Arrêt n° 24/00347
23 Juillet 2024
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N° RG 22/01971 - N° Portalis DBVS-V-B7G-FZMA
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Pole social du TJ de METZ
27 Juillet 2022
20/485
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE METZ
CHAMBRE SOCIALE
Section 3 - Sécurité Sociale
ARRÊT DU
vingt trois Juillet deux mille vingt quatre
APPELANT :
Monsieur [H] [Y]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Me Sabrina BONHOMME, avocat au barreau de METZ
INTIMÉS :
CAISSE AUTONOME NATIONALE DE LA SECURITE SOCIALE DANS LES MINES - CANSSM
ayant pour mandataire de gestion la CPAM de Moselle prise en la personne de son directeur
et pour adresse postale
L'Assurance Maladie des Mines
[Adresse 8]
[Localité 4]
représentée par Mme [C], munie d'un pouvoir général
L'AGENT JUDICIAIRE DE l' ETAT (AJE)
Ministères économiques et financiers Direction des affaires juridiques
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représenté par Me Laure HELLENBRAND, avocat au barreau de METZ
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Mai 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Anne FABERT, Conseillère, magistrat chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre
Mme Carole PAUTREL, Conseillère
Mme Anne FABERT, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre, et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
M. [K] [Y], né le 10 août 1954, a travaillé pour le compte des Houillères du Bassin de Lorraine ([7]) devenues l'établissement public [6] ([6]) du 19 août 1974 au 31 août 1999.
Il a bénéficié d'un congé charbonnier fin de carrière du 1er septembre 1999 au 31 août 2004.
Par formulaire du 12 octobre 2016, M. [Y] a déclaré à l'Assurance Maladie des Mines (ci-après la Caisse ou AMM) une pathologie sous forme de silicose inscrite au tableau n°25, en joignant à sa demande de reconnaissance un certificat médical initial établi par le docteur [T] le 13 juillet 2016.
Par décision du 21 mars 2017, la Caisse a pris en charge la maladie'«'silicose chronique'» de M. [Y] au titre du tableau n°25A2, relatif aux affections dues à la silice cristalline, aux silicates cristallins, au graphite ou à la houille.
Le 7 avril 2017, la Caisse a notifié à M. [Y] un taux d'incapacité permanente partielle de 5%, lui laissant le choix entre une indemnité en capital d'un montant de 1 952,33 euros et l'allocation d'une rente annuelle de 1 814,05 euros, à la date du 22 juin 2016 (lendemain de la date de consolidation).
Par la suite, en raison de l'aggravation de l'état de santé de M. [Y], la Caisse a révisé le taux d'incapacité permanente partielle à 25% le 13 septembre 2022, en lui allouant une rente annuelle d'un montant de 5 877,74 euros à compter du 4 juillet 2022.
Après échec de la tentative de conciliation introduite devant l'Assurance Maladie des Mines par courrier du 9 novembre 2017, M. [Y] a, par requête expédiée le 17 mars 2020, saisi le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz d'une action visant à reconnaître la faute inexcusable de son ancien employeur dans la survenance de sa maladie professionnelle et à bénéficier des conséquences indemnitaires en découlant.
Il convient de préciser que l'établissement public [6] a été définitivement liquidé le 31 décembre 2017, ses droits et obligations étant transférés à l'État, représenté par l'Agent Judiciaire de l'État (AJE).
Par ailleurs, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Moselle (CPAM) qui agit pour le compte de la Caisse Autonome Nationale de la Sécurité Sociale dans les Mines (CANSSM) depuis le 1er juillet 2015, a également été mise en cause.
