RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
N° RG 22/02225 - N° Portalis DBVS-V-B7G-F2CR
[V]
C/
S.C.I. TURKES
Ordonnance Au fond, origine Juge de la mise en état de SARREGUEMINES, décision attaquée en date du 06 Septembre 2022, enregistrée sous le n° 21/00437
Minute n° 24/00247
COUR D'APPEL DE METZ
5ème CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 25 JUILLET 2024
APPELANT :
Monsieur [Y] [V]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Stéphane FARAVARI, avocat au barreau de METZ
INTIMÉE :
S.C.I. TURKES représentée par son représentant légal
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Yves ROULLEAUX, avocat au barreau de METZ
DATE DES DÉBATS : A l'audience publique du 19 Octobre 2023 tenue par M. Pierre CASTELLI, Magistrat rapporteur, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés et en a rendu compte à la cour dans son délibéré, pour l'arrêt être rendu le 21 décembre 2023 ; Que ce jour venu le délibéré a été prorogé au 23 février 2024 ; Que ce jour venu le délibéré a été prorogé au 04 avril 2024 ; Que ce jour venu le délibéré a été prorogé au 09 mai 2024; Que ce jour venu le délibéré à été prorogé à ce jour.
GREFFIER PRÉSENT AUX DÉBATS : Mme Sonia DE SOUSA
COMPOSITION DE LA COUR :
PRÉSIDENT : M. CASTELLI, Président de Chambre
ASSESSEURS : Mme GRILLON,Conseillère
M. KOEHL, Conseiller
ARRÊT : Contradictoire
Rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour;
Signé par M. CASTELLI, Président de Chambre et par Mme Sonia DE SOUSA, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par acte d'huissier délivré le 12 avril 2021, M. [Y] [V] a fait assigner la SCI Turkes devant le tribunal judiciaire de Sarreguemines afin de voir déclarer son action recevable, l'autoriser à se retirer de la SCI Turkes pour justes motifs et désigner un expert judiciaire pour notamment évaluer la valeur des parts sociales.
Par requête du 30 septembre 2021, la SCI Turkes a saisi le juge de la mise en état et aux termes de ses dernières conclusions d'incident, lui a demandé de :
dire les demandes de M. [V] irrecevables et prescrites
débouter M. [V] de ses demandes
condamner M. [V] à lui payer une somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
condamner M. [V] aux dépens.
En l'état de ses dernières conclusions d'incident, M. [V] a demandé au juge de la mise en état de :
déclarer sa demande recevable et bien fondée
débouter la SCI Turkes de ses demandes.
Par ordonnance du 6 septembre 2022 contradictoire, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Sarreguemines a :
déclaré M. [V] irrecevable dans la totalité de son action
constaté la fin de l'instance
condamné M. [V] aux dépens outre 2.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Par déclaration du 12 septembre 2022, M. [V] a interjeté appel de la décision en toutes ses dispositions.
Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives déposées le 13 janvier 2023, M. [V] demande à la cour d'infirmer l'ordonnance entreprise et de :
constater qu'il est associé de la SCI Turkes
rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la SCI Turkes
rejeter les demandes de la SCI Turkes
déclarer son action et ses demandes recevables
renvoyer les parties au fond devant le tribunal judiciaire pour être statué sur ses demandes
rejeter l'appel incident de la SCI Turkes
rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la SCI Turkes et tenant à une prescription de la demande d'expertise
condamner la SCI Turkes aux dépens d'instance et d'appel
condamner la SCI Turkes à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
S'agissant de la recevabilité de sa demande de retrait, l'appelant indique qu'il conteste l'authenticité de la lettre de retrait adressée à la SCI Turkes le 8 mars 2005 ajoutant avoir déposé plainte pour faux et usage de faux. Il précise que l'article 12 des statuts de la SCI Turkes prévoit que le retrait d'un associé doit être notifié à la société et à ses associés et que l'intimée ne justifie pas de l'accomplissement de cette formalité qu'il considère comme une condition de validité de la demande de retrait. Il fait valoir que la signature apposée sur la feuille de présence du 28 septembre 2002 est sans valeur probante et ne correspond à aucune signature figurant sur les statuts de la SCI Turkes. M. [V] conteste également la force probante des attestations versées aux débats par l'intimée.
Il ajoute qu'il est toujours mentionné en qualité d'associé dans les statuts de la société qui n'ont fait l'objet d'aucune modification et que son nom apparaît dans les déclarations de revenus de la SCI Turkes pour les années 2014, 2015, 2016 et 2018, précisant avoir perçu la somme de 960 euros. Il indique également avoir écrit aux services des impôts en 2017 justifiant ainsi de sa qualité d'associé.
S'agissant de la recevabilité de sa demande d'expertise, il estime qu'elle ne peut être prescrite compte tenu de sa qualité d'associé.
Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives déposées le 13 décembre 2023, la SCI Turkes demande à la cour de :
confirmer l'ordonnance entreprise
subsidiairement, si la cour devait juger que M. [V] était encore associé de la SCI Turkes, déclarer irrecevable sa demande d'expertise pour cause de prescription
débouter M. [V] de ses demandes
condamner M. [V] aux dépens d'appel
condamner M. [V] à lui payer la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'intimée indique que M. [V] fonde sa demande de retrait sur les dispositions de l'article 1869 du code civil et qu'il s'agit d'une action réservée à l'associé.
Elle rappelle que le défaut de qualité constitue une fin de non-recevoir. Elle ajoute que conformément aux statuts, M. [V] a indiqué par courrier daté du 8 mars 2005 rédigé en langue turque qu'il souhaitait quitter la société. Elle précise qu'en date du 26 novembre 2005, l'assemblée générale extraordinaire a accepté son retrait et que quatre associés présents le confirment. Elle indique que l'appelant n'a jamais contesté cette décision.
La SCI Turkes fait également valoir que M. [V] ne s'est jamais comporté comme un associé en participant aux assemblées ou en percevant des dividendes. Elle estime que la notification de la décision de retrait aux associés et à la société n'est pas exigée par les statuts, ni par la loi. Elle précise que si le nom de l'appelant figure sur l'annexe de la déclaration 2072 déposée aux impôts en 2018, il s'agit d'une erreur rectifiée par la suite et que son nom n'apparaît pas pour les années 2019 et 2020.
Subsidiairement, si la qualité d'associé de M. [V] devait être reconnue, la SCI Turkes invoque la prescription quinquennale de sa demande d'expertise qui aurait dû être introduite dans le délai de 5 ans à compter de son retrait de la société. Elle fait valoir l'absence de demande d'évaluation de ses parts par l'appelant.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 19 octobre 2023.
MOTIVATION
L'article 122 du code de procédure civile prévoit que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir
L'article 1869 du code civil dispose que sans préjudice des droits des tiers, un associé peut se retirer totalement ou partiellement de la société, dans les conditions prévues par les statuts ou, à défaut, après autorisation donnée par une décision unanime des autres associés. Ce retrait peut également être autorisé pour justes motifs par une décision de justice.
A moins qu'il ne soit fait application de l'article 1844-9 (3e alinéa), l'associé qui se retire a droit au remboursement de la valeur de ses droits sociaux, fixée, à défaut d'accord amiable, conformément à l'article 1843-4.
L'associé autorisé à se retirer d'une société civile ne perd cette qualité qu'après remboursement de la valeur de ses droits sociaux.
En l'espèce, il ne résulte pas des pièces versées aux débats, ni des explications des parties que M. [V] a perçu le remboursement de la valeur de ses droits sociaux. Dès lors, peu importe la validité ou la réalité de sa demande de retrait, celle-ci ne pouvait lui faire perdre sa qualité d'associé en l'absence de remboursement de ses parts.
M. [V] était donc associé au moment où il a saisi le tribunal judiciaire de Sarreguemines de sa demande, il avait donc qualité à agir sur le fondement des dispositions de l'article 1869 du code civil.
En conséquence, il convient d'infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a déclaré sa demande irrecevable et constaté la fin de l'instance, et statuant à nouveau de rejeter la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir.
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription
L'article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
La charge de la preuve du point de départ d'un délai de prescription incombe à celui qui invoque la fin de non-recevoir en question.
En l'espèce, la SCI Turkes se prévaut du retrait de M. [V] de la société en 2005 et invoque une prescription acquise au 17 juin 2013. Elle n'indique cependant pas quel est le point de départ du délai de prescription, ni la manière de le déterminer.
En outre, M. [V] conteste ne plus être associé de la société et sa demande d'expertise repose sur le bien-fondé de sa demande de retrait judiciaire de la SCI Turkes qui de surcroît n'est pas irrecevable. C'est donc lorsque le tribunal statuera sur le bien-fondé de cette demande principale, y faisant droit le cas échéant, que se justifiera sa demande d'expertise et commencera à courir le délai de prescription de cette action.
En conséquence, il convient de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande d'expertise.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
L'article 790 du code de procédure civile dispose que le juge de la mise en état peut statuer sur les dépens et les demandes formées en application de l'article 700.
Il convient d'infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné M. [V] aux dépens et au paiement d'une somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La SCI Turkes, partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance. Elle sera également condamnée au paiement d'une somme de 800 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et déboutée de sa demande formée à ce titre devant le juge de la mise en état.
En appel, la SCI Turkes sera condamnée aux dépens et au paiement d'une somme de 1.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par mise à disposition publique au greffe et par arrêt contradictoire,
REJETTE la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande d'expertise ;
INFIRME l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Sarreguemines du 6 septembre 2022 en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau ;
DECLARE recevable M. [Y] [V] en sa demande ;
CONDAMNE la SCI Turkes à payer à M. [Y] [V] une somme de 800 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE la SCI Turkes de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile devant le juge de la mise en état ;
CONDAMNE la SCI Turkes aux dépens de première instance ;
Y ajoutant,
CONDAMNE la SCI Turkes aux dépens d'appel ;
DEBOUTE la SCI Turkes de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SCI Turkes à payer à M. [Y] [V] une somme de 1.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier Le président de chambre