COUR D' APPEL DE MONTPELLIER
1o Chambre Section AO1
ARRÊT DU 4 MARS 2008
Numéro d' inscription au répertoire général : 07 / 643
Décision déférée à la Cour : Jugement du 9 JANVIER 2007 TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE CARCASSONNE No RG 06 / 258
APPELANT :
Monsieur Grégoire X... né le 15 Novembre 1932 à NIENO (Espagne) ...11290 MONTREAL DE L' AUDE représenté par la SCP GARRIGUE- GARRIGUE, avoués à la Cour assisté de Me Carole GOURLIN- ABDELDJELIL, avocat au barreau de CARCASSONNE substitué par Me Olivier TRILLES
INTIMES :
Monsieur Jean A... né le 28 Juillet 1952 à SOUILLAC (46200) de nationalité française ...43600 GOURDON représenté par la SCP DIVISIA- SENMARTIN, avoués à la Cour assisté de Me Timothée DE HEAULME, avocat de la SCP FABRE, avocat au barreau de PARIS
SA COVEA RISKS, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié ès qualité au siège social 10 Bld Alexandre Oyon 72030 LE MANS CEDEX 9 représentée par la SCP DIVISIA- SENMARTIN, avoués à la Cour assisté de Me Timothée DE HEAULME, avocat de la SCP FABRE, avocat au barreau de PARIS
Maître Alain B..., membre de la SCP B...- GROSJEAN, notaires associés titulaires d' un office notarial à la résidence de Carcassonne situé né le 21 Septembre 1945 à CARCASSONNE (11000) ... 11000 CARCASSONNE représenté par la SCP DIVISIA- SENMARTIN, avoués à la Cour assisté de Me Gilles LASRY, avocat de la SCP BRUGUES, avocats au barreau de MONTPELLIER
ORDONNANCE de CLÔTURE du 17 JANVIER 2008
COMPOSITION DE LA COUR :
L' affaire a été débattue le 22 JANVIER 2008 à 14H, en audience publique, Monsieur Claude ANDRIEUX, Conseiller ayant fait le rapport prescrit par l' article 785 du Nouveau Code de Procédure Civile, devant la Cour composée de :
Madame Nicole FOSSORIER, Président Madame Sylvie CASTANIÉ, Conseiller Monsieur Claude ANDRIEUX, Conseiller qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Melle Marie- Françoise COMTE
ARRÊT :
- contradictoire,- prononcé publiquement par Madame Nicole FOSSORIER, Président,- signé par Madame Nicole FOSSORIER, Président, et par Melle Marie- Françoise COMTE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Vu le jugement rendu le 9 janvier 2007 par le Tribunal de Grande Instance de Carcassonne qui a débouté Monsieur X... de l' ensemble de ses demandes,
Vu l' appel interjeté le 26 janvier 2007 par Monsieur X...,
Vu les dernières conclusions notifiées le 21 décembre 2007 par Monsieur X... qui sollicite la condamnation des intimées à lui payer la somme de 150 000 euros au titre du préjudice matériel, 80 000 euros au titre du préjudice moral, 10 000 euros au titre de l' article 700 du NCPC,
Soutenant que :
- en sa qualité de caution il était partie à l' acte de cession du fonds de commerce de la SCA Hôtel des 3 couronnes et dès lors Maître B... aurait dû le convoquer à la signature mais en outre il était tenu à son égard d' une obligation de conseil, de ce fait il aurait dû leur signaler le délai donné par le tribunal de commerce et veiller à la levée des cautions,
- le notaire tenu à l' efficacité de ses actes devait vérifier la levée des cautions préalablement à la cession,
- le notaire B... devait veiller à la bonne exécution des jugements du tribunal de commerce ordonnant la cession, dans les conditions arrêtées dans le plan du 30 janvier 1997, en intégrant notamment une condition suspensive relative à la levée des engagements des cautions, ce qui aurait évité sa condamnation en cette qualité,
- Maître A... en sa qualité d' administrateur judiciaire de la SCI DU PONT VIEUX et de la SCA Hôtel des Trois Couronnes a commis une faute en ne s' assurant pas de la bonne exécution par la société SOFT de ses engagements lors de la signature de l' acte de cession, auquel les cautions auraient dû être appelées,
Vu les dernières conclusions notifiées par Maître B... le 17 juillet 2007 qui conclut à la confirmation du jugement et sollicite la somme de 5 000 euros par application de l' article 700 du NCPC. Aux motifs que :
- il a été désigné par le tribunal de commerce par jugement du 30 janvier 1997 avec une date butoir fixée au 31 mai 1997, il n' était donc tenu par aucun devoir de conseil, notamment à l' égard d' un tiers non partie à l' acte de cession,
- l' acte de cession n' est qu' une des composantes du plan de cession, le jugement n' indiquant pas à quel moment devait intervenir la levée des cautions,
- en outre la situation de Monsieur X... ne résulte que de son engagement de caution dans l' acte de prêt de décembre 1992, et il ne s' agit donc pas d' un préjudice indemnisable, qui en outre n' est pas certain alors qu' il peut opposer au Crédit Mutuel la démonstration de vaines poursuites à l' encontre des autres cautions,
Vu les dernières conclusions notifiées le 8 janvier 2008 par Monsieur A... et la SA COVEA RISKS son assureur qui concluent à la confirmation du jugement, subsidiairement de juger que l' assureur ne pourrait être tenu que dans la limite des garanties et de la franchise, à la condamnation de l' appelant à payer aux intimés la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts, celle de 4 000 euros par application de l' article 700 du NCPC,
Soutenant que :
- il n' entrait pas dans sa mission de vérifier que préalablement à la signature de l' acte de cession, les cautions avaient été levées, la seule obligation étant de passer les actes et de s' assurer que figurait dans l' acte l' engagement de la société SOFT qu' elle ferait son affaire personnelle de la mainlevée des cautions,
- il ne pouvait imposer au cessionnaire des conditions autres que celles auxquelles ils s' étaient engagés dans le plan, le tribunal ayant seulement jugé que les cessionnaires feraient leur affaire personnelle de la mainlevée des cautions et ayant subordonné cette mainlevée à un accord entre l' acquéreur et le banquier,
SUR CE :
Il est constant qu' aux termes du contrat de prêt intervenu le 7 décembre 1992 entre la Caisse de Crédit Mutuel de CARCASSONNE et la SCA Hôtel des Trois Couronnes, cette dernière empruntait la somme de 1 200 000 francs au taux de 11, 80 % l' an, prêt professionnel d' une durée de sept ans garanti d' une part par le nantissement du fonds de commerce et de cinq comptes à termes et d' autre part par la caution solidaire de trois associés dont Monsieur X... à hauteur chacun d' un montant limité au principal à la somme de 300 000 francs, étant précisé que par ailleurs dans le cadre de cette cession un crédit bail était accordé pour l' acquisition à terme des murs, à la SCI DU PONT VIEUX par les sociétés FONCIER BAIL et BATIMAP.
Il sera précisé, sans que cela ait une incidence sur le présent litige, que pour apurer les découverts, le Crédit Mutuel a accepté de lever le nantissement sur les comptes à terme permettant ainsi que leurs montants soient réintégrés dans la trésorerie de la SCA.
Il est établi en effet que l' exploitation n' a pas été à la hauteur des prévisions puisque une procédure de redressement judiciaire était ouverte à l' encontre de la SCA Hôtel des Trois Couronnes le 29 décembre 1995, suivie le 9 septembre 1996 par la procédure de redressement ouverte à l' encontre de la SCI DU PONT VIEUX.
Dans le cadre de ces procédures examinées conjointement par le Tribunal de Commerce, un plan de continuation a été présenté par le gérant, ainsi que deux plans de cession, l' un par la société SOFT, le second par Monsieur C... et le troisième par la SARL PUJOL INVESTISSEMENTS et la SNC PUJOL UCCOAR.
Le plan de la société SOFT était retenu par jugement rendu le 30 janvier 1997 par le Tribunal de Commerce de CARCASSONNE. Il prévoyait l' acquisition du fonds de commerce pour le prix de 600 000 francs, la reprise des crédits et la libération des cautions tant pour la SCA que pour la SCI.
Monsieur X... reproche tant au notaire B..., qu' à Maître A..., agissant es qualité d' administrateur judiciaire de la SCA Hôtel des Trois Couronnes d' avoir passé les actes de cession sans s' assurer que les engagements pris par la Société SOFT relatifs à la reprise des crédits et la levée des cautions avaient été respectés, ce à quoi le premier réplique qu' il n' était pas tenu d' un devoir de conseil à l' égard d' un tiers caution n' étant qu' un simple commis de justice, le second qu' il était lié par les termes du jugement qui ont été repris à l' acte et ne pouvait interférer à l' acte et de là qu' ils n' ont pas commis de faute.
Il est constant que le jugement du 30 janvier 1997 disposait que l' acte de cession interviendrait au plus tard le 31 mai 1997, or il est établi
qu' à cette date les actes n' étaient pas signés puisque Maître D..., désigné comme commissaire à l' exécution du plan, se voyait dans l' obligation d' assigner les différents intervenants à la cession dont la société SOFT.
S' il pouvait être reproché au jugement du 30 janvier 1997 de ne pas être très précis sur la nature des engagements à respecter lors de la cession par la SARL SOFT, il reste que celui du 10 avril 1998, pris pour permettre l' exécution du premier, était très précis quant aux formalités à respecter. En effet le tribunal relevait que la société SOFT devrait signer non seulement les actes de cession mais également un accord avec d' une part la Société Bordelaise de Crédit, d' autre part avec la Caisse de Crédit Mutuel, étant précisé que le même jugement constatait que l' engagement relatif à la signature du crédit bail immobilier était réalisé pour avoir été signé le 31 mars 1998. Dans la mesure où il était exigé de trouver un accord avec le Crédit Mutuel dans un délai de 15 jours à compter de la signification du jugement, le tribunal donnait à cette signature un caractère urgent enfermé dans le même délai que celui de la signature des actes de cession, ce qui devait retenir l' attention tant du notaire que de l' administrateur judiciaire.
Le Notaire qui se qualifie lui- même de " commis de justice " aurait du prêter une plus grande attention au contenu du jugement qui ordonnait la signature de l' acte de cession.
En outre compte tenu de leur qualité de professionnels, les deux intervenants ne pouvaient ignorer que la reprise des engagements par le cessionnaire constitue une des composantes du prix d' acquisition au- delà du prix de cession des actifs. Le tribunal quant à lui ne s' y était pas trompé pour exiger la signature de reprise des engagements dans le même temps que celui de la signature de l' acte.
Ils ne pouvaient non plus ignorer à la simple lecture du jugement du 10 avril 1998, que le Crédit Mutuel avait lui- même conclu que la société SOFT ne l' avait jamais contacté et qu' il fallait la condamner
à l' exécution forcée de ses engagements, ce qui démontre qu' il voulait voir aboutir cet engagement sans y être obligé, les dispositions du jugement du 3 juin 1998 étant en l' espèce étrangères à l' appréciation du litige, comme résultant de la non application de la société SOFT de ses obligations.
Il apparaît manifestement qu' ils ne pouvaient procéder à la signature des actes de cession sans s' être assuré pour le moins qu' un accord contractuel était intervenu entre la société SOFT et le Crédit Mutuel relatif à la reprise des crédits et de la levée des cautions, ce qu' ils n' ont pas fait, laissant la société SOFT acquérir la pleine propriété d' une société dont elle avait accepté de reprendre les engagements sans que cette reprise soit effective et les cautions levées.
De cela il ressort que Maître B... et Maître A... ont commis une faute pour avoir signé un acte sans avoir commis une quelconque diligence pour s' assurer que les conditions de sa signature étaient remplies, sans qu' il soit besoin de leur reprocher de ne pas avoir fait intervenir les cautions à l' acte, ni d' avoir conseillé à ces dernières de préserver leurs droits, les jugements précités leur assurant une protection suffisante, en cas de respect de leurs dispositions.
Monsieur X... soutient que son préjudice résulterait de la mise en jeu de sa caution alors qu' il aurait dû en être déchargé si la reprise des crédits et la levée des cautions étaient intervenues.
En l' absence de l' accord entre le Crédit Mutuel et la société SOFT, il ne s' agit que d' une perte de chance d' avoir bénéficié de cet accord s' il avait été conclu, la question étant de savoir si ce dernier avait des chances plus ou moins importantes de l' être au moment de la cession.
