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27/06/2017 | FRANCE | N°15/02147

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 1ère chambre c, 27 juin 2017, 15/02147


Grosse + copie

délivrées le

à





COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



1ère Chambre C



ARRET DU 27 JUIN 2017



Numéro d'inscription au répertoire général : 15/02147

jonction avec le 15/4539





Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 FEVRIER 2015

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE RODEZ

N° RG 13/00622







APPELANTS :



Monsieur [J] [Z] agissant à titre personnel

[Adresse 1]

[Localité 1]

représenté par Me Phili

ppe SENMARTIN de la SELARL PHILIPPE SENMARTIN ET ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER assistée par Me Henri AIMONETTI de la SCP LARGUIER, AIMONETTI, BLANC, BRINGER, MAZARS, avocats au barreau d'AVEYRON, avocat plaid...

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

1ère Chambre C

ARRET DU 27 JUIN 2017

Numéro d'inscription au répertoire général : 15/02147

jonction avec le 15/4539

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 FEVRIER 2015

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE RODEZ

N° RG 13/00622

APPELANTS :

Monsieur [J] [Z] agissant à titre personnel

[Adresse 1]

[Localité 1]

représenté par Me Philippe SENMARTIN de la SELARL PHILIPPE SENMARTIN ET ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER assistée par Me Henri AIMONETTI de la SCP LARGUIER, AIMONETTI, BLANC, BRINGER, MAZARS, avocats au barreau d'AVEYRON, avocat plaidant

COMMUNE D'ESTAING

représentée par son maire en exercice domicilié ès qualités à l'Hôtel de ville

[Adresse 2]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée Me Emily APOLLIS de la SCP GILLES ARGELLIES, EMILY APOLLIS - AVOCATS ASSOCIES, avocat postulant au barreau de MONTPELLIER assistée de Me Julien COMBIER du CABINET FIDAL, avocats au barreau de LYON, avocat plaidant

INTIMEES :

COMMUNE D'ESTAING

représentée par son maire en exercice domicilié ès qualités à

l'Hôtel de ville

[Adresse 2]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée Me Emily APOLLIS de la SCP GILLES ARGELLIES, EMILY APOLLIS - AVOCATS ASSOCIES, avocat postulant au barreau de MONTPELLIER assistée de Me Julien COMBIER du CABINET FIDAL, avocats au barreau de LYON, avocat plaidant

SARL LES BIJOUX D'ESTAING immatriculée au RCS de RODEZ sous le n° B438316952 prise en la personne de son gérant en exercice domicilié ès qualités au dit siège

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Philippe SENMARTIN de la SELARL PHILIPPE SENMARTIN ET ASSOCIES, avocat postulant au barreau de MONTPELLIER assistée par Me Henri AIMONETTI de la SCP LARGUIER, AIMONETTI, BLANC, BRINGER, MAZARS, avocats au barreau d'AVEYRON, avocat plaidant

ORDONNANCE DE CLOTURE DU 26 Avril 2017

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 MAI 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie AZOUARD, Conseillère, chargée du rapport et Madame Leïla REMILI, Vice-présidente placée.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Leïla REMILI, Vice-présidente placée auprès du Premier président de la cour d'appel de Montpellier par ordonnance n° 5/2017 du 2 janvier 2017 faisant fonction de Présidente

Madame Nathalie AZOUARD, Conseillère

Monsieur Philippe GAILLARD, Président de chambre

Greffière, lors des débats : Mme Nadine CAGNOLATI

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ;

- signé par Madame Leïla REMILI, Vice-présidente placée faisant fonction de Présidente en remplacement de Monsieur Philippe GAILLARD, président de chambre, et par Mme Nadine CAGNOLATI, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Après signature d'un protocole d'accord, la commune d'ESTAING a par contrat sous seing privé en date du 30 juin 2001, donné à bail commercial à la SARL LES BIJOUX D'ESTAING une partie des dépendances du Château de la commune, Château acquis le

31 octobre 2000 après délibération du conseil municipal du

9 août 2000. Le loyer était fixé à 36 587,76 €/an HT.

