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23/05/2019 | FRANCE | N°18/03861

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 1ère chambre a, 23 mai 2019, 18/03861


Grosse + copie

délivrées le

à







COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



1ère Chambre A



ARRET DU 23 MAI 2019



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/03861 - N° Portalis DBVK-V-B7C-NYJZ



(Dossiers 18/3861 et 18/3914 joints sous le 18/3861)





Décisions déférées à la Cour :



-Jugement du Tribunal de Grande Instance de Nîmes du 07 Octobre 2008 enregistrée sous le n° 07/06096

-Arrêts de la Cour d'Appel de NIMES des 8 juin 2010, 11 octobr

e 2011 et 14 Janvier 2016, enregistrés sous le n° 08/5396

-Arrêt de la Cour de Cassation du 07 Septembre 2017, enregistré sous le n° 860 F-D



Vu l'article 1037-1 du code de procédure...

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

1ère Chambre A

ARRET DU 23 MAI 2019

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/03861 - N° Portalis DBVK-V-B7C-NYJZ

(Dossiers 18/3861 et 18/3914 joints sous le 18/3861)

Décisions déférées à la Cour :

-Jugement du Tribunal de Grande Instance de Nîmes du 07 Octobre 2008 enregistrée sous le n° 07/06096

-Arrêts de la Cour d'Appel de NIMES des 8 juin 2010, 11 octobre 2011 et 14 Janvier 2016, enregistrés sous le n° 08/5396

-Arrêt de la Cour de Cassation du 07 Septembre 2017, enregistré sous le n° 860 F-D

Vu l'article 1037-1 du code de procédure civile;

DEMANDEURS A LA SAISINE ET APPELANTS

(RG 18/3861 ET RG 18/3914) :

Madame [Z] [T] épouse [G]

née le [Date naissance 1] 1942 à [Localité 1]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Christophe BEAUREGARD de la SCP CALAUDI/BEAUREGARD/MOLINIER/TRIBOUL MAILLET, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

et assistée de Me Pascale CALAUDI de la SCP CALAUDI/BEAUREGARD/MOLINIER/TRIBOUL MAILLET, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant

Monsieur [T] [G]

né le [Date naissance 2] 1941 à [Localité 3]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 2]

Représenté par Me Christophe BEAUREGARD de la SCP CALAUDI/BEAUREGARD/MOLINIER/TRIBOUL MAILLET, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

et assisté de Me Pascale CALAUDI de la SCP CALAUDI/BEAUREGARD/MOLINIER/TRIBOUL MAILLET, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant

Madame [S] [G] épouse [H]

née le [Date naissance 3] 1936 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Christophe BEAUREGARD de la SCP CALAUDI/BEAUREGARD/MOLINIER/TRIBOUL MAILLET, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

et assistée de Me Pascale CALAUDI de la SCP CALAUDI/BEAUREGARD/MOLINIER/TRIBOUL MAILLET, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant

DEFENDEURS A LA SAISINE ET INTIMES

(RG 18/3861 ET RG 18/3914) :

Madame [L] [N] épouse [P]

née le [Date naissance 4] 1941 à [Localité 6]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représentée par Me Déborah MARTOS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

et assistée de Me Julien DUMAS-LAIROLLE, avocat au barreau de NIMES, avocat plaidant

Monsieur [G] [B] [C] [N]

né le [Date naissance 5] 1967 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 8]

Représenté par Me Déborah MARTOS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

et assisté de Me Julien DUMAS-LAIROLLE, avocat au barreau de NIMES, avocat plaidant

Madame [D] [N] épouse [K]

née le [Date naissance 6] 1970 à [Localité 8]

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Localité 8]

Représentée par Me Déborah MARTOS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

et assistée de Me Julien DUMAS-LAIROLLE, avocat au barreau de NIMES, avocat plaidant