Par jugement du 27 juillet 2022, le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz a':
déclaré le jugement commun à la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM ' l'Assurance Maladie des Mines,
déclaré M. [Y] recevable en sa demande,
dit que la faute inexcusable des Houillères du Bassin de Lorraine, devenues les [6], aux droits desquels vient l'Agent Judiciaire de l'Etat dans la survenance de la maladie professionnelle de M. [Y] inscrite au tableau n°25A2, n'est pas établie,
débouté M. [Y] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur et de ses demandes subséquentes,
déclaré en conséquence sans objet les demandes de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie, agissant au nom et pour le compte de la CANSSM ' l'AMM,
débouté M. [Y] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
condamné M. [Y] aux dépens de l'instance,
dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision.
Par déclaration d'appel du 1er août 2022, M. [Y] a interjeté appel de cette décision qui lui avait été notifiée par LRAR datée du 27 juillet 2022 dont l'accusé de réception ne figure pas au dossier de première instance.
Par conclusions datées du 13 mars 2024, soutenues oralement à l'audience de plaidoirie par son conseil, M. [Y] demande à la cour de':
infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 27 juillet 2022 par le tribunal judiciaire de Metz,
Et statuant à nouveau':
déclarer recevable et bien fondé son appel,
rejeter toutes les exceptions et fins de non-recevoir invoquées par l'Agent Judiciaire de l'Etat et l'Assurance Maladie des Mines (CARMI de l'Est),
juger que la maladie professionnelle dont est atteint M. [Y] est due à une faute inexcusable de son ancien employeur, la société [6] pour laquelle intervient l'Agent Judiciaire de l'Etat,
Par conséquent,
fixer au maximum la majoration des indemnités dont bénéficie M. [Y] aux termes des dispositions du code de la sécurité sociale,
juger que la majoration maximum des indemnités suivra l'évolution du taux d'IPP de la victime en cas d'aggravation de son état de santé et qu'elle prendra effet à la date du nouveau taux accordé au titre de l'aggravation,
juger qu'en cas de décès de M. [Y] imputable à sa maladie professionnelle liée à la silice, le principe de la majoration maximum de la rente restera acquis au conjoint survivant,
fixer l'indemnisation des préjudices complémentaires comme suit':
réparation du préjudice causé par les souffrances physiques': 20 000 euros,
réparation du préjudice causé par les souffrances morales': 25 000 euros,
réparation du préjudice d'agrément': 15 000 euros,
juger qu'en vertu de l'article 1153-1 du code civil l'ensemble des sommes dues portera intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir,
condamner l'Agent Judiciaire de l'Etat aux frais et dépens de l'instance,
condamner l'Agent Judiciaire de l'Etat au paiement d'une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions datées du 2 mai 2024, soutenues oralement à l'audience de plaidoirie par son conseil, l'AJE demande à la cour de':
A TITRE PRINCIPAL DE':
confirmer le jugement du Pôle social du tribunal judiciaire de Metz en date du 27 juillet 2022 en ce qu'il a dit que le caractère professionnel déclaré n'était pas dû à la faute inexcusable de l'ancien employeur [6],
PAR CONSEQUENT ET STATUANT A NOUVEAU':
débouter M. [Y] et la CPAM de Moselle de l'ensemble de leurs demandes formées à l'encontre de l'AJE,
A TITRE SUBSIDIAIRE': si par extraordinaire la faute inexcusable venait à être retenue':
débouter l'appelant de ses demandes au titre d'un préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées ainsi qu'au titre d'un préjudice d'agrément,
PLUS SUBSIDIAIREMENT ENCORE':
réduire à de plus justes proportions les demandes indemnitaires,
EN TOUT ETAT DE CAUSE':
rejeter la demande d'article 700 du code de procédure civile,
dire n'y avoir lieu à dépens.
La CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM, a indiqué lors de l'audience de plaidoirie qu'elle n'entendait pas conclure, mais a sollicité le bénéfice de l'action récursoire en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'ancien employeur de M. [Y].
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures des parties et à la décision entreprise.