Suite à des désaccords entre les parties sur l'exécution de leurs obligations respectives le juge des référés était saisi et une expertise ordonnée le 3 juin 2004.

La SARL LES BIJOUX D'ESTAING par acte en date du

29 juin 2004 a donné congé avec effet au 31 décembre 2004.

Par acte en date du 22 mars 2005, la SARL LES BIJOUX D'ESTAING a assigné devant le tribunal de grande instance de RODEZ la commune d'ESTAING pour voir prononcer notamment la résolution du bail commercial aux torts de la commune, et voir condamner la commune au paiement de dommages et intérêts en réparation aux préjudices subis.

Par jugement en date du 21 novembre 2008, le tribunal de grande instance de RODEZ a prononcé la résolution du contrat de bail aux torts exclusif de la commune, avant dire droit sur les préjudices subis par la SARL LES BIJOUX D'ESTAING, ordonné une expertise confiée à Monsieur [B] et condamné la commune à payer à la SARL LES BIJOUX D'ESTAING une provision de

35 000 €.

Par arrêt en date du 16 février 2010, la cour d'appel de MONTPELLIER a infirmé partiellement le jugement du 21 novembre 2008 en disant que le contrat de bail était résilié aux torts partagés des parties, en condamnant la commune d'ESTAING au paiement d'une provision de 17 500 € et a renvoyé l'affaire devant la juridiction de première instance pour exécution de la mesure d'expertise.

Par arrêt en date du 15 juin 2011 la Cour de Cassation a cassé et annulé l'arrêt du 16 février 2010, mais seulement en ce qu'il a prononcé la résiliation du bail aux torts partagés des parties et condamné la commune au paiement d'une provision et renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de MONTPELLIER autrement composée.

Par arrêt en date du 29 janvier 2013, la cour d'appel de MONTPELLIER a confirmé le jugement du 21 novembre 2008 en toutes ses dispositions.

Cette décision n'a pas fait l'objet d'un pourvoi en cassation.

L'expert [B] a déposé son rapport le 7 septembre 2011.

Le dispositif du jugement rendu le 27 février 2015 par le tribunal de grande instance de RODEZ énonce:

'condamne la commune d'ESTAING à payer à la SARL LES BIJOUX D'ESTAING en réparation de son préjudice économique arrêté au 31 décembre 2014 la somme de

1 287 000 €, somme à parfaire,

'déboute la SARL LES BIJOUX D'ESTAING pour le surplus de ses demandes,

'constate l'intervention volontaire de [J] [Z],

'déboute [J] [Z] de sa demande de dommages et intérêts,

'condamne la commune d'ESTAING à payer à la SARL LES BIJOUX D'ESTAING la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

'dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

'condamne la commune d'ESTAING aux dépens comprenant les frais de référé, d'expertise et de procédure au fond.

Le tribunal considère sur le rapport d'expertise judiciaire et la critique qui en est faite par la commune que le rapport établi par le cabinet d'expertise comptable [P] [J] à la demande de la commune est non contradictoire et qu'il n'apporte aucun élément nouveau par rapport à ceux débattus devant l'expert judiciaire et auxquels ce dernier a répondu par un rapport argumenté et complet.

Sur la période à considérer pour évaluer le préjudice économique de la SARL, le premier juge retient que le défaut de délivrance constitutif de la faute reprochée à la bailleresse est bien intervenu pendant la durée du bail soit sur la période 2002, 2003 et 2004, en revanche le préjudice subi par la SARL qui trouve son origine dans le non respect par la bailleresse de ses obligations ne peut être cantonné à cette seule période, le choix de la société de poursuivre son activité malgré tout dans de nouveaux locaux n'étant pas de nature à exonérer la commune de sa faute.

Le tribunal pour apprécier le préjudice reprend ensuite les indicateurs retenus par l'expert judiciaire quant à la fréquentation du site, le taux de transformation visiteurs/acheteurs et la valeur du panier moyen.

