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15/02/2012 | FRANCE | N°10/08472

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 4o chambre sociale, 15 février 2012, 10/08472


JONCTION AVEC LE No 10/ 8656

BR/ RBI
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER 4o chambre sociale

ARRÊT DU 15 Février 2012

Numéro d'inscription au répertoire général : 10/ 08472

ARRÊT no
Décision déférée à la Cour : Arrêt du 30 JUIN 2010 COUR DE CASSATION DE No RG1287 f-d sur arrêt Cour d'Appel de Nimes du 6 OCTOBRE 2009

APPELANTE :

SAS BOISSET-LA FAMILLE DES GRANDS VINS- (FGV), anciennement dénommée FGVS venant aux droits de la SA SLDB prise en la personne de son représentant légal Rue des Frères Montgolfier 21700 NUITS SAINT GEORGE

S Représentant : la SCP F. LEVEQUE et C. VALLÉE (avocats au barreau de DIJON)

INTIMEE :
Madame Sylvie Y.....

JONCTION AVEC LE No 10/ 8656

BR/ RBI
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER 4o chambre sociale

ARRÊT DU 15 Février 2012

Numéro d'inscription au répertoire général : 10/ 08472

ARRÊT no
Décision déférée à la Cour : Arrêt du 30 JUIN 2010 COUR DE CASSATION DE No RG1287 f-d sur arrêt Cour d'Appel de Nimes du 6 OCTOBRE 2009

APPELANTE :

SAS BOISSET-LA FAMILLE DES GRANDS VINS- (FGV), anciennement dénommée FGVS venant aux droits de la SA SLDB prise en la personne de son représentant légal Rue des Frères Montgolfier 21700 NUITS SAINT GEORGES Représentant : la SCP F. LEVEQUE et C. VALLÉE (avocats au barreau de DIJON)

INTIMEE :
Madame Sylvie Y...... 84860 CADEROUSSE Représentant : Me Chrystelle MICHEL (avocat au barreau D'AVIGNON)

COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 12 DECEMBRE 2011, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Yves ROLLAND, Président de chambre Monsieur Robert BELLETTI, Conseiller Madame Gisèle BRESDIN, Conseillère

qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Brigitte ROGER

ARRÊT :

- Contradictoire.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe e de la Cour, délibéré initialement prévu le 1er février 2012 et prorogé au 8 février 2012 puis au 15 février 2012, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de Procédure civile ;
- signé par Monsieur ROBERT BELLETTI, Conseiller en ayant délibéré, en l'absence du Président empêché, et par Mme Brigitte ROGER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* **

EXPOSE DU LITIGE

Mademoiselle Sylvie Y...a été embauchée en qualité de Directeur Export et Marketing, qualification cadre niveau IX échelon A, suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 1er juin 1999, ayant pris effet le 06 septembre 1999, par la société SICA Domaines Michel BERNARD, filiale du groupe A..., aux droits de laquelle vient par suite de fusion-absorption la société FAMILLE DES GRANDS VINS (FGV), anciennement dénommée Famille des Grands Vins et Spiritueux (FGVS).
Dans le cadre d'une restructuration portant sur l'organisation du groupe, l'employeur a décidé de modifier les attributions de la salariée en lui adressant, en avril 2004, deux propositions de poste de directeur maison et de directeur de site.
Ne s'estimant pas exactement informée des conditions dans lesquelles s'exerceraient ces nouvelles fonctions, Mademoiselle Y...n'a donné aucune suite aux propositions mais a saisi le 18 février 2005 le conseil de prud'hommes d'Orange afin de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur et d'obtenir le paiement d'indemnités de rupture et de divers éléments de rémunération.
Par une première décision en date du 28 février 2006 la juridiction prud'homale a ordonné, avant dire droit, une mission de conseillers rapporteurs afin de déterminer le quantum des heures supplémentaires que Mademoiselle Y...soutenait avoir accomplies.
Selon jugement rendu le 20 mars 2007 le conseil de prud'hommes a prononcé la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur à compter du 20 mars 2007 et condamné la société FGVS au paiement des sommes suivantes :
-206 750, 05 € au titre des heures supplémentaires, congés payés afférents et repos compensateurs compris-96 000, 00 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse-24 820, 02 € à titre d'indemnité de préavis y compris les congés payés-5303, 78 € pour solde de congés payés-16 000, 00 € d'indemnité conventionnelle de licenciement-9401, 52 € au titre de la prime d'objectif pour l'année 2004-2500, 00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Etait en outre ordonnée la remise sous astreinte des documents de fin de contrat.