SUR CE
SUR LA FAUTE INEXCUSABLE DE L'EMPLOYEUR :
M. [Y] sollicite l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a retenu que l'existence d'une faute inexcusable à l'encontre de l'employeur n'était pas établie. Il soutient que l'exploitant minier reconnaît avoir eu conscience du danger lié aux poussières de silice, mais qu'il s'est abstenu de mettre en 'uvre les mesures nécessaires pour préserver la santé des salariés, avec un défaut d'information et une insuffisance des moyens de protection individuels (port du masque non obligatoire et masques inadaptés) et collectifs (système d'arrosage inefficace). Il souligne que les manquements de l'exploitant minier sont établis par les attestations de ses anciens collègues de travail, complétées en cause d'appel.
L'AJE sollicite la confirmation du jugement entrepris et expose que si les Houillères du Bassin de Lorraine, devenues [6], avaient bien conscience du risque encouru par les salariés, ils ont mis en 'uvre tous les moyens nécessaires pour protéger ces derniers des risques connus à chacune des époques de l'exploitation, tant sur le plan collectif qu'individuel. Il ajoute que les Houillères du Bassin de Lorraine, devenues [6], ont parfaitement satisfait à leur obligation de prévention et de sécurité et qu'aucun défaut d'information ne peut leur être reproché.
Il critique la qualité des attestations des témoins ayant déposé en faveur de M. [Y] en ce qu'elles sont générales, imprécises, et lacunaires, mais également en ce que les témoins ne justifient pas avoir travaillé directement avec M. [Y]. L'AJE estime enfin que les nombreuses pièces générales produites par ses soins viennent contredire les affirmations du salarié et de ses témoins.
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En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l'entreprise.
Les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail mettent par ailleurs à la charge de l'employeur une obligation légale de sécurité et de protection de la santé du travailleur.
Dans le cadre de son obligation générale de sécurité, l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, ces mesures comprenant des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
La preuve de la faute inexcusable de l'employeur incombe à la victime. La faute inexcusable doit s'apprécier en fonction de la législation en vigueur et des connaissances scientifiques connues ou susceptibles de l'avoir été par l'employeur aux périodes d'exposition au risque du salarié.
En l'espèce, le caractère professionnel de la maladie déclarée par M. [Y], ainsi que la réunion des conditions du tableau n°25A2 des maladies professionnelles ne sont pas contestées. L'AJE indique dans ses écritures que l'Agence Nationale de Garantie des Droits des Mineurs (ANGDM) a reconnu l'exposition au risque du tableau n°25A2 des maladies professionnelles de M. [Y] durant toute la durée de son activité professionnelle au sein des [7] dans une attestation établie le 16 décembre 2016.
L'AJE reconnaît en outre que les Houillères du Bassin de Lorraine, devenues [6], avaient conscience du danger constitué par l'inhalation de poussières de silice et fait état de cette conscience dans ses écritures.
Seules sont discutées l'existence et l'efficacité des mesures de protection individuelle et collective prises par l'employeur afin de préserver le salarié du danger auquel il était exposé, ainsi que la délivrance d'une information sur les risques encourus par le salarié lors de son activité professionnelle.
Ces mesures de protection sont déterminées par le décret n°51-508 du 04 mai 1951 portant règlement général sur l'exploitation des mines, reprenant les dispositions générales des décrets du 10 juillet 1913 et du 13 décembre 1948 prévoyant l'évacuation des poussières ou, en cas d'impossibilité, la mise à disposition de moyens de protection individuelle.
L'article 187 dudit décret dispose que lorsque l'abattage, le chargement, le transport ou la manipulation du charbon peuvent entraîner la mise en suspension ou l'accumulation de poussières, des mesures efficaces doivent être prises pour s'y opposer ou y remédier.
L'instruction du 30 octobre 1956 prescrit des mesures de protection collective (arrosage et humidification des poussières) et individuelle (port du masque) précises et devant être efficaces.
S'agissant des masques, on peut lire dans l'instruction de 1956 que « seuls les masques à pouvoir d'arrêt élevé pour les particules de moins de 5 microns et à résistance faible à la respiration peuvent être pris en considération. La protection individuelle ne saurait être admise en remplacement d'une protection collective possible qui aurait été négligée. Elle ne doit être appliquée qu'en complément de la prévention collective qui doit toujours être poussée aussi loin que possible ».