Le premier juge retient ensuite les données chiffrées de l'expert judiciaire concernant les gains manqués, le préjudice économique direct et la perte de clientèle.

Sur la demande au titre du préjudice moral de la SARL au motif de l'attitude déloyale de la commune et de propos désobligeants portant atteinte à l'image de la société, le tribunal la rejette considérant qu'il n'est pas suffisamment caractérisé de l'atteinte morale dont la SARL se prévaut.

De même sur la demande d'indemnisation du préjudice moral de [J] [Z] gérant de la SARL, le tribunal considère que le fait que son nom ait été porté sur le bulletin municipal n'est pas de nature à caractériser suffisamment le préjudice invoqué.

La commune d'ESTAING a relevé appel du jugement le

19 mars 2015.

La clôture de la procédure a été fixée par ordonnance au

26 avril 2017.

Les dernières écritures pour la commune d'ESTAING ont été déposées le 21 avril 2017.

Les dernières écritures pour la SARL LES BIJOUX D'ESTAING et [J] [Z] qui ont formé appel incident ont été déposées le 25 avril 2017.

Le dispositif des écritures de la commune d'ESTAING

énonce :

'infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la SARL LES BIJOUX D'ESTAING et [J] [Z] de leurs demandes d'indemnisation au titre du préjudice moral.

'dire que la période d'évaluation du préjudice éventuel de la SARL LES BIJOUX D'ESTAING ne peut être que celle allant du 1er juillet 2001 au 31 décembre 2004, arrêt du bail.

'dire que la réparation d'un éventuel préjudice ne peut être qu'une perte de chance d'avoir pu durant cette période exploiter le fonds de commerce de manière satisfaisante.

'dire recevable et bien fondé le rapport de [J].

'dire que la SARL LES BIJOUX D'ESTAING ne démontre pas l'existence d'un lien de causalité entre la résolution du contrat imputable à la commune et les préjudices qu'elle invoque.

'débouter la SARL LES BIJOUX D'ESTAING de l'intégralité de ses demandes.

'condamner la SARL LES BIJOUX D'ESTAING à lui payer la somme de 8000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

'condamner la SARL LES BIJOUX D'ESTAING aux dépens dont distraction au profit de la SCP ARGELLIES-APPOLIS avec application de l'article 699 du code de procédure civile.

L'appelante conteste tout d'abord la période à considérer pour l'évaluation du préjudice rappelant d'abord que c'est la SARL LES BIJOUX D'ESTAING qui a donné congé au 31 décembre 2004 pour éviter un dépôt de bilan et ce alors que la commune pouvait désormais engager les travaux d'aménagement.

Elle soutient donc que la période à considérer ne peut excéder la première période triennale du bail et à tout le moins ne peut excéder celle de 9 ans puisque à l'issue la commune était libre de disposer des locaux donnés à bail.

Sur le chiffrage fait par l'expert judiciaire et retenu par le tribunal, elle expose que le rapport d'expertise est critiquable sur de nombreux points, précisant que l'expert a procédé à sa mission sans jamais se rendre sur place.

Elle soutient en outre que le prévisionnel de la SARL LES BIJOUX D'ESTAING a été fait sans la moindre étude de marché et qu'il était parfaitement irréaliste comparé au chiffre d'affaires annuel moyen d'une bijouterie en France comme développé longuement dans ses écritures auxquelles il sera référé.

Elle soutient en substance que le fiasco de l'activité de la SARL ne trouve pas son explication dans le défaut de délivrance des locaux par la commune mais dans la seule et unique responsabilité de la société.

L'appelante reproche à l'expert judiciaire de ne pas avoir analysé le préjudice invoqué sous l'angle de la perte de chance.

La commune conteste également l'analyse et les conclusions de l'expert sur la fréquentation du site (s'agissant de simples hypothèses), le taux de transformation (trop élevé compte tenu de la typologie des visiteurs et de la nature des produits proposés à la vente) et le prix du panier moyen.

