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22/02/2012 | FRANCE | N°10/09407

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 4o chambre sociale, 22 février 2012, 10/09407


CB/YR COUR D'APPEL DE MONTPELLIER 4o chambre sociale
ARRÊT DU 22 Février 2012

Numéro d'inscription au répertoire général : 10/09407
ARRÊT no
Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 OCTOBRE 2010 CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER No RG09/02082

APPELANTE :
Société NATIONALE IMMOBILIERE (Société anonyme d'économie mixte "SAEM") prise en la personne de son représentant légal 125 avenue de Lodève CS 70007 34074 MONTPELLIER CEDEX Représentant : Me TALLENDIER de la SELAFA CAPSTAN (MARSEILLE) (avocats au barreau de

MARSEILLE)

INTIME :
Monsieur Pierre X... ... 34980 SAINT CLEMENT DE RIVIERE Représentant :...

CB/YR COUR D'APPEL DE MONTPELLIER 4o chambre sociale
ARRÊT DU 22 Février 2012

Numéro d'inscription au répertoire général : 10/09407
ARRÊT no
Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 OCTOBRE 2010 CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER No RG09/02082

APPELANTE :
Société NATIONALE IMMOBILIERE (Société anonyme d'économie mixte "SAEM") prise en la personne de son représentant légal 125 avenue de Lodève CS 70007 34074 MONTPELLIER CEDEX Représentant : Me TALLENDIER de la SELAFA CAPSTAN (MARSEILLE) (avocats au barreau de MARSEILLE)

INTIME :
Monsieur Pierre X... ... 34980 SAINT CLEMENT DE RIVIERE Représentant : Me Alain OTTAN (avocat au barreau de MONTPELLIER)

COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 11 JANVIER 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Yves ROLLAND, Président de chambre Monsieur Richard BOUGON, Conseiller Mme Françoise CARRACHA, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffière, lors des débats : Mme Chantal BOTHAMY
ARRÊT :
- Contradictoire.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, initialement prévu le 15/02/2012 et prorogé au 22/02/2012, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de Procédure civile ;
- signé par Monsieur Yves ROLLAND, Président de chambre, et par Mme Chantal BOTHAMY, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * *

EXPOSE DU LITIGE

M. Pierre X... a été embauché le 26 mars 1980 pour une durée indéterminée par la Société Nationale Immobilière - SAEM SNI (la société) en qualité de « comptable 2ème catégorie au sein du contrôle interne, échelon M, coefficient 305».
Sa carrière professionnelle évoluait de la façon suivante :
"responsable du contrôle interne" en 1987 avec le coefficient 387 ; "chef comptable - responsable administratif" à la division informatique en avril 1991 avec le coefficient 510 ; statut cadre position P4 en novembre 1996 avec le coefficient 679 ; "responsable administratif et financier" (RAF) à compter du 1er avril 1999 et classé P4 avec la qualification de chef de division et le coefficient 731 ; indice 741 en 2006 ; indice 774 en 2008, soit un salaire mensuel de base fin 2008 de 3916,44 €.
Parallèlement il exerçait à compter de février 2000 divers mandats de représentation du personnel qui ont pris au fil du temps une importance croissante, le volume total de ses heures de délégation atteignant en dernier lieu l'équivalent d'un temps plein.
Estimant que sa carrière professionnelle avait été bloquée en raison de ses activités syndicales, M. Pierre X... saisissait le conseil de prud'hommes de Montpellier qui, par jugement rendu le 25 octobre 2010, retenait qu'il avait "subi un retard de carrière pour discrimination syndicale", fixait son salaire mensuel à 4118,84€ sur la base de l'indice 814 "à compter de l'année 2008" et condamnait la société :
à lui payer 50 000 € nets de dommages-intérêts outre 900 € nets en application de l'article 700 du code de procédure civile et à lui remettre des bulletins de salaire rectifiés.
Par lettre recommandée reçue au greffe de la cour d'appel le 3 décembre 2010, la société interjetait appel de cette décision qui lui avait été notifiée le 2 décembre 2010.
Elle conclut à sa réformation et demande à la cour de juger qu'elle n'a pas méconnu le principe « à travail égal, salaire égal » et que M. X... n'a fait l'objet d'aucune discrimination syndicale, que les conditions d'attribution de la "prime de région parisienne" reposent sur des critères objectifs et pertinents, de le débouter de toutes ses demandes et de le condamner à lui payer 3000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
M. Pierre X... conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a dit qu'il était victime d'une discrimination syndicale et, formant un appel incident, demande à la cour de :
• Condamner l'appelante à lui payer 160 000 € de dommages-intérêts en réparation des préjudices matériel, incidence retraite incluse, et moral subis depuis la prise d'effet de ses mandats syndicaux en février 2000 ;
• Ordonner à la société de le classer à compter du 01/01/2012 à l'indice 915 par application de l'évolution moyenne des points du panel des salariés de la division informatique depuis 2000 ;
• Ordonner à la société de fixer son salaire mensuel brut minimum à 4705 € correspondant à cet indice, soit 62 903 € pour l'année 2012 en incluant le 13e mois et les accessoires ;
• Condamner la société à lui payer en outre 12 420 € de rappel de prime dite de « région parisienne » (207 € x 12 mois x 5 ans) dans la limite de la prescription quinquennale acquise à la date de la saisine du conseil de prud'hommes, outre 5175 € (207 x 25 ) échus depuis l'introduction de la demande jusqu'au 31/12/2011 ;
• La condamner à lui payer chaque mois à compter du 01/01/2012 la somme de 207 € au même titre, sous forme de prime ou par adjonction à son salaire de base ;
• La condamner à lui payer 3000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions respectives des parties, la cour se réfère au jugement du conseil de prud'hommes et aux conclusions écrites auxquelles elles se sont expressément rapportées lors des débats.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la discrimination.
En application de l'article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de qualification, de classification ou de promotion professionnelle, en raison de ses activités syndicales ou mutualistes.
Au surplus l'article L2141-5 du code du travail interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière d'avancement et de rémunération.
La discrimination directe consiste à traiter, pour un motif prohibé, une personne de manière moins favorable qu'une autre ne l'est ou ne l'a été dans une situation comparable.
Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence mais susceptible d'entraîner, pour un motif prohibé, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés.
Pour expliciter ces notions, les différents instruments existant en droit interne comme dans l'ordre juridique international, notamment les convention et recommandation no111 de l'OIT sur la « discrimination en matière d'emploi et de profession » précisent que :
tout individu doit pouvoir jouir, sans discrimination, de l'égalité de chances et de traitement en matière de promotion selon ses qualités personnelles, son expérience, ses aptitudes et son application au travail ; rémunération pour un travail de valeur égale ;
le terme « discrimination » comprend toute distinction, exclusion ou préférence fondée sur un critère prohibé qui a pour effet de détruire ou d'altérer l'égalité de chances ou de traitement en matière d'emploi ou de profession.
Lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions relatives au principe de non-discrimination, il ressort des dispositions de l'article L 1134-1 que le salarié qui se prétend victime doit présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est fondée sur des objectifs étrangers à toute discrimination.
Les pièces communiquées établissent que, si la carrière professionnelle de M. X... a connu une progression régulière de 1980 à 1999 en passant de l'indice 305 à l'indice 731, il n'a plus bénéficié d'aucune évolution jusqu'en 2006.
De 2000 à 2008 il n'a acquis que 40 points en étant classé à l'indice 741 en 2006 puis 774 en 2008, date de la saisine du conseil de prud'hommes, avant de passer à l'indice 789 en cours de procédure.
Il s'en déduit que M. X... a progressé de 132 points de 1980 à 1990, de 269 points entre 1991 et 1999 mais seulement de 55 points entre 2000 et 2009.
Son salaire mensuel de base s'élevait fin 2008 à 3916,44 € alors qu'il était de 3519,32 € fin 2000, ce qui représente moins de 400 € d'augmentation en huit ans.
Alors qu'il percevait le 28e salaire le plus élevé de l'entreprise en 1996, son salaire n'était plus que le 114e fin 2007.
Par ailleurs les évaluations des 5 responsables administratifs et financiers (RAF) communiquées par l'employeur démontrent qu'alors qu'ils sont tous nettement moins anciens dans l'entreprise que M. X..., un est déjà positionné à un indice supérieur et les autres le sont à des indices proches attestant d'un déroulement de carrière beaucoup plus rapide pendant la même période 2000/20008.
Il est de même démontré que les primes et l'évolution des points d'augmentation individuelle de salaire (AIS) de M. X... sont systématiquement les plus faibles de cette cohorte prise comme élément de comparaison par l'employeur lui-même.
Enfin les données chiffrées fournies par les parties établissent que tous les éléments de comparaison sont en défaveur de M. X... pendant la même période, que ce soit par rapport aux autres cadres de l'entreprise placés en position P3 et P4 ou par rapport à l'évolution de carrière des salariés embauchés à un niveau comparable au sien depuis 1980.
S'ajoutent à ces éléments chiffrés les appréciations des entretiens annuels d'évaluation faisant explicitement référence à ses activités syndicales et sociales et au temps qu'il y consacre, données traduisant un manque de disponibilité pour ses activités au sein du service informatique.
Ces éléments font supposer que depuis qu'il exerce des responsabilités syndicales M. X... n'a pas bénéficié d'une égalité de traitement en matière de promotion et de rémunération.
L'employeur ne peut soutenir que la cour doit s'intéresser uniquement au montant global de la rémunération et non à ses éléments constitutifs alors qu'il a mis en place en 2001 un système de rémunération « au mérite » comprenant, en sus d'une évolution à l'ancienneté, des augmentations individuelles de salaire (AIS) et des primes variables par objectifs.
Et qu'il ne précise pas comment ces éléments variables de rémunération intègrent le temps que M. X... passe en heures de délégation et la diminution corrélative de son activité au sein du service informatique.
Enfin l'employeur ne peut se contenter de soutenir que M. X... ne prouve pas qu'il a perçu une rémunération inférieure à celle des «collaborateurs exerçant les mêmes fonctions de responsable administratif et financier ou des fonctions de même valeur » alors que la comparaison doit porter sur les éléments de rémunération « pour un travail de valeur égale ».
Au demeurant il a déjà été indiqué que la comparaison de l'évolution de la carrière et de la rémunération de M. X... avec celles des autres responsables administratifs et financiers de l'entreprise de 2000 à 2008 était nettement défavorable à l'intimé si l'on tient compte de l'ancienneté respective de chacun des membres du groupe.
C'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu que le blocage dans l'évolution de carrière et la rémunération de M. X... et les différences constatées avec d'autres salariés exerçant un « travail de valeur égale » n'étaient pas justifiées par l'employeur par des raisons objectives étrangères à toute discrimination.

Sur le préjudice.
En application de l'article L 1134-5 du code du travail, l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination et les dommages-intérêts réparent l'entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée.
M. X... ne peut argumenter par comparaison avec l'évolution de carrière et de rémunération de l'ensemble des cadres classés P4 et abandonner ce critère pour s'en tenir à la seule évolution des rémunérations « au sein du service informatique » lorsqu'il s'agit d'évaluer le préjudice en résultant.
C'est donc par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont estimé que l'intéressé devait être "reclassé à l'indice 814 en 2008" avec les conséquences financières en résultant, l'intimé ne fournissant pas à la cour les éléments permettant d'actualiser ce chef de demande au 1er janvier 2012.
De la même façon les premiers juges ont exactement fixé à 50 000€ le montant des dommages-intérêts dus en réparation du préjudice subi du fait de la discrimination sur la base des différentiels de primes et d'AIS entre lui et l'ensemble des cadres P4 entre 2002 et 2008, l'intimé ne justifiant pas d'éléments de préjudice supplémentaires permettant à la cour d'actualiser sa demande à la date de sa décision.

Il convient en conséquence de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré, sauf à préciser que la reclassification ordonnée par les premiers juges doit recevoir application au 01/12/2008, la référence à "en 2008" ne permettant pas l'exécution de la décision.

Sur la prime dite « de région parisienne ».
En application du principe d'égalité de traitement, un accord collectif ne peut prévoir de différences de rémunération entre salariés d'établissements différents d'une même entreprise exerçant un travail égal ou de valeur égale que si elles reposent sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence.
Il est constant que la société, implantée sur l'ensemble du territoire national mais dont le siège social est à Paris, attribue "depuis fort longtemps à ses collaborateurs de la région parisienne" une prime spécifique, d'un montant brut de 207 € en dernier lieu "avant son intégration très récente à la rémunération", dont les salariés des "établissements de province" ne bénéficient pas.
Elle soutient que la différence constatée repose sur un critère objectif qui est le lieu de travail et un élément pertinent qui est "la différence du coût de la vie entre Paris et la province" justifiée par les données statistiques de l'Insee établissant sans contestation possible que "le coût de la vie est largement plus élevé en région parisienne qu'en province".
A cet égard la cour ne peut que constater que si les données statistiques fournies établissent en effet que les prix à Paris et dans la proche banlieue parisienne sont supérieurs dans plusieurs domaines, notamment le logement, à ceux ayant cours dans le reste du pays, cette approche quelque peu "datée" et approximative ne tient aucunement compte des disparités existantes, en terme de cherté du coût de la vie et notamment de logement, entre Paris et sa proche banlieue et le reste de l'Île-de-France d'une part, entre les différentes régions de France d'autre part et enfin entre chacune de ces régions et l'Île-de-France hors Paris.
Par ailleurs il résulte des accords collectifs relatifs à la mobilité professionnelle conclus au sein du groupe en 2007 et 2011 que tous les salariés de la société travaillant "en région parisienne" ne perçoivent pas cette prime et que "la prime de région parisienne des salariés de la SNI en mobilité vers une structure de province sera intégrée au salaire de base", ce qui met à mal le critère avancé pour justifier cette différence de traitement entre les différents établissements de la société selon leur localisation géographique.
Il y a lieu en conséquence de faire droit aux demandes présentées de ce chef, dont le mode de calcul ne fait l'objet d'aucune discussion.

PAR CES MOTIFS
La cour ;
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par la section encadrement du conseil de prud'hommes de Montpellier le 25 octobre 2010, sauf à préciser que la classification à l'indice 814 avec les conséquences financières en résultant doit prendre effet au 01/12/2008 et que les dommages-intérêts alloués sont nets de tout prélèvement pour le salarié;
Y ajoutant ;
Dit que les critères d'attribution par la société de la prime dite « de région parisienne » ne satisfont pas au principe d'égalité de traitement entre les salariés de ses différents établissements ;
Condamne la société anonyme d'économie mixte Société nationale immobilière à payer à M. X..., outre les intérêts au taux légal à compter de ce jour :
• 17 595 € de rappel de prime dite « de région parisienne » arrêté au 31/12/2011 ;
• à lui payer à ce titre 207 € chaque mois à compter du 01/01/2012 ;
Condamne la société aux dépens d'appel et à payer à M. X... 3000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 4o chambre sociale
Numéro d'arrêt : 10/09407
Date de la décision : 22/02/2012
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Type d'affaire : Sociale

Analyses

pourvoi G1217788 Ste Nationale IMM.


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.montpellier;arret;2012-02-22;10.09407 ?
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