COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
4o chambre sociale
ARRÊT DU 17 Octobre 2012
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/04557
ARRÊT no
Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 MAI 2011 CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE NARBONNE No RG10/00277
APPELANTE :
Madame Carole X......11090 MONTLEGUNReprésentant : Me DELBOUYS substituant la SELARL FIRMAS MAMY SICARD (avocats au barreau de TOULOUSE)
INTIMEE :
SA EURODOC SERVICES devenue EUROSCRIPT SERVICESprise en la personne de son représentant légal1 Square FranklinZA du Pas du Lac78180 MONTIGNY-LE-BRETONNEUXReprésentant : Me Sonia FUSCO-OSSIPOFF (avocat au barreau de PARIS)
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 11 SEPTEMBRE 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Yves ROLLAND, Président de chambreMme Françoise CARRACHA, ConseillèreMadame Gisèle BRESDIN, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame Dominique VALLIER
ARRÊT :
- Contradictoire.
- prononcé publiquement initialement prévu le 10 octobre 2012 et prorogé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de Procédure civile ;
- signé par Monsieur Yves ROLLAND, Président de chambre, et par Madame Dominique VALLIER, Adjointe administrative principale f.f. de greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSE DU LITIGE
La société Eurodoc Services devenue la SA Euroscript Services (la société) est spécialisée en ingénierie documentaire et conçoit, structure, gère et exploite les fonds documentaires et les mémoires d'entreprise des sociétés clientes, activités entrant dans le champ d'application de la convention collective nationale Syntec.
Elle embauchait Mme Carole X... en qualité de « documentaliste technique, position 2.2, coefficient 310 »
dans un premier temps pour la période du 2 avril 2008 au 31 mai 2009 au motif d'un « surcroît d'activité lié à la prestation de gestion documentaire de Comurhex Malvesi » ;
à l'issue « dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée de chantier à compter du 1er juin 2009 » conclu « dans le cadre de la prestation de gestion documentaire qu'Eurodoc doit réaliser pour son client Comurhex Malvesi. Votre mission prendra fin à la conclusion du chantier » moyennant une rémunération brute s'établissant à 1600 € pour 151,67 h.
Après un congé maternité du 09/02/2010 au 31/05/2010, elle bénéficiait de ses congés payés du 1er au 25 juin 2010 puis sollicitait le bénéfice d'un congé parental d'éducation à temps complet du 26/06/2010 au 03/09/ 2010 qui lui était accordé.
Suite à sa demande de congé parental à temps partiel à compter du 4 septembre 2010, la société lui indiquait par courrier du 2 juillet 2010 qu'elle acceptait d'apporter « les modifications suivantes à votre contrat de travail: à compter du 4 septembre 2010 et jusqu'au 3 septembre 2011, vous exercerez une activité à temps partiel dans les conditions suivantes .../... », proposition acceptée par la salariée le 12/07/2010.
Aux termes d'un message électronique du 2 août 2010, son supérieur hiérarchique lui indiquait : " Nous avons reçu une nouvelle commande concernant « la gestion documentaire MOA CMX2 » durant votre congé parental, ce qui a pour effet l'arrêt de la mission sur laquelle vous étiez positionnée initialement. Nous souhaitons vous positionner sur cette nouvelle mission dès votre retour de congé.Par contre cette commande nous impose d'assurer un service à temps plein, ce qui est incompatible avec la demande de passage au 4/5 que vous avez faite et que nous avions acceptée en attente des impératifs clients.Avant de statuer définitivement, nous avons besoin de connaître, par retour d'e-mail, votre position quant à un retour début septembre à temps plein pour assurer cette nouvelle mission. En cas de refus de travail à temps plein nous serions dans l'obligation d'envisager une procédure de licenciement pour fin de chantier, ne pouvant respecter les exigences clients.../...".
Convoquée à un entretien préalable par lettre recommandée avec AR du 6 août 2010, Mme X... était licenciée par lettre recommandée AR du 20 août 2010 en ces termes :
".../... nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour le motif suivant :
Votre contrat de chantier a été conclu le 1er juin 2009 dans le cadre d'une mission qu'Eurodoc avait à réaliser pour le compte de son client Areva Comurhex à Narbonne portant sur la prestation d'assistance technique MOA, couverte par la commande no 400333999 du 07/05/2009. Cette mission est arrivée à son terme durant votre congé maternité et du fait des délais légaux nous avons entamé la procédure courant août.
Nous vous avons proposé, par e-mail et par téléphone, une nouvelle mission toujours pour le compte de notre client Areva Comurhex à Narbonne, sur un périmètre différent de la précédente et impliquant une présence à temps plein sur le projet, ce qui est incompatible avec votre demande de 4/5ème à votre retour de congé parental. Nous prenons acte que vous souhaitez maintenir votre temps partiel et comme nous vous l'avons indiqué nous avons recherché une possibilité de prestations de gestion documentaire avec une intervention à temps partiel sans succès, nous nous trouvons en conséquence dans l'obligation de mettre fin à votre contrat.../...".
Estimant cette rupture abusive, Mme X... saisissait le conseil de prud'hommes de Narbonne qui, par jugement rendu le 25 mai 2011, la déboutait de l'intégralité de ses demandes.
Par lettre recommandée reçue au greffe de la cour d'appel le 24 juin 2011, Mme X... interjetait appel de cette décision.