En l'occurrence, il résulte du relevé de périodes et d'emplois de M. [Y] établi le 4 mars 2014 (pièce n°1 de l'appelant), que ce dernier a travaillé au sein des Houillères du Bassin de Lorraine, devenues les [6], du 19 août 1974 au 31 août 1999, exclusivement au fond, aux postes suivants':
du 19/08/1974 au 11/11/1974': apprenti-mineur ' compagnonnage,
du 12/11/1974 au 31/07/1976': piqueur traçage charbon travaux préparatoires,
du 01/08/1976 au 28/02/1978': conducteur machine abattage traçage,
du 01/03/1978 au 31/05/1978': raucheur,
du 01/06/1978 au 31/07/1978': ouvrier annexe travaux préparatoires charbon,
du 01/08/1978 au 28/02/1979': piqueur traçage charbon travaux préparatoires,
du 01/03/1979 au 30/06/1979': conducteur machine abattage traçage chef de poste,
du 01/07/1979 au 30/09/1979': piqueur traçage charbon chef de poste travaux préparatoires,
du 01/10/1979 au 30/09/1980': piqueur traçage charbon travaux préparatoires,
du 01/10/1980 au 31/12/1980': rabasseneur,
du 01/01/1981 au 31/03/1981': conducteur machine abattage traçage chef de poste,
du 01/04/1981 au 31/05/1982': piqueur traçage charbon travaux préparatoires,
du 01/06/1982 au 30/11/1983': transporteur et aide-installateur taille ou traçage,
du 01/12/1983 au 31/01/1984': raucheur,
du 01/02/1984 au 31/03/1984': rabasseneur,
du 01/04/1984 au 31/07/1984': piqueur traçage charbon chef de poste travaux préparatoires,
du 01/08/1984 au 30/09/1990': ouvrier annexe travaux préparatoires charbon,
du 01/10/1990 au 28/02/1995': chef équipe annexe chantier creusement charbon,
du 01/03/1995 au 31/05/1997': élargisseur galerie chef de poste travaux préparatoires,
du 01/06/1997'au 31/08/1999': piqueur travaux divers chef de poste.
M. [Y] produit les attestations rédigées par trois anciens collègues de travail, à savoir Mrs [S], [F] et [P] (pièces n°8 à 10 de l'appelant), ces dernières ayant été complétées en cause d'appel. L'AJE critique les témoignages produits au motif qu'il n'est pas possible d'établir que les témoins et M. [Y] ont bien travaillé ensemble et, qu'en tout état de cause, les attestations ne sont pas suffisamment détaillées quant aux moyens de protection, étant notamment rédigées en termes généraux.
La cour relève que les trois témoins allèguent avoir travaillé aux côtés de M. [Y]':
M. [S] déclare qu'il a travaillé avec M. [Y] au siège La Houve «'en aérage secondaire, parfois tertiaire'» dans les chantiers classiques et mécanisés du secteur traçage au charbon de 1980 à 1985 (pièce n°8 de l'appelant)';
M. [M] indique qu'il a côtoyé M. [Y] au service traçage de La Houve de 1985 à 1990 dans les chantiers classiques et mécanisés (pièce n°9 de l'appelant)';
M. [P] précise qu'il a connu M. [Y] aux traçages du puits de La Houve de 1984 à 1994, notamment lorsqu'il occupait les fonctions de «'chef d'équipe, tuyaux, bande, entretien ou poste de nuit'» (pièce n°10 de l'appelant).
Les informations données par les témoins dans leurs attestations respectives sont suffisamment précises et détaillées pour permettre de retenir qu'ils ont bien travaillé aux côtés de M. [Y], alors que les témoins font état d'une période d'activité commune, d'un puits d'affectation et de secteurs d'activité spécifiques dans lesquels ils travaillaient. Il est dès lors retenu que les témoins étaient des collègues de travail directs de M. [Y], cette information n'étant pas utilement contredite par l'AJE.