Sur appel interjeté par la société FGV, la Cour d'appel de Nîmes a infirmé le jugement, dit que la lettre du 17 mai 2004 de Mademoiselle Y...ne constituait pas une prise d'acte de rupture du contrat de travail, rejeté la demande de résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur, débouté Mademoiselle Y...de ses demandes formulées au titre :

- des heures supplémentaires, congés payés et repos compensateurs-des dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse-de l'indemnité de préavis y compris les congés payés-de l'indemnité pour travail dissimulé-des dommages-intérêts pour harcèlement moral, condamné Mademoiselle Y...à payer à la société FGVS la somme de 1524, 49 € en remboursement de l'avance permanente sur frais professionnels, ordonné le paiement au profit de Mademoiselle Y...par la société FGVS des prestations versées par le GAN pour la période postérieure au 1er juin 2005, condamné la société FGVS à payer à Mademoiselle Y...les sommes de :-11 802, 42 € pour solde de congés payés-15 227, 26 € au titre de la prime d'objectif des années 2004 et 2005 ordonné la capitalisation des intérêts pour les sommes mises à la charge de la société FGVS à compter du 24 février 2005 et dit que la première capitalisation pourra intervenir pour les intérêts courus entre le 24 février 2005 et le 24 février 2006, puis par la suite tous les ans.

Sur pourvoi formé par Mademoiselle Y...à l'encontre de cette décision, la Cour de Cassation a rendu le 30 juin 2010 un arrêt aux termes duquel elle :

- " CASSE et ANNULE, mais seulement en ce qu'il a, d'une part, débouté Madame Y...de ses demandes de résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur et paiement d'heures supplémentaires, congés payés et repos compensateurs compris, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, de l'indemnité pour travail dissimulé, et d'autre part, limité à 15 227, 26 € le montant de la somme due au titre de la prime d'objectif, l'arrêt rendu le 06 janvier 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et,... ".

Suivant courrier en date du 26 octobre 2010, adressé concomitamment en recommandé avec avis de réception et par télécopie, la société FGV a sollicité, conformément à l'arrêt précité, l'audiencement de l'affaire devant la chambre sociale de la Cour d'appel de Montpellier.
A réception de chacun des envois un numéro de rôle a été attribué, savoir le no 10/ 08472 et le no 10/ 08656.
La société FGV fait valoir qu'en sa qualité de Directeur Export et Marketing Mademoiselle Y...relevait du statut de cadre dirigeant et n'était pas astreinte à un horaire de travail précis mais se trouvait, à raison de son niveau de responsabilité exercé comme de l'autonomie dont elle jouissait, soumise " au forfait tout horaire lequel est exclusif de compensation pour les horaires supérieurs à la durée légale du travail ".
Elle ajoute qu'ayant toujours considéré que Mlle Y...relevait de la catégorie des cadres dirigeants elle n'avait pas a régulariser de convention écrite de forfait.
Elle conteste, à titre principal, devoir quelque somme que ce soit à Mademoiselle Y...au titre des heures supplémentaires et stigmatise le " manque de vraisemblance et de cohérence des décomptes d'heures produits " par la salariée.
Subsidiairement la société FGV admet pour chacune des années 2000 à 2004 inclus " un quota maximum d'heures supplémentaires qu'aurait pu effectuer Mademoiselle Y...en raison de certaines tâches nécessitant une amplitude horaire supérieure à l'amplitude horaire normale ", mais qu'en tout état de cause elle considère ne pas devoir compte tenu du fait que le principe d'un dépassement horaire était intégré dans la rémunération et était prévu par le contrat de travail.
Sur la demande relative aux heures supplémentaires, elle conclut donc à titre principal à la réformation du jugement entrepris et au déboutement des demandes formulées par Mademoiselle Y...de ce chef comme au titre du travail dissimulé.
A titre subsidiaire, elle sollicite que les sommes réclamées par la salariée en règlement des heures supplémentaires accomplies soient réduites dans de notables proportions et ramenées pour l'année 2000 à 3194, 40 €, pour l'année 2001 à 3390, 37 €, pour l'année 2002 à 3264, 80 €, pour l'année 2003 à 4487, 83 € et pour l'année 2004 à 2505, 22 €.
La société FGV soutient qu'il n'existe aucun manquement de sa part d'une gravité suffisante pour justifier la résiliation du contrat de travail à ses torts.
A titre principal sur la rupture du contrat de travail, elle conclut donc à la réformation du jugement déféré et au déboutement des demandes de mademoiselle Y...portant sur la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur et l'allocation d'indemnité de préavis, d'indemnité conventionnelle de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
A titre subsidiaire et dans l'éventualité où la résiliation judiciaire du contrat de travail serait prononcée à ses torts, la société FGV demande que les montants de l'indemnité de préavis, de l'indemnité de licenciement et les dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse soient limités respectivement à 16 761, 36 €, 11 174, 00 € et 28 365, 00 €.
Elle conclut de même au déboutement des demandes de Mademoiselle Y...portant sur le paiement des primes sur objectif pour les années 2004 à 2005 et sur la capitalisation des intérêts ; elle sollicite enfin la confirmation du jugement attaqué en ce qu'il déboute la salariée de sa réclamation au titre des congés payés ouverts pour la période du 1er juin 2003 au 28 mai 2004.
En tout état de cause la société FGV demande que mademoiselle Y...soit condamnée à restituer les sommes perçues au titre de l'exécution des décisions rendues, ainsi qu'au paiement de celle de 2500, 00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Mademoiselle Y...expose dans ses écritures que lors de son embauche, en septembre 1999, elle a été classée au coefficient 9A qu'elle a toujours conservé alors que l'accord de réduction du temps de travail de juin 1999 précisait que les cadres dirigeants, dont elle conteste avoir la qualité, étaient exclus de l'accord ainsi que de la réglementation sur le temps de travail et que ces cadres dirigeants étaient classés au coefficient 10A ou supérieur.
Elle considère avoir été expressément exclue de ce fait par l'employeur du statut de cadre dirigeant lors de la signature du contrat de travail, indépendamment du fait qu'elle ne réunit pas dans l'exercice de ses fonctions les critères cumulatifs susceptibles de lui faire bénéficier de ce statut.