Madame [J] [N] épouse [O]

née le [Date naissance 7] 1974 à [Localité 8]

de nationalité Française

[Adresse 7]

[Localité 9]

Représentée par Me Déborah MARTOS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

et assistée de Me Julien DUMAS-LAIROLLE, avocat au barreau de NIMES, avocat plaidant

Madame [W] [N] épouse [Z]

née le [Date naissance 8] 1982 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 8]

[Localité 7]

Représentée par Me Déborah MARTOS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

et assistée de Me Julien DUMAS-LAIROLLE, avocat au barreau de NIMES, avocat plaidant

ASSOCIATION DES RIVERAINS ET PROPRIETAIRES DU [Adresse 9]

prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié ès qualités audit siège.

[Adresse 10]

[Localité 5]

assignée le 30 août 2018 à étude (RG 18/3914)

SCI LIBERE-TERRE DE [Localité 10]

immatriculée au RCS de Nîmes sous le N° 480 733 328

agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

dont le siège social est

[Adresse 11]

[Localité 11]

Représentée par Me Jean noël SARRAZIN de la SCP TEISSEDRE, SARRAZIN, CHARLES GERVAIS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

et assistée de Me Roch-Vincent CARAIL, avocat au barreau de NIMES, avocat plaidant

DEFENDERESSE A LA SAISINE,

INTIMEE ET INTERVENANTE

(RG 18/3861 ET RG 18/3914) :

Madame [K] [L] épouse [R]

prise tant en son nom personnel qu'en qualité d'héritière de Mr [I] [R] décédé le [Date décès 1] 2013, propriétaire riverain du chemin de [Localité 12]

née le [Date naissance 9] 1961 à [Localité 13]

de nationalité Française

[Adresse 10]

[Localité 5]

assignée le 30 août 2018 à domicile (RG 18/3914)

DEFENDEURS A LA SAISINE ET

INTERVENANTS

(RG 18/3861 ET RG 18/3914) :

Monsieur [F] [R]

pris en qualité d'héritier de Mr [I] [R] décédé le [Date décès 1] 2013, propriétaire riverain du chemin de [Localité 12]

né le [Date naissance 10] 1964 à

de nationalité Française

[Adresse 12]

[Localité 14]

assigné le 30 août 2018 à personne (RG 18/3914)

Madame [U] [V] [R]

prise en qualité d'héritière de Mr [I] [R] décédé le [Date décès 1] 2013, propriétaire riverain du chemin de [Localité 12]

né le [Date naissance 11] 1966 à [Localité 15]

de nationalité Française

[Adresse 13]

[Localité 16]

assignée le 30 août 2018 procès-verbal art 659 CPC (RG 18/3914)

Monsieur [P] [R]

pris en qualité d'héritier de Mr [I] [R] décédé le [Date décès 1] 2013, propriétaire riverain du chemin de [Localité 12]

né le [Date naissance 12] 1974 à [Localité 17]

de nationalité Française

[Adresse 14]

[Localité 14]

assignée le 30 août 2018 à domicile (RG 18/3914)

Monsieur [Y] [H] [R]

pris en qualité d'héritier de Mr [I] [R] décédé le [Date décès 1] 2013, propriétaire riverain du chemin de [Localité 12]

né le [Date naissance 12] 1974 à [Localité 17]

de nationalité Française

[Adresse 10]

[Localité 5]

assignée le 30 août 2018 à étude (RG 18/3914)

Monsieur [X] [I] [R]

pris en qualité d'héritier de Mr [I] [R] décédé le [Date décès 1] 2013, propriétaire riverain du chemin de [Localité 12]

né le [Date naissance 13] 1984 à [Localité 18]

de nationalité Française

[Adresse 10]

[Localité 5]

assignée le 30 août 2018 à personne (RG 18/3914)

Monsieur [N] [R]

pris en qualité d'héritier de Mr [I] [R] décédé le [Date décès 1] 2013, propriétaire riverain du chemin de [Localité 12]

né le [Date naissance 14] 1986 à [Localité 19]

de nationalité Française

[Adresse 10]