M. [S] explique que l'aérage était insuffisant et qu'en conséquence les poussières s'évacuaient difficilement (pièce n°8 de l'appelant). Il ajoute que M. [Y] était «'exposé au quotidien aux poussières de silice sans protection respiratoire individuelle efficace. Pour les protections collectives, c'était pas mieux, dans les chantiers avec mineurs continus, il n'y avait pas de dépoussiéreur et dans tous les chantiers de creusement où on a travaillé, les arrosages étaient habituellement défaillants'».
M. [F] relate que «'l'aérage était faible, juste ce qu'il fallait pour évacuer le grisou'» et que «'les poussières étaient en suspension permanente'» (pièce n°9 de l'appelant). Il précise que «'dans les chantiers où on a travaillé ensemble, la neutralisation des poussières n'était pas efficace, les buses d'arrosage étaient la plupart du temps bouchées. L'eau sur les dépoussiéreurs, quand ils étaient installés, était coupée pour préserver le front du creusement de la boue. Pas d'arrosage dans la zone de scrapage au cours du chargement après le tir'». Concernant les masques, le témoin indique «'les chantiers étaient très chauds, les masques à poussières n'étaient pas supportés. On nous disait que les poussières de charbon n'étaient pas dangereuses et ne donnaient pas la silicose'», «'le masque était impossible vu l'humidité'».
M. [P] expose «'nous avions tous des masques à poussières en papier qui très rapidement devenaient sales parce qu'on transpirait beaucoup, il faisait très chaud et très humides et les galeries étaient pleines de poussières de charbon. En traçage mécanisé mineur continu, il n'y avait pas de dépoussiéreur, soit ils n'étaient pas installés, soit l'eau était coupée pour ne pas avoir de boue à front'» (pièce n°10 de l'appelant).
Il résulte des témoignages circonstanciés une absence de mise en place par l'employeur d'un moyen de protection collective efficace, alors que les témoins font état d'un fort empoussièrement des chantiers du fond et d'un système d'aérage insuffisant. Les témoins mentionnent également qu'il n'y avait pas systématiquement de dépoussiéreurs et que les systèmes d'arrosage étaient soit insuffisants, soit défaillants.
Si l'AJE soutient que le système d'arrosage ne pouvait pas être mis en route en continu, pour des motifs de sécurité, il est relevé que M. [F] fait référence à une défaillance dudit système, lequel était souvent bouché, l'exploitant minier ne prenant pas position sur ce point en démontrant que l'arrosage n'était pas défectueux.
En conséquence, les déclarations des témoins établissent l'inefficacité des systèmes d'arrosage et de ventilation. De même, M. [F] fait valoir qu'ils n'avaient pas été informés des dangers représentés par les poussières de silice, et que les masques distribués par l'employeur n'étaient pas supportés et n'étaient pas efficaces, en raison des conditions de travail difficiles des chantiers du fond, à savoir la chaleur, de l'humidité et de l'environnement de travail fortement empoussiéré.
Ces témoignages ne sont pas utilement contestés par l'AJE qui ne verse aux débats aucun élément de nature à élever des doutes sur la sincérité des témoins et sur le caractère authentique des faits qu'ils relatent.
Si l'AJE indique dans ses écritures que les Houillères du Bassin de Lorraine devenues [6] ont placé la santé de leurs employés en tête de leurs priorités en ne cessant de trouver des moyens pour améliorer le système d'arrosage, l'aération des galeries, et en mettant à la disposition des mineurs des masques de plus en plus efficaces, il développe uniquement des considérations d'ordre général qui ne comportent aucun élément sur les conditions de travail concrètes de M. [Y], ni sur la qualité des moyens de protection réellement mis à la disposition du salarié.