Elle affirme avoir été tenue de justifier de son emploi du temps, de tenir des fiches de présence et d'absence, de suivre un compteur de journées RTT et n'être pas soumise à une convention de forfait, son contrat de travail ne contenant aucune clause de forfait ni avenant en ce sens au terme duquel elle aurait spécifiquement formulé un accord express sur le nombre d'heures comprises dans le forfait.

Elle justifie par la production de diverses pièces des heures supplémentaires qu'elle dit avoir effectuées et estime que la résiliation judiciaire du contrat de travail doit être prononcée aux torts de l'employeur.
Elle conclut à la confirmation du jugement déféré sauf à y ajouter la condamnation de la société FGV à lui payer les sommes suivantes :
-48 000, 00 € d'indemnité pour travail dissimulé-22 640, 00 € pour solde de ses droits à congés payés-78 000, 00 € de primes d'objectif pour les années 2004 à 2007 inclus-7800, 00 € au titre des congés payés sur prime d'objectifs-5000, 00 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ?

Elle demande en outre que soit ordonné le versement immédiat à son bénéfice des prestations réglées par le GAN et faisant l'objet d'une rétention de la part de l'employeur ; elle conclut en tout état de cause au déboutement de l'intégralité des prétentions de la société FGV.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions respectives, la cour se réfère aux différentes décisions intervenues et aux conclusions notifiées par les parties auxquelles elles ont expressément déclaré se rapporter lors des débats.

SUR QUOI

A titre liminaire et dans le cadre d'une bonne administration de la justice la Cour ordonne la jonction du dossier portant la référence no 10/ 08656 avec celui enregistré sous le no 10/ 08472.
Le statut de la salariée
S'il n'est pas discutable que la Cour n'est pas tenue par la qualification retenue dans le contrat de travail comme sur les bulletins de salaire, il est néanmoins constant que le contrat de travail signé des parties mentionne que Mademoiselle Y...a été embauchée en qualité de Directeur Export et Marketing, qualification cadre niveau IX échelon A.