[Localité 5]

assignée le 30 août 2018 à domicile (RG 18/3914)

Madame [A] [E] [R]

prise en qualité d'héritière de Mr [I] [R] décédé le [Date décès 1] 2013, propriétaire riverain du chemin de [Localité 12]

née le [Date naissance 15] 1993 à [Localité 18]

de nationalité Française

[Adresse 10]

[Localité 5]

assignée le 30 août 2018 à domicile (RG 18/3914)

ORDONNANCE DE CLOTURE DU 19 Mars 2019

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le MARDI 26 MARS 2019,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Thierry CARLIER, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Caroline CHICLET, Conseiller, faisant fonction de Président

Monsieur Thierry CARLIER, Conseiller

Madame Béatrice VERNHET, Conseiller, désigné par ordonnance du premier président en date du 19 mars 2019

Greffier, lors des débats : Madame Marie-José TEYSSIER

Le délibéré prononcé au 16/05/2019 est prorogé au 23/05/2019.

ARRET :

- PAR DÉFAUT

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Thierry CARLIER , Conseiller, en remplacement de la Présidente empêchée et par Madame Emmanuelle MARCHAL, Directrice des services de greffe judiciaire.

*

**

EXPOSE DU LITIGE :

Les époux [G]/[T] sont propriétaires dans la commune de [Localité 2] ( Gard ) de diverses parcelles situées au lieudit ' [Adresse 15] ' selon acte authentique du 27 septembre 1996.

Madame [S] [H] est propriétaire de parcelles limitrophes situées sur la commune de [Localité 5] (Gard) selon acte authentique du 26 octobre 1977.

Enfin, la Sci Libère-Terre est également propriétaire de parcelles agricoles dans cette même commune au lieudit '[Localité 10]' selon acte authentique du 16 août 2007.

Soutenant que son domaine était enclavé et que les époux [G]/[T] et Madame [S] [H] s'opposaient à son passage sur le chemin traversant leurs propriétés respectives, la Sci Libère Terre les a assignés sur le fondement des articles 682 et 691 du code civil en prescription de l'assiette de ce chemin devant le tribunal de grande instance de Nîmes qui, par jugement contradictoire du 07 octobre 2008, a constaté l'état d'enclave de la propriété de la Sci Libère Terre et a dit qu'elle avait acquis par prescription par elle-même et ses auteurs l'usage de l'assiette du chemin traversant les propriétés [G]/[T] et de Madame [S] [H] à partir de la route départementale 39.

Les époux [G]/[T] et Madame [H] ayant relevé appel de ce jugement, la cour d'appel de Nîmes, par arrêt du 8 juin 2010, a , avant dire droit au fond, ordonné une mesure d'expertise confiée à Madame [A], géomètre expert à [Localité 20] , avec notamment pour mission d'apprécier si au regard des dispositions des articles 682 et suivants du code civil, le fonds de la Sci Libère Terre est enclavé et, si tel est le cas, par quel accès suffisant le passage peut être assuré au regard des dispositions de l'article 685 du code civil.

Selon arrêt postérieur du 11 octobre 2011, la cour a ordonné la poursuite des opérations d'expertise au contradictoire des propriétaires riverains assignés en intervention forcée par la Sci Libère-Terre, soit [I] et [K] [R], l'association des riverains et propriétaires du chemin de [Localité 21] et [L], [D], [J] et [W] [N] .

Monsieur [I] [R] étant décédé en cours de procédure, ses héritiers, [K], [Y], [X], [N], [F], [U], [P] et [A] [R] ont été assignés à leur tour en intervention forcée .

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 21 décembre 2012 en concluant à une enclave partielle de la propriété Libère Terre .

