PC/JPM
4ème B Chambre Sociale
ARRÊT DU 21 Février 2019
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 15/06633 - N° Portalis DBVK-V-B67-MHJJ + 15/07056 JONCTION
ARRÊT n°
Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 AOUT 2015 CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE NARBONNE
N° RGF14/00289
APPELANT :
Monsieur J... U...
[...]
Représentant : Me Claude CALVET de la SCP GOUIRY/MARY/CALVET/BENET, avocat au barreau de NARBONNE
INTIMEE :
SAS MAT POWER
[...]
Représentant : Me MONSENEGO avocat pour Me Ethel OHAYON, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 945-1 du Code de Procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 DECEMBRE 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Jean-Pierre MASIA, Président, chargé(e) d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Jean-Pierre MASIA, Président
Mme Véronique DUCHARNE, Conseillère
Monsieur Jacques FOURNIE, CONSEILLER
Greffier, lors des débats : M. Philippe CLUZEL
ARRÊT :
- contradictoire.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure civile ;
- signé par M. Jean-Pierre MASIA, Président, et par M. Philippe CLUZEL, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCEDURE
Monsieur J... U... a été engagé dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 12 mai 2012 par la société MAT POWER en qualité d'ouvrier roulant, groupe G5, coefficient 120 M de la convention collective nationale des transports routiers.
Par lettre du 13 juin 2014, l'employeur a convoqué le salarié à un entretien préalable, fixé au 24 juin 2014, en vue d'une sanction pouvant aller jusqu'à son licenciement.
Par lettre du 27 juin 2014, l'employeur a licencié le salarié pour faute grave.
Contestant son licenciement, le salarié a saisi, le 22 septembre 2014, le conseil de prud'hommes de Narbonne lequel, par jugement du 24 août 2015, a requalifié le licenciement en un licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, a condamné l'employeur à lui payer les sommes de 495,92€ au titre de l'indemnité de congés payés, 2948,64€ au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, 294,86€ au titre des congés payés y afférents, 687,03€ au titre de l'indemnité légale de licenciement, 950€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, a condamné l'employeur en outre à remettre les documents légaux rectifiés dans les plus brefs délais ainsi qu'aux dépens.
C'est le jugement dont Monsieur J... U... puis la société MAT POWER ont régulièrement et successivement interjeté appel. L'appel de Monsieur J... U... a été enregistré sous le numéro 15/6633 et l'appel de la société MAT POWER a été enregistré sous le numéro 15/7056.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Monsieur J... U... demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a statué sur la cause du licenciement, dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamner la société MAT POWER à lui payer la somme de 20000 € à titre de dommages et intérêts de ce chef, la somme de 2500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, confirmer le jugement pour le surplus des condamnations, dire que les sommes de nature salariale emporteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur devant le conseil de prud'hommes avec capitalisation pour les intérêts dûs au moins pour une année entière, ordonner la remise sous astreinte de 100 € par jour de retard des documents légaux de rupture.
Il soutient pour l'essentiel que son licenciement était abusif en ce que aucun fait de plus de deux mois ne pouvait donner lieu à poursuites disciplinaires, qu'il incombait à l'employeur de rapporter la preuve des faits reprochés et qu'en l'espèce, cette preuve n'était aucunement rapportée.
La sas société MAT POWER demande à la cour d'ordonner la jonction des deux appels interjetés simultanément, d'infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a statué sur la cause du licenciement, statuer à nouveau et dire que le licenciement est fondé sur une faute grave, infirmer en conséquence le jugement en ce qu'il a prononcé des condamnations contre elle, ordonner la restitution des sommes versées au titre de l'exécution provisoire de droit à hauteur de 3478,02€ et condamner l'appelant à lui verser la somme de 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient pour l'essentiel que la procédure de licenciement était régulière, que le contrat de travail faisait obligation au salarié d'exécuter loyalement et correctement ses tâches de conduite et d'entretien des véhicules ainsi que de rendre compte de tout incident, que cette obligation était d'autant plus justifiée que les chauffeurs bénéficiaient d'une autonomie dans leur travail, qu'ils avaient sous leur responsabilité des poids-lourds n'appartenant pas directement à l'employeur mais qui étaient loués par celui-ci en sorte que l'employeur était responsable des dégradations effectuées sur ces véhicules, que le salarié avait un passé disciplinaire, qu'il était surprenant que le conseil de prud'hommes n'en ait pas tenu compte, que le motif du licenciement avait été porté à la connaissance de l'employeur le 12 juin 2014, que le salarié s'était en effet rendu responsable de différentes dégradations, qu'il n'avait pas voulu rédiger de constat et s'était refusé catégoriquement lors de l'entretien préalable à fournir des explications, que ces faits étaient particulièrement préjudiciables à l'entreprise.
SUR CE
Une bonne administration de la justice commande d'ordonner la jonction des procédures comme il sera dit au dispositif.
La cour n'est saisie d'aucun moyen tiré de l'irrégularité de la procédure de licenciement.