Elle conclut à son infirmation et demande à la cour, statuant à nouveau, de juger que le licenciement, à titre principal s'inscrit dans un chantage destiné à l'amener à renoncer à son congé parental d'éducation à temps partiel et constitue donc une mesure discriminatoire nulle, à titre subsidiaire est sans cause réelle et sérieuse en l'absence de vérification de l'existence de la « fin de chantier» invoquée par l'employeur, et de condamner la société à lui payer :
• 20 800 € de dommages-intérêts correspondant à 12 mois de salaire;• 1734 € de dommages-intérêts pour procédure irrégulière ;• 160,80 € de rappel de salaires outre 16,08 € de congés payés afférents ;• 2500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La société conclut au bien-fondé du licenciement intervenu du fait de la fin du chantier pour lequel Mme X... avait été engagée le 29 avril 2010, date à laquelle celle-ci était en congé maternité, situation incontestable constituant un motif indépendant du congé parental et permettant le licenciement malgré la suspension du contrat, la salariée ayant refusé d'exécuter une nouvelle mission dans les conditions exigées par le client, à l'absence de toute mesure discriminatoire, subsidiairement au mal fondé des prétentions financières de l'appelante et à sa condamnation à lui payer 1500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions respectives des parties, la cour se réfère au jugement du conseil de prud'hommes et aux conclusions écrites auxquelles elles se sont expressément rapportées lors des débats.
MOTIFS DE LA DÉCISION.
Sur la discrimination.
En application des articles L 1132-1 et L 1132 -4 du code du travail, personne ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison notamment de son sexe, de sa situation de famille ou de sa grossesse et toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance de ces dispositions est nul.
Mme X... n'est pas fondée à se prévaloir de ces dispositions dès lors que l'employeur a dans un premier temps accepté de faire droit à sa demande de congé parental à temps partiel et que ce n'est qu'au motif de la réorganisation du travail dans l'entreprise pour faire face à une nouvelle commande, pour la réalisation de laquelle la cliente avait des exigences particulières, qu'il lui a demandé d'y renoncer.
Le revirement de l'employeur ne permet donc pas en lui-même de présumer l'existence d'une discrimination fondée sur la situation de famille.
Sur le bien-fondé du licenciement.
En application des dispositions de l'article L 1236-8 du code du travail le licenciement qui, à la fin d'un chantier, revêt un caractère normal selon la pratique habituelle et l'exercice régulier de la profession, n'est pas soumis aux dispositions du chapitre III relatives au licenciement pour motif économique, sauf dérogations déterminées par convention ou accord collective de travail, mais à celles du chapitre II relatives au licenciement pour motif personnel.
La validité du licenciement prononcé en raison de la survenance de la fin d'un chantier est subordonnée à l'existence, dans le contrat de travail où la lettre d'embauche, d'une clause précisant que le contrat est conclu pour un ou plusieurs chantiers déterminés.
Force est de constater que tant le contrat à durée déterminée initial que la lettre d'embauche du 26 mai 2009 faisant état d'un engagement dans le cadre d'un contrat dit « de chantier » se contentent de qualifier ledit chantier de la façon suivante: « la prestation de gestion documentaire qu'Eurodoc doit réaliser pour son client Comurhex Malvesi », sans autre précision relative notamment à une commande particulière.
La commande Comurhex reçue par la société intimée le 27 juillet 2010 porte également comme désignation « gestion documentaire MOA CMX2 » et il s'agit donc d'une nouvelle commande dans le cadre du chantier déterminé par le contrat de travail.
Au demeurant il est remarquable que dans ses courriers des 28 juin et 02 juillet 2010 l'employeur envisage la poursuite des relations contractuelles jusqu'au 3 septembre 2011 dans le cadre d'un congé parental à temps complet puis à temps partiel sans à aucun moment évoquer la fin du « chantier » qui conditionnait l'existence du contrat de travail.
Il faut attendre le message électronique du 2 août 2010 mentionnant une "nouvelle commande (sur laquelle) nous souhaitons vous positionner" pour voir apparaître la notion d'"arrêt de la mission" et la lettre de licenciement pour voir apparaître celle d'une "fin de chantier" durant le congé maternité.
Il s'en suit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
Compte tenu de son âge (36 ans) et de son ancienneté dans l'entreprise (2 ans 5 mois) à la date de la rupture, des circonstances de cette dernière, de la période de chômage ininterrompue qui s'en est suivie depuis malgré la reconversion entreprise, le préjudice lié à la perte injustifiée de l'emploi doit être évalué, sur la base d'un salaire mensuel moyen brut de 1733,33 €, à 12 000 € en application des dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail.
Il y a lieu également de condamner l'employeur à rembourser aux organismes intéressés les allocations-chômage éventuellement perçues par le salarié dans la limite de six mois, en application de l'article L 1235-4 du code du travail.
Il résulte en revanche des dispositions de l'article L 1232-2 du code du travail que l'irrégularité tenant au non-respect du délai de 5 jours entre la convocation et l'entretien préalable ne peut justifier d'indemnisation complémentaire.
Sur le rappel de salaires.
En application du chapitre X de la convention collective « la rémunération mensuelle d'un collaborateur ne sera pas inférieure à 92 % du salaire minimal conventionnel mensuel en cas d'existence d'un 13e mois ».
Le salaire de 1600 € perçu chaque mois par Mme X... est donc supérieur à cette base conventionnelle dont le montant s'établi à 1481,86 €.
Il y a lieu en conséquence de rejeter ce chef de demande.
PAR CES MOTIFS La cour ;
Infirme le jugement rendu par la section activités diverses du conseil de prud'hommes de Narbonne le 25 mai 2011 ;
Statuant à nouveau sur le tout ;
Dit que la salariée n'établit pas l'existence d'une discrimination ;
Dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société Euroscript Services SA prise en la personne de son représentant légal en exercice à payer à Mme X... 12 000 € de dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à la perte injustifiée de son emploi, somme nette de tout prélèvement et contribution pour le créancier ;
Rejette les demandes d'indemnité pour non respect de la procédure de licenciement et en rappel de salaires ;
Condamne la société aux dépens d'appel et à payer à l'appelante 1500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,