Par arrêt du 14 janvier 2016, la cour d'appel de Nîmes a :

infirmé le jugement déféré dans ses dispositions relatives à l'acquisition par prescription trentenaire par la Sci Libère Terre de l'assiette d'un chemin de passage, aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ,

dit que l'accès à la voie publique ( RD 39 ) de la propriété de la Sci Libère Terre se fera selon le tracé D-K-J-I-H-G figurant en couleurs marron et jaune au plan annexé par l'expert [A] à son rapport du 21 décembre 2012,

fixé à 3 750 € l'indemnité devant revenir aux époux [G]/[T] et condamné en tant que de besoin la Sci Libère Terre à son paiement,

débouté les consorts [N] de leur demande en paiement de dommages et intérêts ,

confirmé le jugement dans ses dispositions non contraires,

dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ,

dit que chaque partie conservera la charge des dépens qu'elle a exposés en première instance et en appel .

Les époux [G]/[T] et Madame [H] ont formé un pourvoi contre cette décision.

Par arrêt du 7 septembre 2017, la Cour de cassation a cassé et annulé , en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 janvier 2016 par la cour d'appel de Nîmes et a renvoyé ces dernières devant la cour d'appel de Montpellier .

Les consorts [R] et l'association des riverains et propriétaires du chemin de [Localité 21] n'ont pas constitué avocat.

Vu les conclusions de Madame [Z] [G] née [T] , de Monsieur [T] [G] et de Madame [S] [H] née [G] remises au greffe le 11/03/2019,

Vu les conclusions de la Sci Libère Terre de [Localité 10] remises au greffe le 30/10/2018,

Vu les conclusions de Mesdames [L], [D], [J], [W] [N] et de Monsieur [G] [N] remises au greffe le 26/10/2018,

Vu l'ordonnance de clôture du 19 mars 2019.

SUR CE :

Sur la limite de la saisine après cassation :

La Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes au motif suivant :

' Sur le moyen unique :

Vu l'article 455 du code de procédure civile;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la Sci Libère Terre ( la Sci ) , propriétaire de parcelles agricoles enclavées, a assigné M.et Mme [G] et Mme [H] , propriétaires des parcelles voisines, en désenclavement ;

Attendu que, pour fixer le tracé de désenclavement au chemin Sud dit des [Localité 22] , l'arrêt retient que la présence de boîtes aux lettres en limite de la propriété de M. et Mme [G] démontre que la distribution du courrier des habitants du hameau de [Localité 10] s'effectue par le chemin des [Localité 22] ;

Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. et Mme [G] et Mme [H] qui invoquaient le caractère moins dommageable du chemin dit de [Localité 12] du fait de la présence , sur le chemin des [Localité 22], d'un pont submersible ne pouvant supporter de lourdes charges et de l'installation par la commune , sur le chemin d'exploitation existant parallèlement au chemin de [Localité 12], des réseaux desservant le hameau de [Localité 10], ainsi que d'une borne à incendie, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ' .

La cour d'appel de Montpellier est donc saisie de l'intégralité du litige.

Sur la prescription acquisitive :

Au préalable, il convient de rappeler que l'état d'enclave n'est pas discuté par les appelants.

Aux termes de l'article 685 alinéa 1 du code civil , ' L'assiette et le mode de servitude de passage pour cause d'enclave sont déterminés par trente ans d'usage continu ' .

Les consorts [G]-[H] exposent que la prescription acquisitive ne peut s'appliquer en l'espèce, invoquant sur ce point le rapport d'expertise qui exclut l'application de l'article 685 du code civil .

Il est constant que lorsque les usagers ont utilisé simultanément ou alternativement deux itinéraires, le passage s'exerçant en des points différents rend la possession équivoque et ne permet pas d'acquérir par prescription l'assiette d'une servitude de passage, même si les passages ont duré trente ans.

En l'espèce, il résulte du rapport d'expertise que les propriétés Libère-Terre, [H] et [F] ont une origine commune en ce qu'elles constituaient une seule unité foncière avant 1960 s'étendant du hameau de [Localité 10] à l'Est jusqu'au ruisseau d'[Localité 23] à l'Ouest desservie par le chemin napoléonien allant de la route départementale 21 ( point A du plan de l'expert ) au ruisseau d'[Localité 23] ( point H du plan ), l'expert indiquant que ce chemin va vite être insuffisant et rendre le domaine partiellement enclavé.

La desserte des parcelles issues des détachements successifs se fera de 1960 à 1993 notamment par le chemin du [Localité 21] à [Localité 12] puis, suite au litige [W]/[F] , par le fonds [F].

De 1993 à 2007, les acquéreurs de [W] , dont la Sci Libère-Terre, ont repris leur passage par le chemin du [Localité 21] à [Localité 12] jusqu'à ce qu'un litige les oppose à l'association des riverains quant à son entretien et/ou l'adhésion à l'association, la mairie de [Localité 5] ayant réalisé les derniers travaux d'entretien en 1979 en laissant pour l'avenir cette charge aux riverains .

La Sci Libère-Terre a alors revendiqué un passage sur le fonds [G]/[T] dont il est acquis que le chemin de couleur marron ( point G-H du plan ) traversant leur parcelle a été déplacé postérieurement à leur acquisition, déplacement entériné par la création de la parcelle C [Cadastre 1] à l'acte rectificatif du 15 juin 1998.

Il ressort de cette chronologie que l'itinéraire utilisé par la Sci Libère Terre et ses auteurs a varié au cours du temps, ce qui rend la possession alléguée équivoque et ne permet pas de retenir l'existence d'une prescription acquisitive.

Sur l'application des dispositions de l'article 684 du code civil :

Aux termes de l'article 684 du code civil , ' Si l'enclave résulte de la division d'un fonds par suite d'une vente, d'un échange, d'un partage ou de tout autre contrat, le passage ne peut être demandé que sur les terrains qui ont fait l'objet de ces actes.

Toutefois, dans le cas où un passage suffisant ne pourrait être établi sur les fonds divisés, l'article 682 serait applicable '.

En l'espèce, s'il ressort du rapport d'expertise que les propriétés [F],[H] et la Sci Libère Terre ont un auteur commun, l'expert indique que Monsieur et Madame [G] n'ont en revanche pas d'auteur commun avec la Sci Libère Terre, le domaine de [Localité 10] évoqué par les consorts [N] n'étant en outre aucunement limitrophe de la propriété [G], de sorte que les dispositions de l'article 684 du code civil ne peuvent leur être opposées .

Sur l'application des dispositions de l'article 683 du code civil :

Aux termes de l'article 683 du code civil , ' le passage doit régulièrement être pris du côté où le trajet est le plus court du fonds enclavé à la voie publique .Néanmoins, il doit être fixé dans l'endroit le moins dommageable à celui sur le fonds duquel il est accordé ' .

En l'espèce, l'expert retient deux possibilités de désenclavement :

* le passage par [Localité 12] ( tracé nord ) passant par les fonds [R] et [N]

* le passage par les [Localité 22] ( tracé sud ) passant par les fonds [G], [H] et [F]

Concernant la distance, l'expert indique que le passage par [Localité 12] serait plus court, faisant valoir que le tronçon A-B est un chemin rural et que le tronçon B- E - F serait d'une longueur de 270 mètres alors que la longueur G-H-I-J-K par les [Localité 22] serait de 1250 mètres.

Or, il convient de relever d'une part que si l'expert soutient que le tronçon entre A et B constitue un chemin rural, les pièces versées aux débats par la Sci Libère-Terre établissent au contraire qu'il s'agit d'un chemin privé, comme cela a été confirmé à plusieurs reprises et à des époques différentes par la Direction Départementale de l'Equipement du Gard et la Mairie de [Localité 5] .