En substance elle demande à la cour de prendre en considération les analyses et conclusions du rapport [J] qui démontrent que les résultats de la SARL auraient été largement déficitaires même si elle avait pu occuper courant 2003 la totalité des locaux, l'activité étant structurellement déficitaire.

Elle concède que le seul préjudice économique direct susceptible d'être à la rigueur recevable est la perte sur les investissements effectivement réalisés soit 72 000 € mais que le gérant de la SARL ayant fait le choix de laisser gratuitement à la commune les aménagements cette dernière n'est redevable d'aucune indemnisation à ce titre.

Elle considère également s'appuyant sur le rapport [J] que le niveau des pertes très important sur 3 ans ne permet pas de donner une quelconque valeur à la clientèle.

Le dispositif des écritures de la SARL LES BIJOUX D'ESTAING et de [J] [Z] énonce :

Sur l'appel incident de la SARL LES BIJOUX D'ESTAING,

'Au principal, condamner la commune d'ESTAING à payer à la SARL LES BIJOUX D'ESTAING la somme de

4 521 785 € en réparation de son préjudice économique arrêté au 17 mai 2017, la somme de 50 000 € en réparation de son préjudice moral et celle de 15 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

'A titre subsidiaire confirmer le jugement dont appel en actualisant le préjudice économique de la SARL LES BIJOUX D'ESTAING au 17 mai 2017 à la somme de 1 362 470 € outre la condamnation de la commune d'ESTAING à payer à la SARL LES BIJOUX D'ESTAING la somme de 50 000 € en réparation de son préjudice moral et celle de

15 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur l'appel principal de [J] [Z],

'Condamner la commune d'ESTAING à payer à [J] [Z] la somme de 50 000 € en réparation de son préjudice moral et personnel et celle de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En tous les cas,

'Condamner la commune d'ESTAING aux entiers dépens en ceux compris les frais de référé, d'expertise dont distraction au profit de la SCP SENMARTIN avec application de l'article 699 du code de procédure civile.

Sur la période à prendre en considération pour l'appréciation de son préjudice économique, la SARL rappelle que même si elle s'est trouvée dans l'obligation de donner congé au 31 décembre 2004, la résiliation judiciaire du bail a été définitivement prononcée aux torts exclusifs de la commune et si la commune n'avait pas manqué à ses obligations, la SARL occuperait de vastes locaux commerciaux dans l'enceinte du château et pourrait exercer ses activités de fabrication et de vente de bijoux originaux dans des conditions optimales. Elle considère que son préjudice doit être donc apprécié sur la période comprise entre le 1er juillet 2001 et la décision à intervenir sur les bases proposées par l'expert judiciaire.

Sur la notion de perte de chance, la société observe que l'expert judiciaire a dans son pré-rapport du 28 février 2011 retenu un taux d'aléa de 50 % et que le préjudice issu de la résolution du bail aux torts exclusifs du bailleur pour défaut de délivrance relève de la perte de chance d'avoir pu exploiter le fonds de commerce de manière satisfaisante.

La SARL fonde ses prétentions sur les conclusions de l'expert [B] et reprend dans ses longues écritures auxquelles il sera plus amplement référé les critères retenus par l'expert tant pour la fréquentation du site, pour le taux de transformation que pour le panier moyen, soutenant que l'expert s'est appuyé sur des éléments statistiques incontestables et que les critiques de la commune d'ESTAING ne sont pas sérieuses.

Pour solliciter sur appel incident la somme de 4 521 785 €, elle raisonne sur une fréquentation du [Établissement 1] de 40 000 visiteurs gratuits en 2002 au lieu des 15 000 visiteurs retenus par l'expert [B], précisant que le chiffre de 40 000 visiteurs n'est pas irréaliste puisque la statistique officielle de l'office du tourisme de l'Aveyron fait état de 45 000 visiteurs en 2000.

Elle fait observer en préalable que si la commune avait des raisons sérieuses de douter de l'impartialité de l'expert [B], il lui appartenait de déposer une requête en récusation ce qu'elle n'a pas fait.