La lettre de licenciement, après avoir rappelé les obligations du salarié telles qu'elles figurent dans le contrat de travail, est rédigée dans les termes suivants :
« (...) Le 12 juin 2014, nous avons été informés par la société le Petit Forestier vous aviez causé d'importantes dégradations sur le véhicule qui avait été mis à votre disposition (immatriculation [...]), dégradations notamment situées à l'arrière du véhicule. L'importance des dommages est telle que notre prestataire a été contraint de solliciter l'ouverture d'un dossier sinistre auprès de son assureur, ce dont il nous tient en tout point responsable. Par conséquent, la société le Petit Forestier a pris la décision de mettre à notre charge l'intégralité des frais liés à ce sinistre. Ainsi, le coût des réparations de ce véhicule nous a directement été refacturé. Par ailleurs, la société nous a indiqué qu'à l'instar de vos obligations, vous avez refusé de faire une déclaration d'accident en bonne et due forme. Un tel comportement est d'autant plus inacceptable, qu'avant d'être ainsi mis en cause, vous n'avez en aucun cas jugé utile de nous informer de la survenance d'un quelconque accident, dont nous ignorons encore les circonstances. Lors de l'entretien préalable, vous nous avez indiqué qu'il vous arrivait d'abîmer les véhicules, lors de freinages intempestifs. Or, lesdites dégradations étant situées à l'arrière du véhicule, votre explication ne peut être jugée satisfaisante. De plus, s'il devait s'avérer que vous aviez entraîné une collision à l'arrière du véhicule, vous auriez dû vous arrêter sur la route pour établir un constat, ce que vous n'avez pas fait. De plus, vous n'étiez pas sans savoir que la société Petit Forestier avait été contrainte, en 6 mois, d'effectuer 3 déclarations de sinistre suite à des accidents dont vous étiez responsable. Il avait en outre précisé que vous aviez systématiquement refusé de procéder aux déclarations usuelles en cas d'accident, le plaçant ainsi dans une situation délicate, toujours dans le but d'échapper à vos responsabilités. À ce jour, la société le Petit Forestier remet en cause la poursuite de nos relations commerciales et nous a indiqué qu'elle refuserait, au vu des circonstances, de vous confier de nouveau un véhicule. Or, vous n'êtes pas sans savoir que notre activité de livraison ne peut s'effectuer sans la collaboration pleine et entière d'un prestataire loueur de camions. La présente sanction s'inscrit malheureusement dans la continuité des précédentes, et nous ne pouvons que regretter que les avertissements, que nous vous avons notifié les 11 septembre 2012, 2 octobre 2013 et 7 février 2014, ne vous aient pas incité à modifier votre comportement. Un tel récidiviste relève de toute évidence d'une attitude éminemment négligente de votre part, ce qui est constitutif d'un manquement grave à l'ensemble de vos obligations et que nous ne pouvons tolérer. En agissant de la sorte, vous faites également preuve d'insubordination et de défiance à l'égard de votre employeur, ce que nous ne pouvons admettre. Au-delà du fait que votre conduite induite par l'ensemble de ses griefs met en cause la bonne marche de la société, elle revêt plus particulièrement un caractère inacceptable eu égard aux règles imposées par votre contrat de travail, par la convention collective qui vous est applicable et les usages en vigueur dans la profession, notamment à l'égard de nos prestataires et de nos clients. En conséquence, nous vous informons que votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible et nous n'avons d'autre choix que de vous licencier pour faute grave. Le licenciement prend donc effet immédiatement à la première date de présentation de cette lettre . ».
Si les faits reprochés à Monsieur J... U... datent du 9 avril 2014, comme cela résulte d'une déclaration effectuée le 13 juin 2014 par la société Manpower, et s'il est constant que le salarié avait été en arrêt de travail du 11 avril 2014 au 9 juin 2014 puis en congés payés après cette date sans avoir repris le travail jusqu'à son licenciement, il n'en demeure pas moins que c'est par un courriel adressé le 12 juin 2014 à la société MAT POWER par la société Petit Forestier, loueur de véhicules, que la société MAT POWER avait été informée de l'existence des dégradations sur le véhicule immatriculé [...] conduit par Monsieur J... U... et de l'ouverture d'un dossier sinistre. Ayant convoqué le salarié dès le 13 juin 2014 pour un entretien préalable fixé au 24 juin 2014, il s'en suit que la procédure de licenciement a été engagée dans les deux mois de la connaissance par l'employeur des faits fautifs. En conséquence, les faits ne sont pas prescrits.
Il est établi, par la production de la feuille de route du véhicule immatriculé [...] pour la journée du 9 avril 2014, que celui-ci était conduit par Monsieur J... U.... Les dégradations sur le véhicule sont attestées, d'une part, par le courriel déjà évoqué du 12 juin 2014 dans lequel le responsable de la société Petit Forestier indiquait à la société MAT POWER que le véhicule avait été présenté dans ses ateliers par Monsieur J... U... lui-même et qu'à cette occasion, il avait été constaté par la société Petit Forestier en la présence du salarié d'importantes dégradations sur l'arrière du véhicule et, d'autre part, par l'attestation du commercial de la société Petit Forestier lequel confirme l'existence desdites dégradations sur le véhicule susvisé conduit par Monsieur J... U....