En effet, il ressort du courrier adressé le 4 juin 1974 par le Directeur Départemental de l'équipement au Maire de [Localité 5] et ayant pour objet ' Chemin du [Localité 21]-Nature juridique ' que ' le chemin du [Localité 21] n'a pas été classé par le Conseil Municipal de [Localité 5] dans la catégorie des voies communales et ne figure pas, dans ces conditions, sur le tableau de classement unique des voies communales .

Il s'agit d'un chemin d'exploitation, qui part de la route de [Localité 5] et conduit à [Localité 12] .

Commun aux propriétaires d'[Localité 12] et du [Localité 21], il a été vendu par acte notarié du 31 juillet 1923 établi par Maître [Q] [V], notaire à [Localité 2], par M. [O] [M] à M. [R] [Y], cultivateur à [Localité 5] ' .

Par un courrier du 28 octobre 1993, la mairie refusera l'aide de la commune pour les travaux d'entretien du chemin du [Localité 21], faisant état du caractère privé de ce chemin , ce qui entraînera la constitution , le 12 août 1997, de l'association des riverains [Localité 21]-[Localité 12] ayant pour but d'assurer l'entretien et la réfection du Chemin du [Localité 21] et d'[Localité 12] .

Par courrier du 6 avril 2006 adressé à Monsieur [F], le maire de [Localité 5] indiquait :

' Suite à votre courrier recommandé du 31 mars dernier, veuillez trouver les réponses aux deux questions posées :

1-le chemin du [Localité 21] à [Localité 12] est entièrement privé .

2- aucun tronçon communal ne permet l'accès au hameau de Claveyrolles .

Enfin, par courrier du 10 mars 2015, le maire confirmait que le chemin du [Localité 21] n'était pas inscrit au tableau des voies communales, ni au tableau des voies rurales ( datant de 1859 ) et qu'à ce jour, la commune n'entreprenait aucune démarche pour qu'il devienne un chemin rural.

Compte tenu de ces éléments, il n'est pas démontré que le chemin du [Localité 21] à [Localité 12] correspondrait à la définition résultant de l'article L 161-1 du code rural aux termes duquel ' Les chemins ruraux sont les chemins appartenant aux communes, affectés à l'usage du public, qui n'ont pas été classés comme voies communales . Ils font partie du domaine privé de la commune'.

La longueur totale du tracé nord n'est donc pas de 270 mètres comme indiqué par l'expert mais de 1145 mètres en ajoutant le tronçon A-B d'une longueur de 875 mètres correspondant à un chemin privé .

Le tracé sud G-H-I-J-K qui part de la départementale 39 a une longueur selon l'expert quasi similaire de 1250 mètres , étant cependant relevé qu'il ressort du rapport d'expertise que le tronçon H-I-J-K d'environ 800 mètres passe au travers de la propriété [F] qui ne s'oppose plus à ce passage puis suit le chemin rural et parfois s'en décale pour passer au travers des terres de Madame [H] jusqu'au point H qui est le pont submersible .

Par conséquent, la majeure partie du passage par les [Localité 22] correspond à un chemin rural, le tracé passant également à travers la propriété [F] ayant consenti à Monsieur [W], auteur de la Sci Libère Terre, un droit de passage sur son fonds et à travers la propriété [H], étant rappelé que les propriétés Libère Terre, [H] et [F] ont une origine commune.

Il en résulte que le passage sur laquelle la Sci Libère Terre est confrontée à une opposition des propriétaires correspond au tronçon G-H ( propriété [T] ) d'une longueur de 100 mètres.

Le tracé nord étant de 1145 mètres exclusivement sur voie privée alors que le tracé sud est de 1250 mètres mais dont seulement 100 mètres sur voie privée , le chemin le plus court pour désenclaver la Sci Libère Terre est le chemin des [Localité 22].

Sur le critère de l'endroit le moins dommageable visé par l'article 683 du code civil , il convient de relever d'une part que si l'expert note sur le chemin d'exploitation existant parallèlement au chemin de [Localité 12] ( tronçon B-E-F ) l'existence de réseaux desservant le hameau de [Localité 10], ainsi que d'une borne à incendie, il indique également que ce chemin est carrossable mais fragile et demande une circulation à une vitesse très réduite, la seule présence de réseaux publics ne permettant pas en tout état de cause de caractériser l'existence d'un passage suffisant au sens de l'article 682 du code civil pour assurer la desserte complète des fonds.

D'autre part, concernant le passage par les [Localité 22], l'expert expose en premier lieu que le dommage est important chez Monsieur et Madame [G] qui ont une propriété bâtie à l'inverse du reste des terres agricoles, en second lieu que le dommage est important au niveau du pont submersible dans le ruisseau d'[Localité 23] qui ne peut supporter de lourdes charges, faisant valoir que pour le reste, c'est essentiellement un passage par le chemin rural autorisant tout trafic à tous véhicules .

Sur le premier point , il ressort du plan annexé à l'expertise que le chemin existant sur la propriété [G]/[T], qui constitue l'accès à la propriété [H], a été déplacé pour l'éloigner de leur habitation, déplacement entériné par la création de la parcelle C [Cadastre 1] par l'acte rectificatif du 15 juin 1998 dont la validité est contesté par les intimés.

En tout état de cause, l'acte rectificatif du 15 juin 1998 dispose ' Enfin, il est rappelé à Monsieur et Madame [G] que le chemin en question étant le seul accès à diverses propriétés ainsi qu'il a été dit ci-dessus, ils devront laisser le libre passage aux propriétaires concernés, ce qu'ils reconnaissent et acceptent ' .

Si les consorts [G]-[H] soutiennent que cette mention ne concernerait que les propriétaires du pailler de [Localité 10], à savoir Madame [H], force est de constater que l'acte rectificatif du 15 juin 1998 fait bien état des diverses propriétés et non pas uniquement de la propriété de Madame [H], ce qui est confirmé par un courrier du 27 août 2007 du maire honoraire de [Localité 2] , Monsieur [S], adressé à Monsieur [F], rappelant que la condition sine qua none de la transaction de 1998, édictée dans l'acte notarié, lu, approuvé et signé par Monsieur et Madame [G], était de laisser le libre passage aux propriétaires concernés.

Monsieur [S] ajoute ' Compte tenu des relations qui présidaient au déroulement de cette transaction, il n'est jamais venu à l'idée d'aucun conseiller municipal ni de moi-même d'énumérer les noms des propriétés concernées par ce droit de passage, lesquelles ont toujours été clairement identifiables car connues ( de notoriété publique ) comme étant toutes celles du quartier de [Localité 10] de [Localité 5] .

Je me permets ici de vous préciser la liste dont j'ai à coeur de préserver les droits de passage de leurs propriétaires respectifs:

1) propriété de Madame [D]

2)propriété de Madame [H]

3) propriété de Monsieur [F]

4) propriété de Monsieur [B]-Madame [U]

J'ose espérer que ces éclaircissements et/ou précisions vous permettront de donner à cette affaire un dénouement conformé aux aspirations clairement exprimées par les parties à l'époque de la négociation ' .

Par conséquent, il est établi qu'en 1998, les époux [G] s'engageaient à laisser le libre passage aux propriétaires concernés, ce qui est en contradiction avec le caractère dommageable du chemin par les [Localité 22] qu'ils revendiquent aujourd'hui, étant rappelé que le chemin des [Localité 22] a été déplacé pour que les habitants de l'actuel fonds [G] ne subissent plus les nuisances liées au passage ( extrait du registre des délibérations du Conseil Municipal du 22 mai 1997 ) .

Il convient également de constater que la présence de boîtes aux lettres en limite de la propriété [G]/[T] démontre que la distribution du courrier des habitants du hameau de [Localité 10] s'effectue bien par le chemin des [Localité 22] .

Par ailleurs, concernant l'état du chemin, l'expert considère qu'hormis le pont submersible qui ne pourrait supporter de lourdes charges, le passage par le chemin rural autorise tout trafic à tous véhicules .

Enfin, concernant le pont en béton, Monsieur [I] atteste que ce pont n'a connu de dommages que lors des crues de 2002 et 2011 et non à cause du passage de véhicules .

En tout état de cause, il n'est justifié d'aucun incident portant sur la résistance de ce pont en béton depuis sa construction en 1966 par Madame [X], ce pont auparavant en bois ayant été justement reconstruit pour permettre le passage de véhicules plus lourds .

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la cour considère que le passage le plus court et le moins dommageable est constitué par le tracé D-K-J-I-H-G du plan de l'expert .

Sur l'indemnité due par le bénéficiaire de la servitude :

Il résulte des dispositions de l'article 682 du code civil que le propriétaire dont les fonds sont enclavés est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner .

L'expert expose que l'indemnité sera obligatoire entre G et H chez Monsieur et Madame [G], estimant l'indemnité due sur un passage de 100 mètres de long et de 4 mètres de large, soit une assiette de 400 m² minimum, à 6000 € , sur la base de 30 €/m² .

La Sci Libère Terre, qui conteste l'estimation de l'expert, ne verse aux débats aucun élément permettant notamment de retenir un prix au m² de 10 € .

Par conséquent, la Sci Libère Terre sera condamnée à payer aux consorts [T]/[H] une indemnité de 6000 € .

Sur les demandes annexes :

Si les époux [G]/[T] et Madame [H] sont autorisés à se clore, ils devront pour permettre l'accès tel que défini, remettre à la Sci Libère Terre les clés du portail et de la chaîne installée en limite de leurs propriétés respectives dans les termes du jugement déféré .

Sur les demandes de dommages et intérêts :

Les appelants ne justifient pas en l'espèce d'un préjudice de jouissance particulier qui résulterait directement de l'attitude de la Sci Libère Terre, cette dernière ne caractérisant pas d'avantage un préjudice particulier résultant de l'attitude des consorts [G]/[H] .

Leurs demandes respectives de dommages et intérêts seront en conséquence rejetées .

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens:

Aucune circonstance économique ou d'équité ne conduit à faire application de l'article 700 du code de procédure civile .

Par ailleurs, les parties succombant partiellement dans leurs prétentions respectives, chacune d'elle conservera la charge des dépens qu'elle a exposés comprenant, en ce qui concerne la Sci Libère Terre, les frais d'expertise judiciaire, cette dernière ayant été ordonnée dans son intérêt .

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Infirme le jugement dans ses dispositions relatives à l'acquisition par prescription trentenaire par la Sci Libère Terre de l'assiette d'un chemin de passage, aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ,

Statuant à nouveau,

Dit que l'accès à la voie publique ( RD 39 ) de la propriété de la Sci Libère Terre se fera selon le tracé D-K-J-I-H-G figurant en couleurs marron et jaune au plan annexé par l'expert [A] à son rapport du 21 décembre 2012,

Fixe à la somme de 6000 € l'indemnité devant revenir aux époux [G] et condamne en tant que de besoin la Sci Libère Terre à son paiement,

Déboute les époux [G], Madame [H] et la Sci Libère Terre de leurs demandes de dommages et intérêts respectives ,

Confirme le jugement dans ses dispositions non contraires,

Rejette les autres demandes,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que chaque partie conservera la charge des dépens qu'elle a exposés en première instance et en appel, comprenant, pour la Sci Libère Terre, les frais d'expertise judiciaire.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

TC


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 1ère chambre a
Numéro d'arrêt : 18/03861
Date de la décision : 23/05/2019

Références :

Cour d'appel de Montpellier A1, arrêt n°18/03861 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-05-23;18.03861 ?
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