Ce faisant et nonobstant sa qualification de cadre, pour que la salariée soit exclue du champ d'application de la réglementation sur la durée du travail, il convient d'examiner si dans l'exercice réel de l'activité professionnelle les conditions cumulatives de l'article L. 3111-2 du code du travail définissant la qualité de cadre dirigeant d'un salarié, sont réunies, savoir :

- avoir des responsabilités importantes impliquant une large indépendance dans l'organisation de son emploi du temps-être habilité à prendre des décisions de façon largement autonome-percevoir une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération de l'entreprise.

S'agissant de la large indépendance dans l'organisation de l'emploi du temps, il se vérifie des éléments du dossier et des documents produits aux débats, en ce y compris les propres pièces de l'employeur, que Mademoiselle Y...bénéficiait effectivement d'une souplesse quant aux heures de travail sans pour autant qu'il soit possible de parler d'autonomie ou d'indépendance.
Outre l'article 7 du contrat de travail qui mentionne " compte tenu de l'activité commerciale et du degré d'initiative que requiert le poste confié à Mademoiselle Y..., celle-ci n'est pas astreinte à un horaire précis, mais devra consacrer le temps nécessaire au bon exercice de sa fonction et de ses missions " (pièce no 1 employeur) dont il ne peut être déduit, comme le soutient l'employeur, que la salariée " avait une totale liberté dans l'organisation de son temps de travail ", il est établi au contraire que Mademoiselle Y...était tenue de justifier de son emploi du temps, de tenir des fiches de présence et d'absence, de remplir des fiches RTT.
Les fiches RTT justifient de la tenue d'un compteur des-dits jours par la direction, comme de l'accord à recueillir " du chef de service " et " de la direction " pour leur validation (pièces no 71 à 73 employeur).
Il est également confirmé qu'un suivi effectif était opéré par le Directeur Général ainsi que l'atteste Madame B..., assistante de ressources humaines, "... il est arrivé que le président directeur Général s'interroge sur le motif de l'absence ou du retard de Mademoiselle Y...et me demande si une autorisation de RTT avait été mise en place car lui-même n'en avait pas eu connaissance " (pièce no 74 employeur).
Quelle que soit la finalité des fiches dites RTT dont l'employeur ne peut discuter qu'elles étaient remplies et sur lesquelles figurait bien la signature du supérieur hiérarchique ayant accordé l'autorisation, il demeure que ces fiches constituaient un outil de contrôle qui permettait notamment de s'assurer si la salariée était en déplacement professionnel, en repos ou en congés payés, et établissent aussi indubitablement la réalité de dépassements horaires (pièce no 71 employeur : demandes des 24 juin 2002, 26 août 2002, 17 octobre 2002, 06 novembre 2002, 23 décembre 2002 avec mention d'un solde de jours RTT, toutes signées du supérieur de Mademoiselle Y...).
Il en est de même des plannings hebdomadaires réclamés à compter de 2004 qui s'inscrivent dans une politique du suivi de la gestion du temps de travail et de l'activité de la salariée (pièce no 89 employeur).
Concernant l'habilitation à prendre des décisions de manière largement autonome, il appert de la fiche de poste de Directeur Export et Marketing que s'il bénéficie d'une " délégation d'autorité " celle-ci n'est attribuée que pour " négocier les tarifs avec les clients en fonction des tarifs de base export et de la stratégie développée avec le directeur général ", mais qu'il est tenu d'informer et reçoit des informations de personnes suivantes :- " directeur général-responsables d'activités LDB-assistantes export et marketing-responsable de l'administratif commercial-directeur commercial France-coordinateurs export famille A..." (pièce no 3 employeur).

L'autonomie dont disposait Mademoiselle Y...apparaît donc d'autant plus relative que son pouvoir de négociation s'inscrit dans le cadre de directives reçues préalablement et qu'en tout état de cause elle était tenue de faire valider ses décisions ainsi que l'atteste le message électronique par elle adressé au directeur général le 18 juin 2003 (pièce no 96 employeur) qui établit qu'elle ne disposait pas d'une délégation générale de l'employeur et n'exerçait aucune des prérogatives de ce dernier sans devoir solliciter des autorisations préalables.
Quant à la perception de l'une des rémunérations les plus élevées de l'entreprise il peut être retenu des éléments produits que Mademoiselle Y...se situait bien dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération.
Il s'induit de ce qui précède que pour se trouver, comme l'écrit l'employeur, " dans une des catégories les plus élevées des cadres prévues par la convention collective ", Mademoiselle Y...ne faisait pour autant pas partie de la catégorie la plus élevée en ce que les trois critères d'appréciation de la qualité de cadre dirigeant n'étaient pas cumulés ; les deux premiers n'étant pas remplis au regard des fonctions réellement exercées par elle.
Dans ces conditions Mademoiselle Y...ne se trouvait pas exclue du champ d'application de la réglementation sur la durée du travail.

Les heures supplémentaires et le travail dissimulé

En application de l'article L. 3121-38 du code du travail, le paiement des heures supplémentaires suivant une convention de forfait ne peut résulter que d'un accord entre les parties.
La rémunération forfaitaire d'heures supplémentaires ne se présumant pas, il incombe à celui qui se prévaut de l'existence d'une convention de forfait d'en rapporter la preuve et de justifier qu'elle a été expressément acceptée.
Bien que soutenant que " la rémunération prévue au contrat de travail avait un caractère forfaitaire et que cette rémunération incluait obligatoirement un certain nombre d'heures supplémentaires liées aux fonctions de Mademoiselle Y...", l'employeur n'établit cependant pas que dans le contrat de travail le nombre d'heures supplémentaires, supposé inclus dans cette rémunération, est déterminé.
Le contrat de travail de Mademoiselle Y...ne contenant aucune clause de forfait, ni avenant en ce sens, et ses bulletins de paye mentionnant un salaire calculé sur une base de 151, 67 heures sans qu'aucune heure supplémentaire n'apparaisse, celle-ci est fondée à formuler une réclamation à ce titre.
Il résulte de l'article L. 3171-4 du code du travail, que la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties et qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments de nature à justifier des horaires réalisés par le salarié.
Etayant suffisamment sa demande par des pièces nombreuses et variées Mademoiselle Y..., produit les souches de ses billets d'avion, les récapitulatifs des déplacements en train, ainsi que les relevés de voyages effectués pour le compte de l'employeur établis par l'agence de voyage ; s'y ajoutent ses plannings d'activité, les notes de frais traduisant des travaux les samedis et dimanches, diverses attestations, copies d'extraits de son ordinateur professionnel et un tableau de recalcul des heures supplémentaires accomplies. (pièces no 13 à 17, 20 à 22 et 74 ; la pièce no 16 comportant à elle seule plus de 100 pages).
Au-delà de sa contestation tenant au statut de cadre dirigeant de la salariée, sur laquelle la Cour a statué, l'employeur discute l'importance des heures supplémentaires réclamées et récapitule en un tableau un total de 285 heures que la salariée présente comme ayant été travaillées et qui en réalité correspondent à des jours pris au titre de la RTT. (pièce no 75).
Prenant en considération cet élément et les pièces qui l'étayent la Cour relève néanmoins que l'employeur, qui tout au long de ses écritures soutient que Mademoiselle Y...n'était pas soumise à la réglementation relative au temps de travail, a cependant assuré un suivi et une comptabilité suffisamment précis pour lui permettre de contrôler et discuter le bien fondé des revendications de cette dernière.
Au vu des différents éléments soumis à son appréciation par les deux parties, l'employeur ne justifiant pas avoir mis la salariée en situation de bénéficier du repos compensateur lié aux heures supplémentaires, la Cour, confirmant en cela le conseil de prud'hommes, est en mesure d'évaluer à la somme de 206 750, 05 € le montant dû à Mademoiselle Y...au titre des heures supplémentaires, congés payés afférents et repos compensateur pour la période de février 2000 à mai 2004.
L'indemnité prévue à l'article L. 8221-5 du code du travail n'est due que s'il est établi que l'employeur a dissimulé intentionnellement tout ou partie de l'activité de son salarié.
En l'espèce, même si les bulletins de paye de Mademoiselle Y...ne mentionnent pas les heures de travail réellement accomplies par cette dernière, le rappel des heures supplémentaires dues par l'employeur intervient seulement à la suite de la décision de la Cour ayant tranché le débat opposant les parties sur la qualification de cadre dirigeant à donner ou non à Mademoiselle Y....
L'intention frauduleuse n'apparaissant pas caractérisée, le conseil de prud'hommes qui a rejeté la réclamation de la salariée formulée au titre du travail dissimulé, sera donc confirmé.
La rupture du contrat de travail
Appliquée aux relations contractuelles employeur/ salarié l'action en résiliation judiciaire consiste, pour celui qui l'introduit, à demander au juge de prononcer la rupture du contrat de travail plutôt que de faire usage de son droit de résiliation unilatéral.
Les manquements de l'employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être d'une gravité suffisante et, quand elle est prononcée, la résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
- Le changement de fonctions :
En fin d'année 2003 l'employeur a initié un projet de restructuration ; la mise en place de cette nouvelle organisation, appelée " BABYLONE ", a été présentée aux salariés de l'entreprise le 12 novembre, 2003.
S'inscrivant dans le prolongement de ce projet, des propositions nouvelles d'affectation ont été faites à différents salariés dont Mademoiselle Y..., à qui ont notamment été proposés les 13 et 14 novembre 2003 les fonctions de " directeur de marque (s) " et de " directeur de maison ".
A réception de ces propositions la salariée s'est légitimement inquiétée en constatant, ce que ne peut démentir l'employeur, une absence de remise concomitante d'une fiche de poste aussi complète et détaillée que celle qui lui avait été donnée lors de son embauche.
Le 19 novembre 2003 à 10h17 Mademoiselle Y...adresse un courrier électronique à l'employeur en faisant au préalable référence à ses appels téléphoniques auxquels il n'avait pas été répondu (pièce no 28 salariée).
Elle sollicite surtout des éclaircissements sur les points suivants au regard du poste de " directeur de marque " : " quelles marques, quels objectifs, préciser de manière plus précise la définition de la mission, qui fait les prix, qui fait les salons, qui gère les assistantes et les problèmes relatifs aux commandes, rémunération, etc... " ; s'agissant du poste de " directeur de maison " elle y indique que ce qui lui est proposé est " très différent du poste offert jeudi dernier... ".
A lecture de ce courrier il importe peu de savoir, comme l'écrit l'employeur, si Mademoiselle Y..." ne jugeait absolument pas absurdes ni hors de propos les propositions de postes faites les 13 et 14 novembre 2003 ", il convient bien plutôt de relever et de constater que la salariée y exprime des craintes et y démontre que la définition, incomplète, du poste proposé l'inquiétait et qu'en dépit, ou à cause, de la parfaite connaissance qui était la sienne de la structure interne de l'entreprise, cette définition nécessitait des précisions sur des points fondamentaux, dont sa rémunération, de nature à établir une diminution de prérogatives ou responsabilités assimilables à un déclassement, par comparaison au poste par elle occupé.
De fait, il apparaît des éléments complémentaires qui seront communiqués postérieurement à Mademoiselle Y...à la suite de ses relances, qu'elle perdait notamment ce qui constituait un élément majeur de son contrat de travail initial à savoir la " délégation d'autorité " dans le cadre de la négociation des tarifs appliquée en fonction d'une stratégie développée avec le directeur général et qu'elle perdait également toute responsabilité commerciale ainsi que le management du personnel.
Autant de composantes du contrat initial dont la salariée s'est trouvée dépourvue, à elles seules suffisantes pour établir la réalité du déclassement professionnel dont elle a été victime mais auxquelles peut être ajoutée l'absence de réponse de l'employeur à l'interrogation de la salariée sur le devenir, dans le cadre de ses nouvelles fonctions, de ses primes d'objectif qui représentaient jusqu'alors trois mois de salaire.
la Cour, par confirmation du conseil de prud'hommes, prononcera aux torts de l'employeur la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mademoiselle Y...lui ouvrant droit au paiement de dommages-intérêts et indemnités liés à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Les conséquences de la rupture
-L'indemnité de préavis :
Confirmant la juridiction prud'homale qui a retenu, après réintégration des heures supplémentaires, un salaire moyen sur les trois derniers mois égal à 7521, 22 € et se référant à l'article 29 de l'annexe de la convention collective applicable relative aux cadres qui fixe à trois mois la durée du préavis, la Cour confirmera le montant de l'indemnité dûe par l'employeur à la somme de 24820, 02 € qui inclue les congés payés sur préavis.

- L'indemnité de licenciement :

Définie par l'article 30 de l'annexe relative aux cadres, cette indemnité est fixée à : 3/ 10èmes de mois par année et fraction d'année de présence, jusqu'à cinq ans à condition d'avoir cinq ans d'ancienneté comme cadre dans l'entreprise, 4/ 10èmes de mois par année et fraction d'année de présence pour la tranche comprise entre 5 et 10 ans comme cadre dans l'entreprise.

Mademoiselle Y...comptant au 06 décembre 2005, date de l'audience du bureau de jugement du conseil de prud'hommes, une ancienneté égale à six ans et trois mois la Cour, par confirmation de la juridiction prud'homale, condamnera l'employeur, qui a discuté le principe de cette indemnité mais non son mode de calcul, à payer à Mademoiselle Y...la somme de 16 000, 00 €.
- Les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
En considération de l'ancienneté acquise par la salariée, de sa situation, de sa rémunération et de légèreté blâmable manifestée par l'employeur dans les circonstances ayant conduit à la rupture du contrat de travail, la Cour condamnera la société FGV à payer à Mademoiselle Y...la somme de 90 254, 64 € de dommages-intérêts correspondant à douze mois de salaire.
- la prime d'objectifs :
Il se vérifie des éléments du dossier et de l'article 4 du contrat de travail que la rémunération de Mademoiselle Y...intégrait une prime annuelle sur objectifs qu'elle a perçue de manière régulière, fixe et permanente au titre des années 2000 à 2003 inclus à hauteur de trois mois de salaire (pièce no 1 employeur).

La demande de résiliation judiciaire ne rompant pas le contrat de travail, celui-ci n'étant rompu qu'à la date de la décision qui la prononce, et ni le contrat de travail ni les avenants subséquents intitulés " Détermination de la prime de performance " ne conditionnant ou subordonnant le versement de cette prime à un défaut d'absence, la Cour en infirmant de ce chef le conseil de prud'hommes condamnera l'employeur à verser à Mademoiselle Y...la somme de 72 330, 13 € pour les années 2004 à mars 2007 inclus, correspondant à la date de la décision du conseil de prud'hommes qui rompt le contrat de travail aux torts de l'employeur.

La Cour constatera pour le surplus que l'arrêt de la Cour de Cassation ne remet pas en cause la décision de la cour d'appel de Nîmes.

PAR CES MOTIFS

La Cour,
Ordonne la jonction du dossier portant la référence no 10/ 08656 avec celui enregistré sous le numéro 10/ 08472.
Vu le jugement du conseil de prud'hommes d'Orange en date du 20 mars 2007, l'arrêt de la Cour d'appel de Nîmes du 06 janvier 2009 et l'arrêt de la Cour de Cassation rendu le 30 juin 2010,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il déclare fondée la demande de Mademoiselle Sylvie Y...portant sur les heures supplémentaires, prononce la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, condamne la société FGVS à lui payer les sommes suivantes :-206 750, 05 € au titre des heures supplémentaires, congés payés afférents et repos ompensateur compris-24 820, 02 € d'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés correspondants-16 000, 00 € d'indemnité conventionnelle de licenciement et la déboute de la demande formulée au titre du travail dissimulé,

L'infirme sur le montant des sommes allouées au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de la prime d'objectifs,
Statuant à nouveau du chef de ces dispositions infirmées,
Condamne la société FGV, prise en la personne de son représentant légal à payer à Mademoiselle Sylvie Y...les sommes suivantes :
-90 254, 64 € de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse
-72 330, 13 € de prime d'objectifs pour les années 2004 à mars 2007,
Constate pour le surplus que l'arrêt de cassation ne remet pas en cause l'arrêt rendu le 06 janvier 2009 par la cour d'appel de Nîmes,
Y ajoutant,
Dit que les sommes allouées à titre de dommages-intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse sont nettes de tous prélèvements pour la salariée,
Condamne la société FGV, prise en la personne de son représentant légal, à verser à Mademoiselle Y...la somme de 3000, 00 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société FGV aux dépens d'appel.

LE GREFFIER, P/ LE PRÉSIDENT EMPECHE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 4o chambre sociale
Numéro d'arrêt : 10/08472
Date de la décision : 15/02/2012
Type d'affaire : Sociale

Analyses

La résiliation judiciaire, consiste pour celui qui l'introduit, à demander au juge de prononcer la rupture du contrat de travail qui produira les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si la résiliation judiciare est prononcée aux torts de l'employeur. La rupture du contrat de travail n'intervenant pas lors de la demande de résiliation judiciaire, mais à la date de la décision de justice qui la prononce, le montant de la prime d'objectif ne saurait être limitée en considération de la date de la saisine de la juridiction prud'homale.


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.montpellier;arret;2012-02-15;10.08472 ?
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