Ainsi, la matérialité des dégradations visées dans la lettre de licenciement est incontestablement établie par l'employeur.
La cour constate que dans ses écritures réitérées oralement à l'audience, Monsieur J... U... se borne à contester l'existence de faits fautifs mais sans fournir pour autant la moindre explication sur l'origine des dégradations constatées en sa présence sur son véhicule ni invoquer la moindre circonstance extérieure à sa personne.
Les dégradations causées sur son véhicule dont il avait la charge et la surveillance lui sont bien imputables.
Il résulte du contrat de travail que pendant son temps de conduite et de travail, Monsieur J... U... était responsable du véhicule confié par son employeur. Il est établi ensuite par le courriel déjà évoqué du 12 juin 2014 que les dégradations constatées avaient entraîné l'ouverture d'un dossier sinistre susceptible d'entraîner la responsabilité de l'employeur si le loueur décidait de se retourner contre le locataire ou, à tout le moins, d'affecter à terme les relations entre la société MAT POWER et la société Petit Forestier. L'exaspération de la société Petit Forestier est d'ailleurs clairement exprimée dans ce courriel lequel rappelle qu' au cours de l'année 2012, trois dossiers sinistres en six mois ayant pour responsable Monsieur J... U... avaient été dénombrés par elle, la société Petit Forestier ajoutant même «depuis, il avoue à demi-mots les nombreux chocs sans pour autant vouloir les assumer en nous fournissant une déclaration. Pour ces nombreux petits chocs, nous avons pris le parti, au point de vue commercial, de ne pas vous en tenir rigueur. Nous vous demandons expressément d'intervenir auprès de Monsieur U... afin qu'il adopte une conduite responsable et adapter au véhicule que vous lui confiez à savoir notre véhicule Petit Forestier.».
Les faits imputables à Monsieur J... U... et visés dans la lettre de licenciement sont fautifs et il sera rappelé qu'il avait déjà été sanctionné par trois avertissements pour des manquements analogues à ceux pour lesquels il avait été licencié.
Pour dire que le licenciement ne reposait pas sur une faute grave mais seulement sur une cause réelle et sérieuse, le motif retenu par les premiers juges sur l'absence de mise à pied conservatoire est inopérant. Il sera rappelé que l'employeur avait immédiatement engagé la procédure de licenciement dès qu'il avait été informé des faits fautifs.
Dans ces conditions, les faits reprochés au salarié constituent une violation des obligations contractuelles d'une importance telle, compte tenu de leur répétition et de leurs conséquences sur le bon fonctionnement de l'entreprise, qu'elle rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise justifiant pleinement son licenciement pour faute grave.
Le jugement sera réformé en ce qu'il a dit que le licenciement reposait seulement sur une cause réelle et sérieuse et a condamné la société MAT POWER à payer des indemnités de rupture.
Monsieur J... U... soutient qu'au jour de son licenciement, il lui était encore dû les congés payés acquis sur la période du 1er juin 2013 au 1er juillet 2014, soit 5,5 semaines, que son indemnité compensatrice de ce chef s'élevait à 1871,25€ mais que l'employeur ne lui avait en réalité réglé que la somme de 1455,03€ en sorte qu'il demandait la confirmation du jugement ayant condamné l'employeur à lui payer la différence entre les deux sommes soit 415,92€.
Toutefois, le décompte présenté par l'employeur, non contredit par Monsieur J... U..., et corroboré par les mentions figurant sur les bulletins de salaire concernant la prise des congés payés au titre de la période litigieuse, démontre que le salarié avait été rempli de tous ses droits en la matière.
La demande de ce chef sera rejetée et le jugement réformé également sur ce point.
L'infirmation du jugement emporte condamnation de Monsieur J... U... à rembourser à la société MAT POWER la somme totale de 3478,02€ payée au titre de l'exécution provisoire de droit.
L'équité commande de condamner Monsieur J... U... à payer à la société MAT POWER la somme de 500€ au titre l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Ordonne la jonction de la procédure enregistrée sous le numéro 15/6633 et de la procédure enregistrée sous le numéro 15/07056 et dit que l'arrêt sera rendu sous le numéro 15/066 33.
Réforme le jugement du conseil de prud'hommes de Narbonne du 24 août 2015 en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, dit le licenciement fondé sur une faute grave et déboute Monsieur J... U... de toutes ses demandes.
Condamne Monsieur J... U... à rembourser à la sas MAT POWER la somme de 3478,02€ payée au titre de l'exécution provisoire de droit du jugement et à payer à la sas MAT POWER la somme de 500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne Monsieur J... U... aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT