R.G : 04/00809 S.A. AIR FRANCE C/ X... COUR D'APPEL DE MONTPELLIER - CHAMBRE SOCIALE - ARRET DU 19 JANVIER 2005
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS Madame Marie-Emmanuelle X... a été embauchée par AIR INTER en qualité d'agent de réservation à compter du 28 avril 1980, devenue hôtesse de l'air appartenant au PNC (personnel navigant commercial) à compter du 20 mars 1983, victime d'un accident du travail au mois d'octobre 1988, et déclarée inapte au vol par décision du Centre d'expertise médicale du personnel navigant de l'aéronautique en date du 2 février 1990. Il lui était alors indiqué par lettre du 07 février 1990, qu'elle avait la possibilité d'opter entre un reclassement au sol, qui s'effectuerait à l'échelle 9 (indice 233) ou la perception d'une indemnité pour inaptitude définitive au vol, et, dans sa lettre en réponse du 13 février 1990, l'intéressée demandait son reclassement au sol à Biarritz dans les meilleurs délais. Par décision administrative en date du 28 mars 1990, le Conseil médical de l'Aéronautique Civile (CMAC) déclarait Madame X... définitivement inapte à l'exercice de la fonction de navigant, inaptitude imputable au service aérien. Par lettre du 12 avril 1990, l'employeur faisait savoir à la salariée qu'en l'absence de poste disponible à Biarritz, il lui était proposé une affectation en région parisienne. Madame X... était en arrêt de travail jusqu'au 10 octobre 1990, elle percevait ensuite sa rémunération à l'échelle 9, et il lui était proposé le 14 novembre 1990 un poste au sol à la direction de la planification en région parisienne à effet du 26 novembre. Elle adressait alors un nouvel arrêt de travail à compter du 25 novembre 1990 jusqu'au 02 février 1991, était ensuite déclarée apte à la reprise du travail sur un poste administratif au sol par le médecin du travail le 7 février 1991, et l'employeur lui demandait de rejoindre son affectation à la direction de la planification, tout en la rémunérant sans travail effectif du 03 février au 14 juin 1991. Un nouvel avis médical favorable de reclassement sur un poste au sol était délivré le 10 juin 1991, et un avenant au contrat de travail précisant son affectation à Paris lui était transmis par l'employeur le 12 juin 1991. La salariée adressait alors un arrêt de maladie à partir du 15 juin 1991, suivi d'un congé de maternité, suivi d'un arrêt de maladie jusqu'au 18 octobre 1992. Reconnue apte à la reprise du travail le 23 septembre 1992, puis non rémunérée du 19 octobre au 18 décembre 1992 en l'absence de reprise effective du travail de sa part, elle rejoignait le 19 décembre 1992 l'affectation temporaire proposée au service "Interlignes" de la direction des ventes à Paris, puis elle était mutée à compter du 27 juillet 1993 sur un poste de secrétaire 2ème échelon à Montpellier. Tout au long de cette période et des échanges de courrier relatifs au poste de reclassement, Madame X... faisait savoir à plusieurs reprises à son employeur qu'elle souhaitait être reclassée à l'agence de Biarritz, et il lui était à chaque fois répondu qu'aucun poste n'était disponible à cet endroit. Madame X... a saisi la juridiction prud'homale de Bayonne le 14 juin 1994 d'une demande en paiement de diverses sommes; par jugement du 20 décembre 1994, le Conseil de prud'hommes s'est déclaré compétent territorialement, et, sur contredit de la société AIR INTER, la Cour d'appel de PAU a infirmé ce jugement par arrêt du 31 août 1995 et renvoyé les parties devant le Conseil de prud'hommes de Montpellier. La salariée a saisi le Conseil de prud'hommes de Montpellier le 15 novembre 1995, et celui-ci, par jugement du 16 juin 1999, a ordonné une mission d'expertise avant dire droit au fond, confiée à M. Alain Y..., afin de "calculer très exactement le total des sommes éventuellement dues par la Compagnie AIR INTER depuis le 28 mars 1990 jusqu'au 1er avril 1997 et après la fusion, au titre des rappels de salaires dus à Madame X...".
Par jugement du 20 décembre 2000 rendu à la suite d'une requête formée par l'expert en interprétation de sa mission, le Conseil de prud'hommes "confirme l'expertise en précisant toutefois que le calcul des sommes éventuellement dues à Madame X... par la Compagnie AIR FRANCE, venant aux droits d'AIR INTER, doit se faire sur la base du coefficient 10C revendiqué par Madame X...". L'expert a rendu son rapport le 9 mai 2003. Par jugement du 21 avril 2004, le Conseil de prud'hommes de Montpellier : "Dit que la classification de Madame X... doit être celle de l'échelle 10C, Condamne la S.A AIR FRANCE à verser à Madame X... les sommes de : - 170 862,91 euros à titre de rappel de salaire selon l'échelle 10C de l'accord d'entreprise du personnel navigant commercial de la S.A AIR FRANCE, - 17 086,29 euros au titre de l'indemnité de congés payés sur le rappel des salaires, Dit que la rectification devra se faire sur le dernier bulletin de salaire, Déboute Madame X... de ses autres demandes, Déboute la S.A AIR FRANCE de sa demande au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, Met les dépens de la présente instance à la charge de l'employeur." La S.A AIR FRANCE a régulièrement interjeté appel de cette décision. Aux termes de ses dernières conclusions écrites et réitérées oralement à l'audience, elle en demande l'infirmation, par rejet de toutes les demandes de Madame X..., en constatant que le rapport d'expert ne répond pas à la mission confiée par le Conseil de prud'hommes, et que celui-ci tout en retenant une classification de l'échelle 10C, a condamné la Compagnie à verser un rappel de salaire sur un différentiel qui ne correspond en aucun cas à cette classification. Elle considère pour sa part qu'en l'état du reclassement définitif proposé à Madame X... à partir d'avril 1990, et par application des dispositions conventionnelles, il y a lieu de retenir l'échelle 9B (indice 233) pour le calcul de la rémunération de l'intéressée, de sorte qu'aucun rappel de salaire n'est du, et que Madame X... doit être condamnée à rembourser la somme de 20266,47 euros versée dans le cade de l'exécution provisoire du jugement dont appel. Subsidiairement, si l'échelle 10C devait être retenue, en fonction d'une ancienneté de onze ans à partir du 28 avril 1991, l'employeur indique, selon détail de calcul versé aux débats, que l'écart de rémunération au bénéfice de la salariée serait de 7607,21 euros jusqu'au 31 mars 1997, puis, à partir du 1er avril 1997, en fonction du repositionnement intervenu lors de la fusion avec AIR FRANCE, à 991,01 euros jusqu'au 30 juin 1999, date à laquelle Madame X... a bénéficié d'une promotion au niveau B03, absorbant l'écart de rémunération. Madame X... devrait dans cette hypothèse être condamnée à reverser la somme de 11668,25 euros brut perçue en trop dans le cadre de l'exécution provisoire. La S.A AIR FRANCE sollicite aussi une somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Madame X... conclut à la confirmation du jugement entrepris, par homologation des calculs de l'expert, et condamnation de l'employeur à lui verser la somme actualisée au jour de l'audience devant la Cour de 229 886,56 euros à titre de rappel de salaire et congés payés afférents, avec intérêts de retard à compter de la saisine du Conseil de prud'hommes, à lui remettre les bulletins de salaire rectifiés correspondant depuis le 28 mars 1990, ainsi que son certificat de travail, sous astreinte de 100 euros par jour de retard. Elle demande aussi en cause d'appel la condamnation de la S.A AIR FRANCE à lui payer 30 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi, outre 6 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, avec condamnation de l'appelante aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise. Elle fait essentiellement valoir, dans ses dernières écritures déposées et réitérées à l'audience, que l'employeur n'a pas respecté la législation d'ordre public sur la protection des salariés victimes d'accident du travail, en ne procédant pas à son reclassement immédiat dans un poste aussi comparable que possible à celui qu'elle occupait antérieurement, au besoin par aménagement ou transformation de poste. Elle ajoute que les délégués du personnel ont été consultés tardivement et que la commission tripartite prévue par l'accord d'entreprise en cas de difficulté de reclassement aurait dû être réunie plus tôt. Elle soutient que les décomptes de l'expert correspondent à la mission et méritent homologation, et qu'ils ne sont pas discutés sérieusement par l'employeur.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le reclassement Madame X... a été déclarée inapte à son poste d'hôtesse de l'air le 2 février 1990, l'inaptitude étant reconnue imputable au service par décision du CMAC en date du 28 mars 1990, et le litige porte principalement sur la détermination du niveau de rémunération due à la salariée postérieurement à cette déclaration d'inaptitude au vol, au titre du droit acquis à un reclassement sur un poste au sol, Il convient d'abord de relever que les dispositions de l'article L.122-32-5 du Code du travail stipulant que "si le salarié n'est pas reclassé dans l'entreprise à l'issue du délai d'un mois à compter de la date de l'examen de reprise du travail ou s'il n'est pas licencié, l'employeur est tenu de verser à l'intéressé, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail", sont issues de la loi n° 92-1446 du 31 décembre 1992 publiée au J.O du 1er janvier 1993 et ne sont donc pas applicables aux faits de l'espèce, en raison du principe de non rétroactivité, s'agissant d'une inaptitude déclarée le 2 février 1990, soit de près de trois ans avant la promulgation de cette loi, avec un dernier avis médical d'aptitude au travail délivré le 23 septembre 1992 et une reprise effective du travail dans un poste proposé en reclassement le 19 décembre 1992, En dehors des circonstances de reprise du paiement du salaire visées ci-dessus, il n'existe aucune obligation légale de maintien du salaire antérieur lors du reclassement du salarié victime d'un accident du travail dans un poste approprié à ses capacités, En l'espèce, il convient donc de faire application des dispositions conventionnelles issues de l'accord d'entreprise PNC d'AIR INTER, qui prévoient : Article 5.5 Inaptitude définitive au vol Le PNC reconnu inapte est informé par la Compagnie avant la décision définitive du CMAC de la possibilité qui lui est offerte de bénéficier d'un reclassement au sol dans les conditions fixées à l'article 5.4. L'inaptitude définitive au vol entraîne la résiliation du contrat de travail à la date de la décision du CMAC. Artcicle 5.4 Reclassement au sol (...) Le PNC informe par écrit la direction de son désir d'être reclassé au sol. Il doit également indiquer son souhait d'être reclassé, soit en région parisienne, soit en province, afin que la Compagnie puisse en tenir compte dans ses propositions de postes. (...) A compter de la réception de sa demande de reclassement, le PNC est placé en position d'affectation temporaire dans une direction ou une délégation régionale (...). Le PNC percevra une rémunération sol afférente à l'échelle du poste proposé. Cette rémunération ne peut toutefois être inférieure à celle correspondant à l'échelle à laquelle il peut prétendre conformément au barème E - niveau de reclassement ci-dessous. (...)E - niveau de reclassement A partir de son reclassement définitif, le PNC perçoit une rémunération sol afférente à l'échelle du poste proposé : cette rémunération ne peut toutefois être inférieure à celle à laquelle il peut prétendre conformément au barème ci-dessous : 1) Hôtesses et stewards Ancienneté compagnie
Echelles Moins de 3 ans................................7B
De 3 à 5 ans....................................8A
De 5 à 8 ans....................................9A
De 8 à 11 ans..................................9B
De 11 à 14 ans..............................10C
Plus de 14 ans...............................11A
Il résulte d'abord de ces dispositions que la rémunération sol minimale garantie est la même lors de l'affectation temporaire et du reclassement définitif, dans la mesure où elle dépend de l'ancienneté acquise dans la compagnie en tant que personnel navigant jusqu'à réception par l'employeur de la demande de reclassement au sol, A cet égard, il ressort du dossier que Madame X..., embauchée par la Compagnie AIR INTER le 28 avril 1980, justifiait, à la date de sa demande de reclassement au sol le 13 février 1990, d'une ancienneté "Compagnie" en tant qu'hôtesse de l'air de neuf ans et dix mois, située dans la fourchette de 8 à 11 ans ouvrant droit à un reclassement garanti échelle 9B, C'est au demeurant ce qui lui a été indiqué d'emblée à l'époque, de façon à lui permettre un choix éclairé entre le reclassement au sol avec une rémunération garantie à l'échelle 9B, et le versement d'une indemnité de rupture, conformément à l'option ouverte par l'article 55 de l'accord collectif applicable, Les périodes de suspension ultérieure du contrat de travail pour différentes autres causes (maladie, maternité, congés rémunérés ou non, absence de reprise du travail à l'initiative de la salariée) et postérieures à la demande de reclassement au sol faisant suite à la déclaration d'inaptitude au vol ne peuvent dès lors pas être retenues dans le décompte de l'ancienneté "Hôtesse de l'air", Il en résulte que Madame X... n'est pas fondée à revendiquer un reclassement au sol à l'échelle 10C, qui correspond à une ancienneté d'au moins onze ans acquise par elle à partir du 28 avril 1991, ne pouvant donc pas s'appliquer à une proposition de reclassement formulée en novembre 1990, dont la mise en oeuvre s'est trouvée différée en raison d'un arrêt de maladie débutant le 25 novembre 1990, et qui a ensuite été réitérée au mois de juin 1991, Dès lors, par infirmation du jugement entrepris, Madame X... sera déboutée de sa demande en rappel de salaire à l'échelle 10C,