Elle ajoute que l'expert avait une mission de nature essentiellement comptable et qu'il a établi un rapport particulièrement détaillé et argumenté et qu'il a même établi deux pré-rapports.

Sur le problème du prévisionnel, la SARL LES BIJOUX D'ESTAING fait valoir que contrairement à ce que soutient la commune il a été préparé longuement et conçu dans tous ses détails, et qu'il a fait l'objet d'un débat contradictoire.

Sur le préjudice moral de la société et de son dirigeant, la SARL LES BIJOUX D'ESTAING et de [J] [Z] soulignent tout d'abord qu'une société commerciale est en droit d'invoquer un préjudice moral constitué par l'atteinte portée à son image et à sa réputation et d'en solliciter réparation de même que son dirigeant dont le nom a été mis en avant et qui a dû faire face à l'opprobre qui en découle.

MOTIFS

Sur la période à considérer pour évaluer le préjudice économique de la SARL LES BIJOUX D'ESTAING :

La cour rappelle que la résiliation judiciaire du bail liant les parties a été définitivement prononcée aux torts de la commune, que ce point n'est plus en débat et que par voie de conséquence la commune est tenue d'indemniser la SARL LES BIJOUX D'ESTAING du préjudice économique subi suite au non respect par le bailleur de ses obligations.

Toutefois il doit être tenu compte que le locataire a pris l'initiative de la résolution du bail en donnant congé le 29 juin 2004, qu'il avait la maîtrise des différents choix procéduraux qui s'offrait à lui, qu'en choisissant de mettre fin au bail avec effet au

31 décembre 2004 il a lui-même déterminé la période d'indemnisation de son préjudice qui ne saurait excéder la date de fin du bail au 31 décembre 2004.

Le fait que le locataire ait ensuite fait le choix de poursuivre l'exploitation de son activité dans un autre cadre, choix de gestion qui peut être discutable comme le relève l'expert judiciaire, ne peut permettre d'étendre la période d'indemnisation au-delà de la rupture du bail, ce d'autant qu'admettre une telle hypothèse reviendrait à laisser au preneur la possibilité de maintenir une activité déficitaire dans le seul but d'accroître la période d'indemnisation et les sommes sollicitées en réparation.

C'est donc à tort que le premier juge a retenu que l'évaluation du préjudice devait aller au-delà de 2004 par conséquent la cour infirmant sur ce point le jugement querellé fixe la période à prendre en considération pour l'évaluation du préjudice économique de la SARL LES BIJOUX D'ESTAING du 1er juillet 2001 au

31 décembre 2004.

Sur l'évaluation du préjudice économique de la SARL LES BIJOUX D'ESTAING :

La cour observe tout d'abord sur le rapport d'expertise judiciaire de Monsieur [B] critiqué par la commune d'ESTAING que c'est pertinemment que le premier juge a considéré que le rapport d'expertise judiciaire était argumenté, détaillé et que l'expert avait répondu de façon complète à l'ensemble des questions, observations et dires des parties. La cour observe qu'il n'a d'ailleurs jamais été sollicité de contre-expertise.

C'est avec la même pertinence que le premier juge tout en rappelant qu'il n'était pas lié par les conclusions de l'expert judiciaire, restant libre d'apporter une appréciation différente et pouvant prendre en compte d'autres éléments, a toutefois retenu qu'il ne pouvait fonder son opinion sur la base d'un rapport (rapport [P] [J] ASSOCIES) établi à la demande de l'une des parties, la commune, sans débat contradictoire entre elles.

Ainsi qu'il est rappelé précédemment la faute commise par la commune bailleresse et l'anéantissement du bail fondent les demandes en paiement dirigées contre elle par la SARL LES BIJOUX D'ESTAING. Toutefois s'il convient d'indemniser le préjudice du preneur qui n'a pu en raison de la défaillance de son bailleur à lui délivrer l'intégralité des locaux convenus au bail, exercer et développer son activité commerciale dans les conditions initialement prévues, il convient de d'indemniser que le préjudice en lien direct avec cette défaillance.