Aussi, l'ensemble des éléments qui précèdent confirment que l'employeur qui avait conscience du danger auquel M. [Y] était exposé n'a pas pris les mesures nécessaires afin de protéger ce dernier des dangers liés à l'inhalation des poussières de silice, ceci alors qu'il n'a pas mis en place de mesures de protection collective (aération-arrosage) et individuelle (port du masque) suffisantes et efficaces.
Partant, il s'ensuit que la maladie professionnelle inscrite au tableau n°25A2 des maladies professionnelles dont souffre M. [Y] doit être déclarée comme résultant de la faute inexcusable commise par l'employeur à son égard.
Le jugement entrepris sera donc infirmé quant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.
SUR LES CONSEQUENCES FINANCIERES DE LA FAUTE INEXCUSABLE':
Sur la majoration de la rente
M. [Y] demande la majoration des indemnités dont il bénéficie aux termes du code de la sécurité sociale suite à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.
La CPAM et l'AJE ne formulent pas d'observations à ce titre.
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Aux termes de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la victime a le droit à une indemnisation complémentaire.
Aux termes de l'article L.452-2, alinéas 1, 3 et 6, du code de la sécurité sociale, « dans le cas mentionné à l'article précédent [faute inexcusable de l'employeur], la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues en vertu du présent livre. ['] Lorsqu'une rente a été attribuée à la victime, le montant de la majoration est fixé de telle sorte que la rente majorée allouée à la victime ne puisse excéder, soit la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité, soit le montant de ce salaire dans le cas d'incapacité totale. ['] La majoration est payée par la caisse, qui en récupère le capital représentatif auprès de l'employeur dans des conditions déterminées par décret ».
Il est constant que la Caisse a notifié à M. [Y], le 7 avril 2017, un taux d'incapacité permanente partielle de 5%. Suite à l'aggravation de l'état de santé de M. [Y], la Caisse a révisé le taux d'incapacité permanente partielle à 25% le 13 septembre 2022, en lui allouant une rente annuelle d'un montant de 5 877,74 euros à compter du 4 juillet 2022.
Aucune discussion n'existe à hauteur de cour concernant la majoration au maximum de la rente versée à M. [Y], par conséquent ladite rente sera majorée au maximum conformément aux conditions définies par l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale, étant admis que cette majoration suivra l'évolution du taux d'incapacité permanente partielle résultant d'une aggravation de l'état de santé de M. [Y], et que le principe de la majoration restera acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant en cas de décès de l'assuré consécutivement à la maladie professionnelle dont il souffrait.
Cette majoration sera versée par la Caisse directement à M. [Y].
Sur les préjudices personnels de M. [K] [Y]
Il résulte de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale qu'« indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. [...] La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur ».
Sur les souffrances physiques et morales
M. [Y] sollicite l'indemnisation de ses préjudices comme suit': 25 000 euros au titre du préjudice moral, et 20 000 euros pour ses souffrances physiques.
L'AJE sollicite le rejet des demandes présentées par M. [Y] en indiquant que ce dernier ne peut se prévaloir de l'existence de préjudices, physique et moral, antérieurs à la date de consolidation, dans la mesure où cette dernière coïncide avec la date du certificat médical initial, ceci d'autant qu'il ne produit aucun élément pour en justifier. L'AJE ajoute qu'il appartient à la victime qui se prévaut de souffrances physiques et morales postérieures à la date de consolidation de prouver ces dernières. Il relève que M. [Y] produit le rapport médical d'évaluation du taux d'IPP qui fait état d'un «'bon état général'» ainsi que des attestations testimoniales et que ces éléments ne sont pas suffisants pour appuyer ses déclarations.
Il demande, à titre plus subsidiaire, de réduire à de plus justes proportions les demandes indemnitaires présentées par M. [Y].
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Comme indiqué, il résulte de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale que se trouvent indemnisées à ce titre l'ensemble des souffrances physiques et morales éprouvées depuis l'accident ou l'événement qui lui est assimilé.
En considération du caractère forfaitaire de la rente au regard de son mode de calcul tenant compte du salaire de référence et du taux d'incapacité permanente défini à l'article L.434-2 du code de la sécurité sociale, la Cour de cassation juge désormais, par un revirement de jurisprudence, que la rente versée par la caisse à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent (Cour de cassation, Assemblée plénière 20 janvier 2023, pourvoi n°21-23947). En conséquence, les souffrances physiques et morales de la victime peuvent être indemnisées.
Dès lors la victime est recevable en sa demande d'indemnisation des souffrances physiques et morales subies par elle sous réserve qu'elles soient caractérisées.
S'agissant des souffrances physiques subies par M. [Y], ce dernier produit plusieurs pièces médicales (certificat médical du docteur [V], rapport d'évaluation du taux d'IPP en AT/MP, scanner thoracique, certificat médical du 13 janvier 2015), ainsi que des témoignages de proches (pièces n°11 à 17 de l'appelant).
Ces éléments ne permettent pas de rattacher les problèmes d'essoufflement dont se plaint M. [Y] à la maladie professionnelle inscrite au tableau n°25A2 des maladies professionnelles, d'autant que le médecin-conseil avait relevé l'existence d'un état antérieur éventuel interférant, à savoir un tabagisme arrêté depuis 1985, ainsi qu'une autre pathologie, M. [Y] étant également atteint d'une maladie «'plaques pleurales'» inscrite au tableau n°30B.
M. [Y] sera donc débouté de sa demande d'indemnisation des souffrances physiques.
S'agissant du préjudice moral, M. [Y] était âgé de 61 ans lorsqu'il a appris qu'il était atteint d'une silicose. Ses proches décrivent son anxiété liée au fait de se savoir atteint d'une maladie irréversible liée à l'inhalation de poussières de silice et aux craintes de son évolution péjorative à plus ou moins brève échéance. L'anxiété a également été constatée par le docteur [V] dans son certificat médical.
Le préjudice moral est donc caractérisé en l'espèce et sera réparé par l'allocation d'une somme de 18 000 euros de dommages-intérêts eu égard à la nature de la pathologie en cause, et à l'âge de M. [Y] au moment de son diagnostic.
Sur le préjudice d'agrément
L'indemnisation de ce poste de préjudice suppose qu'il soit justifié de la pratique régulière par la victime, antérieurement à sa maladie professionnelle, d'une activité spécifique sportive ou de loisir qu'il lui est désormais impossible de pratiquer.
En l'espèce, M. [Y] sollicite l'octroi d'une indemnité de 15 000 euros en réparation de son préjudice d'agrément, en indiquant qu'il n'est plus en mesure de pratiquer certaines activités, notamment la promenade, le vélo, le bricolage et le jardinage.
L'AJE s'oppose à l'indemnisation du préjudice d'agrément en indiquant que M. [Y] ne produit pas d'éléments susceptibles de justifier d'un tel préjudice.
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Les proches de M. [Y] indiquent que ce dernier aimait se promener, jardiner, bricoler, et faire du vélo, mais qu'il n'est plus en mesure de s'adonner à ses loisirs depuis la découverte de sa pathologie. Cependant les attestations des proches de M. [Y] sont insuffisantes à justifier d'une part de la régularité de la pratique par ce dernier, avant le diagnostic de sa maladie professionnelle, d'une activité spécifique sportive ou de loisirs, et d'autre part qu'il n'a plus été en capacité de l'exercer du fait de sa maladie. Il est précisé que la promenade, le jardinage et le bricolage ne constituent pas des activités spécifiques sportives ou de loisirs.
Dès lors, M. [Y] ne justifiant pas suffisamment de l'existence de ce préjudice, il doit être débouté de sa demande formée à ce titre.
SUR L'ACTION RECURSOIRE DE LA CAISSE':
Aux termes de l'article L.452-3-1 du code de la sécurité sociale, applicable aux actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur introduites devant les Tribunaux des affaires de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2013, il apparaît «'quelles que soient les conditions d'information de l'employeur par la caisse au cours de la procédure d'admission du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie, la reconnaissance de la'faute inexcusable'de l'employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l'obligation pour celui-ci de s'acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L.452-1 à L.452-3 du même code'».
En outre, les articles L.452-2, alinéa 6, et D.452-1 du code de la sécurité sociale, applicables aux décisions juridictionnelles relatives aux majorations de rentes et d'indemnités en capital rendues après le 1er avril 2013, prévoient en outre que le capital représentatif des dépenses engagées par la Caisse au titre de la majoration est, en cas de faute inexcusable, récupéré dans les mêmes conditions et en même temps que les sommes allouées au titre de la réparation des préjudices mentionnés à l'article L.452-3.
La CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM, est fondée à exercer son action récursoire à l'encontre de l'AJE.
Par conséquent, l'AJE doit être condamné à rembourser à la CPAM de Moselle, les sommes qu'elle sera tenue d'avancer au titre de la majoration de la rente, ainsi que des préjudices extrapatrimoniaux subis par M. [Y].
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES':
L'issue du litige conduit la cour à infirmer les dispositions du jugement entrepris ayant condamné M. [Y] aux dépens de la première instance.
L'AJE sera condamné à verser 2 500 euros à M. [Y] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens de la première instance et de l'instance d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
INFIRME le jugement entrepris du 27 juillet 2022 du Pôle social du tribunal judiciaire de Metz, sauf en ce qu'il a':
déclaré le jugement commun à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM ' l'Assurance Maladie des Mines,
déclaré M. [Y] recevable en sa demande,
Statuant à nouveau sur les points infirmés,
DIT que la maladie professionnelle déclarée par M. [K] [Y] inscrite au tableau n°25A2 des maladies professionnelles est due à la faute inexcusable de son employeur, l'EPIC [6], anciennement [7], aux droits duquel vient l'Agent Judiciaire de l'Etat (AJE),
ORDONNE la majoration au maximum de la rente allouée à M. [K] [Y] au titre de sa maladie professionnelle n°25A2 dans les conditions telles que définies à l'article L.452-2 alinéas 1 et 3 du code de la sécurité sociale,
ORDONNE à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) de Moselle, intervenant pour le compte de la CANSSM ' l'Assurance Maladie des Mines, de verser cette majoration directement à M. [K] [Y],
DIT que cette majoration suivra l'évolution du taux d'incapacité permanente partielle de M. [K] [Y] en cas d'aggravation de son état de santé due à sa maladie professionnelle du tableau n°25A2,
DIT qu'en cas de décès de M. [K] [Y] résultant des conséquences de sa maladie professionnelle du tableau n°25A2, le principe de la majoration de rente restera acquis pour le calcul de la rente du conjoint survivant,
FIXE l'indemnité en réparation du préjudice moral de M. [K] [Y] à la somme de 18 000 euros (dix-huit mille euros), et DIT que cette somme, qui portera intérêt au taux légal à compter de la présente décision, devra être versée à M. [K] [Y] par la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM ' l'Assurance Maladie des Mines, et si besoin l'y CONDAMNE,
DEBOUTE M. [K] [Y] de ses demandes au titre des souffrances physiques, et du préjudice d'agrément,
CONDAMNE l'AJE à rembourser à la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM ' l'Assurance Maladie des Mines, les sommes, en principal et intérêts, qu'elle aura versées à M. [K] [Y] au titre de la majoration de la rente et des préjudices extrapatrimoniaux de la victime, sur le fondement des articles L.452-1 à L.452-3 du code de la sécurité sociale,
CONDAMNE l'AJE à payer à M. [K] [Y] la somme de 2 500 euros (deux mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE l'AJE aux dépens de première instance ainsi qu'aux dépens d'appel.
La Greffière Le Président