
Maître [O] expose principalement que [U] [Y] a signé l'acte de donation en toute connaissance de cause, que les actes de donation du 22 juillet 2011 sont interdépendants et que [U] [Y] ne peut solliciter la nullité d'un seul acte de
donation tout en cherchant à conserver le bénéfice des autres actes de donation, [U] [Y] ne pouvant enfin soutenir avoir perdu la propriété des parts de la société Isoplast sans contrepartie et ne justifiant pas d'un préjudice .
Monsieur [C] [Y] expose que les donations entre vifs sont irrévocables sauf exceptions prévues à l'article 953 du code civil et qu'aucune cause de révocation n'est démontrée ni même alleguée en l'espèce , les références aux articles 1131 ou 1108 du code civil étant inopérantes , le seul article applicable étant l'article 953 du code civil prévoyant la révocation pour cause d'inexécution des conditions dans lesquelles les donations ont été faites, pour cause d'ingratitude et pour cause de survenance d'enfants .
En l'espèce, par acte du 22 juillet 2011 dénommé ' Donation de parts sociales ', Monsieur [U] [Y] a fait donation à son frère [C] [Y] des 450 parts sociales numérotées de 751 à 1200, entièrement libérées, appartenant à Monsieur [U] [Y] dans la société Isoplast 11, évaluées à 120 000 € .
Comme l'a relevé le tribunal, aucune condition suspensive n'est prévue à l'acte qui ne fait également aucune référence au protocole d'accord intervenu entre les parties le 13 décembre 2010, ni aux autres donations reçues par Maître [O] le même jour .
Aux termes de l'article 932 du code civil , ' La donation entre vifs n'engagera le donateur , et ne produira aucun effet, que du jour qu'elle aura été acceptée en termes exprès '.
Si Monsieur [U] [Y] soutient que l'homologation du plan de sauvegarde de la Sarl Fozza constituait une condition déterminante de son consentement à la donation et que l'acte de donation ne pouvait être régularisé que sous condition suspensive tant que l'homologation du plan de sauvegarde n'était pas intervenue, force est de constater qu'il a cependant paraphé et signé l'acte du 22 juillet 2011, portant donation entre vifs et passé devant notaire, et ne pouvait donc ignorer que la donation des parts sociales de la société Isoplast 11 n'était pas soumise à la condition de l'adoption d'un plan de sauvegarde de la Sarl Fozza .
Par conséquent, contrairement à ce que soutient l'appelant, l'omission de la condition suspensive dans l'acte de donation a bien été expressément approuvée par la partie qui s'obligeait, à savoir [U] [Y], ce dernier ayant signé devant notaire la donation entre vifs en toute connaissance de cause , ce qui permet de conclure que la condition suspensive prévue dans le protocole d'accord du 13 décembre 2010 avait été manifestement abandonnée .
Monsieur [U] [Y] ne justifie donc d'aucune absence de cause de son obligation ni d'aucune erreur ayant vicié son consentement, étant rappelé en tout état de cause qu'aux termes de l'article 953 du code civil , ' La donation entre vifs ne pourra être révoquée que pour cause d'inexécution des conditions sous lesquelles elle aura été faite , pour cause d'ingratitude, et pour cause de survenance d'enfant ' , aucune de ces causes de révocation n'étant en l'espèce démontrée ni alléguée .
Enfin, aux termes de l'article 948 du code civil , ' Tout acte de donation d'effets mobiliers ne sera valable que pour les effets dont un état estimatif, signé du donateur et du donataire, ou de ceux qui acceptent pour lui, aura été annexé à la minute de la donation ' .
En l'espèce, l'acte de donation stipule :
'Evaluation
Les parties déclarent que les parts sociales faisant l'objet de la présente donation sont d'une valeur de 120 000 € ' .
Si Monsieur [U] [Y] soutient qu'aucun élément comptable ne permettait de justifier la valeur retenue, il convient cependant de relever qu'en sa qualité de détenteur des parts données, il lui appartenait d'avoir connaissance de la valeur de ces dernières , valeur déterminée, aux termes de l'acte, par les parties, aucun élément au dossier ne permettant d'établir que Monsieur [U] [Y] aurait été écarté des négociations intervenues entre son père, son frère et le notaire concernant la détermination de l'évaluation des parts de la société Isoplast .
L'acte de donation comporte donc bien un état estimatif, conformément aux dispositions de l'article 948 du code civil , étant enfin relevé que la consultation du cabinet d'expertise comptable CQFD versé aux débats par l'appelant ne se fonde que sur une hypothèse de calcul et ne revêt pas un caractère suffisamment probant pour remettre en cause l'évaluation déterminée et acceptée par les parties .
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de caducité de l'acte de donation du 22 juillet 2011 et la demande de nullité de cet acte, formée en cause d'appel, sera également rejetée .
Par ailleurs, il résulte de ce qui vient d'être développé que si Maître [P], administrateur judiciaire, avait informé le notaire le 15 juillet 2011 de l'existence d'un protocole d'accord régularisé le 13 décembre 2010, il n'est pas contestable que Monsieur [U] [Y] a cependant signé l'acte de donation du 22 juillet 2011 en connaissant l'absence d'adoption d'un plan de sauvegarde de la Sarl Fozza et en renoncant de ce fait à faire de cette adoption une condition de la donation de ses parts .
En tout état de cause, aucun élément n'est en l'espèce suffisamment probant pour établir que l'absence de référence à la condition suspensive dans l'acte de donation résulterait d'un manquement du notaire à son obligation de conseil et d'information alors que l'acte authentique du 22 juillet 2011 ne fait aucune référence au protocole d'accord et que cet acte est clair et explicite sur les conditions de la donation .
En effet, contrairement à ce que soutient [U] [Y] , l'acte rédigé par le notaire informe clairement ce dernier du caractère inconditionné de son engagement , indiquant :
' Retrait d'associé
Comme suite à la cession de la totalité de ses parts sociales, Monsieur [U] [Y] se retire de la société ' .
Monsieur [U] [Y] ne pouvait donc, en l'absence de condition suspensive, se méprendre sur le caractère irrévocable de l'acte de donation .
Compte tenu de ces éléments, aucune faute n'est caractérisée à l'encontre du notaire, le jugement étant infirmé de ce chef et les demandes présentées à ce titre par Monsieur [U] [Y] rejetées .
Monsieur [C] [Y] ne caractérise pas en quoi l'exercice par son frère d'une action en justice a pu dégénérer en abus . Il sera donc débouté de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 20 000 € au titre de son préjudice moral,
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté Monsieur [U] [Y] de sa demande tendant à la caducité de l'acte du 22 juillet 2011 portant donation des 450 parts sociales de la société Isoplast 11,
Statuant à nouveau et y ajoutant ,
Déboute Monsieur [U] [Y] de sa demande de nullité de l'acte de donation du 22 juillet 2011,
Dit qu'il n'est caractérisé aucune faute à l'encontre de Maître [E] [O],
Déboute en conséquence Monsieur [U] [Y] de ses demandes présentées à son encontre,
Déboute Monsieur [C] [Y] de sa demande de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral,
Condamne Monsieur [U] [Y] aux entiers dépens de première instance et d'appel,
Condamne Monsieur [U] [Y] à payer à Maître [O] une somme de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile , pour ses frais engagés en appel ,
Condamne Monsieur [U] [Y] à payer à Monsieur [C] [Y] une somme de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile , pour ses frais engagés en appel.
La Greffière,La Présidente,