Ce préjudice comme retenu par le premier juge est composé du préjudice au titre des gains manqués, du préjudice au titre des pertes supportés et du préjudice au titre de la perte de clientèle.

Toutefois pour les motifs sus-évoqués la cour procédera à l'évaluation de ces préjudices en se limitant à la période antérieures au 31 décembre 2004.

La cour précise pour une meilleure compréhension des analyses et calculs qui vont suivre que l'activité de la SARL LES BIJOUX D'ESTAING a commencé le 1er juillet 2001, mais que les données pour l'année 2001 sont prises en compte dans l'exercice 2002 qui compte donc 18 mois.

Pour évaluer le préjudice de la société il convient tout d'abord de déterminer le chiffre d'affaires.

Il doit être retenu concernant le budget initial établi par le cabinet d'expertise SAVEC et qui recouvre les activités suivantes :

-ventes en gros et au détail ( boutique) des articles fabriqués

-vente en gros des articles achetés

-ventes promotionnelles (GESMO) des articles achetés,

que selon l'expert judiciaire le chiffre d'affaires prévu par ce budget initial ( 1 72 000 en 2002, 2 618 000 en 2003 et 3 850 000 en 2004) est largement surévalué.

L'expert considère également que le montant du chiffre d'affaires envisagé, ramené à la baisse par le cabinet OCA ( 1 080 000 en 2002, 1 135 760 en 2003 et 1 194 400 en 2004 ) demeure également surévalué.

Par conséquent il convient de se référer non pas à ces éléments prévisionnels mais à la méthode d'évaluation du chiffre d'affaires proposée par l'expert judiciaire et qui n'est pas sérieusement critiquée par les parties sur la méthodologie employée à savoir nombre de visiteurs, taux de transformation visiteurs/acheteurs et coût du panier moyen, seuls les chiffres et les montants retenus par l'expert faisant l'objet de critique.

Sur le nombre de visiteurs l'expert judiciaire après avoir analysé les statistiques de fréquentations des châteaux aveyronnais en 2000, tenu compte des travaux de rénovation immobilière et des effets progressifs de la politique de communication prévue initialement, a retenu une progression de 20 % par an et estimé à 10 000 le nombre de visiteurs en 2002, à 12 000 en 2003 pour atteindre celui de 15 000 visiteurs en 2004.

Les parties contestent ce chiffre, la SARL LES BIJOUX D'ESTAING soutenant que le nombre de visiteurs à retenir est de 45 000 et la commune soutenant qu'il est de 6 275.

Ces éléments ont déjà fait l'objet des mêmes observations de la part des parties tant durant l'expertise judiciaire qu'en première instance et il n'est pas apporté en appel d'autres données que celles déjà développées dans les dires à expert auxquelles il a été largement et précisément répondu par ce dernier.

Par conséquent la cour comme le tribunal fait sienne cette analyse.

Sur le taux de transformation visiteurs / acheteurs l'expert a pris en considération les données statistiques des boutiques de musée de patrimoine qui mentionnent un taux de transformation de 35,90 %, exposant à juste titre que la situation de SARL LES BIJOUX D'ESTAING s'apparente plus à ce type d'activité qu'à celui d'une bijouterie classique en ville.

Toutefois prenant en compte la situation particulière de la SARL LES BIJOUX D'ESTAING il a pertinemment modéré ce taux de transformation pour tenir compte de la spécificité des visiteurs du [Établissement 1] à savoir 20 % de pèlerins sur le chemins de Saint-Jacques de Compostelle, la présence d'enfants ( 8%) parmi les visiteurs et le fait que les articles habituellement vendus dans les boutiques de musée sont à des prix relativement modiques.

Une fois ces pondérations opérées il a proposé un taux de transformation de 30 % qui n'est pas sérieusement remis en cause par les parties et que la cour adopte suivant en ce sens le premier juge.