Au surplus, c'est à tort que l'expert écrit p.22 de son rapport que la somme de 721 939,86 Francs qu'il calcule constituerait la différence entre les salaires effectivement reçus par Madame X... (échelle 9B) et les salaires qu'elle aurait pu percevoir si, durant toute cette période, elle avait classée 10C; en effet, alors qu'il lui avait été clairement indiqué dans le jugement du 20 décembre 2000 statuant sur l'interprétation de mission qu'il avait lui-même sollicitée, que "le calcul des sommes éventuellement dues à Madame X... doit se faire sur la base du coefficient 10C revendiqué par l'intéressée", l'expert Y..., sans effectuer personnellement aucune recherche ou vérification, sans même interroger les parties sur ce point, s'est borné à recopier les tableaux chiffrés remis par la partie demanderesse, et à indiquer faussement que la différence constatée correspondait à celle qu'il lui était demandé de calculer entre l'échelle 10C et l'échelle 9B, alors qu'elle mesure en réalité l'écart entre le salaire d'hôtesse de l'air antérieur à la déclaration d'inaptitude et celui de l'échelle 9B versé à Madame X... depuis son affectation temporaire au sol à compter du mois de février 1990, ce qui ne pouvait manquer d'être relevé par un technicien, expert judiciaire, eu égard notamment aux montants en cause, Pour ces raisons, les conclusions de l'expertise seront rejetées, comme ne répondant pas à la mission impartie, En conséquence, il y a lieu de condamner Madame X... à rembourser à l'employeur la somme de 20 266,47 euros brut perçue à tort dans le cadre de l'exécution provisoire du jugement infirmé, Sur les dommages et intérêts Madame X... sollicite aussi une somme de 30 500 euros à tire de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier et moral subi du fait de la durée et des circonstances de son reclassement dans un poste au sol, Il convient d'abord de relever qu'il résulte de ce qui précède que Madame X... ayant été reclassée au niveau de rémunération auquel elle avait droit n'a subi aucun préjudice financier, ayant au surplus bénéficié dans la période précédant son reclassement définitif d'un certain nombre de mois de maintien du versement de la rémunération, nonobstant l'absence de travail effectif ou de congé, Ensuite, il ressort du dossier, des nombreux échanges de courriers entre les parties, des interruptions et reports successifs de la reprise du travail, en raison notamment d'arrêts de travail transmis à chaque fois à proximité immédiate d'une date de reprise effective, qu'il ne peut pas être reproché à l'employeur d'avoir volontairement tardé à procéder au reclassement, étant observé qu'il démontre ne pas avoir été en mesure d'accéder au souhait manifesté par la salariée d'être reclassée à Biarritz, alors que d'autres postes disponibles, y compris en région (Pau, Toulouse) ont été proposés en reclassement et que la détermination du site géographique précis de reclassement au sol ne constitue pas un droit acquis du salarié devenu inapte au vol, Par ailleurs, la salariée a été régulièrement déclarée apte à la reprise du travail au sol par le médecin du travail à l'issue de ses arrêts de travail, et la commission tripartite prévue par l'accord d'entreprise a été réunie et consultée, avec les délégués du personnel, étant observé que cette réunion ne s'impose que si le PNC n'est pas reclassé à la suite de deux périodes d'essai dans un poste au sol, de sorte que Madame X... n'est pas fondée à invoquer un préjudice résultant de la méconnaissance des dispositions légales et conventionnelles par l'employeur,
PAR CES MOTIFS LA COUR,
Infirme le jugement déféré, Rejette les conclusions de l'expertise confiée à M. Y..., Déboute Madame Marie-Emmanuelle X... de toutes ses demandes, Condamne Madame Marie-Emmanuelle X... à rembourser à la S.A AIR FRANCE la somme indûment versée au titre de l'exécution provisoire de droit du jugement infirmé,
Déboute les parties de leur demande au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, Condamne Madame
Marie-Emmanuelle X... aux dépens.
LE GREFFIER
LE PRESIDENT