Or il résulte du jugement ayant autorisé la cession, que la société SOFT était à la date du jugement en bonne situation financière pour avoir 16 000 000 francs de fonds propres dont 4 000 000 francs d' augmentation de capital en numéraires réalisée en décembre 1996
à la demande des crédits bailleresses pour faire face à un déficit prévisible de 2 000 000 francs pour les trois premières années d' exploitation, ce qui démontre la capacité de cette société à lever des fonds. En outre son résultat en 1995 était de 1 000 000 francs. L' ensemble de ces éléments financiers plaidait pour une acceptation de la levée des cautions.
Au surplus, les crédits bailleurs lui consentaient un crédit bail de 12. 000. 000 francs pour financer la reprise de la SCI, ce qui comparé à la créance du Crédit Mutuel, dont il n' est pas contesté qu' elle a été déclarée à hauteur de 817 806, 10 francs au passif, peut laisser penser que celui- ci aurait accepté la reprise et la levée, étant ajouté comme il a été mentionné supra que devant le tribunal de commerce cette banque avait demandé l' exécution de l' engagement de la société SOFT tel que figurant au plan de cession, ce qui veut dire qu' elle était prête à signer l' accord qui aurait donc eu des chances très importantes d' aboutir, Monsieur X... étant dès lors relevé de ses engagements de caution.
Il est bien évident qu' en l' absence d' accord avec la société SOFT, le Crédit mutuel a souhaité continuer de se prévaloir des engagements de cautions des personnes physiques, dont Monsieur X..., après la cession, ce qui était non seulement son droit mais aussi son intérêt, dès lors qu' il n' était pas partie aux actes de cession et que ceux ci étaient intervenus sans qu' un accord de levée des cautions soit signé.
De ces divers éléments il ressort que si Maître B... et Maître A... n' avaient pas commis de faute, Monsieur X... aurait eu de très grandes chances au moment de la signature des actes de cession de ne pas avoir à voir son engagement de caution maintenu et être condamné suivant arrêt en date du 24 mai 2005 à payer la somme de 132 805, 89 euros du fait de la carence du repreneur à honorer ses engagements. Compte tenu du pourcentage élevé de chances d' avoir pu éviter cette condamnation, il convient de retenir le montant de son préjudice à hauteur de 120 000 euros que Maître B... et Maître A... seront condamnés à payer, sous l' expresse réserve de la justification par ce dernier de l' exécution des dispositions de l' arrêt précité.
Il est certain que du fait de l' absence de levée des cautions et le caractère pérenne de celles- ci avec les conséquences néfastes en résultant ont causé incontestablement un préjudice moral qui sera justement indemnisé en allouant à Monsieur X... la somme de 5 000 euros.
La société d' assurances COVEA RISKS qui ne conteste pas devoir sa garantie en cas de responsabilité délictuelle de Maître A... sera condamnée à le garantir dans les limites de sa garantie et sous déduction de la franchise contractuelle, étant précisé que ces éléments ne sont pas produits aux débats.
Il est équitable d' allouer à Monsieur X... la somme de 4. 000 euros par application de l' article 700 du nouveau code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
EN LA FORME :
Déclare l' appel recevable,
AU FOND :
Réforme la décision déférée en toutes ses dispositions,
Condamne in solidum Maître A... et Maître B... à payer à Monsieur X... la somme de 120. 000 euros au titre de son préjudice matériel sous l' expresse réserve de la justification en quittance ou deniers par ce dernier, de l' exécution de la condamnation à paiement de l' arrêt précité, pour le montant de 132. 805, 89 euros,
Condamne in solidum Maître A... et Maître B... à payer à Monsieur X... la somme de 3. 000 euros au titre de son préjudice moral,
Déboute les parties de toute demande plus ample ou contraire,
Condamne in solidum Maître A... et Maître B... à payer à Monsieur X... la somme de 4 000 euros par application de l' article 700 du nouveau code de procédure civile,
Dit que la SA COVEA RISKS doit garantir son assuré Maître A... des condamnations prononcées dans les limites de la garantie contractuelle et après application de la franchise,
Condamne Maître B... et Maître A... aux dépens de première instance et d' appel, dont distraction pour ces derniers au profit des Avoués de la cause, par application de l' article 699 du nouveau code de procédure civile.