Enfin l'expert après avoir pris en compte les chiffres avancés par la commune proposant un panier moyen à 110 € TTC n'a pas retenu ce montant et a évalué le prix du panier moyen à 150 € TTC en prenant en compte la moyenne des prix dans les boutiques de musée, dans le catalogue de la SARL LES BIJOUX D'ESTAING, le panier moyen d'une bijouterie et les articles vendus en juillet et août par la société.

Cette évaluation retenue par le tribunal de grande instance ne fait pas l'objet en appel d'autres critiques que celles déjà largement débattues durant l'expertise et devant le premier juge.

Sur la base de ces données l'expert va ensuite procéder à une évaluation du chiffre d'affaires se présentant comme suit :

450 000 € en 2002, 540 000 € en 2003 et 675 000 € en 2004, et la cour fera sienne cette analyse et ces résultats qui lui apparaissent plus pertinents que ceux soutenus par les parties en litige .

Il en est de même pour la marge totale ( ventes boutique de produits fabriqués et vente en gros) proposée par l'expert.

L'expert judiciaire va ensuite procéder à une évaluation des charges.

Au titre des charges externes fixes apparaissent alors un crédit-bail pour 73176 €/an et le loyer pour 36588 €/an et l'expert retient ensuite un taux de 5 % pour les charges variables. Ces données et analyses ne sont pas remises en cause par les parties.

L'expert judiciaire va dégager également une masse salariale et retenir au titre des années 2002 à 2006 un taux de 9,50 %, aucune des parties ne remettant en cause la méthodologie retenue.

La méthodologie de l'expert concernant ensuite le calcul des amortissements n'est pas non plus remise en cause et la cour s'y référant retient le montant de la dotation de 59 612 €/an.

Ainsi le résultat net prévisionnel découlant de ces analyses peut- être estimé comme suit 66 312 € en 2002, 18 745 € en 2003 et

61 927 € en 2004, soit sur la période retenue par la cour pour l'évaluation du préjudice la somme totale de 146 984 €.

En outre il convient de considérer que si le résultat net prévisionnel avait pu être atteint les bénéfices ainsi dégagées auraient pu être capitalisés et auraient générés des intérêts.

L'expert a procédé à cette capitalisation des gains manqués en annexe n° 3 de son rapport en dégageant une somme à ce titre de

23 411 € en 2002, 5 609 € en 2003 et 15 363 € en 2004, soit une somme totale au titre des intérêts de 44 383 €.

Cependant comme le propose l'expert judiciaire il convient de tenir compte de l'aléa inhérent à toute création d'entreprise. Il ressort des données analysées que dans le secteur de la bijouterie le taux de survie des entreprises au-delà de 5 ans s'élève à 51,90 % et que celui des entreprises toutes activités confondues est en moyenne de 52 %.

Le taux d'aléa de 50 % proposé en l'espèce par l'expert apparaît donc pertinent et doit être appliqué au résultat net prévisionnel obtenu puisqu'il ne peut raisonnablement être contesté que s'agissant pour la SARL LES BIJOUX D'ESTAING d'une création d'activité, il existait indépendamment du problème de délivrance totale des locaux et de la faute de la commune un aléa sur sa survie.

L'évaluation du préjudice au titre des gains manqués ou des bénéfices espérés peut donc être fixée à la somme de (146 984 +

44 383) x 50 % = 95 684 €.

En outre le préjudice subi par la SARL LES BIJOUX D'ESTAING est aussi constitué par les pertes subies au cours de la période considérée et pour lesquelles il est incontestable que son gérant a contribué à travers ses apports en compte courant à leur financement. Ces pertes apparaissent sur les bilans et les comptes de résultat et s'élèvent à la somme de 78 392 € en 2002, 56 745 € en 2003 et 102 268 € en 2004 soit une somme totale sur la période considérée de 237 405 €.

La cour ne peut prendre en compte pour l'évaluation du préjudice de la SARL LES BIJOUX D'ESTAING en lien direct avec la faute de la commune ni les gains manqués ni les pertes subies après le

31 décembre 2004.

En effet comme déjà considéré, la société a fait le choix de poursuivre son activité au lieu de cesser cette activité et de se mettre en sommeil et la question reste posée, de savoir comme le relève l'expert judiciaire, s'il s'agit d'une saine gestion. Quoiqu'il en soit le bailleur n'a pas à supporter les pertes ou les gains manqués issus de ce choix de gestion.

Enfin le préjudice subi par la SARL LES BIJOUX D'ESTAING doit également prendre en compte la perte de clientèle.

Pour fixer celle-ci la cour reprendra à son compte la méthodologie de l'expert judiciaire qui n'est pas remise en cause par les parties en basant toutefois son raisonnement et ses calculs sur les seules années 2002, 2003 et 2004 contrairement à l'expert et au premier juge.

Ainsi l'évaluation du fonds de commerce au vu du chiffre d'affaires moyen estimé par l'expert au titre des années 2002, 2003 et 2004 et de 277 500 € auquel doit être appliqué l'abattement pour aléa de 50%, soit un valeur du fonds de commerce estimé à 138 750 €.

Au cours de cette période le chiffre d'affaires moyen effectivement réalisé s'est élevé à la somme de ( 115 338+60 577+43 500)/3 soit 73 155 € auquel doit être appliqué le taux de valorisation de 50 % soit une valeur du fonds de commerce au 31 décembre 2004 de

36 578 €.

Par conséquent le préjudice perte de clientèle peut être fixé à la somme de 138 750-36 578= 102 172 €.

Le total des préjudices de la SARL LES BIJOUX D'ESTAING au 31 décembre 2004 est donc de 95684+237405+102173

= 435 262 €.

Par conséquent la cour infirmant sur le montant du préjudice économique le jugement dont appel condamne la commune d'ESTAING à payer à la SARL LES BIJOUX D'ESTAING la somme de 435 262 €.

Sur le préjudice moral de la SARL LES BIJOUX D'ESTAING :

C'est à juste titre que le premier juge a considéré que l'atteinte morale portée à l'image et à la réputation de la société par la commune n'était pas suffisamment caractérisée au vu du seul article de presse produit en pièce 20 par la SARL qui ne verse en appel aucun élément nouveau au soutien de sa demande en dommages et intérêts pour préjudice moral.

Sur le préjudice moral du dirigeant de la SARL LES BIJOUX D'ESTAING, Monsieur [Z] :

C'est également par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal de grande instance a rejeté la demande d'indemnisation de son préjudice moral présenté par Monsieur [Z], considérant que le seul fait que son nom soit cité en séance publique du conseil municipal ne pouvait suffire à caractériser un préjudice personnel et que les apports en compte courant qu'il a dû réaliser pour compenser les pertes relèvent du préjudice économique et ont déjà été indemnisés.

Sur les demandes accessoires :

La décision de première instance sera également confirmée en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

En appel les deux parties succombant partiellement il convient de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de faire masse des dépens qui seront supportés par moitié par chacune des parties.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe.

Confirme le jugement rendu le 27 février 2015, par le tribunal de grande instance de RODEZ, en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne le montant du préjudice économique de la SARL LES BIJOUX D'ESTAING .

S'y substituant sur ce point,

Dit que le préjudice économique de la SARL LES BIJOUX D'ESTAING doit être évalué sur la période allant du 1er juillet 2001 au 31 décembre 2004.

Condamne la commune d'ESTAING à payer à la SARL LES BIJOUX D'ESTAING au titre de son préjudice économique pour les années 2002, 2003 et 2004 € la somme de 435 262 € .

Y ajoutant :

Dit qu'il sera fait masse des dépens de la procédure d'appel qui seront supportés par moitié par chacune des parties.

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIERP. LE PRESIDENT

NC/NA


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 1ère chambre c
Numéro d'arrêt : 15/02147
Date de la décision : 27/06/2017

Références :

Cour d'appel de Montpellier 1D, arrêt n°15/02147 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-06-27;15.02147 ?
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